“Il n’y a pas besoin d’être un banquier pour créer de l’argent”

Le 16 juin 2011

Étienne Hayem (aka @zoupic) blogue sur le sujet des monnaies alternatives depuis plusieurs années déjà. Il nous livre son point de vue sur la dernière lubie des geeks, Bitcoin.

Bitcoin est une monnaie virtuelle créée en 2009 par Satoshi Nakamoto, un personnage mystérieux dont personne ne connait la véritable identité. Ce dernier, empruntant de vieilles idées issues des années 90, publia un document (pdf) décrivant les caractéristiques d’une monnaie décentralisée. Depuis peu, cette idée est portée par un bon  nombre de geeks pour changer notre système économique. Le blogueur Étienne Hayem (aka @zoupic) nous donne sa vision sur cette monnaie virtuelle à la mode.

Que t’inspire Bitcoin ?

Bitcoin est avant tout une initiative qui fait réfléchir. Comme l’a dit Rick Falkvinge (le fondateur du Parti pirate suédois, ndlr), c’est le Napster de la banque, le phénomène qui va ouvrir le débat sur un sujet qui était jusque-là en marge de la société : « et si c’était possible ? Et si on pouvait refaire la banque ? »

D’où sort Bitcoin ?

C’est apparu en 2009, à l’initiative de Satushi Nakamoto, ce pseudo japonais [personne ne connaît sa véritable identité, ndlr]. Avant lui, plusieurs personnes ont théorisé le concept, de manière prospective, pour essayer d’imaginer à quoi pourrait ressembler une telle monnaie.

Rien n’empêche de penser que l’on puisse créer une monnaie sur Internet dans le cadre d’une communauté, par exemple avec tous les utilisateurs des auberges de jeunesse. Mais ce genre d’initiatives restait connecté à l’économie réelle.

Alors qu’avec Bitcoin, la masse monétaire est complètement déconnectée avec un processus purement algorithmique, sur le modèle de Google. C’était envisageable, mais il fallait quand même le faire !

Donc beaucoup de gens y pensaient ?

Oui, mais c’est une vision qui est, pour moi, assez étriquée de la monnaie. Toute la force déployée pour prouver que c’est viable – ou en tout cas faire croire que c’est viable ou stable – est justifiée par la techno. C’est tout le concept de cryptocurrency : plus il y a d’utilisateurs qui font tourner le logiciel, plus les données sont cryptées, et plus il faut d’ordinateurs hostiles pour faire tomber le système.

C’est comme WikiLeaks, Wikipedia ou même Seti@home qui utilise le CPU (le processeur, ndlr) des gens quand leur ordinateur est en veille pour contribuer à la recherche d’ovnis… Là c’est pareil, on utilise l’ordinateur des gens pour crypter du code au maximum pour que personne ne puisse le casser. Plus il y a d’utilisateurs qui utilisent le logiciel, plus le réseau est complexe, donc sécurisé. Et les gens de Bitcoin disent que cette sécurité crée de la valeur.

« Code is law » en quelque sorte ?

Oui c’est ça ! Mais c’est là où c’est tordu… Car en fait, il n’y a pas besoin que tout soit indéchiffrable pour que ça ait de la valeur ! Dans un Système d’Échange Local (SEL) par exemple, dès que l’on fait un échange et que l’on inscrit cet échange dans une ligne de compte, on admet qu’il y a de la valeur. Il n’y a pas besoin de faire tourner nos ordinateurs des heures et des heures pour protéger cet échange ou cette transaction.

Selon moi, la vraie valeur n’est pas dans le temps de processeur ou dans le fait que le code soit incassable. Cela peut être un choix, mais il y a un côté miroir aux alouettes, car la valeur n’est pas vraiment là.

Est-ce que Bitcoin est alors dangereux ?

Dangereux pour qui ? (sourire) La question n’est pas là : Bitcoin est là, et va certainement rester un bout de temps. Là où je me réjouis, c’est que ce projet va ouvrir la question, lancer le débat. Les gens vont se rendre compte qu’on peut créer de l’argent ! Qu’il n’y a pas besoin d’être un banquier pour créer de la monnaie.

L’argent est un protocole, une écriture, une ligne de compte, la monnaie c’est un accord au sein d’une communauté pour utiliser quelque chose comme moyen d’échange.

Donc dans le cas de Bitcoin, la communauté ce sont les internautes qui téléchargent Bitcoin et y croient. Très bien pour eux !

Charles Ponzi

Par contre, comme Stéphane Laborde l’a montré, là où Bitcoin est dangereux c’est qu’il s’agit d’un schéma de Ponzi ! Et en plus, ses créateurs détournent un peu l’attention : quand on regarde la vidéo de présentation, ça a l’air tout beau : pas de contrôle, pas de taxes etc. Ils attirent les gens en jouant sur leur exaspération et leur envie d’autre chose. Mais ils occultent le problème de la masse monétaire, qui est une question importante.

D’autant que si demain, comme cela se dessine, on aura différentes monnaies, il faudra choisir laquelle m’est utile, quelles sont les forces et faiblesses de chacune. Il faudra que les gens jugent selon des critères.

Quels sont ces critères selon toi ? En quoi Bitcoin ne répond pas à ces critères ?

Pour moi le premier problème de Bitcoin, c’est que la monnaie est rare. La limiter dès maintenant à 21 millions revient à programmer la limitation de la valeur. Et donc si ça prend comme on le voit avec le buzz ces temps-ci, la valeur, qui est rare, ne peut qu’augmenter. On est en plein dans Madoff  : premiers arrivés, premiers servis…

Or pour commencer à participer à l’économie de Bitcoin, il me faut bien des Bitcoins pour acheter quelque chose ! Donc soit je rentre dans le circuit en vendant directement du service, et à ce moment là je suis très malin et je vais gagner mes premiers Bitcoins. Mais sinon je fais comment ? Je m’endette en Bitcoins ?

La monnaie est une proposition de jeu. Avec Bitcoin, on n’est pas dans le Monopoly, mais si tu gagnes au début et que tu as bien compris le fonctionnement, tu t’en sors forcément mieux. J’ai donc l’impression que ce système n’est pas juste pour tous. Mais au moins l’avantage est que les règles sont écrites et lisibles par tous, mais ils mettent tellement en avant le reste que j’ai l’impression qu’ils veulent attirer du monde pour en profiter.

Faut-il interdire Bitcoin, comme le veulent deux sénateurs américains ?

Si quelqu’un veut interdire Bitcoin, c’est que ça touche des intérêts importants, que ça blesse encore une fois là où ça fait mal…

Curieusement, les arguments de ceux qui veulent l’interdire sont les mêmes de ceux qui veulent condamner la neutralité du Net : les pédophiles, les trafiquants de drogue, les joueurs de poker etc. Le diable est partout en fait ! Mais de toute façon ces usages ne représentent pas l’outil en tant que tel.

Pour moi c’est bon signe car ça en fait parler. Car aujourd’hui ce qui est important, c’est que les gens prennent conscience que la monnaie ne doit pas appartenir aux banques privées. C’est une erreur énorme que l’on a faite, et aujourd’hui il faut que cela revienne ou soit partagé entre les citoyens, l’État, et pourquoi pas les entreprises. Il faut libérer la monnaie, les monnaies même !

Ce qui est vraiment bien avec Bitcoin, c’est que ça montre ce qu’il est possible de faire. Donc demain quand la bulle Bitcoin aura éclaté, ceux qui vont se faire arnaquer pourront certes dire : « c’est une arnaque les monnaies machin, il faut les interdire », mais aussi : « et si on reprenait le concept de la monnaie P2P, pour en réécrire le code ? »

Et là, les gens vont commencer à réfléchir au code de la monnaie ! Et pas forcément pour arnaquer les autres, mais pour trouver le code qui permette d’échanger dans le temps, avec les générations futures. Et ainsi définir la monnaie que l’on veut créer. Maintenant que c’est techniquement faisable, il est fort possible que l’on voit un foisonnement d’initiatives.

Et on est pas forcément dans le winner takes all [en], le premier le plus fort qui écrase tous les autres. Si les monnaies sont complémentaires, si elles ont chacune des secteurs bien définis, ce n’est pas impossible de les voir cohabiter.

Mais est-ce que cela ne va pas devenir un peu compliqué au quotidien ?

On aurait dit la même chose des médias il y a trente ans, quand il y avait juste la radio. On écoutait juste une seule voix, alors qu’aujourd’hui on lit dix blogs, la radio, un peu de télé, et un magazine, etc. On ne lit pas tout, mais on choisit les sources qui, en fonction de nos besoins, nous correspondent. Et dans la mesure où c’est aujourd’hui totalement dématérialisable, cela sera d’autant plus facile. Avec ta carte bleue, tu taperas 1 pour payer en euros, 2 pour les Bitcoins, ou 3 pour la monnaie locale du quartier. Une fois que c’est dématérialisé, c’est assez facile.

Le blog d’Étienne Hayem (aka @zoupic)

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