La veille comme art de vivre du futur

Le 26 juillet 2011

Ce qui est aujourd'hui un comportement d'ultra-connectés sera demain la norme si l'on souhaite avoir une vie sociale normale.

LEGO chasseVoici un article qui a été publié dans l’excellent ebook : Regards croisés sur la veille (sur le blog du modérateur), qui fait intervenir plein de spécialistes pros du digital (et moi-même). Un article prospectif qui m’a donné l’occasion de poser toutes les idées concernant l’évolution de la veille digitale. Vous excuserez la longueur, cet article est fait pour être lu sur papier ou tablette.
« Touff de la tribu des Görzg grimpa sur une colline. Trois jours que sa tribu et lui n’avaient rien mangé. Tous les matins, les chasseurs partaient explorer la région avec de grands cris mais revenaient bredouilles chaque soir sous les lamentations des femmes et les pleurs des enfants. Mais Touff avait décidé de changer de stratégie. Assis en haut de son promontoire, il observait l’horizon. Soudain il vit les cercles aériens décrits par les vautours fauves. En courant, il  se dirigea vers l’origine de cette agitation aérienne : un cadavre de jeune gazelle encore frais. Il effraya les vautours à grands cris et mouvements de lance, puis récupéra l’animal mort. Ce soir la tribu ne mourra pas de faim. »
– Histoire naturelle des peuples Zhürg, tome 4 –
L’humain possède une curiosité extraordinaire ainsi qu’une faculté d’adaptation formidable. Plus que les autres animaux, ce sont ces deux qualités (et ses pouces opposables) qui lui ont permis de survivre et de se développer sur la planète. La curiosité lui a permis de se mettre debout pour voir plus loin. En voyant plus loin, il a a pu repérer les prédateurs et ses proies. Cette leçon s’est gravée dans ses gènes :

Information = survie

Et cette leçon primordiale a accompagné l’être humain pendant des millénaires. Les grandes civilisations faisant circuler l’information et le savoir, pendant que les dictatures et autocraties essaient de les contenir. L’information est devenue encore plus porteuse de notions de richesse. Information = pouvoir. Information = liberté.

Et puis, la civilisation s’est confrontée à des territoires d’un genre nouveau : les territoires digitaux. L’être humain a dû muter pour s’adapter à Internet. Il est encore en pleine transformation. Et ce n’est pas terminé.

L’homme veille sans le savoir, une question d’adaptation

L’homme s’est transformé en même temps qu’internet envahissait sa vie. Il s’est en effet retrouvé petit à petit noyé dans de l’information brute ou transformée. Car sur Internet, tout y est information ou données, que ce soient les textes, les images, les vidéos, ou les agrégats protéiformes que ces différents éléments peuvent composer.

L’homme a donc petit à petit créé des stratégies opérationnelles pour « survivre » dans l’environnement informationnel digital. Ses stratégies pouvant aller de la sélection fine de sa page de démarrage de navigateur jusqu’à l’ajout d’un filtre anti-spam pour ses e-mails en passant par une gestion plus ou moins fine de ses bookmarks. Une adaptation progressive qui s’est accompagnée par la construction de stratégies mentales souvent inconscientes.

Cette nécessité de veiller (c’est-à-dire l’action de recherche active ou passive d’informations sur Internet) fait ainsi partie de ces nouveaux comportements produits par l’immersion dans les territoires digitaux.

Et aujourd’hui tout le monde veille sur Internet. Que vous utilisiez LinkedIn, Facebook ou Foursquare, que vous regardiez les statuts ou la localisation de vos amis, vous faites de la veille. Googler est devenu un acte naturel et l’on n’y associe même plus la notion d’égocentrisme que ce comportement sous-tend car c’est de la veille, et donc une adaptation normale à l’environnement digital.

La veille s’est donc immiscée dans notre quotidien mais jusqu’où ?

L’entreprise initiatrice de ce comportement

Les entreprises ont été les premières à comprendre (au début des années 2000 pour les plus prévoyantes) qu’il était indispensable de faire de la veille permanente sur Internet. Ce terme « veille » (e-veille, veille digitale, data-monitoring, etc.) a en effet commencé à être utilisé au début des années 2000 pour surveiller les sociétés et les marques implantées sur Internet. Au début, elles ne faisaient que de la veille sectorielle, technologique et éventuellement concurrentielle (intelligence économique), mais petit à petit, elles ont associé cette veille à leur gestion de crise, et depuis peu à leur communication et marketing.

Dix ans après, la veille est devenue une obligation pour les entreprises et les marques qui veulent se développer, quelle que soit leur taille, du boulanger à la multinationale. Ces entreprises comprennent d’ailleurs aujourd’hui  que la veille n’est plus forcément un poste à externaliser mais qu’il peut être plus qu’économique de l’internaliser et de créer un nouveau poste dédié au sein de l’entreprise. La veille étant reconnue comme l’un des axes de développement de l’entreprise (amélioration des produits et services, SAV, e-reputation, ressort d’innovation).

Pour les entreprises et les individus la veille est donc aujourd’hui un comportement acquis qui ne va pas s’arrêter de sitôt.

Un futur de données partout, tout le temps et une adaptation physique inéluctable

Que ce soit pour les entreprises ou les individus, cette e-veille permanente n’est donc que notre adaptation à cette nouvelle ère : l’ère de l’information. Car même si l’on n’en parle pas à la TV, nous sommes définitivement entrés dans ce que certains appellent « la 3ème révolution industrielle » (ou encore « révolution informationnelle ») qui décrit le passage actuel d’une société à dominante commerciale et industrielle à une société de vente, d’échange et de partage d’informations.

L’information devient donc la valeur dominante sur Internet. Mais en dehors de notre adaptation comportementale, nous allons également nous adapter physiquement à cette ère de l’information.

Ainsi, nous utilisons dès aujourd’hui couramment des extensions cybernétiques pour accéder ou échanger des informations. Non, n’imaginez pas forcément des implants cybernétiques branchés à votre cortex cérébrale mais plutôt un smartphone, ou encore un GPS de voiture (lisez donc « Nous sommes tous des cyborgs »). Voilà des outils, des extensions physiques existantes qui nous permettent de transformer des informations virtuelles en données physiques. De véritables senseurs de données indispensables pour traiter le flot de données qui va bientôt nous envahir.

Veiller quoi ? La nouvelle typologie des datas

Dans quelques années, il y aura des informations partout et tout le temps.

Une prévision facile à anticiper, quand les initiatives open data et link data auront montré leur utilité (grâce à des gens comme Tim Berners Lee [en]), quand Internet sera devenu sémantique (via XML, la norme RDF (Ressources Description Framework) qui qualifie les métadonnées ou le langage OWL (Web Ontology Language).

Ces données seront omniprésentes (pour les aspects dangereux, lisez « Data marketing contre l’humanité »). Mais on peut dès à présent les organiser en fonction de leur proximité avec soi-même :

  • Les données concernant notre intimité : qui rentre dans notre sphère privée ? Qui parle de nous ? Qui nous recherche ? Quelles sont nos informations visibles sur les territoires digitaux ? Notre image renvoyée sur Internet est-elle satisfaisante ? Certains services nous permettront de récupérer tous les avis sur soi (les paranoïaques vont se régaler avec www.whatiswrongwith.me [en] un service permettant de récupérer les avis anonymes sur vous).
  • Les données concernant notre cercle de relations intimes ou passionnelles : famille et amis proches. Mais aussi les gens que l’on peut détester – oui vous irez bientôt le plus naturellement du monde stalker vos haters (si vous ne le faites pas déjà). Ces données pouvant aller de la localisation géographique, à leurs statuts, leurs anniversaires, les évènements auxquels ils participent, ou encore leurs situations personnelles et professionnelles.
  • Les données concernant nos centres d’intérêts, nos passions (sport, jeux, musique, média, etc.) ou croyances (politiques, sociales, religieuses, etc.). Qui a gagné le championnat de France de football ? Qu’a dit quel politicien aujourd’hui ? Quelles sont les dates de concert de mon chanteur préféré ?
  • Notre environnement physique proche : la météo, les horaires d’un spectacle, les lieux géographiques intéressants, des aides à la consommation immédiate qui nous sont proposées (BR, offres spéciales), etc.
  • Mais aussi les lieux fréquentés par soi ou sa famille (lycée, collège, ville, région,… ) ou encore les gens que l’on connaît (amis de classe, dirigeants, …), les informations sur les cercles que l’on croise ou auxquels on appartient (associations, clubs, syndicats,… ).
  • Et enfin l’environnement plus lointain : se passe-t-il quelque chose d’important dans le monde ? Dans tel domaine de la science ?

Conclusion : 2012, prélude à l’homo-digitalus

Pour gérer toute cette information, réactualisée en permanence, il va être nécessaire d’inventer de nouvelles interfaces, des extensions cybernétiques indispensables pour manipuler, traiter, échanger ces données en temps réel.

La veille va devenir vitale pour l’être humain, car sans ces données, point de salut. Vous ne pourrez pas vous intégrer dans une société ultra-connectée. L’homo-digitalus, the wired man sera connecté ou désocialisé. Il ne s’agira plus de se demander pourquoi veiller, mais comment veiller le plus efficacement possible, comment s’y retrouver dans ce déferlement d’informations en tout genre, comment avoir l’information la plus juste, la plus fraîche.

Autour de ces nouveaux enjeux, la société va changer. Elle a déjà entamé sa transformation. Le fameux FOMO (Fear of Missing Out), aujourd’hui réservé aux ultra-connectés ou ultra-sociaux,  va devenir une crainte « grand public ». Certains ultra-connectés (jeunes ou pas) ne peuvent déjà plus quitter leur téléphone mobile sans se retrouver perdus, sans vie sociale (lire à ce propos l’étude Express InfoLab : Without information are we nothing ? [en]). Quant aux entreprises, ce sont celles qui recherchent, gèrent et font transiter les informations qui sont déjà les plus puissantes de la planète (Google, Microsoft, Apple et Facebook).

Donc l’être humain va changer et muter, qu’il le veuille ou non. Il deviendra détecteur, filtre ou créateur d’information permanente.

Autant s’y mettre tout de suite non ?

(en attendant, vous pouvez récupérer gratuitement l’ebook Regards croisés sur la veille ici).

Billet initialement publié sur le blog de Cyroul sous le titre « Demain tous veilleurs : la veille comme art de vivre du futur »

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