OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Intoxication médiatique à l’arsenic http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/ http://owni.fr/2011/01/12/intoxication-mediatique-a-larsenic/#comments Wed, 12 Jan 2011 11:07:04 +0000 malicia http://owni.fr/?p=33894 Il s’agit d’une traduction en français du billet “Arsenic life is one month old…”.

Le bébé Arsenic a un mois… En effet, une longue vie pour un mort-né. Revenons sur cette histoire honteuse.

Que s’est-il passé au début ? Eh bien, ça a véritablement commencé en 2008, pas en 2010 : Martin Reilly du New Scientist avait écrit sur la vie basée sur arsenic. Comme l’écrit Antoine Danchin dans son récent article paru dans le Journal of Cosmology :

Comme un cadeau pour la nouvelle année, de retour en 2008, une prophétie est apparue comme un examen par les pairs avant publication. Dans ce document, il était prévu que l’arsenic se retrouve dans le squelette des acides nucléiques des organismes vivants, en remplaçant le phosphore omniprésent. La prophétie, comme c’est souvent le cas avec ce type de croyances, a également suggéré un endroit sur Terre où cela se produirait : le lac Mono en Californie (Wolfe-Simon et al., 2008.). Le 6 avril 2008, cette prophétie a été communiquée au monde par un magazine de vulgarisation scientifique (Reilly, 2008). Maintenant, à la fin de 2010, comme cadeau de Noël (en Europe continentale, le 2 décembre), la NASA a publié un communiqué de presse sensationnel heureuse d’annoncer que, oui, la prophétie se réalisait, et non sur une planète exotique, mais sur notre vieille mère Terre et exactement à l’endroit où cela était prévu de se produire (Wolfe-Simon et al., 2010).

En effet, comme vous avez pu l’entendre, cette histoire était vraiment hype pendant un certain temps. Toutefois, des préoccupations assez graves sont rapidement apparues. La critique la plus brillante, extrêmement bien documentée et solide a été de Dr Rosie Redfield, microbiologiste à l’Université de British Columbia. Elle a dressé une longue liste de problèmes dans le papier et l’a qualifié de « beaucoup de charlataneries, mais très peu d’informations fiables ». Parmi les problèmes cités, remarquons  le phosphore présent dans des concentrations très élevées dans le milieu de culture des bactéries ainsi que le manque total de vérification que les bactéries ne l’absorbent pas, et une analyse incorrecte de l’ADN censé être composé d’arsenic.

Le même jour, Alex Bradley, un géochimiste et microbiologiste à l’Université de Harvard, soulevait une autre préoccupation, à savoir l’instabilité dans l’eau des composés contenant de l’arsenic. Il a également mentionné la mauvaise analyse de l’ADN et a rappelé que la spectrométrie de masse aurait dû être utilisée afin de clore le débat étant donné que cette technique est une façon très précise de déterminer quels sont les éléments contenus dans une molécule.

Davantage de commentaires ont été postés ici et là et on aurait pu penser que la NASA prenne au sérieux les inquiétudes de la communauté scientifique. Étonnamment (au moins pour moi), que nenni. Au contraire, Dwayne Brown, leur principal chargé des affaires publiques, a déclaré que le papier a été publié dans une revue à facteur d’impact très élevé (le facteur d’impact de Science est supérieur à 30) et a précisé, d’une manière assez condescendante, que le débat entre chercheurs et blogueurs n’est pas approprié. Wolfe-Simon a également gazouillé que la « discussion sur les détails scientifiques DOIT être menée dans un lieu scientifique afin que nous puissions donner au public une compréhension unifiée. ». En d’autres termes, les blogueurs scientifiques ne sont pas des pairs, leurs analyses ne valent rien.

Mais cette histoire honteuse ne s’arrête pas là. Après que Carl Zimmer a titré « Ce papier n’aurait pas dû être publié » dans Slate, Ivan Oransky a contacté Dwayne Brown de la NASA. Et sa réponse a été vraiment surprenante :

Le vrai problème est que le monde de l’information a changé en raison de l’Internet / des blogueurs / médias sociaux, etc. Un terme “buzz” tel que EXTRA-TERRESTRE provoquera quiconque possède un ordinateur à dire tout ce qu’il veut ou ressent. LA NASA N’A RIEN GONFLÉ DU TOUT — d’autres l’ont fait. Les médias crédibles n’ont remis en question aucun texte de la NASA. Les blogueurs et les médias sociaux l’ont fait… … … c’est ce qui fait  que notre pays est grand — LA LIBERTÉ D’EXPRESSION.

La discussion porte maintenant sur la science et les prochaines étapes.

Cette interjection dessert définitivement la NASA … Comme cela ne suffisait pas, Ivan Oransky soulignait peu après que la NASA n’a pas suivi son propre code de conduite.

Beaucoup de gens ont réagi au point de vue condescendant selon lequel les blogueurs ne sont pas des pairs. Permettez-moi de citer David Dobbs, le plus éloquent (selon moi) :

Rosie Redfield est un membre actif de la communauté scientifique et un chercheur dans le domaine en question. [...] Redfield Rosie est un pair, et son blog est un examen par les pairs.

Comme vous l’avez probablement deviné, la NASA et le Dr Wolfe-Simon ont refusé de répondre aux critiques. Dans une déclaration sur son site web, Wolfe-Simon s’est félicité du « débat animé » et a invité les chercheurs à adresser leurs questions à la revue Science « aux fins d’examen pour que nous puissions répondre officiellement ». Eh bien, le Dr Rosie Redfield avait déjà préparé sa copie. Cette saga a continué le 16 décembre : même si le Dr Wolfe-Simon avait répondu à certaines questions, les réponses n’étaient pas satisfaisantes ; un grand nombre de défauts techniques ont encore besoin d’éclaircissement.

Le moment de sobriété est venu. Comme vous avez pu le remarquer, je ne me suis pas lancée dans un catalogue à la Prévert des critiques scientifiques adressées à cette étude : ce n’est pas mon but ici et d’autres l’avaient déjà brillamment fait ailleurs. Il y a néanmoins deux problèmes d’une autre nature que je voudrais pointer ici : l’un concerne les scientifiques et l’autre — les journalistes scientifiques.

Alors, chers collègues, comment est-il possible d’avoir publié ce genre de papier ? Les pairs, lors du processus de revue, ont-ils énoncé des commentaires critiques ? Combien de scientifiques n’ont pas remarqué à la lecture du papier publié que l’ADN prétendument fait de l’arsenic est amplifié par une polymérase classique avec quelques amorces universelles ? Combien ont remarqué que cette bactérie a été signalée dans Wolfe-Simon et al. (2010) comme étant de la famille Halomonadaceae ? On a donc pu faire une analyse phylogénétique d’un ADN soi-disant contenant de l’arsenic et de plein d’autres ADN contenant du phosphore et cela ne choque personne… On a analysé un bout de gel et basta, c’est de l’arsenic ? Les gens de la NASA ont prétendu qu’ils n’avaient pas l’argent de faire de la spectro de masse et on a avalé ça, soit ; faire une séparation des ADN sur un gradient continu de chlorure de césium, c’est un peu old school, mais ça ne ment pas… Comment les gens respectables et critiques ont pu laisser cette sorte d’étude, digne d’un stage de licence qui a mal tourné, sortir dans un journal et qui plus est, un journal tel que Science ? Est-il acceptable que de la recherche soit faite avec des communiqués et conférences de presse plutôt qu’avec des données et de la rigueur ? Comment est-il possible que des chercheurs aient accepté que les critiques de leurs collègues soient écartées sous le seul prétexte qu’elles sont écrites sur un blog ? Ces questions portent donc toutes sur la garantie inhérente à l’examen par les pairs et à l’éthique scientifique…

“Est-ce que cette bête folle de l’arsenic — autrefois un extra-terrestre — est un chien?”, demandait David Dobbs. Combien d’entre vous, les journalistes scientifiques, ont écrit une critique ? Combien ont vu qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire ? Et combien parmi vous ont osé écrire vos doutes ? Comme dans le cas plus haut, beaucoup ont pris pour argent comptant ce qui vient de la NASA et de Science. Il n’est pas question de flagellation ici, mais seulement d’une tentative de rendre les gens conscients qu’il faut garder un esprit critique tout le temps quand ils apportent des informations à des tiers.

L’idée que l’arsenic ait pu remplacer le phosphore comme un élément central des acides nucléiques n’aurait jamais dû être publiée dans une revue scientifique. Cependant, les auteurs ne doivent pas supporter tout le poids de la faute. La nature de la science est de mener des expériences avec des contrôles appropriés et d’obtenir des résultats. Pour être communiqués à d’autres chercheurs, ces résultats devront être rédigés et présentés sous la forme d’un article à une revue scientifique aux fins d’examen par les pairs.

Malheureusement, en raison de la compétition pour les ressources financières limitées, une hiérarchie a été progressivement mise en place, avec quelques journaux considérés comme plus importants que d’autres en raison de l’impact qu’ils ont sur leurs lecteurs. Faute d’une bonne formation scientifique, de nombreux journalistes ont tendance à prendre les facteurs d’impact des revues comme une preuve de qualité scientifique. Ce n’est pas le cas, malheureusement. Et le plus souvent, comme on le voit dans la situation actuelle, des revues de haut niveau ont échoué dans les responsabilités de base requises pour une revue scientifique et ont ensuite participé à une campagne de publicité trompeuse et étrange qui a eu pour résultat de duper le public. Dans un contexte de perte croissante de confiance dans la science et les scientifiques, cela aura des conséquences les plus dommageables. (Antoine Danchin)

« Science and Arsenic Fool’s Gold: A Toxic Broth », Antoine Danchin, Journal of Cosmology, 2010, Vol 13, 3617-3620. http://journalofcosmology.com/Abiogenesis123.html

« A Bacterium That Can Grow by Using Arsenic Instead of Phosphorus », Felisa Wolfe-Simon et al., Science 2010. http://www.sciencemag.org/content/early/2010/12/01/science.1197258.

>> Image : FlickR CC : Gary Hayes et Wikimédia Commons (domaine public)

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Médecine personnalisée et brevets sur les gènes http://owni.fr/2010/10/31/medecine-personnalisee-et-brevets-sur-les-genes/ http://owni.fr/2010/10/31/medecine-personnalisee-et-brevets-sur-les-genes/#comments Sun, 31 Oct 2010 14:03:16 +0000 malicia http://owni.fr/?p=33144 Titre original : “Du droit de bidouiller : un test génétique fait fi des brevets sur les gènes”

Dans un article publié il y a quelques jours dans la revue Genome Biology, deux chercheurs de l’Université du Maryland ont créé un programme pouvant identifier 68 mutations associées avec une susceptibilité accrue aux cancers du sein et des ovaires.

Jusqu’ici, rien de spectaculaire : il y a un tas de geeks qui écrivent des programmes extras. Celui-ci est tout de même un peu spécial : comme je l’avais relaté il y a quelques mois, la bataille juridique autour des brevets accordés à l’entreprise Myriad Genetics pour la possession et exploitation exclusive des séquences des gènes incriminés fait rage. Voilà que ce programme (libre) présente un test génétique do-it-yourself (« faites-le-vous-mêmes ») et ce, sans avoir peur de brevets.

Retour en arrière : c’est le juge Sweet (il a le nom adéquat, en plus) qui avait invalidé les brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 il y a quelques mois. Myriad Genetics, l’entreprise les ayant déposés, n’a pas du tout aimé et essaie de casser cette décision mais a beaucoup de mal. Le cas Bilski a jeté un sérieux pavé dans la mare stagnante des brevets logiciels et de gènes.

Dans leur publication, Salzberg et Pertea présentent donc leurs motivations en indiquant clairement que le système des brevets est un système obsolète et dépassé dont le seul résultat est de rendre l’information inaccessible aux gens.

Une bataille contre le brevetage du vivant

Ainsi, conjuguant les avancées récentes dans les séquençages de génomes d’individus et donc, l’avancement de la médecine personnalisée, ils ont conçu un programme informatique vous permettant de rechercher 68 mutations identifiées associées à une susceptibilité accrue aux cancers du sein, des ovaires et autres.

En réalité, il devient de plus en plus évident (pour ceux pour qui cela ne l’était pas encore) qu’il n’est plus possible d’entretenir ce système paradoxal et insensé. Environ 20% des gènes humains identifiés à ce jour sont brevetés, d’autres font la queue pour l’être. En dehors de l’idée de breveter un truc qui simplement existe, en dehors de l’idéologie de partage, on peut tout simplement suivre l’actualité et réfléchir deux minutes.

Le séquençage de génomes est une technique bien établie, qui marche très bien (le taux d’erreur est négligeable) et surtout qui est de plus en plus bon marché. Des logiciels (la quasi-totalité libres) d’assemblage existent à la pelle et la base de données OMIM dédiée aux maladies humaines de toutes sortes regorge d’information à un tel point que parfois, c’est limite inutilisable.

Il n’est pas du tout fantasque de dire que d’ici dix ans, peut-être même moins, chacun aura sa séquence génomique sur un support de mémoire externe genre flash.  Mais alors, dans quel cas se retrouvera-t-on si le brevetage de gènes continue ? Dans la situation totalement absurde de devoir payer le droit de voir son propre génome !

Ainsi, les chercheurs ont prévu de continuer le développement du logiciel. En effet, ils n’ont pas peur de poursuites et estiment qu’il relève de la santé publique que de créer un logiciel librement distribuable à tout un chacun à l’aide duquel on peut regarder si on possède des mutations à risque. Ils ont demandé un financement de 300.000 dollars pour pouvoir continuer le développement et inclure d’abord les 1000 mutations identifiées dans BRCA1 et BRCA2, mais aussi toutes celles associées à des maladies humaines.

De plus, ils souhaitent joindre la publication décrivant une mutation donnée à celle-ci pour permettre aux gens d’acquérir une plus grande culture médico-scientifique. Et s’il est vrai que lire ce genre de document n’est pas aisé pour qui n’est pas scientifique, on peut toujours se rendre chez son médecin pour des éclaircissements.

La preuve de la contreproductivité du brevet

En conclusion, on peut dire que ce proof of concept est un excellent pied-du-nez à Myriad et la « propriété intellectuelle ». Même si actuellement, un très petit nombre de personnes ont accès à leur séquence génomique, les choses changent très vite dans ce domaine. Les auteurs pensent que les quelques années nécessaires au développement du logiciel pour qu’il soit pleinement utilisable et couvre toutes les mutations associées à des maladies suffiront pour qu’il coûte moins cher pour un citoyen lambda de faire séquencer son génome que de payer Myriad et consort.

Il est également évident qu’un effort particulier devra être fait au niveau de l’enseignement en médecine pour apprendre aux praticiens la génétique à l’ère des génomes et autres ensembles globaux de données fines d’un organisme humain. Cela permettra de joindre les efforts de la science à se rendre directement accessible aux citoyens avec la prévention de l’automédication et l’augmentation des compétences en sciences bio-médicales de nos soignants.

>> Article publié initialement sur LinuxFr.org.

>> Illustrations CC : Epicatt et opensourceway

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