OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Bioéthique, réfléchir sur ce que nous faisons du vivant http://owni.fr/2010/11/19/bioethique-reflechir-sur-ce-que-nous-faisons-du-vivant/ http://owni.fr/2010/11/19/bioethique-reflechir-sur-ce-que-nous-faisons-du-vivant/#comments Fri, 19 Nov 2010 16:41:59 +0000 Martin Clavey http://owni.fr/?p=36297 Bioéthique, bioéthique… Régulièrement depuis 1994, on entend parler d’une loi de bioéthique. Cette année, c’est Roseline Bachelot qui a présenté, juste avant son départ du ministère de la Santé, un projet de révision (PDF) de cette loi.

Depuis une quarantaine d’années, la bioéthique (mot inventé en 1970 par le cancérologue américain Van Potter ) réfléchit sur les problèmes liés à l’action des médecins et des biologistes sur notre société.

Bien sûr, les médecins ont depuis longtemps leur fameux serment d’Hippocrate. Mais la bioéthique n’encadre pas seulement la pratique quotidienne du médecin, c’est plus généralement une réflexion collective sur nos actions sur le vivant et sur l’homme en particulier.

L’expérimentation nazi comme déclencheur

C’est la Deuxième Guerre mondiale qui a déclenché cette réflexion. Le verdict du “procès des médecins” de Nuremberg (en 1947) se base sur ce qu’on appelle le Code de Nuremberg qui définit les dix « principes fondamentaux qui devraient être observés pour satisfaire aux concepts moraux, éthiques et légaux concernant, entre autres, les recherches menées sur des sujets humains » pour juger vingt médecins et trois officiels nazis.

Mais pas de trace d’une “physicoéthique” après les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : ces évènements ont bien sûr fait réfléchir les physiciens, mais sans que ça n’implique un grand mouvement de réflexion comme la bioéthique. On réfléchit sur les erreurs du vaincus, moins sur celles des vainqueurs.

D’ailleurs, les médecins américains ne se sentent pas concernés considérant que ces crimes ne sont dus qu’à l’idéologie nazie. Et il faut attendre la fin des années 60 pour que le monde occidental, et d’abord l’Amérique du Nord, se pose des questions sur ses pratiques.

L’émergence d’un sentiment de responsabilité

La montée de ces préoccupations à la fin des années 60 n’est pas un hasard. Guy Rocher remarque qu’elle coïncide avec l’émergence de la classe moyenne, le désenchantement du monde et de l’histoire, la mutation des rapports sociaux et la fragmentation des zones de vie.

Mais elle coïncide aussi et surtout avec la dépénalisation du suicide aux États-Unis et de l’avortement, le déclin de l’influence de la morale religieuse, l’arrivée de la pilule contraceptive, des premières expériences sur l’ADN et l’émergence du mouvement de l’antipsychiatrie. Certains mouvements dénoncent aussi, à ce moment-là, le paternalisme des médecins et demandent une responsabilisation plus importante du patient.

La biologie et la médecine ont pris une dimension nouvelle et leurs conséquences deviennent importantes à grande échelle (pour la population mais aussi pour les générations futures). Et plusieurs scandales éclatent aux États-Unis. Des expérimentations sont faites sans le consentement des patients. Par exemple, l’injection du virus de l’hépatite A à des enfants handicapés mentaux ou l’affaire de la thalidomide.

Ce médicament a été testé sur des femmes enceintes sans leur consentement et sans que les tests soient approuvés par La Food & Drugs Association (organisation délivrant les autorisations de commercialisation des médicaments aux États-Unis). Et les conséquences furent importantes puisque certains enfants sont nés avec de graves malformations (membres manquants). Aux États-Unis, ces différents scandales déclenchent la création des premiers comités d’éthique, les Institutional Review Boards, en 1971.

En France, les premières lois de bioéthique votées en 1994

Alors qu’aux États-Unis, la question est de savoir si les avancées technologiques respectent le droit des individus, en France, nous nous interrogeons plus sur les pouvoirs qu’a l’humain sur lui-même.

Ce n’est qu’en 1983 que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est créé en France. Ce comité se dirige clairement vers une réflexion pluridisciplinaire entre chercheurs, médecins théologiens, juristes, anthropologues et philosophes sans volonté de légiférer mais plutôt de faire réfléchir ces experts sur les problématiques comme le statut de l’embryon, l’eugénisme… Les autorités semblent se méfier du débat public et laissent débattre les experts de ce qui est bon pour notre société.

Pourtant, les débats de bioéthique intéressent beaucoup. Les associations, notamment  religieuses et féministes, commencent à le porter dans la sphère publique.

Mais c’est sans réelle concertation publique que les premières lois de bioéthique sont votées en 1994. Elles encadrent le traitement des données nominatives dans le domaine de la santé, le respect du corps humain, l’étude des caractéristiques génétiques des personnes, la protection de l’espèce humaine et la protection de l’embryon humain. Elles traitent aussi du don des éléments et produits du corps humain, et définit les modalités de la mise en œuvre de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et du diagnostic prénatal. Elles devaient être révisées au bout de cinq ans, pour réévaluer les besoins juridiques en matière d’éthique, face aux progrès de la science.

Mais cette réévaluation n’interviendra qu’en 2004. Entre temps le clonage est devenu un sujet important dans le débat public. Cette loi l’interdit qu’il soit reproductif (permettant la vie d’un être humain) ou thérapeutique (permettant d’utiliser les cellules souches d’un embryon pour produire des tissus d’organes). La recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires est en principe interdite avec une dérogation possible. Enfin l’Agence de la biomédecine est créée.

Un essai de débat citoyen

En 2009, pour préparer la nouvelle révision de la loi, des états généraux de la bioéthique ont été organisés  rassemblant les citoyens autour de débats. Mais certaines voix se sont élevées pour critiquer leur mise en place. Jacques Testart, biologiste et père du premier bébé éprouvette en France en 1982, estime que “sans véritable traduction législative, les conférences de citoyens, forums, débats publics, etc., ne peuvent constituer que des exutoires, voire des leurres démocratiques”.

Et effectivement, alors que de nombreux thèmes ont été abordés pendant les états généraux ( la gestation pour autrui, les tests génétiques, l’assistance médicale à la procréation, les cellules souches et les recherches sur l’embryon…),  finalement, peu de choses de ces débats ressortent dans le projet de loi (PDF) présentée par Roseline Bachelot.

Malgré tout, quelques points restent marquants dans le projet. La levée de l’anonymat du don de sperme (avec autorisation du donneur) est la mesure-phare du projet. Pourtant, elle divise encore les opinions et suscite surtout un grand nombre de réactions multilatérales autour d’un don qui a toujours été anonyme. La ministre de la Santé a mis en avant l’intérêt des enfants pour justifier cette mesure. Mais ne serait-il pas plus constructif de mettre en avant l’intérêt de la famille dans son ensemble, autour du projet parental ?

Le texte de la proposition de loi change un tout petit peu les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Tout en rappelant le caractère strictement médical des critères d’accès à cette assistance, il permet aux couples pacsés et hétérosexuels l’accès à ce droit. Les couples non pacsés ou non mariés et les homosexuels ne peuvent toujours pas y avoir accès.

Enfin, le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires reste. La loi de 2004 l’interdisait (avec une possibilité de dérogations données par l’Agence de la biomédecine) et prévoyait un moratoire de cinq ans. Le projet de loi maintient cette interdiction mais ne prévoit plus de réévaluation de cette mesure. Finalement le débat risque de rester au point mort pendant longtemps. En tout cas il n’est pas aussi vif que ce qui se passe au États-Unis où des décisions sont prises dans un sens puis dans l’autre depuis quinze ans.

Avec la suppression de ce moratoire, certains ont peur que cela marque la fin des révisions (plus ou moins) régulières de la loi. Philippe Bourlitio, de Sciences et Démocratie, pense que la proposition de loi sur “l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques” (déjà voté par le parlement mais pas encore passée au sénat) est une sorte de compensation à la suppression de la révision obligatoire de la loi de bioéthique. Mais il critique fortement ce texte, expliquant que le Comité consultatif national d’éthique serait le seul habilité à décider si un débat est nécessaire.

Bref, le débat public sur la bioéthique risque de rester à l’état embryonnaire en France.

>> Illustrations FlickR CC : mars_discovery_district, Dunechaser

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Eloge de la grippe A http://owni.fr/2010/02/17/eloge-de-la-grippe-a/ http://owni.fr/2010/02/17/eloge-de-la-grippe-a/#comments Wed, 17 Feb 2010 12:00:14 +0000 Léo de Javel http://owni.fr/?p=8399

Début janvier 2010. Grippe A : après avoir acheté 94 millions de doses de vaccins, l’État français cherche à les écouler, auprès de nos compatriotes bien sûr, et puis désormais au Qatar, en Egypte, et peut-être bientôt au Mexique et en Europe de l’Est… Mieux : le gouvernement vient d’annoncer qu’il résiliait les commandes de 50 millions de ces doses… Voilà, comme pour anticiper ce moment, ce qu’écrivait dans notre numéro 39 Léo de Javel dans un “A chaud” qui n’a pas refroidi alors qu’il a été écrit il y a maintenant trois mois.


« Il nous faudrait une bonne guerre ! »… Ainsi parlaient les partisans de l’ordre, à une époque révolue, pour signifier leur désir, non point d’une boucherie, mais d’une cause commune, d’un combat collectif et d’un ennemi contre lequel mobiliser les corps et les âmes de la Nation. Une telle injonction serait aujourd’hui de mauvais goût.

Mais nous avons désormais plus civilisé et presque aussi efficace : « une bonne grippe ! ». Autrement dit : une bonne guerre contre une bonne grippe. Car tel est l’enjeu de pandémie de grippe A : renforcer tous les porteurs de l’Autorité dans leur mission de « gardiennage du troupeau », pour reprendre l’expression de Platon. Est-ce la répétition générale de la réhabilitation transnationale d’une puissance d’ordre étatique par la grâce de la prévention de catastrophes scientifiques, écologiques ou médicales ? Les dépravés soixante-huitards pensaient avoir enterré les caporaux de l’administration, les rois de la paperasse et du remplissage de tableaux, les vigiles des Comités d’hygiène et de sécurité des grosses boîtes et autres petits ou grands chefs, fiers de leur chapeau à plumes. Les voilà qui déchantent. Car sous l’aile des maternités étatiques ou multinationales, nos soldats de la hiérarchie se gonflent d’importance : ils sont chargés de protéger le bétail humain, ou, plus précisément, d’incarner cette peur sanitaire qui doit obnubiler l’esprit de tous, afin que le troupeau ne puisse penser à quelque autre révolte ou échappatoire.

La grippe A est une aubaine à bien des égards. Plus exotique que l’hépatite ou que la grippe « classique », elle viendrait du Mexique. Il s’agit d’un ennemi de l’étranger, qui plus est associé à un animal synonyme de saleté et de promiscuité porno : le cochon. Sauf que cet ennemi nous dévore de l’intérieur : le virus pénètre l’intimité de chacun. Le pouvoir, en affirmant sa détermination farouche à lutter contre la pandémie, s’introduit en toute légitimité dans la vie privée de chaque humanoïde. Sur le refrain du blocus sanitaire et de la régulation par le haut, il lui dicte ses règles de la vie saine et de l’ordre moral de façon mille fois plus performante que lors de ses vagues tentatives d’exhorter les obèses à manger des carottes et à courir à petites foulées dans le bois de Boulogne !

La sémantique de cette pandémie est tout aussi parfaite : tout comme la grippe espagnole, qui n’avait rien d’ibère mais décima près de 50 millions de personnes en 1918-1919, notre nouveau virus pathogène appartient au groupe A, a priori le plus dangereux, et au type H1N1, du patronyme des gènes de ses protéines. Il existe certes 16 variations du « H » et 9 du « N », sans parler des multiples mutations de notre lointaine descendante de la grippe dite espagnole… Malgré les morts que nous déplorons (moins d’une trentaine au moment de l’écriture de cet article, dont trois sans antécédents médicaux), notre H1N1 est partie pour avoir la virulence d’un puceron face à la « grande tueuse » d’il y a un siècle. C’est tant mieux, mais ne le crions pas trop fort, afin de préserver en chaque tête de troupeau la crainte d’être touché. Sur le registre du « H » et du « N », l’important tient à ces deux sons, « hache » et « haine », avec la garantie d’excellence du « A » et la certitude d’une maladie classée numéro 1 en termes de terreur métaphysique… Car l’essentiel n’est pas la grippe en elle-même, mais notre faculté collective à concrétiser son fantasme en une peur consistante. Qu’elle s’installe dans nos esprits, tel un fantôme cognitif de notre soif de sécurité, de notre désir irrépressible de protection par l’autorité supérieure et ses sbires hygiénistes, avec ou sans vaccin entre leurs mains gantées.

La grippe A, cette petite pandémie de l’imaginaire, doit être traitée comme un virus terroriste dont il s’agit d’anticiper la présence et les évolutions. Elle est l’une des pièces de cette surveillance globale en devenir, dont l’objet est d’anticiper les méfaits et plus largement le moindre acte plus ou moins délictueux des citoyens.

Accessoirement, la H1N1 devrait permettre de jeter définitivement l’opprobre sur les siffleurs, postillonneurs et autres cracheurs, ayant tendance à viser le drapeau tricolore, notamment lors des matchs de foot. Elle est également un moyen de relancer le rêve du télétravail, de récompenser l’industrie pharmaceutique, qui résiste avec honneur depuis des années aux médicaments génériques, et d’aider les industries du masque de protection, du gel anti-bactérien, du verre en plastique, du mouchoir en papier et de la manche de veston (pour ceux n’ayant pas de papier). Évidemment, quand l’OMS déclare l’état de pandémie de grippe A, le spectacle vivant s’inquiète de la fermeture des salles. Mais c’est un mal pour un bien, la chose permettant aux assureurs – profession d’un point de vue moral bien plus honorable que les saltimbanques – d’intégrer ce risque moyennant une surprime de 10% des dépenses engagées. Et donc d’augmenter leurs profits au même titre que le sentiment de peur.

Que la pandémie justifie des mesures de l’ordre de l’État d’exception, huit clos généralisés, juge unique et autres gardes à vues à rallonge ? Cela répond très naturellement au besoin croissant de sécurité de nos concitoyens. L’Autorité, il est vrai, a tout à gagner à investir dans la résistance à la pandémie, aussi bénigne soit-elle par rapport à la canicule ou à notre bonne vieille grippe.

L’hypnose collective qui s’en suit a d’autant plus de persistance que la couverture médiatique est forte et que s’y effectue la litanie de chiffres astronomiques. C’est pourquoi le gouvernement a eu raison de commander 10 % des doses de vaccin de la planète, et de se préparer à dépenser contre H1N1 entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros (soit 10 % du trou de la Sécu). 94 millions de doses commandées, même à raison de deux injections par patient, ça en jette plus que les 13 millions de vaccinés potentiels du Royaume-Uni…

Si la grippe A s’avère en métropole une maladie sans trop de gravité, ou si elle ne s’étend guère, la gloire en rejaillira sur les autorités, qui auront su prendre les bonnes mesures à temps. Si, à l’inverse, la pandémie se développe et fait des victimes, personne ne pourra accuser l’État d’avoir tergiversé. Il aura mené avec courage sa guerre contre l’ennemi (viral) de l’étranger et aura réussi à limiter la casse.

» Article initialement publié sur Multitudes

Illustration par johnbullas sur Flickr

Illustration de page d’accueil par Stéfan sur Flickr

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