Steve Jobs sans sa pomme

Le 25 août 2011

Steve Jobs a annoncé hier soir qu'il quittait la direction d'Apple pour des raisons de santé. Comment l'entreprise peut-elle survivre à son fondateur ? Réponses avec des expériences similaires vécues chez Google, Microsoft et Apple.

Coup de tonnerre cette nuit : Steve Jobs démissionne de la direction d’Apple et suggère de lui laisser un poste honorifique. L’entreprise vivra avec difficulté le départ de son fondateur charismatique.

Tous les fans de la pomme vous le diront : Steve Jobs est un gourou du marketing, transformant chaque produit en or. Et de l’or, Apple en a amassé énormément avec lui. Un véritable trésor de guerre estimé à plus de 65 milliards de dollars. A titre de comparaison, la trésorerie de Google est de 37 milliards de dollars, et celle de Microsoft de 50 milliards de dollars.

Lorsqu’un chef d’entreprise est aussi charismatique et reconnu, voire adulé, que Steve Jobs, il est très difficile pour l’entreprise de poursuivre son action. Les acheteurs, investisseurs, actionnaires accordent leur confiance à l’entreprise, dans son innovation, mais aussi dans sa capacité à garder la tête pensante, souvent personnifiée par l’image de l’entrepreneur. Guy Loichemol, spécialiste de la communication financière chez Euro RSCG, analyse la position du dirigeant comme d’un visionnaire :

Les actionnaires ne s’y sont pas trompés. Ils croient en la pérennité de l’entreprise mais pas dans celle de son dirigeant. Certes, ça peut être considéré comme rassurant, mais la banalisation, la désacralisation du dirigeant est à terme néfaste puisqu’elle fait oublier la vision, que celui-ci se doit de porter.

Ce débat s’était déjà fait ressentir au sein d’Apple lorsque Steve Jobs avait pris congé de son poste en raison de problèmes de santé. De nombreuses voix s’étaient alors élevées pour critiquer l’incapacité d’Apple à innover sans lui.

En panne d’innovation

Le cas d’Apple est extrêmement spécifique puisque l’entreprise a déjà fait l’expérience d’une vie sans Steve Jobs entre 1985 et 1996 dont la pomme a failli ne pas se relever. Durant cette période, Apple n’innove plus et n’arrive pas à redonner du souffle à l’entreprise. Dès le retour de Steve Jobs, Apple redevient une entreprise innovante et disruptive avec l’arrivé de l’iMac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad… révolutionnant ainsi les marchés de la musique, du téléphone et créant même un nouveau marché pour les tablettes.

Ce changement de directeur n’est pour autant pas aussi chaotique qu’en 1985, lors du premier départ de Steve Jobs. Les conditions sont incomparables. A l’époque Steve Jobs est licencié de sa propre société. Une guerre d’égo a fini par s’installer à la tête de l’entreprise. La perte de son fondateur s’était alors faite dans la douleur, coupant brutalement Apple de sa tête pensante. Aujourd’hui, la situation semble bien différente. Steve Jobs quitte de son plein gré son poste et recommande même son successeur dans les faits déjà à la tête d’Apple depuis les problèmes de santé de son directeur qui expliquent aujourd’hui son départ.

J’ai toujours dit que si, un jour, je ne pouvais plus remplir mes devoirs et répondre aux attentes en tant que directeur d’Apple, je serais le premier à le faire savoir. Malheureusement, ce jour est venu. Je démissionne donc en tant que directeur général d’Apple.

Le renouvellement de personnalité à la tête d’une entreprise aussi stratégique et importante qu’Apple demande un brin de stratégie et de tact. Cette décision demande une préparation de plusieurs mois, voire années pour éviter à l’entreprise un choc thermique pouvant être fatal. Prenons le cas de Microsoft qui a vu Bill Gates, son ancien directeur, et Steve Ballmer, son remplaçant, se livrer une guerre de pouvoir violente et destructrice.

Dès 2000, Bill Gates décide de laisser Microsoft à son ami de longue date Steve Ballmer. Pourtant, Bill Gates tarde à laisser le leadership à Steve Ballmer et une guerre d’égo éclate au sein de Microsoft. La passation semble difficile et les actionnaires et hauts responsables décident alors de clarifier la situation en mettant en place un planning stratégique de deux ans pour ne pas mettre en danger la compagnie. C’est le 27 juin 2008 que Bill Gates quitte définitivement Microsoft, Steve Ballmer se sera battu durant huit années pour accéder au leadership de Microsoft. La communication autour de ce passage du relais est la première différence flagrante entre Microsoft et Apple : aucun document ne permettait de prévoir un tel bouleversement.

De la part de Google, le passage de relais entre Eric Schmidt et Larry Page a été présenté sensiblement avec le même objectif qu’Apple : rassurer. Sur son blog, Eric Schmidt justifie cette réorganisation comme une opportunité pour Google d’être encore plus compétitif et réactif pour l’avenir.

How best to simplify our management structure and speed up decision making. [Comment simplifier au mieux notre structure manageriale et accélerer la prise de décision].

Au regard du communiqué de Steve Jobs, le message est très clair : rassurer les partenaires. Pour ce faire, l’ancien patron d’Apple souhaite garder une place stratégique afin d’assurer un suivi, d’apporter des suggestions et un véritable regard de stratège pour le futur de l’entreprise.

Je suis impatient d’observer et de contribuer à ce succès dans un nouveau rôle.

Ce poste en question dont parle Steve Jobs est celui de Chairman, soit président de l’entreprise Apple. Un poste clé, censé rassurer et conserver toute la confiance de l’entourage de l’entreprise. Steve Jobs en est sûr, avec ou sans lui : “Les jours les plus brillants et les plus innovants d’Apple sont à venir.”

Microsoft, société orpheline

Nous pourrions épiloguer longtemps sur la probabilité qu’Apple s’effondre ou survive à un tel bouleversement. Mais prenons du recul pour voir aujourd’hui comment Microsoft, société orpheline, voit son avenir avec son nouveau CEO : Steve Ballmer. Malheureusement pour Microsoft, l’avenir n’est pas aussi rose que l’on aurait pu le croire. Cette tendance s’exprime avant tout via les actionnaires et la valeur de l’action Microsoft, qui a chuté de 50% depuis l’an 2000, l’année de l’entrée de Steve Ballmer aux plus hautes fonctions de l’entreprise.

Il est vrai que Steve Ballmer a un style extrêmement différent de Bill Gates. Extravagant, haut en couleur et extraverti : Microsoft n’aurait pas pu trouver un directeur aussi antinomique à Bill Gates.

Steve Ballmer est aussi critiqué pour sa communication parfois dangereuse pour la survie de Microsoft, surtout lorsqu’on parle du futur de Windows. Dernière erreur en date : l’annonce par Steve Ballmer d’une date de sortie prochaine de Windows 8. Rapidement démenti par Microsoft, la réaction des investisseurs ne s’est pas faite attendre. David Einhorn, président du fond d’investissement Greenlight Capital, l’un des plus importants actionnaires de Microsoft, s’est déclaré favorable à “donner à un autre la chance de diriger Microsoft.”

Aucune information ne permet aujourd’hui de connaître le futur d’Apple, et sa capacité à innover d’une part et surtout à galvaniser les foules pour vendre ses innovations. Les rumeurs prévoient l’arrivée d’une télévision brandée Apple dans les prochains mois. Peut-être l’occasion pour Tim Cook de démontrer ses capacités à vendre du rêve sans les charismatiques  “Amazing”, “Revolutionnary”, “Unbelivable” propres à Steve Jobs…


Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa osakasteve / by-nc djmfuentes

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