Du coup, la réforme pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté. Pour ne pas voir leurs campus déserté par les moins fortunés, bon nombre d’universités pourraient limiter la hausse des frais d’inscription. Mieux vaut faire payer moins, mais à un plus grand nombre pour tenter d’équilbrer les comptes des facs qui ont vu leurs subventions fondre depuis l’arrivée de David Cameron au pouvoir, il y a un an. David Willets se veut pragmatique:
Nous verrons comment cela se déroulera, mais il est probable que de nombreuses universités devront réduire leurs frais d’inscription pour remplir leurs amphis.
Et pourquoi pas donner des ordinateurs ou des iPads pour attirer les étudiants, propose également le ministre. Quant aux universités qui appliqueront des prix élevés à l’entrée, elle devront en donner plus pour cet argent.
Je ne veux pas seulement voir les universités se concurrencer en disant qu’ici les frais sont de 8250£ alors qu’ils sont de 8750£ à côté, je veux les entendre dire des choses comme: il n’y aura pas plus de trente étudiants par séminaire.
Les réactions du secteur universitaire n’ont pas tardé. Pam Tatlow, la directrice de Million+, un organe qui rassemble la fine fleur des polytechniciens britanniques, estime que “les universités ont été mises sur le marché par le gouvernement et il ne faut s’attendre à ce qu’elles utilisent de nombreux leviers pour s’assurer que la demande se maintient”.
Elle craint par ailleurs que les étudiants attendent jusqu’au dernier moment pour postuler pour avoir les meilleures places au meilleur prix, quitte à risquer de n’être pris nulle part. Pour le vice-chancelier de l’université de Worcester , ce sont des idées “insensées et dangereuses [qui] créeraient la confusion parmi les candidats et dans l’ensemble de la société”. Aaron Porter, le président du syndicat national des étudiants pense, quant à lui, que “les ministres prennent le risque de transformer l’université en une brocante qui entraînerait les étudiants et leurs familles dans une panique inutile et une iniquité grotesque”.
Pourtant, à ce jour, les universités ne semblent pas décidées à jouer le jeu de la concurrence. Sur les 95 universités qui ont aujourd’hui annoncé le montant de leurs frais d’inscription, 65 d’entre elles, soit plus des deux-tiers, ont décidé d’imposer le tarif maximum de 9000£. Seulement une fera payer moins de 7500£ à ses étudiants.
Gareth Thomas, responsable de l’éducation au sein de l’opposition travailliste, appelle chacun à plus de discernement.
Les étudiants doivent pouvoir choisir la filière qui leur correspond, pas celle qui est au bon tarif. Vous ne pouvez pas considérer l’université comme des vacances sur lastminute.com.
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Illustration Flickr CC Mathias Poujol et Nitot
Article publié initialement sur MyEurop sous le titre Les universités britanniques trop chères en quête d’étudiants
]]>Cette photo sert de couverture au livre retraçant l’histoire de KaosPilots School, une école très spéciale fondée en 1991 à Århus au Danemark par Uffe Elbaek. Elle résume bien le concept de l’école : un mix d’entrepreneuriat, en pleine prise avec la réalité – “naviguer en des temps de turbulence” – et des valeurs que l’on pourrait qualifier d’humanistes, et où tout le cursus s’articule autour de projets réels. À son fronton, l’esprit des lieux est résumé par les mots “amour du jeu, ancrage dans la réalité, sagesse, prise de risques, équilibre, compassion”. “Business as unusual” en trois mots.
Si ce modèle éducationnel prône l’hybridation des valeurs, c’est pour s’adapter au contexte actuel : pour Kaospilot, les trois secteurs traditionnels de la société – services publics, entreprises et ONG – doivent faire évoluer leur modèle.
“Les citoyens veulent que le secteur public offre des services plus efficaces, à la fois au niveau collectif et individuel. Les actionnaires veulent de plus larges dividendes et, dans le même temps, il y a une demande pour des entreprises plus soucieuses de l’environnement et du social. On exige des ONG qu’elles produisent des résultats tout en faisant face à des besoins financiers de plus en plus importants.”
Kaospilot appelle à l’émergence d’un quatrième secteur, panachant les caractéristiques de ces trois-là, prônant l’autofinancement, le marché libre, mais aussi les transferts des éventuels excédents financiers au “bien public”, et mu par l’aspiration à une organisation culturelle ressemblant à celle d’une organisation de bénévoles.
KaosPilots clame qu’elle veut être “the best school for the world”. “For”, et pas “in”, est primordial : la meilleure école pour le monde, entendre “tel qu’il est” et non pas pour former des étudiants spécialistes de disciplines difficilement utilisables une fois franchie la porte de l’université. L’une des matières de l’école est révélatrice. Quand certains partent en stage, les “pilotes” sont envoyés quatre mois, avec quelques centaines d’euros en tout et pour tout en poche, dans une ville « qui bouge » (Shanghai, Durban…). Leur mission : réaliser un projet dans un pays dont ils ne connaissent rien, l’école servant de filet de sécurité en cas de chute.
Au final, il en sort ce que l’on pourrait qualifier des entrepreneurs vertueux :
“Un pilote du chaos est un leader entreprenant qui navigue à travers le changement pour son profit et celui de la société dans son ensemble. ”
Cela a quelque chose de suspicieux, dans un pays comme la France où la défiance envers l’entreprise est élevée. De façon symptomatique, sur les quelque 600 élèves formés à ce jour, aucun n’est français.
Malgré ces objectifs louables, KaosPilot reste très élitiste. Avec 35 étudiants chaque année, l’école reste un cursus d’excellence comme un autre. Elle demande également d’avoir 21 ans et un minimum de deux ans d’expérience significative (voyage, job…) écrémant encore plus les candidats. Et pour affiner encore le tamis, les aspirants doivent pouvoir répondre oui à une série de questions dont voici un échantillon :
Lorsque l’on demande à Christer Windeløv-Lidzélius, le principal de l’école, son opinion sur la question de l’élitisme de son école, il se défausse.
Le modèle KaosPilot est-il adaptable à l’université ?
Je pense, personnellement, que les universités auraient beaucoup à gagner en implémentant des parties de notre programme. Mais ce n’est pas seulement une question de contenus, c’est surtout une question de plate-forme pédagogique, de valeurs. Les résultats de nos collaborations avec les universités sont mitigés. Le modèle est très différent. On adorerait voir d’autre institutions passer autant de temps avec leurs étudiants que nous avec les nôtres. Ce que, je pense, serait très adaptable dans d’autres écoles reste notre orientation en ateliers – et ainsi de former les étudiants non seulement à la méthodologie et aux théories, mais aussi de résoudre des défis, développer des projets et grandir ensemble, en équipe.
Quel est le profil des étudiants de KaosPilot ?
Nos étudiants ont entre 21 et 37 ans. Ils ont des profils très différents. Certains sont des artistes, des militaires, ils ont pu diriger des PME ou des ONG, étudier à l’université. Certains sont des pompiers, des cuisiniers, des pilotes, des ingénieurs, des enseignants, des designers. Nous ne nous intéressons pas vraiment à l’endroit d’où ils viennent, mais à celui où ils vont !
Le concept est-il élitiste ?
KaosPilot n’est pas élitiste au sens traditionnel du terme. C’est élitiste dans le sens où il y a peu de places et qu’il est difficile d’y rentrer. Nous ne savons pas grand-chose des revenus des parents, mais nous avons des étudiants en provenance de milieux défavorisés comme de milieux très élevés, voire de la noblesse.
Les pilotes du chaos doivent être entreprenants ; ils doivent aussi passer à la caisse. L’école coûte 3.700 euros par an auxquels s’ajoutent 3.350 euros de frais d’inscription. Cela dit, le gouvernement danois donne à chaque étudiant une bourse universelle [en anglais] de 360 euros ainsi que des bourses liées au salaire des parents.
Le gouvernement français cherche à former des employés modèles adaptés au monde du travail, en allant jusqu’à lier les ressources des universités au taux d’insertion de leurs étudiants. KaosPilot s’inscrit en faux avec ce discours, cherchant à donner aux étudiants les moyens de réaliser leurs projets. Ces nouvelles approches de l’éducation, où le développement personnel prime sur les compétences techniques, font le bonheur et le fonds de commerce de plusieurs gourous.
Aux États-Unis, George Siemens fait l’apologie du « connectivisme » et de l’apprentissage « social ». Dans sa présentation au Tedx de New-York, en juin 2010, il explique que l’éducation du futur devra se réorganiser autour de la notion de connectivité et montrer comment les réseaux se forment, ce qu’ils permettent etc. Cette approche par le réseau correspond aux évolutions économiques du capitalisme actuel où le pouvoir revient à ceux capables d’organiser des réseaux pour former des projets.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Au Royaume-Uni, l’initiative Opening Minds portée par une ONG vieille de trois siècles, aide les professeurs du secondaire à enseigner la citoyenneté, la gestion de l’information, le travail d’équipe et la gestion du temps au même titre que les matières traditionnelles.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
La dimension élitiste et relativement fermée de KaosPilot ne doit cependant pas décrédibiliser ces méthodes d’enseignement innovantes comme étant inadaptées pour la majorité des élèves. Des systèmes alternatifs, comme la pédagogie Steiner-Waldorf, mettent l’accent sur le développement des élèves plutôt que sur l’acquisition de savoir brut. Et ça fonctionne pas si mal : les résultats des élèves des écoles Steiner-Waldorf sont au moins aussi bons que ceux des écoles traditionnelles (voir cette étude [anglais, pdf], par exemple).
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