OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Visualiser le “Ghost in the field” de l’urbanité numérique http://owni.fr/2011/05/23/visualiser-ghost-in-the-field-urbanite-numerique-ondes-wifi/ http://owni.fr/2011/05/23/visualiser-ghost-in-the-field-urbanite-numerique-ondes-wifi/#comments Mon, 23 May 2011 06:30:58 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=63300 Urban After All S01E18

Ce qui frappe dans “l’urbanité numérique”, c’est son invisibilité. Or cette couche informationnelle omniprésente existe bien. Comme le soulignait le géographe Boris Beaude dans un colloque sur ce thème, “il serait dangereux et anachronique de considérer les technologies de communication numériques comme irréelles“. On oublie souvent que l’utilisation de téléphones mobiles ou de services géolocalisés repose sur un socle constitué de toutes sortes d’ondes et de protocoles de communication “sans fils”. Le citadin moyen se retrouve ainsi entouré de flux par lesquels transitent “du numérique” : des informations sont véhiculées via des réseaux téléphoniques (GSM, 3G), des normes de télécommunication aux noms parfois poétiques (la dent bleue “bluetooth”), parfois old-school (la fidélité sans fil WiFi), etc.

La diffusion de ces ondes interroge évidemment les scientifiques en raison de leur nocivité potentielle. En parallèle, artistes et designers empruntent des voies alternatives pour explorer les implications de cette présence. Ces perspectives créatives soulèvent peu de questions en termes scientifiques. Mais, par leur puissance visuelle, elles interpellent l’audience sur l’existence bien réelle du numérique dans notre environnement urbain, contribuant ainsi à l’un des débats majeurs de notre société.

Des ondes intrusives

La manière la plus simple de mettre à jour cette présence consiste à visualiser le spectre électromagnétique occupé par ces systèmes de communication. Peut-être du fait du caractère sensible de ce sujet, ce sont les artistes et les designers qui ont le plus avancé sur ces questions.

Le projet “Tuneable Cities / Hertzian Tales [en] de Dunne & Rabby [en] en 1994 proposait déjà de superposer à l’espace urbain des formes et couleurs correspondant aux ondes alentours cartographiées par les deux designers. Le principe était alors de représenter la manière dont chaque lieu possède une véritable extension invisible via les ondes radio. Mais c’est certainement Magnetic Movie [en] du collectif anglais Semiconductor qui frappe le plus :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce projet de représentation visuelle et sonore du champ électromagnétique présent dans divers lieux aux États-Unis interpelle sur la présence envahissante de tous ces signaux. Ceux-ci se manifestent sous la forme de nervures colorées ou de halos bigarrés avec une nervosité accentuée par les sifflements choisis par les artistes. Ce qui ressort, c’est la nature intrusive de ces ondes et leur comportement erratique voire perturbateur.

Dans un registre plus urbain, les travaux menés à l’école d’architecture et de design d’Oslo [en] vont encore plus loin. Leur projet “Immaterials: Light painting WiFi” [en] matérialise le “terrain immatériel” formé par les réseaux WiFi et s’interroge sur le sens à donner à de telles visualisations.

La méthode employée par les chercheurs est astucieuse :

Pour étudier les qualités spatiales et matérielles des réseaux sans-fil, nous avons construit une “canne de mesure” qui quantifie la force du signal WiFi avec une barre lumineuse. Lorsque l’on bouge cette canne dans l’espace, elle indique les changements de force du signal. Des photos avec un long temps d’exposition permettent de révéler la présence du signal.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme le spécifient les chercheurs, ce travail souligne plusieurs caractéristiques de l’avènement de cette ville numérique. Elles témoignent déjà de la manière dont un bâtiment peut “s’étendre” dans son voisinage. Et cela n’est pas sans conséquence en termes d’usage. L’enveloppe immatérielle du bâtiment universitaire représenté dans la vidéo ci-dessus vient irriguer le parc voisin et les étudiants peuvent donc accéder à ce réseau protégé (et invisible pour les passants). Avec le numérique on est à la fois en dehors d’un lieu (dans le parc) et toujours bénéficiaire des services liés à l’endroit en question (via le réseau sans-fil).

Par conséquent ces visualisations montrent que les bâtiments et habitations forment un vaste espace continu qu’il est difficile de dissocier. Les “enveloppes” de chaque endroit s’entremêlent pour former un maelström coloré. Ce halo n’est pas inerte et clos. On doit en effet le considérer comme un espace social étrange dans lequel naviguent des paquets d’informations auxquels correspondent entre autres des e-mails, des morceaux de conversation futiles sur Facebook, des fichiers torrents ou des déclarations d’impôts. C’est tout un bazar numérique partagé qui flotte ainsi dans nos rues et au-dessus de nos immeubles.

Mais elles montrent que les réseaux WiFi sont finalement très localisés, informels et fragmentés, notamment car ils relèvent d’une infrastructure mise en place par les individus. Ce qui transparaît n’est donc qu’un reflet des occupations humaines. Les lieux avec peu de WiFi sont soit des entrepôts soit des endroits dans lesquels il y a peu d’activité liée aux technologies de l’information et de la communication. La représentation d’ondes GSM ou FM nous mènerait certainement à des conclusions différentes.

Vers un bestiaire

Si l’on continue cette exploration, on arrive vite à la conclusion que la diversité des ondes qui s’entremêlent est importante. C’est pourquoi certains s’intéressent à cataloguer les types possibles.

Dans son travail de master en design intitulé “The bubbles of radio” [en] dans la même école à Oslo, Ingeborg Marie Dehs Thomas s’est intéressée à construire un véritable bestiaire des ondes existantes :

En s’inspirant des livres abondamment illustrés en botanique, zoologie et en histoire naturelle, Ingeborg est arrivée à la notion d’encyclopédie des ondes radio qui contient une sélection de différentes “espèces”. Ancrée dans une recherche concernant leur usage, les applications et les caractéristiques techniques de chaque type d’onde, elle a crée des visualisations fictionnelles de la manière dont celles-ci habitent l’espace physique. Il s’agit au fond de l’expression créative basée autant sur la créativité personnelle que sur des données techniques et scientifiques comme la force du signal ou la portée des ondes.

En croisant à la fois les caractéristiques techniques de ces différentes protocoles de communication avec les imaginaires qu’ils évoquaient chez des personnes de son entourage, la designer norvégienne a produit une représentation saisissante de ces différentes “espèces” sous la forme d’un bestiaire :

Ce travail met en exergue le fait que les différents protocoles ont des “pouvoirs” distincts et que leur mise en forme visuelle peut fait ressortir les peurs et craintes de chacun. On se rend ainsi compte que les différentes ondes ne sont pas perçues ou comprises de la même manière suivant leur nature technique. Raptus Arphadus (RFID) apparait plus sinueux et tentaculaire que le globuleux mais néanmoins envahissant Spherum Magnea Globalum (GSM), à l’opposé du piquant Nevrotis Dentus Aquarae (Bluetooth).

Le bestiaire nous confronte avec ces espèces de monstruosité difficiles à percevoir mais qui forment le nouvel univers techno-urbain dans lequel nous baignons en ce début de 21e siècle. Suivant l’expérience et les usages numériques de chacun, on trouvera ces formes tantôt terrifiantes tantôt poétiques.

Un travail de démystification

Ces représentations n’ont pas pour objectif d’être correctes techniquement ou de servir un but opérationnel, il s’agit plutôt pour leurs auteurs de montrer comment une approche visuelle ou fictionnelle permet de prendre conscience de leur existence en dehors d’interactions sur les écrans. Elles sont importantes à deux égards.

Ce halo en mouvement témoigne d’une activité humaine en ébullition (télécommunications, accès au web…) qui peut être évaluée et représentée. Ce qui renvoie à l’ensemble des travaux actuels sur la “mesure urbaine” ou à la manière dont l’activité sur les services numériques permet de visualiser des flux, comprendre les mouvements de population et potentiellement gérer l’espace urbain. On va du coup sortir du caractère illustratif pour créer de nouvelles formes de services, voire de contrôle.

Enfin, et peut-être surtout, ces créations nous confrontent à l’hybridation du matériel et de l’immatériel dans notre espace quotidien. Et cela ne date évidemment pas de l’arrivée du WiFi puisque toutes sortes d’ondes pourraient être représentées de la télévision à la radio. La mise en image de ces flux est pertinente car elle permet de déconstruire et de caractériser cette ville numérique que nous voyons se déployer autour de nous. C’est un premier pas vers la prise de conscience de l’omniprésence de cette hybridation. Ce qui atteste du rôle nécessaire de médiateurs, comme le clame le designer américain Adam Greenfield [en] :

Dans la ville en réseau, du coup, il règne un besoin pressant de traducteurs : des gens capables d’ouvrir ces systèmes occultes, de les démystifier, d’expliquer les implications de ces technologies qui conditionnent nos vies et notre environnement urbain. Cela va devenir la préoccupation première des urbanistes et des technologues dans le futur proche.


Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous sur Facebook et Twitter (NicolasPhilippe) !

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La géolocalisation est-elle soluble dans le livre numérique? http://owni.fr/2011/05/16/la-geolocalisation-est-elle-soluble-dans-le-livre-numerique-edition/ http://owni.fr/2011/05/16/la-geolocalisation-est-elle-soluble-dans-le-livre-numerique-edition/#comments Mon, 16 May 2011 08:33:48 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=62209 Urban After All S01E17

En ce printemps de salons du livre multiples, les eBooks sont sur toutes les lèvres, on assiste à l’évolution progressive des projets de liseuses mais aussi des perspectives ouvertes par le numérique. Mais bien souvent c’est souvent la même rengaine que l’on entend. Or la géolocalisation, notamment dans un contexte urbain, est l’une de ces technologies qui ouvre la voie à d’autres usages.

Il s’agit au fond de prendre ces opportunités comme un moyen de dépasser le modèle actuel de “livre numérique” bien souvent compris comme banale transposition d’un contenu existant d’un support (papier) vers un autre (numérique).

Comment cela pourrait-il se traduire ? Que se passe-t-il lorsque l’on croise géolocalisation et lecture numérique ?

Géolocalisation et livre numérique WTF?!

Dans la panoplie des technologies qui font la “ville numérique” aujourd’hui, la géolocalisation tient une place de plus en plus prépondérante. L’utilisation principale de celle-ci tourne évidemment autour du guidage et du calcul d’itinéraire en voiture, en transports en commun ou à pied. Plus récemment les applications sur mobile ont débouchées sur des pratiques communautaires avec des fonctionnalités de notification de présence, de rencontre, de jeu type ARG ou encore de partage de messages attachés dans des lieux spécifiques.

Les services plus anciens et plus connus tels que Foursquare éclipsent évidemment la flopée de tentatives dans d’autres domaines. Et notamment chez les chercheurs, designers et entrepreneurs qui s’intéressent à la géolocalisation comme moyen de recombiner les possibilités d’édition de contenus. Cette perspective de livre numérique dite “homothétique” ne tire finalement guère parti des possibilités offertes par les technologies en question… et le géopositionnement est justement un moyen de proposer des expériences de lecture originales.

Au récent Salon du livre de Genève, lors d’une journée consacrée au
futur de la lecture, un des intervenants, Alessandro Catania a ainsi donné un tour d’horizon des nouvelles expériences de lecture et de mise en valeur de contenus en insistant sur les opportunités pour l’édition.

De la géolocalisation d’extraits littéraires au guide touristique

Sa présentation détaillait l’éventail des possibilités suivant l’intégration des moyens de géolocaliser le lecteur ou les contenus. Pour lui, le degré zéro de ce courant consiste à proposer des visualisations sous la forme de carte indiquant où les histoires racontées dans certains livres se déroulent. Des services permettent ainsi aux utilisateurs d’attacher une courte fiche de lecture à des villes dans lesquels l’histoire a lieu. L’idée est alors de proposer une forme de recherche nouvelle basée sur l’espace : la lectrice potentielle peut ainsi naviguer sur une carte et choisir quel roman aborder suivant l’endroit qui l’intéresse. Malheureusement, une telle approche est pauvre car le lien entre lecteur, contenu et lieu est très ténu comme le soulignait Catania dans son intervention.

Une approche plus dynamique car liée à la mobilité consiste à proposer des guides touristiques géolocalisés. Avec ce type de service, l’utilisateur-lecteur se déplace dans la ville et des contenus textuels ou visuels apparaissent au gré de ses pérégrinations. Anecdotes sur le lieu, fragment poétiques ou renvois historiques sont ainsi mis en avant. Une forme d’éditorialisation apparait ici puisqu’il est courant dans ces projets de proposer différents parcours urbains relevant de thématiques spécifiques et cohérentes. Malheureusement, le résultat est souvent limité et finalement il s’agit plus du pendant culturel des projets de marketing géolocalisé (publicités ou bons de réduction géolocalisé) que d’une expérience de lecture très originale.

Vers des expériences de lecture “situées”?

Pourtant, comme le rappelait Catania au Salon du Livre de Genève, nous avons tous des expériences de “lecture située” intéressantes. Se rendre compte que les douloureuses retrouvailles mentionnées dans le roman se déroulent dans le bar marseillais dans lequel on est assis ou découvrir un monument Romain décrit dans un livre pour mieux l’apprécier sont des exemples possibles. De même, des auteurs sont irrémédiablement liés à des environnements urbains spécifiques (James Joyce/Dublin, Allen Ginsberg/San Francisco, etc). Il devrait donc y avoir des scénarios d’usages pertinents et qui enrichissent réciproquement lecture et visite d’un lieu. Quelques pistes se dessinent.

Pensons par exemple à iBookmark. Dans ce projet de recherche, les auteurs créent des histoires pouvant varier selon la localisation du lecteur accédant au contenu sur une liseuse équipée d’un GPS. Le récit s’adapte alors aux parcours de la personne : les noms de lieux ou de monuments décrits dans l’ouvrage sont ainsi modifiés en fonction des endroits visités.

Dans un registre plus ludique, des jeux en réalité alternée ont été réalisées en partenariat avec des éditeurs de romans. Et cela, afin de renouveler l’expérience de lecture avec une composante “contextuelle” interactive. C’est le cas du projet wetellstories de Penguin Books :

Une histoire secrète est cachée quelque part sur l’internet, un compte mystérieux avec une fille qui vous est vaguement familière et qui a l’habitude de se perdre. Les lecteurs suivant son histoire vont découvrir des indices qui vont influencer son voyage et l’aider en cours de route. Ces indices vont apparaitre en ligne et dans le monde réel pour diriger les lecteur vers d’autres histoires.

Un nouveau gadget ou une interactivité pertinente ?

Les exemples décrits ici témoignent du caractère balbutiant des propositions. Dans plusieurs cas, la valeur ajoutée pour le lecteur reste faible mais ces approches doivent être considérées comme des tentatives d’explorer les possibles. Il y aurait bien plus à explorer en croisant cartes, romans, affiches, journaux dans des expériences oulipiennes géolocalisées !

A mon sens, ce qui se cache derrière ces premiers exemples, c’est une nouvelle manière de découvrir la ville en hybridant un espace physique (les lieux) et virtuels (des histoires, des fictions) pour produire ni plus ni moins que des “légendes urbaines”… On pourrait d’ailleurs imaginer un service qui permettrait de rédiger un texte automatique par son propre déplacement dans l’espace urbain. Une tel principe existe pour le cinéma avec le projet Walking the Edit qui serait potentiellement transposables aux contenus textuels…

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Photo FlickR CC : Shakerspearsmonkey.

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Politique d’urbanisme ||dans le jeu culte GTA http://owni.fr/2011/04/25/les-villes-de-gta-level-design-mobilite-et-urbanisme/ http://owni.fr/2011/04/25/les-villes-de-gta-level-design-mobilite-et-urbanisme/#comments Mon, 25 Apr 2011 08:15:55 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=58672 On le sait, l’espace urbain est l’un des contextes de prédilection dans les jeux vidéo. De Rampage à Duke Nukem 3D en passant par Sim City ou GTA, la ville est au cœur de l’action. Tour à tour détruite par les joueurs, dédale à explorer, territoire à simuler ou lieu de débauche, elle fait partie intégrante du gameplay en venant structurer le répertoire disponible chez les joueurs.

La cité virtuelle des jeux vidéo n’est ainsi jamais “juste” un simple décor conçu par des graphistes. Et la conception de l’environnement lui-même est un enjeu primordial au cœur de la création ludique. Prenons l’exemple d’une métropole fictive et imaginaire comme les différentes villes du jeu phare développé par la société Rockstar Games, “Grand Theft Auto“, pour en comprendre les enjeux.

Des villes virtuelles de plus en plus vivantes

Un reproche classiquement fait par les observateurs de mondes virtuels [en] réside dans le caractère superficiel des représentations urbaines dans les univers de jeu/en ligne. Ceux-ci ont pendant longtemps pris des formes stéréotypées : quartiers d’affaires constitués de tours, monuments classiques, circulation automobile et rues désertes en étaient bien souvent les ressorts les plus courants. Pendant longtemps, la cité virtuelle était désespérément vide, une sorte de caricature du réel.

Avec GTA IV, mais aussi avec les versions précédentes, la situation est tout autre. Même si l’on est encore loin de pouvoir interagir avec tous les éléments du jeu, les progrès sont nets. Entre la possibilité de visiter certains lieux ou magasins (mais pas tous les bâtiments), l’aspect vivant des rues ou le fait de ramasser des déchets (pour les jeter aux visages de ses congénères), l’évolution est importante.

La navigation dans les différents quartiers est aussi pensée en détail. Franchissez un pont et un sentiment étrange commence à poindre… La non-familiarité avec les lieux apparait : l’architecture diffère, de même que la population présente… ce qui donne presque envie de retourner de l’autre côté où l’on se sent plus chez soi.

Une foule de détails concourant à l’expérience ludique

Naturellement, tout cela n’a pas été fait au hasard. Le level design, le processus dans la création d’un jeu vidéo qui consiste à concevoir l’environnement dans lequel le joueur évolue, est particulièrement pointilleux. De l’évolution de niveaux, labyrinthes et cartes basiques, les espaces de jeu sont devenus complexes. Les détails fourmillent et chacun concourent à l’expérience ludique. Dans ce cadre, la conception de villes virtuelles a une place particulière avec une forme d’intervention urbanistique singulière.

Le cas des différents épisodes de GTA est fascinant à cet égard comme le montrent les témoignages suivants de différentes créatifs de Rockstar Games. Au niveau de l’intention de départ, les objectifs sont clairs :

On aurait pu reprendre une ville réelle mais on a choisi une autre approche. Nous avons créé une approximation, une abréviation d’une ville réelle, pensée en détail avec la variété d’éléments visuels et typographiques que nous voulions (…) c’est mieux de faire une représentation qui à l’air bien, parait réelle et qui exprime directement sa propre image. Nous essayons de faire un monde qui a première vue parait complètement normal mais qui révèle son absurdité quand on joue. C’est plus cohérent avec l’idée du jeu vidéo. [Source : Blueprint, 2004]

Mais c’est sur la manière de procéder que l’approche est encore plus intéressante :

Nous n’avons jamais construit ces villes avec des missions spécifiques en tête. Nous construisons toujours la structure urbaine en premier lieu puis nous incluons les missions et les histoires dedans (…) Donc nous avons toujours traité les villes comme des lieux réels. Nous les bâtissons, nous les remplissons de choses intéressantes et nous plaçons les missions dedans plus tard. (…) Je pense que le fait d’avoir cet environnement immense et disponible donne beaucoup d’opportunités pour ajuster les missions et trouver ce qui fonctionne le mieux. [Eurogamer [en], 2008]

Exposition à Londres sur les processus de création de GTA III.

L’apprentissage des lieux par la dérive

Pourtant, ce qui est encore plus fascinant dans l’expérience de jeu, c’est la logique d’apprentissage des lieux. Car au fond, le gameplay par défaut de Grand Theft Auto est basé sur la possibilité de se construire progressivement une image mentale des lieux parcourus… en naviguant sans but.

La dérive (au sens situationniste) virtuelle trouve toute sa place dans un jeu comme GTA. Alors que dans certains univers en ligne, il est fastidieux de devoir se déplacer en marchant ou en volant, l’errance sans but dans Vice City ou Liberty City fait partie intégrante de l’expérience ludique… et d’une mécanique d’apprentissage progressif des composantes urbaines. La déambulation favorise ce que l’urbaniste américain Kevin Lynch a nommé “la lisibilité de la ville”, c’est-à-dire la facilité avec laquelle chacun reconnait et interprète les éléments du paysage afin de pouvoir s’orienter.

La compréhension de cette lisibilité dans GTA permet d’acquérir une vision globale de la complexité des lieux et de toutes les ressources disponibles pour réaliser les missions. Mais ces dernières ne sont pas forcément une finalité, étant donné le plaisir manifeste de certains joueurs (dont je fais partie) à déambuler en écoutant la radio.

Taxi, tank, moto : une culture de l’errance multimodale

Progressivement, de version en version, l’étendue des moyens de transport à disposition s’enrichit. Il ne s’agit pas juste de se déplacer à pied ou en auto puisque l’on peut sauter sur une moto, un camion poubelle, un taxi, un tank (pour ceux qui sautent sur les cheat modes). Chacun de ces moyens de transport possède ses spécificités (vitesse, sécurité, fonctions particulières) qui donne évidemment lieu à des possibilités de challenge ou de mission pour le joueur. Le gameplay n’émerge alors pas seulement des lieux mais aussi des dispositifs de mobilité.

L’arrivée du métro rajoute encore des possibilités intéressantes avec l’avénement dans le jeu d’un mode de transport discontinu. En effet, monter dans une rame dans un coin de Liberty City n’est pas aussi anodin que conduire une voiture… puisque le joueur ne peut pas contrôler son déplacement. Il se retrouve ensuite dans un autre coin de la ville sans avoir vu l’espace intermédiaire. Mais l’avantage est alors d’avoir une manière rapide de fuir ou de contourner la difficulté de devoir perdre du temps à retraverser tout un pan de la cité sans avoir d’accidents.

Avec GTA, le joueur fait donc une expérience de l’errance multimodale grâce à tous ces dispositifs de transport différents. Au-delà des objectifs meurtriers discutables que l’on retient souvent du jeu, il est donc intéressant de voir comment la gestion de la mobilité devient un enjeu fondamental de gameplay, comme le souligne Transit-City.

Géolocalisation et téléphonie à tous les étages

Cet apprentissage de la mobilité est aussi complété par la présence de deux technologies particulièrement importantes dans la compréhension des nouvelles pratiques urbaines actuelles : le GPS et le téléphone portable.

Le premier fournit une aide à la navigation essentielle pour se repérer et réaliser certaines missions. Et évidemment, il est possible d’en tirer des mécaniques ludiques comme le décrit Tom Armitage [en] :

Les concepteurs n’essayent pas de donner d’indications erronées avec le GPS mais ils te forcent à ne pas trop te baser sur ces informations visuelles. Dans une des missions, un témoin te donne la direction vers un endroit et il te dit toujours “ah attends, c’est à gauche ici” à la dernière minute dans un carrefour, de manière à ce que tu ne puisses pas t’aider de la mini-map, tu dois écouter ce qu’il te dit. C’est plutôt bien pensé.

Le téléphone a plus un rôle “social” mais il peut aussi permettre de naviguer :

Le téléphone mobile est central là-dedans, il te permet de faire des appels et d’envoyer des SMS pendant que tu marches ou que tu conduis. Il te permet de socialiser, d’organiser et d’écouter des sonneries que tu as téléchargées. Quand tu rates une mission, tu peux répondre à un SMS et te téléporter à l’endroit de départ.

Au fond, l’évolution de GTA fait donc écho aux transformations urbaines apparues au cours de l’histoire, en version accélérée. Pour le concepteur de ville numérique, l’intérêt réside alors dans la création de l’hybridation des infrastructures de la ville… qui commence par la structure urbaine formée de rues, de bâtiments avec des détails qui la rendent vivante (passants, magasins et lieux ouverts)… mais aussi l’amélioration croissante des moyens de transport au fil des épisodes. Avec in fine, la disponibilité d’une véritable “couche numérique” rendue possible par les technologies de l’information et de la communication via le GPS et le téléphone. Chacune de ces composantes possède ses singularités qui permettent de créer des challenges intéressants pour le joueur.

Ce que les villes fictives de GTA expriment par rapport à des métropoles réelles, c’est la différence de finalités. L’urbanisme dans l’espace physique vise l’efficacité dans les moyens de vivre ensemble… et le level design de GTA pousse lui au fun et à des interactions libres voire sauvages.

Reste à explorer si l’expérience vidéoludique pourrait influencer notre perception de l’espace urbain !

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Métal urbain et ferrailleurs des temps modernes http://owni.fr/2011/04/18/metal-urbain-et-ferrailleurs-des-temps-modernes/ http://owni.fr/2011/04/18/metal-urbain-et-ferrailleurs-des-temps-modernes/#comments Mon, 18 Apr 2011 06:30:32 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=57061 Urban After All S01E13

La semaine passée, une retraitée géorgienne de 75 ans a fait la douloureuse expérience de couper l’accès à Internet dans 90% des foyers, sociétés et organisations arméniennes. En cherchant des métaux à récupérer et revendre, la malheureuse a sectionné avec une bêche un des câbles de fibre optique permettant la connexion entre les deux pays…

Au-delà du phénomène de la hackeuse à cheveux gris, qu’est-ce que les histoires de ramassage de cuivre, fer et aluminium nous racontent sur la ville d’aujourd’hui ?

Ce vol c’est de l’alu

Le vol de métaux est un phénomène qui transparait récemment dans les médias. Des expéditions spectaculaires sont ainsi mentionnées, comme ces scieurs de pylônes, les faux ouvriers du Ranch Davy-Crockett de EuroDisney ou ces profanateurs de sépultures. Avec comme cause souvent mentionnée pour expliquer cette tendance les prix élevés des métaux et la demande croissante des pays émergents comme l’Inde et la Chine.

On imagine les malfrats nocturnes redoubler de précautions pour déterrer, arracher et récupérer des bribes d’acier, d’aluminium ou de cuivre. Mais contrairement au cliché répandu dans les médias, la collecte de métaux n’est pas uniquement un acte délictueux ! Il n’y a pas forcément besoin d’opérer la nuit ou dans les campagnes pour récupérer des métaux et il peut s’agir d’une activité courante, mais invisible, des villes contemporaines. Pas nécessairement du vol [vidéo, en], ce peut parfois être un type de petit boulot à la limite de la légalité, ou lié à des sortes d’économies informelles et souterraines.

Les petites mains d’un collège invisible

Les “ramasseurs de fer” font en fait partie intégrante du paysage urbain. Les voleurs décrits dans les médias qui détruisent les infrastructures ou les objets en place éclipsent bien souvent les récupérateurs plus discrets. Ces petites mains forment une sorte de collège invisible et très bien organisé. Ces membres sillonnent nos cités pour les débarrasser des encombrants laissés dans les rues ou trier les différents déchets laissés en vrac dans les poubelles et autres bacs.

Ce sont ces ferrailleurs des temps modernes qui m’intéressent tout particulièrement et que je croise régulièrement. On en voit ici et là avec les quelques exemples ci-dessous provenant de mes pérégrinations, respectivement à Istanbul (Turquie), Madrid (Espagne), Séville (Espagne) et Paraty (Brésil).

Les exemples que je prends volontairement ici témoignent de l’existence de ce phénomène dans toutes sortes de contextes : des grandes agglomérations européennes (Madrid, Istanbul) à des petites villes sud-américaines. Si je n’ai pas de photos de France, cela ne signifie pas que l’on ne retrouve pas ce type de pratique dans nos contrées.

À la recherche du “fer mort”

Que voit-on sur ces photos ? D’abord des véhicules sommaires, des caddies à la carriole, transportant toutes sortes de débris trouvés dans les rues ou sortis de poubelles : câbles jetés, ordinateurs laissés dans les rues, téléviseurs abandonnés, vieux cadenas et vélos rouillés… Tout y passe et tout est bon à récupérer. Les véhicules en question révèlent d’ailleurs le caractère quasi anachronique d’une telle activité (tout du moins en décalage avec des formes plus institutionnelles de récupération). Dans sa représentation la plus visible, le ramassage informel de métaux, activité qui apparait miséreuse, ne se fait pas avec des moyens très modernes.

Ces acteurs urbains très discrets ne démantèlent pas l’existant. Ils sont plutôt en effet à la recherche de “fer mort” comme le décrit Moussa Touré dans cette dépêche d’agence : “c’est-à-dire le fer qui ne peut plus être utilisé par les mécaniciens et autres utilisateurs qui s’en débarrassent“. Une variante du promeneur de plage avec son détecteur de métaux en quelque sorte.

L’équivalent du bataillon d’utilisateurs de Wikipedia

Cette recherche du “fer mort” doit être considérée comme une manière de contribuer à l’évolution de l’espace urbain. On peut la lire comme une forme de participation limitée visant à la fois à débarrasser les rues d’encombrants mais aussi à recycler les produits dont les citadins se débarrassent. C’est peut être cela au fond la “ville 2.0” ou la ville participative contemporaine. S’il fallait faire une analogie avec la culture numérique, on pourrait dire que ces ferrailleurs sont l’équivalent du bataillon d’utilisateurs de Wikipedia qui contribuent de manière minimale en corrigeant les fautes d’orthographe. Sans eux, la qualité de l’encyclopédie serait bien moindre !

Une telle attitude montre bien qu’une ressource peut être “morte” pour une certaine catégorie d’acteurs mais bel et bien utile pour d’autres. Le tout évidemment sous-tendu par la perspective d’échanger des rebuts contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Car la phase de ramassage n’est qu’une composante de ce phénomène. C’est la partie visible de l’iceberg… avec sa face moins connue d’économie souterraine et de marché aux métaux usagés.

C’est peut être là que réside la nuance avec les correcteurs de fautes d’orthographe sur Wikipedia : ces ferrailleurs n’ont pas de but collectif supra-ordonné (comme l’embellissement des rues) puisque c’est l’appât du gain qui les motive.

Quoi qu’il en soit, peut-on dire que ces ferrailleurs contribuent à la “bonne santé” de la ville ? S’agit-il d’une forme légitime de participation à la vie de la cité ? Et ce malgré le côté miséreux ou anachronique des ramasseurs de métaux… À minima, ces observations nous rappellent qu’il n’y a pas de petits profits et que l’espace urbain est un écosystème respectant la maxime de Lavoisier :

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

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Photos : Nicolas Nova, sauf la dernière : Philippe Gargov.

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“Le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète” http://owni.fr/2011/03/26/le-dubstep-transforme-l%e2%80%99urbain-autant-qu%e2%80%99il-le-reflete/ http://owni.fr/2011/03/26/le-dubstep-transforme-l%e2%80%99urbain-autant-qu%e2%80%99il-le-reflete/#comments Sat, 26 Mar 2011 08:00:11 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=31345 Urban After All S01E09

Peut-on comprendre l’espace urbain d’aujourd’hui en s’intéressant aux formes musicales qui émergent en son sein ? C’est une question qui intéresse depuis un certain temps les sociologues et autres chercheurs en cultural studies. Des travaux ont ainsi abordé l’importance du jazz dans les années 60, du hip-hop dans les années 70-80 et de la musique électronique dans les années 90.

Il est cependant intéressant d’observer des formes plus récentes et de décrypter ce qu’elles révèlent sur l’urbanité en ce début du 21e siècle. Parmi les formes actuelles, c’est le dubstep qui m’intéresse en particulier car il témoigne d’un double rapport à l’espace urbain. Il est d’une part un pur produit de son environnement de naissance (la ville occidentale postmoderne) mais il vient aussi altérer nos perceptions pour former une urbanité originale.

Dubstep, WTF !?

Dubstep : Croisement assez naturel du 2-step [en] avec divers éléments de breakbeat ou de drum’n bass avec un traitement du son dub. Né dans le sud de Londres, les morceaux sont en général très syncopés avec des beats espacés donnant une ambiance nerveuse. Le rythme est d’ailleurs bien souvent plus donné par les basses que par les beats. L’atmosphère qui s’en dégage apparaît à la fois sombre (sons crades, étouffés) et futuriste (samples furtifs, utilisation massive du delay et de l’écho).

Des restes hérités de style musicaux antérieurs viennent parfois sortir l’auditeur de cette atmosphère. Ce peut être le phrasé saccadé et inquiétant d’un MC ou l’utilisation de certains échantillons de voix reggae, seule présence chaleureuse et quasi nostalgique dans ce mélange sombre. Au final, le mariage entre ces caractéristiques donne un effet étrange et fascinant de torpeur mélangé à une certaine nervosité.

The Bug ft. Killa P & Flow Dan-Skeng by orele

Un style musical influencé par sa nature urbaine

Quand on se pose la question du caractère urbain d’un genre musical, on pense directement à la manière dont les conditions dans lesquelles cette musique est produite peut structurer son esthétique. C’est évident pour beaucoup de genres tant par le choix des instruments que par le thème des paroles. Dans le dubstep en particulier, cela se ressent par les choix de rythmes, de samples ou d’effets qui émergent de la réalité dans laquelle les DJ et producteurs de dubstep ont grandi.

Et lorsqu’il y a des paroles, celles-ci abordent soit des enjeux urbains actuels (et notamment la violence ou l’ennui) soit le futur de la ville. De l’environnement urbain et suburbain du sud et l’est de Londres dans lequel ce courant a évolué, un cadre de référence s’est ainsi construit. Celui-ci se mélange avec une dose de science-fiction pour proposer un imaginaire très spécifique. Il apparait abondamment dans les visuels utilisés mais surtout dans la musique elle-même comme le montre le documentaire Bassweight [en]. Tant les lieux présentés dans ce doc que les ambiances nocturnes avec des timelapse de lumière.

Couverture de l'album Memories of the future par Kode9 & Spaceape.

D’où le caractère froid, sombre et rude de ce style musical. Des sons spectraux ponctuels renvoient à des alertes ou des sirènes. Les fortes basses rappellent des travaux de construction ou le passage de flux de transports. Dans un interview sur ses souvenirs sonores, le producteur Kode9 soulignait un souvenir qui l’a influencé dans sa musique :

I don’t have strong memories of childhood, but I do remember a recurrent nightmare when I was a child in which I’d be standing in front of an articulated truck that was speeding past me. It was centimetres in front of my face and making an ultra-loud roaring sound that would make me wake up shouting and screaming…

Le rythme décousu donne également l’impression qu’un événement imprévu pourrait potentiellement se produire. Du fait du rythme un peu saccadé et incomplet avec des beats rappelant le son d’une balle de ping pong cabossée, on a souvent l’impression que quelque chose va arriver. C’est d’ailleurs ce qui est le plus frappant : l’évolution des morceaux se construit finalement sur une sorte de serendipité qui est le propre des grandes agglomérations. L’attente du prochain beat/sample/nappe/flux spectral correspond à une découverte inattendue et non planifiée.

On pourrait aussi la qualifier de musique sombre et de retrait. Tant par l’écoute au casque lors de balades urbaines ou de sessions graffiti que par les soirées dans des lieux à la marge du clubbing plus festif. Dans les deux cas, il s’agit d’une sorte de bulle dans laquelle on se retire… mais celle-ci peut permettre une autre perception du monde urbain qui nous entoure.

Pochette du disque Watch the Ride de Skream.

Un genre musical qui intervient sur nos perceptions de la ville

En effet, ce genre musical a plus qu’une esthétique forgée et inspirée par son origine urbaine. Le dubstep ne fait pas que refléter un environnement sombre et post-industriel. Tout simplement car sa diffusion ou son écoute au casque vient changer notre perception de la ville ou sa banlieue. Comme le dit le sociologue et producteur anglais Steve Goodman/Kode09 [en], le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète. Il explique notamment que c’est une musique basée sur les “propriétés acoustiques passives” de la ville. Le bruit généré par ce qui la constitue fait partie intégrante de la musique.

Autrement dit, les activités qui se déroulent dans les rues, dans les couloirs du métro ou le long des voies ferrées donnent plusieurs points d’ancrage sur lequel les morceaux viennent s’ajouter ou s’hybrider. C’est ainsi que la superposition entre la musique et le ronflement de moteurs ou le passage de voitures alentours rajoute des éléments percussifs ou des nappes furtives qui modifient notre perception générale. Cette particularité n’est pas propre à ce genre musical, il est directement hérité de formes antérieures comme le dub ou l’ambient. Mais le dubstep fait ressortir plus que les autres son articulation avec les sons des rues. Au moins autant que l’ambient pouvait être qualifié de “Music for airport” (Brian Eno).

Écouter du dubstep au casque en se baladant dans la ville, c’est appréhender l’environnement spatial différemment. La musique devient une sorte de prisme par lequel appréhender l’activité de la ville, son fourmillement et son potentiel. Il faut pratiquer l’exercice et le vivre avec sa boite à musique dans la poche et le casque sur les oreilles. Le passage d’un train de banlieue devient une nappe sonore, les cris dans la rue renvoient à des samples éventuels et les vibrations du sol générées par les poids lourds viennent se mélanger aux infrabasses…

À votre tour d’aller explorer la ville avec par exemple la playlist suivante :
Skream : Dutch Flowers
Deadmau5 & Rob Swire : Ghosts ‘n’ Stuff
Cotti Feat. Kingpin : Let Go Mi Shirt
Smith and Mighty : B-Line Fi Blow
Kode9 & the Spaceape : Backward
The Bug (featuring Killa P & Flowdan) : Skeng
Digital Mystikz : Anti-War Dub
She Is Danger : Hurt You
DJ Fresh : Gold Dust (Flux Pavilion Remix)


Image CC Flickr Paternité pellesten; briceFR

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

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L’envers du dubstep, quand la musique raconte la ville http://owni.fr/2011/03/21/lenvers-du-dubstep-quand-la-musique-raconte-la-ville/ http://owni.fr/2011/03/21/lenvers-du-dubstep-quand-la-musique-raconte-la-ville/#comments Mon, 21 Mar 2011 08:35:35 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=52138 Urban After All S01E09

Peut-on comprendre l’espace urbain d’aujourd’hui en s’intéressant aux formes musicales qui émergent en son sein ? C’est une question qui intéresse depuis un certain temps les sociologues et autres chercheurs en cultural studies. Des travaux ont ainsi abordé l’importance du jazz dans les années 60, du hip-hop dans les années 70-80 et de la musique électronique dans les années 90.

Il est cependant intéressant d’observer des formes plus récentes et de décrypter ce qu’elles révèlent sur l’urbanité en ce début du 21e siècle. Parmi les formes actuelles, c’est le dubstep qui m’intéresse en particulier car il témoigne d’un double rapport à l’espace urbain. Il est d’une part un pur produit de son environnement de naissance (la ville occidentale postmoderne) mais il vient aussi altérer nos perceptions pour former une urbanité originale.

Dubstep, WTF !?

Dubstep : Croisement assez naturel du 2-step [en] avec divers éléments de breakbeat ou de drum’n bass avec un traitement du son dub. Né dans le sud de Londres, les morceaux sont en général très syncopés avec des beats espacés donnant une ambiance nerveuse. Le rythme est d’ailleurs bien souvent plus donné par les basses que par les beats. L’atmosphère qui s’en dégage apparaît à la fois sombre (sons crades, étouffés) et futuriste (samples furtifs, utilisation massive du delay et de l’écho).

Des restes hérités de style musicaux antérieurs viennent parfois sortir l’auditeur de cette atmosphère. Ce peut être le phrasé saccadé et inquiétant d’un MC ou l’utilisation de certains échantillons de voix reggae, seule présence chaleureuse et quasi nostalgique dans ce mélange sombre. Au final, le mariage entre ces caractéristiques donne un effet étrange et fascinant de torpeur mélangé à une certaine nervosité.

The Bug ft. Killa P & Flow Dan-Skeng by orele

Un style musical influencé par sa nature urbaine

Quand on se pose la question du caractère urbain d’un genre musical, on pense directement à la manière dont les conditions dans lesquelles cette musique est produite peut structurer son esthétique. C’est évident pour beaucoup de genres tant par le choix des instruments que par le thème des paroles. Dans le dubstep en particulier, cela se ressent par les choix de rythmes, de samples ou d’effets qui émergent de la réalité dans laquelle les DJ et producteurs de dubstep ont grandi.

Et lorsqu’il y a des paroles, celles-ci abordent soit des enjeux urbains actuels (et notamment la violence ou l’ennui) soit le futur de la ville. De l’environnement urbain et suburbain du sud et l’est de Londres dans lequel ce courant a évolué, un cadre de référence s’est ainsi construit. Celui-ci se mélange avec une dose de science-fiction pour proposer un imaginaire très spécifique. Il apparait abondamment dans les visuels utilisés mais surtout dans la musique elle-même comme le montre le documentaire Bassweight [en]. Tant les lieux présentés dans ce doc que les ambiances nocturnes avec des timelapse de lumière.

Couverture de l'album Memories of the future par Kode9 & Spaceape.

D’où le caractère froid, sombre et rude de ce style musical. Des sons spectraux ponctuels renvoient à des alertes ou des sirènes. Les fortes basses rappellent des travaux de construction ou le passage de flux de transports. Dans un interview sur ses souvenirs sonores, le producteur Kode9 soulignait un souvenir qui l’a influencé dans sa musique :

I don’t have strong memories of childhood, but I do remember a recurrent nightmare when I was a child in which I’d be standing in front of an articulated truck that was speeding past me. It was centimetres in front of my face and making an ultra-loud roaring sound that would make me wake up shouting and screaming…

Le rythme décousu donne également l’impression qu’un événement imprévu pourrait potentiellement se produire. Du fait du rythme un peu saccadé et incomplet avec des beats rappelant le son d’une balle de ping pong cabossée, on a souvent l’impression que quelque chose va arriver. C’est d’ailleurs ce qui est le plus frappant : l’évolution des morceaux se construit finalement sur une sorte de serendipité qui est le propre des grandes agglomérations. L’attente du prochain beat/sample/nappe/flux spectral correspond à une découverte inattendue et non planifiée.

On pourrait aussi la qualifier de musique sombre et de retrait. Tant par l’écoute au casque lors de balades urbaines ou de sessions graffiti que par les soirées dans des lieux à la marge du clubbing plus festif. Dans les deux cas, il s’agit d’une sorte de bulle dans laquelle on se retire… mais celle-ci peut permettre une autre perception du monde urbain qui nous entoure.

Pochette du disque Watch the Ride de Skream.

Un genre musical qui intervient sur nos perceptions de la ville

En effet, ce genre musical a plus qu’une esthétique forgée et inspirée par son origine urbaine. Le dubstep ne fait pas que refléter un environnement sombre et post-industriel. Tout simplement car sa diffusion ou son écoute au casque vient changer notre perception de la ville ou sa banlieue. Comme le dit le sociologue et producteur anglais Steve Goodman/Kode09 [en], le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète. Il explique notamment que c’est une musique basée sur les “propriétés acoustiques passives” de la ville. Le bruit généré par ce qui la constitue fait partie intégrante de la musique.

Autrement dit, les activités qui se déroulent dans les rues, dans les couloirs du métro ou le long des voies ferrées donnent plusieurs points d’ancrage sur lequel les morceaux viennent s’ajouter ou s’hybrider. C’est ainsi que la superposition entre la musique et le ronflement de moteurs ou le passage de voitures alentours rajoute des éléments percussifs ou des nappes furtives qui modifient notre perception générale. Cette particularité n’est pas propre à ce genre musical, il est directement hérité de formes antérieures comme le dub ou l’ambient. Mais le dubstep fait ressortir plus que les autres son articulation avec les sons des rues. Au moins autant que l’ambient pouvait être qualifié de “Music for airport” (Brian Eno).

Écouter du dubstep au casque en se baladant dans la ville, c’est appréhender l’environnement spatial différemment. La musique devient une sorte de prisme par lequel appréhender l’activité de la ville, son fourmillement et son potentiel. Il faut pratiquer l’exercice et le vivre avec sa boite à musique dans la poche et le casque sur les oreilles. Le passage d’un train de banlieue devient une nappe sonore, les cris dans la rue renvoient à des samples éventuels et les vibrations du sol générées par les poids lourds viennent se mélanger aux infrabasses…

À votre tour d’aller explorer la ville avec par exemple la playlist suivante :
Skream : Dutch Flowers
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Image CC Flickr Paternité pellesten

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

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Le monorail: une mono-solution à l’avenir des mobilités? http://owni.fr/2011/03/07/le-mono-rail-une-mono-solution-a-l%e2%80%99avenir-des-mobilites/ http://owni.fr/2011/03/07/le-mono-rail-une-mono-solution-a-l%e2%80%99avenir-des-mobilites/#comments Mon, 07 Mar 2011 07:32:43 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=49826 Urban After All S01E07

Pour le touriste urbain à l’affût de curiosités, une bonne manière de découvrir le monde consiste à cibler uniquement les villes ayant tenté l’aventure du monorail. Il y a d’autres possibilités bien sûr, certains choisissent de visiter des sites étrusques, d’autres font des pèlerinages ou courent les antiquaires. Ce n’est pas mon cas. Ma tournée des grands ducs concerne en ce moment la découverte des agglomérations ayant opté pour ce moyen de transport.

Monorail à Panissières-Feurs (Loire, France), 1894

Historiquement, les premiers monorails sont apparus au 19e siècle avec divers projets parisiens, lyonnais ou londoniens. À chaque fois divers modes de traction étaient proposés, de la machine à vapeur au tractage par des chevaux. Tantôt posé sur un rail unique à Kuala Lumpur, tantôt suspendu comme à Wuppertal ou même dans un tube à vide comme le défunt Swissmetro, les divers projets ont tous une allure fascinante de prime abord. Mais l’élément le plus fascinant dans l’histoire des monorails c’est son faible succès dans l’histoire des moyens de transport, et surtout le mythe qui l’entoure.

Séville : où sont les rails ?

Si l’aéroport de San Francisco ou les casinos de Las Vegas possèdent de beaux spécimens, c’est à Séville en Espagne que j’ai fait une rencontre qui m’a laissé perplexe. De passage en terres andalouses, j’avais prévu d’aller inspecter les restes du quartier de l’Exposition Universelle 1992 pour retrouver la trace du monorail construit spécialement pour cette époque. Situés sur un territoire immense sur une rive du Guadalquivir, les divers pavillons de l’Expo étaient ainsi reliés entre eux par ce moyen de transport aussi futuriste que certains des éléments exposés : une fusée Ariane IV, un satellite spatial et un superbe pont conçu par l’architecte Santiago Calatrava. Sur place, en janvier 2011, le décalage avec cette vision est de taille. Comme on le constate sur les photos suivantes, il ne reste plus guère que des stations en ruine, de la végétation hirsute et une absente flagrante de rails. Quant au véhicule, on n’en parle même pas.

Une discussion rapide à bas de Direct Message sur Twitter avec des amis espagnols plus tard me fait vite comprendre que le monorail de Séville a été récupéré et remonté dans un centre commercial de Zaragoza plus au Nord. Ne reste plus que les stations, sortes de cicatrice à ciel ouvert d’un idéal passé. L’Expo 92 terminée, le monorail n’a pas fait long feu, dans un quartier sans gros flux de population.

Un Graal urbain

Quel intérêt de parler d’un monorail absent vous direz-vous ? Tout simplement car cet exemple incarne encore plus que les autres le lien entre les monorails et les échecs urbanistiques. Cet appareil mobile fait partie de ces Graal que l’on voit surgir régulièrement quand on imagine le futur de la ville. C’est presque sans surprise qu’on retrouve ce serpent de mer dans le projet de Grand Paris de Christian de Portzamparc de 2009. Lisse, souvent aérien, aux formes épurées et en général de couleur blanc, il représente peut-être encore plus que les trams ou les métros une espèce de mobilité sans friction. Son déplacement très lisse sur un rail unique le rend a priori beaucoup plus noble que les moyens antérieurs. Car le monorail c’est l’affranchissement de la roue, c’est faire disparaitre une technique de transport séculaire. Et c’est donc s’offrir le futur !

Il fait tellement partie de l’imaginaire futuriste qu’on pense qu’il est plaisant ou engageant pour les citoyens (avec les voitures volantes et autres jetpacks). Pourtant, malgré des implantations sur différents continents, il reste un moyen de transport considéré comme inefficace. Il semblerait que le frein principal à son développement provienne de la complexité des aiguillages. Ce qui explique pourquoi les monorails se retrouvent plutôt dans des contextes très spécifiques et comme mode de transport à part (aéroports, casinos, villes de taille moyenne). Donc des endroits dans lesquels il y a peu d’interconnections et de combinaisons de lignes.

Les Simpsons : "Marge versus the monorail"

“Est-ce que le rail peut s’écrouler ?” demande Homer Simpson

Hormis les études techniques et urbanistiques sur les aléas du monorail, c’est dans la culture populaire que l’on trouve des perles sur le sujet. Je pense en particulier au fameux “Marge versus The Monorail” dans les Simpsons. Dans cet épisode, la ville de Springfield se retrouve tout d’un coup avec une manne financière imprévue. La population réunie au milieu de la ville passe en revue les projets potentiels pour améliorer son quotidien… et un bonimenteur de passage séduit tout le monde avec un projet de monorail :

Voici le monorail de Springfield ! J’ai vendu des monorails à Brockway, Ogdenville et North Haverbrook. Et grâce à moi, elles sont sur la carte ! [Lyle Lanley, le bonimenteur]

Je continue à penser qu’on aurait dû faire réparer la Grand-Rue. [Marge]

Désolé, m’man, la foule a parlé. [Bart]

Le monorail installé, c’est évidemment Homer Simpson qui en devient le pilote… même si sa femme Marge rappelle qu’il y a des enjeux plus importants. Mais la “sagesse des foules” a parlé, il faut la contenter et proposer un moyen de transport dont l’attrait est évident à tout le monde. Suite à une panne, le monorail accélère dangereusement et la seule solution pour l’arrêter consiste à jeter une ancre dans un gros donut. La morale de l’histoire à la fin de l’épisode nous dit alors :

Ce fut la dernière folie dans laquelle s’engagea la ville de Springfield. Excepté le gratte-ciel en bâtonnets d’esquimau. Et la loupe géante de 15 mètres de haut. Et l’escalator qui ne mène nulle part.

Cet épisode des Simpsons me fournit un exemple clé en main que j’utilise régulièrement dans mes cours de sociologie de l’innovation. Il fait en effet ressortir plusieurs leçons classiques sur le sujet de la diffusion des techniques : l’agent de changement extérieur (le bonimenteur qui vante que les autres “le font”), l’imaginaire positif dans la foule (véhiculé par des représentations populaires), la réception mitigée des réfractaires (Marge, Lisa) clamant l’inanité de l’innovation et l’interruption de l’aventure après un essai. S’il fallait imaginer la suite à l’épisode, on aurait plus qu’à ajouter un monorail dans l’aéroport de Springfield pour montrer que dans un contexte plus simple il aurait pu fonctionner. Mais nous ne sommes pas scénariste des Simpsons et leur ville n’a de toute façon aucun aéroport.

Aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux

Des ces exemples de monorail, on peut finalement retenir deux points majeurs. D’une part, ils montrent la manière dont ce moyen de transport est positionné comme solution a priori pour les problèmes de mobilité urbaine, et ce malgré des échecs répétés et des demi-succès. Si “c’est le futur” alors c’est ce qu’il nous faut et on ne se pose pas la question des mérites, des limites ou des enjeux d’un tel dispositif. D’autre part, et c’est encore plus fascinant, la récurrence de ces projets de monorails doit être prise comme un symptôme de la panne des imaginaires urbains que Philippe décrivait il y a peu sur pop-up urbain. C’est là qu’il faut prendre le contrepied du “yesterday’s tomorrow”, ces représentations du futur nous venant du passé, il est temps d’imaginer d’autres formes possibles ou d’aller puiser dans d’autres imaginaires des espoirs nouveaux…

Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-) Retrouvez-nous aussi sur Facebook et Twitter (Nicolas / Philippe) !

Image CC Flickr LimeBye

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Urban After All S01E04 – Flirt urbain, graffitis sexuels et géolocalisation http://owni.fr/2011/02/14/urban-after-all-s01e04-flirt-urbain-graffitis-sexuels-et-geolocalisation/ http://owni.fr/2011/02/14/urban-after-all-s01e04-flirt-urbain-graffitis-sexuels-et-geolocalisation/#comments Mon, 14 Feb 2011 12:32:51 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=46500 Toute bonne journée de Saint Valentin ne doit pas occulter que la consécration du couple passe d’abord par des rencontres. Et la découverte, le frottement, la mise en relation… ce sont bien des questions pour Urban After All !

Par sa capacité à concentrer beaucoup de monde dans un même espace, la ville est certainement un environnement de choix pour maximiser les découvertes et les rencontres. On pense évidemment à la ville business (faire des affaires), commerçante (acheter, échanger) ou se cultiver. Mais les rencontres amoureuses et ses avatars plus évasifs ou moins “profonds” (du “public sex” au sexe tarifé) sont clairement une composante urbaine à ne pas négliger, comme Philippe le montrait il y a deux semaines.

Pour l’observateur de la ville attaché à ces petits détails qui échappent à l’attention, les rencontres amoureuses ou à caractère sexuelles sont un sujet évidemment très riche. C’est particulièrement la manière dont certains “se signalent” aux autres qui m’intéresse ici : clins d’oeil à la sauvette ou sifflements dans la rue sont des exemples classiques, voire éculés et en général rarement couronnés de succès. Mais il y a plus intriguant et surtout plus direct dans des messages moins visibles. Je pense notamment aux graffitis dans les toilettes publiques (exemple millénaire) et l’utilisation des services géolocalisés.

La planification du 5 à 7 : us et coutumes

De par leur caractère public et donc fortement “multi-usagers”, les toilettes en ville permettent bien plus que se soulager en pleine journée de vadrouille. Une des fonctionnalités connexes des “WC”, c’est de pouvoir s’extirper de l’espace public… et de se livrer à toutes sortes d’activités contraintes par la taille des lieux, l’hygiène locale et éventuellement la bienséance. Et l’un des usages indirects des toilettes, c’est certainement la possibilité de laisser des messages sur les murs ou sur la porte. Vieux comme le monde, les graffitis dans les toilettes restent une valeur sûre pour crier sa haine de l’autre, tester ses compétences de graffers wannabee ou encore témoigner d’un fort besoin de sexualité… à défaut d’amour.

Il est donc courant de lire des messages hyper concis accompagnés d’un numéro de téléphone ou d’une proposition de rendez-vous. Comme le montre l’exemple ci-dessus, les règles sont claires et la proposition sans équivoque. Sans vouloir généraliser à partir de ce cas, il y a une constante assez basique qui consiste à indiquer : le QUAND de la rencontre, plutôt précis dans le cas présent, le OU de l’activité, des précisions sur COMMENT se reconnaître et évidemment quelques critères de choix témoignant des goûts du personnage. On notera l’utilisation des majuscules qui mettent l’emphase sur les possibilités offertes… L’expression écrite est ainsi claire, rapide, directe et parsemée de détails évocateurs parfois crus. Attention les porteurs d’enveloppes de la rue Pierre Corneille !

Des messages de ce genre sont légions et méritent que l’on s’y attarde. Pourquoi ? Tout simplement car ils montrent l’invisible de la vie urbaine. Ils nous rappellent qu’entre 15h et 15h15 dans la rue Pierre Corneille à Lyon, il y a une véritable pièce de théâtre qui se met en place. Et cette scène qui aura lieu ou non, je ne veux pas la juger positivement ou négativement. Il faut juste garder en tête que cela a lieu, et que ce type d’activité fait aussi partie de la complexité des dynamiques sociales.

Les toilettes publiques, hérauts des “liaisons numériques” ?

Comme les diplomates avec WikiLeaks, comme l’industrie musicale avec Napster et les fichiers torrent, le graffiti de chiottes se voit chamboulé par les technologies de l’information et la communication. Sans passer en revue toutes les possibilités, l’observateur de la ville numérique d’aujourd’hui ne peut passer à côté de plateformes telles que Grindr. Ce service géolocalisé sur smartphoneest dans la lignée de Google Latitude, Foursquare ou Facebook Places : il indique qui est à proximité, parmi vos contacts ou des inconnus.

Plus direct que les trois susmentionnés, nul besoin de vous créer un compte sur Grindr pour arriver à cela, dès le clic sur l’icône de l’application, celle-ci vous renvoie sur un menu qui propose un tableau de photos de torses masculins plus ou moins bodybuildés… sur lesquels faire un choix pour rentrer en contact. Finalement, plus besoin d’aller dans les toilettes, le système vous géolocalise même sans créer de compte. Il vous renseigne alors sur les “opportunités” à proximité. Il existe évidemment d’autres plate-formes de ce genre et des services communautaires mobiles moins ciblés sont aussi détournés pour ce genre d’application (Aka-Aki par exemple).

D’autres plateformes tâchent aussi de reprendre l’idée de géolocaliser des messages dans la ville, en associant des contenus à des lieux. L’utilisateur passant à proximité reçoit alors le dit message. L’avènement de l’Internet mobile et des technologies de géolocalisation nous amène donc vers une diversité encore plus forte de liaisons numériques pour reprendre le terme fort à propos de mon collègue Antonio Casilli.

Mais du coup, du graffiti baveux à l’interface tactile du téléphone, qu’est-ce qui change ? Sans vouloir nécessairement généraliser à partir de ces deux exemples, il y a tout de même des éléments de réponses qui sont intéressants tant au sujet de l’urbanité qu’au niveau des usages du numérique.

En premier lieu, ce qui frappe, c’est la possibilité de ne plus limiter les signaux de rencontre à l’espace des toilettes. Des petites annonces au Minitel en passant par les messages géolocalisés, la technologie permet d’accéder à la porte des chiottes depuis tout lieu couvert par le réseau. Ce qui ne veut pas dire que les toilettes en question ne seront plus couvertes de graffiti ou oubliées comme lieu d’ébat. Et ce n’est seulement le rapport à l’espace qui change, c’est aussi la temporalité puisque le service est utilisable à tout moment.

Au-delà de cette remarque, le cas de Grindr témoigne d’un lissage de la signalisation de la rencontre. La présence de torses musclés devient le produit d’appel plutôt standardisé. Comme une certaine marque en forme de pomme ne laisserait pas passer des contenus trop crus, le service adopte une espèce de pudeur visuelle.

Enfin, et c’est un cas classique pour ceux qui s’intéressent à l’innovation technologique, le sexe est un des contextes majeurs de ré-appropriation ou de détournement de technologies existantes. Par sa possibilité de discrétion, d’optimisation de la mise en relation et sa capacité à fluidifier la circulation d’information, le numérique recèle des opportunités de taille… rapidement comprises par des early adopters qui savent ainsi proposer des usages innovants à la hauteur de leur besoins antérieurs. Si je me pose des questions sur l’adoption des services géolocalisés par la majorité de la population, il est clair que des “niches” telles que celle-ci ont déjà des utilisateurs réguliers.

Sur ce, bonne Saint Valentin !


[ Chaque lundi, Philippe Gargov (pop-up urbain) et Nicolas Nova (liftlab) vous embarquent dans le monde étrange des “urbanités” façonnant notre quotidien. Une chronique décalée et volontiers engagée, parce qu’on est humain avant tout, et urbain après tout ;-)

Note : Nicolas Nova est l’auteur de Comprendre les médias géolocalisés, publié chez FYP Editions.

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Crédits photo CC FlickR : nicolasnova

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Sousveillance urbaine http://owni.fr/2010/12/27/sousveillance-urbaine/ http://owni.fr/2010/12/27/sousveillance-urbaine/#comments Mon, 27 Dec 2010 07:30:15 +0000 nicolasnova http://owni.fr/?p=40036 La présence de caméras de surveillance, les détecteurs de vitesse ou les dispositifs de comptage (vélos, automobiles) font parti de l’attirail urbain de surveillance désormais classique. Pour quoi faire ? Compter les gens, savoir où ils sont, observer les comportements “déviants” ou re-visionner une scène de délit… entre autres possibilités. Ces artefacts ne sont évidemment pas neutres et incluent, dans leur conception ou dans leur usage, une définition plus ou moins explicite de ce qui est la norme ou la déviance. Mais ce n’est pas le sujet de ce billet. Je voudrais plutôt aborder la notion de contre-surveillance ou de “sousveillance“: c’est-à-dire l’activité de “surveiller la surveillance” en analysant les systèmes de surveillance eux-mêmes et les autorités qui les contrôlent. Tout comme la citation classique du poète romain Juvenal qui disait “Quis custodiet ipsos custodes ?”, c’est-à-dire “Qui surveille nos gardiens ?” (en bon anglais “Who watches the watchmen ?” pour ceux qui ont lu Alan Moore). Cette question est le point de départ de plusieurs projets de design d’interaction. Ceux-ci s’intéressent soit à produire divers objets pour réaliser cette sousveillance, soit à créer des prototypes qui visent plutôt à provoquer et faire prendre conscience de la nécessité de “surveiller nos gardiens”.

Un exemple classique de la sousveillance concerne les caméras mobiles proposées par Steve Mann, Jason Nolan et Barry Wellman dans leur célèbre article fondateur sur le sujet [pdf, en]. Ces chercheurs de l’université de Toronto ont créé divers prototypes d’objets qu’ils ont ensuite décrits en créant des prospectus d’une société fictive nommée Existech. Il s’agit en fait de caméras que chacun peut porter et qui ont la même apparence que celles présentes dans la rue ou dans les centre commerciaux… à la différence qu’elles ont pour but de permettre à chacun de filmer le monde et d’atteindre une forme de sousveillance définie par Mann comme “l’enregistrement d’une activité du point de vue d’une personne qui y participe” afin “d’exercer ce pouvoir de surveillance par le bas”. Dans l’article avec ses collègues, Mann se réfère aux diverses “performances” qu’ils ont réalisé avec ces objets : filmer des agents de sécurité dans des mall, demander aux propriétaires de magasins ce que sont que ces objets qui ressemblent à des caméras, etc. À noter que ce type d’enregistrement du quotidien a vite trouvé d’autres applications en dehors des champs sécuritaires ou de l’activisme : c’est le courant actuel du “lifelogging” qui consiste à collecter toute sorte d’information sur soi. D’où des produits en vente dans le commerce tels que le podomètre Nike+ connecté à l’iPhone ou la caméra Sensecam de Microsoft qui prend des photos automatiquement toutes les 30 secondes.

Pour revenir à la sousveillance, tournons-nous vers le projet isee [en], une application web qui vise à cartographier les caméras de surveillance. Chacun peut ainsi repérer ces éléments et les placer sur une carte participative. L’idée sous-jacente est de proposer des parcours dans la ville qui permettrait d’éviter les caméras en prenant des “chemin de surveillance minimale” (le trait vert). Dans l’exemple ci-joint, les cartes proposent de visualiser la position de ces outils de surveillance dans le cas de Manhattan.

Si la plupart des projets de sousveillance des dernières années se focalisent sur la vidéo et l’enregistrement de données visuelles, d’autres se préoccupent pourtant de capteurs plus variés et de RFID. Par ailleurs, certains chercheurs et activistes se demandent également que faire de ces données et comment aller plus loin que la simple collecte d’information comme outil politique.

Billet initialement publié sur Le Laboratoire des villes invisibles ; image CC Flickr Probs – EndoftheLine

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