OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’évolution en bourgeons numériques http://owni.fr/2012/10/22/evolution-en-bourgeons-numeriques/ http://owni.fr/2012/10/22/evolution-en-bourgeons-numeriques/#comments Mon, 22 Oct 2012 11:21:09 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=123648 Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Veille data

Au début, il y a 166,2 millions d’années, c’était une modeste bouture où ne se balançaient que quelques porcs-épics. Puis se sont élancés de branches en branches, les marsupiaux (147,1 millions d’années), les Afrotheria (famille des éléphants) suivis dans les ramages par les taupes, les dauphins et autres écureuils… Ce vieil arbre généalogique des mammifères, jaunis en poster dans nos salles de classe, OneZoom le dépoussière d’une superbe application.

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer


Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Capture d'écran du site - OneZoom Tree of Life Explorer

Fruit du travail de James Rosindell, théoricien de la biodiversité à l’Imperial College de Londres, et de Luke Harmon, collaborateur du laboratoire des sciences du vivant à l’Université d’Idaho, ce projet voit bien plus loin que les mammifères : les deux scientifiques souhaitent en faire “l’équivalent de Google Maps pour l’ensemble de la vie sur Terre”.

Le logiciel s’appuie sur une visualisation en fractale d’une base de données de 5 000 espèces de mammifères (l’extension portant sur les bactéries est téléchargeable sur le site [attention, ça peut être un peu long] et les amphibiens arrivent), comprenant le détail des embranchements, l’âge de séparation, les noms latins… Paramétrable selon trois modes de visualisation (spirale, plume ou arbre), cet arbre phylogénétique interactif peut également se déployer suivant l’évolution des mammifères, ses origines jusqu’à nos jours, grâce à l’option “Open Growth Animation bar” disponible dans le coin supérieur droit. En modifiant les couleurs, OneZoom offre enfin la possibilité d’afficher le niveau de menace d’extinction selon l’indice de l’organisation internationale de défense de la biodiversité, IUCN.

Les deux auteurs ont développé le projet en open source et invitent à la réutilisation du soft pour d’autres applications (visualisation des flux financiers, base de données sur la santé et les drogues…). OneZoom sera bientôt distribué sous forme de dossiers pédagogiques à destination des écoles et de l’enseignement supérieur ou d’installation interactives pour les musées, zoo et jardins botaniques. Ses créateurs espèrent bientôt enrichir la base avec les animaux domestiques, des photos et bien plus d’informations. Une démarche qui pourrait prendre une toute autre ampleur dans les mois à venir : à l’horizon 2014, en nouant racine avec le Open Tree of Life Project, OneZoom pourrait recueillir deux millions d’espèces dans ses feuilles digitales.

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L’évolution du pénis des mammifères http://owni.fr/2011/04/15/levolution-du-penis-des-mammiferes/ http://owni.fr/2011/04/15/levolution-du-penis-des-mammiferes/#comments Fri, 15 Apr 2011 10:43:31 +0000 vran http://owni.fr/2011/04/15/levolution-du-penis-des-mammiferes/ Chers lecteurs, c’est avec joie que je vous retrouve pour la quatrième et dernière partie de cette série “galerie de membres” consacrée au(x) pénis(ii). Si vous sentez le besoin de vous rafraîchir la mémoire (et après tout ce temps, c’est bien normal), je vous invite à (re)lire les épisodes précédents consacrés respectivement aux arthropodes, sauropsidés et oiseaux chez lesquels nous avions ensemble découvert l’existence d’appendices souvent amusants, parfois terrifiants, mais toujours étonnants. Aussi, pour terminer sur ce sujet, je vous propose une incursion dans un groupe que nous connaissons bien, puisque nous en faisons partie : Les Mammifères.

Profil reproductif, sélection sexuelle et polymorphisme

Comme nous l’avons déjà vu dans les billets précédents, le pénis varie beaucoup en taille, forme et complexité selon les espèces, et les mammifères ne font bien entendu pas exception à la règle. Aussi de nombreuses études se sont attachées à comprendre l’origine de cette étonnante diversité et à identifier des facteurs corrélés avec les caractères génitaux (morphologie de l’animal, environnement etc…). Parmi ceux-ci, les mœurs reproductives occupent une place prépondérante, en particulier dans les cas où les partenaires sexuels sont multiples et pour lesquels on distingues trois profils. Tout d’abord, le profil dispersé correspond à des accouplements occasionnels entre une femelle et quelques mâles isolés vivant dans une zone géographie étendue et se rencontrant par hasard (par exemple chez les araignées).

Le second profil est dit de promiscuité et implique plusieurs mâles et femelles, dans un groupe restreint à la fois socialement et géographiquement (c’est le cas notamment chez certaines espèces d’oiseaux vivants en groupe sur un territoire bien défini). Enfin, le dernier profil est dit de polygynie (littéralement “plusieurs femmes”) et correspond à une organisation sociale de type “mâle dominant” où un seul mâle aura la possibilité de se reproduire avec toutes les femelles du groupe, les autres concurrents étant d’emblée exclus de la compétition, à l’exception des quelques individus rebelles qui copulent dans le dos du patriarche (l’exemple typique est le gorille où les mâles dominants se constituent un harem de femelles qu’il défendront avec véhémence contre les mâles extérieurs). Vous l’aurez deviné, une multitude de stratégies reproductives engendre la sélection de caractères différents et donc une grande diversité morphologique. Sans plus attendre voici donc une petite galerie de portraits sous la ceinture et quelques explications correspondantes (pour agrandir, cliquez sur l’image):

Galerie de membres mammifères. Image : Simmons and Jones, 2007.

Crocs et denticules: A l’instar de la bruche et de son aedeagus épineux, certains penii de mammifères sont bardés de petites pointes kératinisées qui peuvent être utiles à la stimulation de la femelle (chez le chat par exemple, c’est le coït qui déclenche l’ovulation) ou à un ancrage optimal du membre à l’intérieur des voies génitales femelles, le tout n’étant bien sûr pas sans douleur. Plus violents encore, certains penii comme celui du porc-épic sont munis de crochets destinés non seulement à stabiliser la pénétration, mais aussi à blesser les voies génitales femelles lors du retrait pour “décourager” ces dernières d’avoir de nouveaux partenaires et s’assurer ainsi une descendance plus nombreuse (romantisme quand tu nous tiens…).

Organe spiralé: Autre forme, autre technique. Chez le porc, le pénis en “tire-bouchon” (ben oui, après tout, pourquoi se limiter à un côté du bassin quand on peut faire symétrique) présente une certaine élasticité qui lui permet une pénétration profonde et une éjaculation directement dans l’utérus, au plus près des ovules, là encore pour maximiser les chances de paternité.

Extension de l’urètre: Chez le bélier, on observe une sorte de long flagelle qui s’étend au delà du gland. Cette structure originale est en réalité l’urètre, canal destiné à l’évacuation de l’urine. Quel intérêt pour la reproduction? Eh bien lors de l’éjaculation, ce petit appendice membraneux agit comme une spatule et étale la semence du mâle sur le col de l’utérus au gré des mouvements de la bête. Une nouvelle fois, l’avantage réside dans une fertilisation plus efficace.

Verrou gonflable: Autre curiosité chez un animal pourtant très familier, le chien. Les deux protubérances que vous pouvez observer à la base du pénis sur le dessin ne sont pas les testicules mais une structure érectile appelée le bulbus glandis. Il s’agit d’un élargissement du corps caverneux qui augmente de volume à l’intérieur des voies génitales femelles pendant le coït et y coince tout simplement le pénis. Si vous eu l’occasion d’assister à un accouplement canin, vous vous êtes peut être demandé quelle était cette étrange (et probablement douloureuse) chorégraphie qui poussait le mâle à se retourner, dos à la femelle, alors que son membre était encore en place à l’intérieur du vagin (pour plus de détails sur ladite chorégraphie, cliquez ici). Bien que périlleuse et très longue (le couple reste “connecté” entre 5 et 60 minutes), cette manœuvre facilite et prolonge le contact entre le sperme et le col de l’utérus, avec à la clé un grand rendement de fécondation.

Piston: Enfin, le moins drôle de tous, le pénis en piston, partagé par les primates et quelques autres est de forme tout à fait banale, sans protubérances ni forme particulière. Cependant, cette configuration apporte tout de même un avantage, car elle permet de “pomper” la semence des concurrents vers l’extérieur en cas de copulation multiple, un peu à la manière de l’aedeagus écouvillon de la libellule (que ceux qui ont la nausée rien qu’à imaginer qu’on a été sélectionnés pour ça lèvent la main).

La palme de l’originalité: Les Monotrèmes

Une fois n’est pas coutume, c’est dans le groupe des monotrèmes (les “ovipares allaitants” qui se trouvent en position basale dans l’arbre phylogénétique des mammifères) que l’on trouve les caractères les plus étonnants. Mais pour varier un petit peu, cette fois nous ne parlerons pas de l’ornithorynque, mais de son proche cousin, l’échidné à bec court Tachyglossus aculeatus (cliquez sur son nom pour afficher le portrait de la bête).

La particularité de la reproduction des monotrèmes est qu’elle combine des caractéristiques mammifères et reptiliennes. Par exemple, et pour rester centrés sur notre sujet premier, le pénis de l’échidné est destiné exclusivement à l’éjaculation puisque l’animal urine par son cloaque (comme chez les serpents et lézards). Internalisé la majorité du temps, l’organe ne voit le jour que lors de l’érection et peut alors révéler sa forme surprenante. En effet, chez les monotrèmes, ainsi que la plupart des marsupiaux, le pénis est bifide (fourchu).

Mais chez l’échidné, chacune de ses deux partie se divise à nouveau en deux, formant un gland quadruple à l’apparence d’une anémone. A chacune de ses extrémités, l’urètre se termine par une surface percée d’une multitude d’ouvertures (à la manière d’une pomme de douche) destinées à dispenser le sperme. Quatre orifices, c’est beaucoup, d’autant que l’échidné n’en utilise que deux à la fois. Car oui, c’est une autre curiosité (rappelant l’utilisation alternée des hemipenii chez les reptiles), lors de l’érection, deux des 4 extrémités de “l’anémone” se rétractent tandis que les deux restantes entrent en érection. Ainsi, le pénis adopte une forme de fourche à deux extrémités (seulement), parfaitement adaptée à la morphologie du sinus urogenital femelle et délivre efficacement son sperme.

Penii d’échidné à gland quadruple en posture “anémone” (gauche) et fourche bifide (droite). Images : X – Johnston et al.

Conclusion

Ainsi s’achève cette longue série qui je l’espère vous aura appris beaucoup sur l’organe le plus viril du monde animal. Vous pourrez maintenant paraître sérieux et cultivé tout en parlant sexe avec vos amis (attention cependant, l’expérience montre que certaines âmes sensibles sont définitivement réfractaires aux images présentées dans ce petit lot d’articles). Je vous quitte donc (temporairement) en vous souhaitant pour l’occasion du sexe, de la science et du funk bien sûr.

Références:

  • Male Genital Morphology and Function: An evolutionary perspective. M.N.Simmon and J.S. Jones. The Journal of Urology, 2007
  • One sided Ejaculation of Echidna Sperm Bundles. S.D. Johnston et al, 2007.

>> Article publié initialement sur Strange Stuff And Funky Things dans la série Galerie de Membres

>> Photo FlickR CC AttributionNoncommercialNo Derivative Works par kajojak


Retrouvez notre dossier Évolution :


L’image de Une de Loguy en CC pour OWNI

Comment les poissons amphibies ont évolué

Si Jésus Christ est un hippie, Charles Darwin est un punk

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Comment les poissons amphibies ont évolué http://owni.fr/2011/04/10/comment-les-poissons-amphibies-ont-evolue/ http://owni.fr/2011/04/10/comment-les-poissons-amphibies-ont-evolue/#comments Sun, 10 Apr 2011 12:00:45 +0000 Taupo http://owni.fr/?p=56059
Article publié sur OWNISciences sous le titre, L’évolution des poissons amphibies


Dans le joli monde de la médiatisation scientifique, l’un des concepts les plus malmené est certainement le processus de l’évolution. On a tous été exposé à une représentation simpliste et erronée du mécanisme de l’évolution, celui de la chaine de complexité: on la retrouve dans la fameuse marche du progrès.

Ou encore le chemin évolutif linéaire qui débouche sur l’humain :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pas étonnant ensuite que quelques confusions s’installent, mises en dérision dans cet épisode de South Park :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et oui, si on imagine que l’évolution a un sens et gravis une échelle du progrès, échelon par échelon, dont nous serions l’apogée, on se retrouve à douter sérieusement de sa validité. C’est ce genre de représentation de l’évolution qui mène beaucoup de personnes à se poser des questions du genre : si l’évolution tend vers l’humain, comment se fait-il qu’il existe encore des espèces moins évoluées ?

Heureusement, scientifiques et bloggeurs (comme Marion Sabourdy ou Mr Ocean Electrique) se mettent de plus en plus à traiter de la question pour chasser des esprits ces idées fausses.

Je répète ce qui a déjà été dit dans leurs billets : l’évolution ne se dirige pas dans un sens particulier. Il n’y a pas de progrès préconçu dans l’évolution. L’évolution va dans toutes les directions, contrainte uniquement par les changements génétiques aléatoires qui sont transmis au cours de la reproduction des organismes, ainsi que par la sélection naturelle qui élimine les individus non adaptés aux conditions de survie et de reproduction dans un contexte donné. Au grès de ces contraintes, les espèces vont évoluer et peuvent changer drastiquement de morphologie, de stratégie de survie, de degré de complexité, dans tous les sens possibles !

C’est à mon tour de m’atteler donc à la démystification de la représentation linéaire de l’évolution, mais on va faire ça SSAFT style, avec une jolie convergence évolutive !

Parlons donc de la transition des vertébrés aquatiques vers des vertébrés terrestres. Selon le schéma horrible ci-dessus, cette transition ne se serait effectué qu’une fois, de poisson à tétrapode, pour que le chemin de la perfection mène vers notre bonne bouille d’Homo sapiens. Si vous avez bien suivi, vous avez maintenant compris que, puisque l’évolution ne favorise pas un sens particulier, cette transition n’est qu’un chemin parmi d’autres qui dans ce cas précis, a mené à l’émergence des animaux tétrapodes, mais qui dans un autre a pu mener vers l’émergence d’autres animaux adaptés à des conditions écologiques différentes que celles rencontrées sur la terre ferme.

Mais du coup, si je vous dis qu’il n’y a pas de chemin prédéterminé à l’évolution, qu’est ce qui empêche l’émergence indépendante, à un autre moment, à un autre endroit, d’espèces de vertébrés non tétrapodes mais adaptées cependant à la vie terrestre ?

Réponse : rien. Rien n’empêche l’évolution d’arriver à ce même résultat via un chemin différent. Et d’ailleurs vous savez quoi ? Ces vertébrés non tétrapodes qui gambadent sur la terre ferme, et bien ils existent ! Et vous savez comment on appelle ce phénomène d’émergence d’espèces partageant des critères morphologiques qui n’ont pas été hérités par un même chemin évolutif ?

La CONVERGENCE ÉVOLUTIVE pardi ! (Ouais, je sais pas trop pourquoi je me mets à crier en fait…)

Faisons donc un petit panel des vertébrés adaptés à la vie terrestre (alias, je respire le bon air frais et je gambade hors de l’eau) par ordre des plus connus.

D’abord, il y a les tétrapodes, représenté ci dessus par la reconstitution d’un des plus anciens tétrapodes, Ichthyostega. Les tétrapodes sont des vertébrés qui ont généralement deux paires de membres (mais pas toujours, exemple 1 et 2) et qui respirent avec des poumons (mais pas toujours – quand je vous dis que l’évolution va dans n’importe quel sens…).

Il y a aussi les proches cousins des tétrapodes, les dipneustes, qui possèdent une belle tronche de poiscaille mais qui pourtant possèdent, en plus de leurs branchies, un joli petit poumon qui lui permet de respirer à l’air libre. Par contre, s’il gambade avec ses grosses nageoires charnues, c’est uniquement sous l’eau et dans la vase.

Mais bon, le cas du Dipneuste n’est pas vraiment un cas de convergence évolutive puisque les tétrapodes ont hérité de poumons et de membres homologues à ceux trouvés chez les dipneustes. Voyons voir ce qui se passe du côté des poissons qui sont adaptés à respirer hors de l’eau, mais sans poumons! (et on ne compte donc pas les poissons qui font un court séjour hors de l’eau, mais sans respirer, comme les grunions lors de la parade amoureuse)

Commençons d’abord par les blennies, comme le curieux bonhomme ci dessus, Alticus saliens, qui peut parfaitement respirer hors de l’eau, et y passe le plus clair de son temps pour échapper à ses prédateurs et attraper de belles proies. Par contre, niveau locomotion, notre ami Alticus a choisi le saut en hauteur plutôt que la bête marche à nageoire… Encore une fois, les voies de l’évolution sont imprévisibles…

Il y a même certains poissons qui ont perdu totalement la capacité de respirer sous l’eau à force de faire les malins et de rester près de la surface. C’est par exemple le cas de l’anguille électrique dont Vran nous avait parlé il y a quelque temps, dans le cadre d’un autre cas de convergence évolutive. Les anguilles électriques doivent donc prendre une goulée d’air à la surface toutes les 10 minutes…

Dans le genre plus flippant, il y a les Channas comme Channa argus, des poissons carnivores dont la prolifération (et le fait qu’ils respirent et se promènent sur terre) en font une espèce invasive à surveiller. Ils appartiennent à un groupe cousin de toute une famille de poissons, les Anabantidés, qui utilisent un organe spécial situé dans la tête et appelé le labyrinthe pour respirer l’air de la surface et ainsi compenser le manque d’oxygène des eaux dans lesquelles ils vivent.

Version plus gentil, il y a les gouramis anabas qui peuvent respirer et marcher hors de l’eau pendant près de 8 heures :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et bon, j’ai laissé le meilleur pour la fin avec le cas merveilleux des poissons grenouille (Les poissons-grenouilles avaient déjà pointé le bout de la nageoire sur SSAFT, dans un commentaire illustré). Cette fois-ci la respiration de ces étranges poissons est assurée par la peau, à l’instar des amphibiens !

Voici donc un peu plus de détails sur les défis quotidiens que doivent relever mes poissons amphibie-préférés, les poissons grenouilles ou Oxudercinae, narrés par le naturaliste qu’on ne présente plus, Sir David Attenborough. Dans la vidéo ci-dessous, vous découvrirez deux espèces de poissons amphibie, Boleophthalmus pectinirostris et Periophthalmus modestus dont le train de vie vous laissera pantois !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Transcription:

Un poisson grenouille (Mudskipper – sauteur de vase), un poisson qui passe la plupart de sa vie hors de la mer. Il peut marcher sur la terre et respirer à l’air libre. Sa vie est très différente de la vie de la plupart des autres poissons. Un poisson hors de l’eau, certes, mais ils prospèrent ici au Japon.

Qu’est ce qui a rendu ce changement d’habitat avantageux ? La réponse se trouve dans la boue. Lorsque la marée se retire, elle laisse un dépôt vaseux. La lumière du soleil frappe le limon fertile et des petits animaux et plantes se développent. Une source de nourriture pour le poisson-grenouille.

Mais la vie sur la terre ferme n’est pas dénuée de problèmes. Trouver un partenaire sexuelle est une tâche ardue ! Sauter haut par dessus la vase permet de se faire remarquer. Avec des yeux perchés sur le dessus de leur tête, les poissons grenouilles gardent un œil vigilant pour débusquer leurs amis ou leurs ennemis. Et le mâles combattent ceux qui s’introduisent sur leur territoire. Ils doivent aussi prendre garde à ne pas se dessécher sous le soleil. Rouler dans la vase permet de garder la peau au frais et humide.

Pour cette espèce plus petite, une meilleure alternative est de se retirer sous le sol. Il se creuse donc un tunnel dans la boue. Ces amas de déblais permettent d’appréhender l’étendue de ses excavations. À cause des marées qui inondent le tunnel deux fois par jour, la maintenance est un véritable calvaire.

Le tunnel est plus qu’un simple refuge contre le soleil. Il sert un autre but très important. Le tunnel prend en fait la forme d’un U et le bout du tunnel correspond à une chambre close dont les murs sont bordés d’œufs. Les œufs sont gardés à l’air libre du fait que l’air est plus riche en oxygène que l’eau. Le problème c’est que l’air qui est piégé dans la chambre ne durera pas longtemps. Donc le mâle va nager jusqu’à l’autre extrémité du tunnel pour prendre une gorgée d’air frais. Il repart ensuite à travers le tunnel et relâche sa gorgée dans la chambre-couveuse, réapprovisionnant d’oxygène l’atmosphère de la chambre pour que les œufs survivent. Il répètera la procédure des centaines de fois jusqu’à ce que ses œufs éclosent. Ce style de vie est très contraignant mais le poisson grenouille semble avoir trouvé un moyen de contourner tous les problèmes.

Références:

A Locomotor Innovation Enables Water-Land Transition in a Marine Fish.” By Shi-Tong Tonia Hsieh. Public Library of Science ONE, Vol. 5 No. 6, June 18, 2010.

Larson H.K., Jaafar Z. and Lim K.K.P., 2008 – An annotated checklist of the gobioid fishes of Singapore – The Raffles Bulletin of Zoology, 56(1): 135–155.

Liens:

Article BoingBoing

The Mudskipper

BBC Life et la scène des Mudskippers en détail

Images FlickR CC by-sa-nc : lamont_cranston, Wikimedia Commons CC-by-sa M. Garde, Nobu Tamura, Steven G. Johnson, FlickR CC-ny-nd-sa meckert75 et Domaine public (USGS)

>> Article initialement publié sur SSAFT


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Si Jésus Christ est un hippie, Charles Darwin est un punk

L’évolution par l’exemple: le pénis des mammifères

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L’évolution par l’exemple: le pénis des mammifères http://owni.fr/2011/04/10/levolution-par-lexemple-le-penis-des-mammiferes/ http://owni.fr/2011/04/10/levolution-par-lexemple-le-penis-des-mammiferes/#comments Sun, 10 Apr 2011 10:00:17 +0000 vran http://owni.fr/?p=56043 Chers lecteurs, c’est avec joie que je vous retrouve pour la quatrième et dernière partie de cette série “galerie de membres” consacrée au(x) pénis(ii). Si vous sentez le besoin de vous rafraîchir la mémoire (et après tout ce temps, c’est bien normal), je vous invite à (re)lire les épisodes précédents consacrés respectivement aux arthropodes, sauropsidés et oiseaux chez lesquels nous avions ensemble découvert l’existence d’appendices souvent amusants, parfois terrifiants, mais toujours étonnants. Aussi, pour terminer sur ce sujet, je vous propose une incursion dans un groupe que nous connaissons bien, puisque nous en faisons partie : Les Mammifères.

Profil reproductif, sélection sexuelle et polymorphisme

Comme nous l’avons déjà vu dans les billets précédents, le pénis varie beaucoup en taille, forme et complexité selon les espèces, et les mammifères ne font bien entendu pas exception à la règle. Aussi de nombreuses études se sont attachées à comprendre l’origine de cette étonnante diversité et à identifier des facteurs corrélés avec les caractères génitaux (morphologie de l’animal, environnement etc…). Parmi ceux-ci, les mœurs reproductives occupent une place prépondérante, en particulier dans les cas où les partenaires sexuels sont multiples et pour lesquels on distingues trois profils. Tout d’abord, le profil dispersé correspond à des accouplements occasionnels entre une femelle et quelques mâles isolés vivant dans une zone géographie étendue et se rencontrant par hasard (par exemple chez les araignées).

Le second profil est dit de promiscuité et implique plusieurs mâles et femelles, dans un groupe restreint à la fois socialement et géographiquement (c’est le cas notamment chez certaines espèces d’oiseaux vivants en groupe sur un territoire bien défini). Enfin, le dernier profil est dit de polygynie (littéralement “plusieurs femmes”) et correspond à une organisation sociale de type “mâle dominant” où un seul mâle aura la possibilité de se reproduire avec toutes les femelles du groupe, les autres concurrents étant d’emblée exclus de la compétition, à l’exception des quelques individus rebelles qui copulent dans le dos du patriarche (l’exemple typique est le gorille où les mâles dominants se constituent un harem de femelles qu’il défendront avec véhémence contre les mâles extérieurs). Vous l’aurez deviné, une multitude de stratégies reproductives engendre la sélection de caractères différents et donc une grande diversité morphologique. Sans plus attendre voici donc une petite galerie de portraits sous la ceinture et quelques explications correspondantes (pour agrandir, cliquez sur l’image):

Galerie de membres mammifères. Image : Simmons and Jones, 2007.

Crocs et denticules: A l’instar de la bruche et de son aedeagus épineux, certains penii de mammifères sont bardés de petites pointes kératinisées qui peuvent être utiles à la stimulation de la femelle (chez le chat par exemple, c’est le coït qui déclenche l’ovulation) ou à un ancrage optimal du membre à l’intérieur des voies génitales femelles, le tout n’étant bien sûr pas sans douleur. Plus violents encore, certains penii comme celui du porc-épic sont munis de crochets destinés non seulement à stabiliser la pénétration, mais aussi à blesser les voies génitales femelles lors du retrait pour “décourager” ces dernières d’avoir de nouveaux partenaires et s’assurer ainsi une descendance plus nombreuse (romantisme quand tu nous tiens…).

Organe spiralé: Autre forme, autre technique. Chez le porc, le pénis en “tire-bouchon” (ben oui, après tout, pourquoi se limiter à un côté du bassin quand on peut faire symétrique) présente une certaine élasticité qui lui permet une pénétration profonde et une éjaculation directement dans l’utérus, au plus près des ovules, là encore pour maximiser les chances de paternité.

Extension de l’urètre: Chez le bélier, on observe une sorte de long flagelle qui s’étend au delà du gland. Cette structure originale est en réalité l’urètre, canal destiné à l’évacuation de l’urine. Quel intérêt pour la reproduction? Eh bien lors de l’éjaculation, ce petit appendice membraneux agit comme une spatule et étale la semence du mâle sur le col de l’utérus au gré des mouvements de la bête. Une nouvelle fois, l’avantage réside dans une fertilisation plus efficace.

Verrou gonflable: Autre curiosité chez un animal pourtant très familier, le chien. Les deux protubérances que vous pouvez observer à la base du pénis sur le dessin ne sont pas les testicules mais une structure érectile appelée le bulbus glandis. Il s’agit d’un élargissement du corps caverneux qui augmente de volume à l’intérieur des voies génitales femelles pendant le coït et y coince tout simplement le pénis. Si vous eu l’occasion d’assister à un accouplement canin, vous vous êtes peut être demandé quelle était cette étrange (et probablement douloureuse) chorégraphie qui poussait le mâle à se retourner, dos à la femelle, alors que son membre était encore en place à l’intérieur du vagin (pour plus de détails sur ladite chorégraphie, cliquez ici). Bien que périlleuse et très longue (le couple reste “connecté” entre 5 et 60 minutes), cette manœuvre facilite et prolonge le contact entre le sperme et le col de l’utérus, avec à la clé un grand rendement de fécondation.

Piston: Enfin, le moins drôle de tous, le pénis en piston, partagé par les primates et quelques autres est de forme tout à fait banale, sans protubérances ni forme particulière. Cependant, cette configuration apporte tout de même un avantage, car elle permet de “pomper” la semence des concurrents vers l’extérieur en cas de copulation multiple, un peu à la manière de l’aedeagus écouvillon de la libellule (que ceux qui ont la nausée rien qu’à imaginer qu’on a été sélectionnés pour ça lèvent la main).

La palme de l’originalité: Les Monotrèmes

Une fois n’est pas coutume, c’est dans le groupe des monotrèmes (les “ovipares allaitants” qui se trouvent en position basale dans l’arbre phylogénétique des mammifères) que l’on trouve les caractères les plus étonnants. Mais pour varier un petit peu, cette fois nous ne parlerons pas de l’ornithorynque, mais de son proche cousin, l’échidné à bec court Tachyglossus aculeatus (cliquez sur son nom pour afficher le portrait de la bête).

La particularité de la reproduction des monotrèmes est qu’elle combine des caractéristiques mammifères et reptiliennes. Par exemple, et pour rester centrés sur notre sujet premier, le pénis de l’échidné est destiné exclusivement à l’éjaculation puisque l’animal urine par son cloaque (comme chez les serpents et lézards). Internalisé la majorité du temps, l’organe ne voit le jour que lors de l’érection et peut alors révéler sa forme surprenante. En effet, chez les monotrèmes, ainsi que la plupart des marsupiaux, le pénis est bifide (fourchu).

Mais chez l’échidné, chacune de ses deux partie se divise à nouveau en deux, formant un gland quadruple à l’apparence d’une anémone. A chacune de ses extrémités, l’urètre se termine par une surface percée d’une multitude d’ouvertures (à la manière d’une pomme de douche) destinées à dispenser le sperme. Quatre orifices, c’est beaucoup, d’autant que l’échidné n’en utilise que deux à la fois. Car oui, c’est une autre curiosité (rappelant l’utilisation alternée des hemipenii chez les reptiles), lors de l’érection, deux des 4 extrémités de “l’anémone” se rétractent tandis que les deux restantes entrent en érection. Ainsi, le pénis adopte une forme de fourche à deux extrémités (seulement), parfaitement adaptée à la morphologie du sinus urogenital femelle et délivre efficacement son sperme.

Penii d’échidné à gland quadruple en posture “anémone” (gauche) et fourche bifide (droite). Images : X – Johnston et al.

Conclusion

Ainsi s’achève cette longue série qui je l’espère vous aura appris beaucoup sur l’organe le plus viril du monde animal. Vous pourrez maintenant paraître sérieux et cultivé tout en parlant sexe avec vos amis (attention cependant, l’expérience montre que certaines âmes sensibles sont définitivement réfractaires aux images présentées dans ce petit lot d’articles). Je vous quitte donc (temporairement) en vous souhaitant pour l’occasion du sexe, de la science et du funk bien sûr.

Références:

  • Male Genital Morphology and Function: An evolutionary perspective. M.N.Simmon and J.S. Jones. The Journal of Urology, 2007
  • One sided Ejaculation of Echidna Sperm Bundles. S.D. Johnston et al, 2007.

>> Article publié initialement sur Strange Stuff And Funky Things dans la série Galerie de Membres

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L’image de Une de Loguy en CC pour OWNI

Comment les poissons amphibies ont évolué

Si Jésus Christ est un hippie, Charles Darwin est un punk

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Si Jésus Christ est un hippie, Charles Darwin est un punk http://owni.fr/2011/04/07/si-jesus-christ-est-un-hippie-charles-darwin-est-un-punk/ http://owni.fr/2011/04/07/si-jesus-christ-est-un-hippie-charles-darwin-est-un-punk/#comments Thu, 07 Apr 2011 06:30:24 +0000 Laurent Brasier http://owni.fr/?p=55493
Article publié sur OWNI Sciences sous le titre, Les origines des espèces de punks


Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock.

(Greg Graffin, in Anarchy Evolution)

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en paléontologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée de l’auteur, il parvient plutôt à séduire.

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Punk et enseignement, évolution biologique et évolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction.

Mais la plupart du temps, Graffin ne mélange pas les genres et parle – sérieusement – d’évolution. Graffin s’adresse à un public de profanes et souhaite faire passer un message plus que des connaissances. Pas de cours théorique structuré, donc, mais quelques notions et exemples distillés ici et là, au gré du récit, entre deux considérations très générales  : un peu d’histoire de la terre et de la lignée humaine, les gênes, des mastodontes, une fourmilière pour montrer que l’anarchie caractérise la nature plutôt que la perfection, et Tiktaalik comme exemple de fossile transitionnel entre deux lignées (poisson et tétrapodes, nantis de métacarpes).

Tiktaalik (Tiktaalik roseae ) : des nageoires avec des épaules, un coude et un poignet. Sans lui, tu ferais comment pour applaudir un concert de Bad Religion ?

Un point de vue naturaliste sur le monde

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme naturaliste plutôt que athée. Définition qui a le mérite d’être positive :

I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.

L’expérience de la foi – version punk naturaliste

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, dont le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se discréditer.

Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.

Portrait du scientifique en jeune punk

Avant d’être le distingué Docteur Graffin (@DoctorGraffin sur twitter), Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai en plus), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son milieu (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…).

Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science. Le témoignage sur cette transition est intéressant : il montre combien le système éducatif était défaillant en matière d’évolutionnisme. D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensés pour la forme :

As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed.

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.

Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie universitaire actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un naturaliste digne de ce nom, si la nature propose, Darwin dispose :

What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

et là je leur balance Bad Religion pour les amadouer

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque dignes de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement). Un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien qui aura pratiquement pour seul parole un résigné ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”), et pour finir, le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant ‘God is my co-pilot’ !

Être pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le seul chanteur de Bad Religion.

Heureusement, Greg Graffin est un être double.


Article initialement publié sur Le bLoug sous le titre, L’origine des espèces de punks (insane lectures #2)

Anarchy Evolution – Faith, Science and bad Religion in a world without God , par Greg Graffin ; Steve Olson, It Books, Septembre 2010, 304 Pages, $22.99

À lire aussi : Une critique de Anarchy Evolution par sceptic.com

Illustrations Couverture du livre Anarchy Evolution, Tiktaalik BW de Nobu Tamura [GFDL, CC-BY-SA-3.0 or CC-BY-2.5], via Wikimedia Commons, The Adolescents de paxpuig AttributionNoncommercialNo Derivative Worksp373 AttributionShare Alike


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L’image de Une de Loguy en CC pour OWNI

Comment les poissons amphibies ont évolué

L’évolution par l’exemple: le pénis des mammifères

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L’évolution des poissons amphibies http://owni.fr/2011/03/03/levolution-des-poissons-amphibies/ http://owni.fr/2011/03/03/levolution-des-poissons-amphibies/#comments Thu, 03 Mar 2011 16:15:46 +0000 Taupo http://owni.fr/?p=34218 Dans le joli monde de la médiatisation scientifique, l’un des concepts les plus malmené est certainement le processus de l’évolution. On a tous été exposé à une représentation simpliste et erronée du mécanisme de l’évolution, celui de la chaine de complexité: on la retrouve dans la fameuse marche du progrès.

Ou encore le chemin évolutif linéaire qui débouche sur l’humain :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pas étonnant ensuite que quelques confusions s’installent, mises en dérision dans cet épisode de South Park :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et oui, si on imagine que l’évolution a un sens et gravis une échelle du progrès, échelon par échelon, dont nous serions l’apogée, on se retrouve à douter sérieusement de sa validité. C’est ce genre de représentation de l’évolution qui mène beaucoup de personnes à se poser des questions du genre : si l’évolution tend vers l’humain, comment se fait-il qu’il existe encore des espèces moins évoluées ?

Heureusement, scientifiques et bloggeurs (comme Marion Sabourdy ou Mr Ocean Electrique) se mettent de plus en plus à traiter de la question pour chasser des esprits ces idées fausses.

Je répète ce qui a déjà été dit dans leurs billets : l’évolution ne se dirige pas dans un sens particulier. Il n’y a pas de progrès préconçu dans l’évolution. L’évolution va dans toutes les directions, contrainte uniquement par les changements génétiques aléatoires qui sont transmis au cours de la reproduction des organismes, ainsi que par la sélection naturelle qui élimine les individus non adaptés aux conditions de survie et de reproduction dans un contexte donné. Au grès de ces contraintes, les espèces vont évoluer et peuvent changer drastiquement de morphologie, de stratégie de survie, de degré de complexité, dans tous les sens possibles !

C’est à mon tour de m’atteler donc à la démystification de la représentation linéaire de l’évolution, mais on va faire ça SSAFT style, avec une jolie convergence évolutive !

Parlons donc de la transition des vertébrés aquatiques vers des vertébrés terrestres. Selon le schéma horrible ci-dessus, cette transition ne se serait effectué qu’une fois, de poisson à tétrapode, pour que le chemin de la perfection mène vers notre bonne bouille d’Homo sapiens. Si vous avez bien suivi, vous avez maintenant compris que, puisque l’évolution ne favorise pas un sens particulier, cette transition n’est qu’un chemin parmi d’autres qui dans ce cas précis, a mené à l’émergence des animaux tétrapodes, mais qui dans un autre a pu mener vers l’émergence d’autres animaux adaptés à des conditions écologiques différentes que celles rencontrées sur la terre ferme.

Mais du coup, si je vous dis qu’il n’y a pas de chemin prédéterminé à l’évolution, qu’est ce qui empêche l’émergence indépendante, à un autre moment, à un autre endroit, d’espèces de vertébrés non tétrapodes mais adaptées cependant à la vie terrestre ?

Réponse : rien. Rien n’empêche l’évolution d’arriver à ce même résultat via un chemin différent. Et d’ailleurs vous savez quoi ? Ces vertébrés non tétrapodes qui gambadent sur la terre ferme, et bien ils existent ! Et vous savez comment on appelle ce phénomène d’émergence d’espèces partageant des critères morphologiques qui n’ont pas été hérités par un même chemin évolutif ?

La CONVERGENCE ÉVOLUTIVE pardi ! (Ouais, je sais pas trop pourquoi je me mets à crier en fait…)

Faisons donc un petit panel des vertébrés adaptés à la vie terrestre (alias, je respire le bon air frais et je gambade hors de l’eau) par ordre des plus connus.

D’abord, il y a les tétrapodes, représenté ci dessus par la reconstitution d’un des plus anciens tétrapodes, Ichthyostega.  Les tétrapodes sont des vertébrés qui ont généralement deux paires de membres (mais pas toujours, exemple 1 et 2) et qui respirent avec des poumons (mais pas toujours – quand je vous dis que l’évolution va dans n’importe quel sens…).

Il y a aussi les proches cousins des tétrapodes, les dipneustes, qui possèdent une belle tronche de poiscaille mais qui pourtant possèdent, en plus de leurs branchies, un joli petit poumon qui lui permet de respirer à l’air libre. Par contre, s’il gambade avec ses grosses nageoires charnues, c’est uniquement sous l’eau et dans la vase.

Mais bon, le cas du Dipneuste n’est pas vraiment un cas de convergence évolutive puisque les tétrapodes ont hérité de poumons et de membres homologues à ceux trouvés chez les dipneustes. Voyons voir ce qui se passe du côté des poissons qui sont adaptés à respirer hors de l’eau, mais sans poumons! (et on ne compte donc pas les poissons qui font un court séjour hors de l’eau, mais sans respirer, comme les grunions lors de la parade amoureuse)

Commençons d’abord par les blennies, comme le curieux bonhomme ci dessus, Alticus saliens, qui peut parfaitement respirer hors de l’eau, et y passe le plus clair de son temps pour échapper à ses prédateurs et attraper de belles proies. Par contre, niveau locomotion, notre ami Alticus a choisi le saut en hauteur plutôt que la bête marche à nageoire… Encore une fois, les voies de l’évolution sont imprévisibles…

Il y a même certains poissons qui ont perdu totalement la capacité de respirer sous l’eau à force de faire les malins et de rester près de la surface. C’est par exemple le cas de l’anguille électrique dont Vran nous avait parlé il y a quelque temps, dans le cadre d’un autre cas de convergence évolutive. Les anguilles électriques doivent donc prendre une goulée d’air à la surface toutes les 10 minutes…

Dans le genre plus flippant, il y a les Channas comme Channa argus, des poissons carnivores dont la prolifération (et le fait qu’ils respirent et se promènent sur terre) en font une espèce invasive à surveiller. Ils appartiennent à un groupe cousin de toute une famille de poissons, les Anabantidés, qui utilisent un organe spécial situé dans la tête et appelé le labyrinthe pour respirer l’air de la surface et ainsi compenser le manque d’oxygène des eaux dans lesquelles ils vivent.

Version plus gentil, il y a les gouramis anabas qui peuvent respirer et marcher hors de l’eau pendant près de 8 heures :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et bon, j’ai laissé le meilleur pour la fin avec le cas merveilleux des poissons grenouille (Les poissons-grenouilles avaient déjà pointé le bout de la nageoire sur SSAFT, dans un commentaire illustré). Cette fois-ci la respiration de ces étranges poissons est assurée par la peau, à l’instar des amphibiens !

Voici donc un peu plus de détails sur les défis quotidiens que doivent relever mes poissons amphibie-préférés, les poissons grenouilles ou Oxudercinae, narrés par le naturaliste qu’on ne présente plus, Sir David Attenborough. Dans la vidéo ci-dessous, vous découvrirez deux espèces de poissons amphibie, Boleophthalmus pectinirostris et Periophthalmus modestus dont le train de vie vous laissera pantois !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Transcription:

Un poisson grenouille (Mudskipper – sauteur de vase), un poisson qui passe la plupart de sa vie hors de la mer. Il peut marcher sur la terre et respirer à l’air libre. Sa vie est très différente de la vie de la plupart des autres poissons. Un poisson hors de l’eau, certes, mais ils prospèrent ici au Japon.

Qu’est ce qui a rendu ce changement d’habitat avantageux ? La réponse se trouve dans la boue. Lorsque la marée se retire, elle laisse un dépôt vaseux. La lumière du soleil frappe le limon fertile et des petits animaux et plantes se développent. Une source de nourriture pour le poisson-grenouille.

Mais la vie sur la terre ferme n’est pas dénuée de problèmes. Trouver un partenaire sexuelle est une tâche ardue ! Sauter haut par dessus la vase permet de se faire remarquer. Avec des yeux perchés sur le dessus de leur tête, les poissons grenouilles gardent un œil vigilant pour débusquer leurs amis ou leurs ennemis. Et le mâles combattent ceux qui s’introduisent sur leur territoire. Ils doivent aussi prendre garde à ne pas se dessécher sous le soleil. Rouler dans la vase permet de garder la peau au frais et humide.

Pour cette espèce plus petite, une meilleure alternative est de se retirer sous le sol. Il se creuse donc un tunnel dans la boue. Ces amas de déblais permettent d’appréhender l’étendue de ses excavations. À cause des marées qui inondent le tunnel deux fois par jour, la maintenance est un véritable calvaire.

Le tunnel est plus qu’un simple refuge contre le soleil. Il sert un autre but très important. Le tunnel prend en fait la forme d’un U et le bout du tunnel correspond à une chambre close dont les murs sont bordés d’œufs. Les œufs sont gardés à l’air libre du fait que l’air est plus riche en oxygène que l’eau. Le problème c’est que l’air qui est piégé dans la chambre ne durera pas longtemps. Donc le mâle va nager jusqu’à l’autre extrémité du tunnel pour prendre une gorgée d’air frais. Il repart ensuite à travers le tunnel et relâche sa gorgée dans la chambre-couveuse, réapprovisionnant d’oxygène l’atmosphère de la chambre pour que les œufs survivent. Il répètera la procédure des centaines de fois jusqu’à ce que ses œufs éclosent. Ce style de vie est très contraignant mais le poisson grenouille semble avoir trouvé un moyen de contourner tous les problèmes.

Références:

A Locomotor Innovation Enables Water-Land Transition in a Marine Fish.” By Shi-Tong Tonia Hsieh. Public Library of Science ONE, Vol. 5 No. 6, June 18, 2010.

Larson H.K., Jaafar Z. and Lim K.K.P., 2008 – An annotated checklist of the gobioid fishes of Singapore – The Raffles Bulletin of Zoology, 56(1): 135–155.

Liens:

Article BoingBoing

The Mudskipper

BBC Life et la scène des Mudskippers en détail

Images FlickR CC by-sa-nc : lamont_cranston,  Wikimedia Commons CC-by-sa M. Garde, Nobu Tamura, Steven G. Johnson, FlickR CC-ny-nd-sa meckert75 et Domaine public (USGS)

>> Article initialement publié sur SSAFT

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http://owni.fr/2011/03/03/levolution-des-poissons-amphibies/feed/ 0
Singer est-il le propre de l’Homme? http://owni.fr/2011/01/27/singer-est-il-le-propre-de-l-homme/ http://owni.fr/2011/01/27/singer-est-il-le-propre-de-l-homme/#comments Thu, 27 Jan 2011 11:23:22 +0000 xochipilli http://owni.fr/?p=33977 L’acquisition de comportements nouveaux n’est pas propre à l’espèce humaine, tout le monde en convient désormais tant les preuves d’acculturation abondent dans le règne animal (voir par exemple des exemples dans ce billet). Pourtant ce constat pose une énigme: pourquoi cette “culture” animale serait-elle restée aussi rudimentaire chez des animaux aussi intelligents que les singes, les dauphins ou les corbeaux ?

Oiseau vole !

Le dernier bouquin de Michel de Pracontal (Kaluchua) constitue un bon point de départ pour cette question, même si pour défendre l’idée de culture animale il caricature parfois la prudence de certains évolutionnistes à ce propos. Prenons par exemple cette incroyable histoire des mésanges de Swaythling (dans le sud de l’Angleterre): un beau matin de 1927 une mésange un peu plus douée que les autres découvrit comment becqueter le lait des Swaythlinguiens (?), en perçant la capsule des bouteilles qu’on déposait le matin devant leur porte. Cette forme de racket aviaire s’est propagé dans toute la ville puis dans la ville voisine et a finalement gagné tout le pays de proche en proche, comme une épidémie. Elle ne cessa qu’en 1949, lorsqu’on changea le système de fermeture des bouteilles.

Le seul hasard ne pouvant expliquer une telle propagation d’un comportement nouveau, on fut tenté de supposer que les oiseaux se repassaient la combine d’une manière ou d’une autre. Pracontal y voit là la toute première découverte d’une évolution “culturelle” dans le monde animal, au motif que “les mésanges n’ont pas évolué pendant des centaines de milliers d’années pour devenir des spécialistes de l’ouverture des bouteilles de lait. De plus le procédé de décapsulage observé [qui peut varier selon le type d’encapsulage] ne correspond pas à la séquence stéréotypée qui caractérise l’action instinctive”. L’argument me semble un peu léger. D’abord aucun biologiste à ma connaissance ne prend les oiseaux ou les mammifères pour des robots incapables d’adapter leur comportement à une nouveauté. Par ailleurs, pour affirmer que l’on a affaire à un phénomène véritablement “culturel” chez les mésanges, il faudrait prouver qu’elles se sont bien transmises cette pratique de l’une à l’autre. Or on peut envisager d’autres explications à cette recrudescence de vols laitiers.

Culture ou mise en avant d’un stimulus?

Imaginons par exemple qu’une mésange chapardeuse, repue après tant de ripaille, laisse derrière elle une bouteille ouverte. Arrive une seconde mésange au casier judiciaire encore vierge. “Miam! Du lait dans la bouteille!” Motivée par cette première expérience, notre mésange est tentée de s’attaquer à toutes les bouteilles pleines qu’elle trouve sur son chemin et a de bonnes chances de trouver toute seule comme percer leur capsule. Dans ce scénario les mésanges ne se copient pas les unes les autres, elles redécouvrent chacune la même pratique par elles-mêmes, parce que l’environnement favorise cet apprentissage à la chaîne. Dans les années 1980, des chercheurs anglais ont fait l’expérience en laboratoire et ont montré qu’un tel scénario tient tout à fait la route. Il faut donc chercher ailleurs des exemples probants d’une vraie transmission culturelle chez les animaux.

Les bonnes patates salées

Aurait-on plus de chance avec nos cousins les singes? L’île de Koshima au Japon héberge une colonie de macaques que les chercheurs étudient et nourrissent avec des patates depuis les années 60. Un jour, une femelle découvrit par hasard que les patates avaient meilleur goût quand on les plongeait dans l’eau de mer avant de les manger. Cette pratique s’est lentement diffusée dans la colonie et perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce sont les enfants qui adoptent ce comportement au contact de leur mère car les adultes sont beaucoup plus rétifs au changement (tiens tiens!).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pracontal y voit là une manifestation culturelle évidente. Mais y a-t-il vraiment transmission de savoir-faire? Là encore, pas mal de chercheurs sont sceptiques et privilégient une autre piste: étant souvent au bord de la mer à l’heure du repas, les petits macaques ont toutes les chances de redécouvrir par eux-mêmes l’intérêt de tremper leurs patates dans la mer. L’environnement parental favorise peu à peu l’adoption de nouveaux comportements. Cet apprentissage par “émulation sociale” expliquerait au passage pourquoi cette pratique se diffuse plus lentement que si les animaux s’imitaient directement les uns les autres.

Pas de cumul d’innovations sans imitation…

Émulation, imitation… on ergote pensez-vous sans doute. Pas tant que ça. L’hypothèse de l’apprentissage par émulation sociale suppose que chaque animal doive tout apprendre en partant de zéro et ne puisse s’inspirer de ce que les autres ont déjà découvert. Ce scénario exclut donc tout cumul de pratiques innovantes. Si l’homme avait appris à tailler les pierres de cette façon, c’est-à-dire si chaque individu avait dû redécouvrir toute la technique par lui-même au contact de ses congénères, on ne serait pas allé bien loin. Dans cette configuration en effet, si un individu trouvait le moyen d’améliorer cette technique il n’aurait eu aucun moyen de transmettre cette innovation à ses pairs. C’est évidemment beaucoup plus facile si l’apprentissage se fait par imitation des détails du geste de l’autre. L’imitation est donc la seule manière d’accéder à une évolution cumulative des comportements. Le débat sur la capacité à imiter n’est donc pas du tout une bataille sur le sexe des anges, il est au cœur de ce qui pourrait nous distinguer des autres animaux.

Les singes singent-ils?

Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos rats. En 2006, une expérience astucieuse semble enfin indiquer que les rats savent s’imiter entre eux:

Source: Carlier& Jamon, Observational Learning in C57BL/6j Mice (2006)

Paradoxalement ce résultat a eu plus de mal à être mis en évidence chez les singes. Dans un article célèbre écrit en 1990, des chercheurs italiens ont affirmé que des singes capucins ne savent pas reproduire une séquence de gestes qu’ils observent pour obtenir une récompense. Cette affirmation prête pourtant à controverse. D’une part l’expérience en laboratoire sur des singes a ses limites :
- les animaux sont des adultes, donc peut-être moins enclins à apprendre que des jeunes
- la captivité n’est sans doute pas le milieu le plus propice à l’apprentissage.
- le démonstrateur est un humain et non pas un singe parent de l’animal censé l’imiter.
D’autre part, d’autres expériences ont abouti au résultat inverse toujours avec des singes capucins.

Chez les capucins aussi, le chef a toujours raison!

Source: Dindo&Al (2009)

Deux mâles dominants furent entraînés à faire fonctionner un distributeur de nourriture, chacun par une méthode différente (soit en faisant coulisser, soit en soulevant une manette). On les replaça ensuite avec des distributeurs au sein de leur clan. Au sein de chaque clan les autres capucins apprirent rapidement à utiliser le distributeur, mais alors que la plupart découvrit la deuxième méthode d’ouverture, l’immense majorité se contenta d’utiliser la même méthode que le chef (toute analogie avec les humains…)

Les us et coutumes des chimpanzés

Avec ce très bel exemple de conformisme culturel, reproduit avec succès sur des chimpanzés, on tiendrait enfin le début de preuve tant recherché que les singes savent s’imiter entre eux. En réalité, ceux qui étudient les animaux sur le terrain plutôt qu’en laboratoire le savent depuis belle lurette. Comme le rappelle Pracontal, la comparaison entre les mœurs des chimpanzés en Tanzanie et en Guinée (cartographie de gauche, source en pdf) est éloquente:: “A Bossou, en Guinée quand deux femelles adultes se rencontrent après avoir été séparées quelque temps, elles se font mutuellement un toucher génital. Ce n’est pas sexuel, c’est une forme de salutation, mais elle est particulière à ce site et ne se pratique pas à Mahale [en Tanzanie]. A Bossou, pour attirer une femelle, un mâle tape sur une branche avec son talon, ce qui produit un son retentissant. A Mahale, le geste est différent, effectué avec la plante du pied (…) A Mahale, le pou est enlevé avec une feuille. A Taï, le chimpanzé utilise son index mais écrase le parasite sur son avant-bras et non sur sa paume [comme à Bossou]. Ces comportements dont on a sous-estimé l’importance sont beaucoup plus fréquents que les inventions technologiques qui ont occupé le devant de la scène des cultures animales. D’après Nakamura et Nishida, ces petits gestes culturels sont le ciment du groupe. Leurs subtiles variations n’ont aucune utilité fonctionnelle, mais elles définissent l’identité du groupe. Et témoignent de son histoire singulière.”
Ce constat soulève néanmoins une question que Pracontal n’aborde pas: pourquoi dans ces conditions les comportements culturels des chimpanzés sont-ils restés aussi frustres? Pourquoi ces singes qui montrent par ailleurs une intelligence extraordinaire n’ont-ils pas réussi à cumuler les innovations, à sophistiquer leurs rites?

Les limites de l’imitation chez le chimpanzé

Personne n’a de réponse vraiment claire à cette question mais il semble quand même que la capacité d’imitation des chimpanzés soit à la fois plus limitée et moins utilisée que celle des humains. Par exemple, on a montré dans une expérience faite en 1993 à des chimpanzés captifs comment récupérer de la nourriture à l’extérieur de leur cage au moyen d’un râteau avec les dents tournées vers le haut. Les chimpanzés ont bien essayé d’utiliser le râteau mais pas forcément dans le bon sens, alors que de jeunes enfants y sont parvenus sans problème dès l’âge de deux ans. Les chimpanzés semblent donc capables en observant un modèle, de faire le lien entre un objet, un mouvement et un résultat – c’est ce qui expliquerait les résultats obtenus avec les capucins- mais ils ont plus de difficulté à imiter exactement les détails du geste dès qu’il se complique un peu. Autrement dit ils se concentrent sur le résultat plus que sur le procédé.
Cette limite est spectaculairement mise en évidence dans une expérience devenue célèbre: on montre à un chimpanzé (ou à un jeune enfant) comment sortir une récompense d’une boîte (soit opaque, soit transparente) en faisant toutes sortes d’actions sur cette boîte, certaines utiles et d’autres non.
- Lorsque la boîte est opaque, on ne peut distinguer quelles actions sont utiles ou pas. Les chimpanzés refont la séquence complète d’actions pour obtenir la récompense, aussi bien que les humains. Preuve une fois de plus, que le chimpanzé sait imiter par observation les mouvements simples.
- Par contre, quand la boîte est transparente et qu’on voit quelles actions sont manifestement inutiles, les enfants refont quand même la totalité des actions du modèle adulte alors que les chimpanzés sautent les étapes inutiles.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dès qu’il pense comprendre comment ça marche, le chimpanzé cesse d’imiter le procédé avec exactitude et il recherche la solution par lui-même. Il privilégie donc naturellement l’apprentissage par émulation sociale. Les enfants, eux, accordent plus d’importance aux intentions et aux méthodes et imitent spontanément leur modèle. Il me paraît extraordinaire que la rationalité dans cette expérience soit du côté de l’animal plutôt que de l’homme, mais en occurrence cette irrationalité humaine semble bien au cœur de notre capacité à innover, à cumuler les changements culturels et les rites compliqués. Copier “bêtement” serait-il le propre de l’homme et la condition de son extraordinaire créativité?

Sources:

Michel de Pracontal, “Kalucha” (2010)
Le cours de cognition comparée de Roland Maurer (Université de Genève, en pdf)
Cultural evolution, l’excellent cours de l’Université de Sussex

>> Article initialement publié sur Le Webinet des curiosités

>> Photo FlickR CC : laurinkofler

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Le gotha des medias se réunit pour parler du web payant http://owni.fr/2010/11/10/le-gotha-des-medias-se-reunit-pour-parler-du-web-payant/ http://owni.fr/2010/11/10/le-gotha-des-medias-se-reunit-pour-parler-du-web-payant/#comments Wed, 10 Nov 2010 17:02:12 +0000 StreetPress http://owni.fr/?p=35206 Article de Johan Weisz initialement publié sur StreetPress sous le titre “À Avignon le gotha des medias et de l’entertainment veut passer du gratuit au payant quitte a vendre Kant comme du yaourt”

Avignon (84) - « Il faut aider ces braves gens ». C’est Maurice Lévy qui lance cette incantation au micro, alors que 400 têtes suivent du regard le patron de Publicis, qui marche au centre de la Salle du Conclave du Palais des Papes. Ces « braves gens » ? Les Bertelsmann (M6, RTL Group, Freemantle) ou autres Vivendi (Canal+, SFR, Universal, Activision) et Viacom (MTV, Paramount, Dreamworks) qui se retrouvent depuis 3 ans pour un week-end au Forum d’Avignon, sorte de Davos des médias, de la communication et de la culture.

« Aider ces braves gens », donc… à faire du business. Car les industriels de la culture continuent à s’agacer devant The Pirate Bay, et se disent qu’ils ont manqué un train en lorgnant du côté de Spotify. Pendant tout un après-midi, ils ont prêché le passage du « gratuit au payant » – plus exactement :

Comment est-ce qu’on peut faire aussi attractif que le gratuit (…) mais en le faisant payer ? dixit Alain Sussfeld, le directeur général d’UGC, en mode marketeur fou

Les gourous du business digital à la barre

L’après-midi intitulée « du gratuit au payant » se lance avec un film de promo pour le micro-paiement. Et Bruno Perrin, associé chez Ernst & Young, cravate bleue (c’est le dresscode à Avignon cette année) et costard noir, embraye en expliquant combien les médias doivent « reprendre le contrôle sur les prix et sur les marges ». Le consultant tente un effort de vulgarisation qui part en sucette :

Je ne sais pas si ça va devenir fashionable de payer… Mais ne pas payer va devenir ringard… Euh… en tout cas, il va falloir que payer devienne fashionable.

Le micro-paiement, un allôpass like pour le mobile

Les premières pistes de l’après-midi : Le micro-paiement et le téléphone mobile (« l’instrument idéal pour la monétisation des contenus », selon Vincent de la Bachelerie de Ernst & Young), le développement de « médias de services de masse » (« si les gens ne sont plus prêts à payer pour un contenu, ils peuvent être prêts à payer pour un service »… c’est l’info on demand) et pour cela, explique le consultant d’Ernst & Young… « s’appuyer sur des entreprises comme Publicis pour développer la stratégie marketing et les nouvelles politiques organisationnelles » (Parenthèse LOL : Publicis est le « producer » du Forum d’Avignon, qui a commandé l’étude Ernst & Young).

En même temps qu’on prend ce cours de business digital, on rigole bien avec Maurice Lévy (cravate bleue) et Hartmut Ostrowki, le PDG de Bertelsmann (cravate bleue à losanges), quand Maurice se remémore la soirée passée ensemble « chez quelqu’un de vraiment très pauvre… devinez qui ? Bill Gates ».

« Il ne faut pas que ça soit compliqué pour le client de dépenser son argent »

La blague ayant fait son effet, seconde salve de recommandations, avec le PDG allemand de Bertelsmann : « Pour réussir dans l’environnement numérique, il ne suffit pas de présenter les vieux contenus dans un nouvel emballage ». Non, il faut proposer des « contenus uniques et exclusifs », mais aussi « faciles à utiliser » : « Il ne faut pas que ça soit compliqué pour le client de dépenser son argent ». Message reçu cinq sur cinq.

Un forum sur le numérique, mais pas trop quand même

Là où le Forum d’Avignon nous laisse dubitatif, c’est qu’on n’est pas certain que les grands décideurs qui se penchent sur les mutations de l’ère numérique aient tout saisi : Pas de Twitter ou de Facebook pour un Forum consacré cet année aux « nouveaux accès et nouveaux usages à l’ère numérique ». La connexion wifi lague à mort dans la salle de conférence, impossible de tweeter depuis son PC.

Et les doctorants de l’Insead ou de la London School of Economics et la cinquantaine d’autres étudiants invités devront rester entre eux pendant les principaux moments d’interactions (cocktails, repas, etc.)… comme si on n’avait pas réalisé que les digital natives qui sont passés de eMule à Spotify, tout en restant allergiques à Hadopi, c’était eux !

Clash générationnel

Et c’est vrai aussi que quand le philosophe marocain Bensalem Himmich en remet une couche au micro contre les jeunes et la gratuité, ça sent le clash générationnel (à se demander si son exhortation porte sur la fin de la gratuité ou la fin des jeunes) :

« Il ne faut plus parler de gratuité, maintenant il faut en finir, les jeunes profitent de cartes pour le théâtre, le cinéma…. », s’énerve le philosophe.

Les groupes médias renforcés

Les industries des médias avaient voulu nous faire flipper (le piratage menacerait les fondements du système) mais ici, au Forum d’Avignon, on assure au contraire que

« la valorisation boursière des entreprises de média a beaucoup augmenté » ces derniers mois (Hartmut Ostrowki).

L’industrie traditionnelle des contenus protégée par des barrières à l’entrée

Le PDG de Vivendi Jean-Bernard Lévy (cravate bleue à rayures) est quant à lui convaincu que les gros acteurs de l’industrie des contenus ont peu de choses à craindre : elles sont de plus en plus protégées par des « barrières à l’entrée de plus en plus élevées » : Canal+ et son demi milliard investi chaque année dans les droits des retransmissions du sport et le cinéma, ou les coûts de développement d’un jeu vidéo, entre 30 et 40 millions d’euros… « On va vers des modèles dominants », assure Jean-Bernard Lévy

Le patron de Bertelsmann « croit dans l’avenir des grands »

Du côté de Bertelsmann, Hartmut Ostrowki juge que « la menace que fait peser l’internet sur la télévision n’est pas si grande : les 25 – 35 ans regardent aujourd’hui plus la TV que les 15 – 25 ans il y a 10 ans. Les gens découvrent de plus en plus la TV en vieillissant ».

Surtout, la « concentration des médias est croissante », assure-t-il : Par exemple, dans l’édition numérique où les best-sellers l’emporteraient largement sur la longue traîne ou même pour l’entertainment en ligne : « Les 10 shows télévisés les plus populaires aux Etats-Unis représentent 5% de l’audience à la télévision, contre 20% sur Internet… cette concentration est une opportunité »… Et Ostrowski de reprendre un peu plus tard : « Je crois dans l’avenir des grands, des forts, des grandes marques ».

Bref tout va bien et « les gens consomment Kant comme du yaourt »

Le directeur général du groupe Le Figaro reprend la balle au bon : « Les sites des quotidiens se sont imposés et sont très loin devant les sites des pure players [les sites d’information non issus d’un média traditionnel, ndlr] qui sont très loin derrière », s’enthousiasme Francis Morel, rejoint par Maurice Lévy :

« les “pure players”… moi je parlerais plutôt d’”outsiders” ».

À Avignon, les patrons des grands groupes médias sont formels : tout va bien.

Et la conclusion revient à Maurice Lévy :

« Le numérique ce sont des tuyaux qui démocratisent l’accès aux biens (…) et donc les mettent à la portée des gens quel que soient l’usage qu’ils en fassent. Et si les gens consomment Kant comme du yaourt, ce n’est pas très grave.

>> Article initialement publié sur StreetPress

>> Source: A Avignon, Johan Weisz

>> Illustration FlickR CC : Leonard John Matthews

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La photographie est-elle encore moderne? http://owni.fr/2010/04/06/la-photographie-est-elle-encore-moderne/ http://owni.fr/2010/04/06/la-photographie-est-elle-encore-moderne/#comments Tue, 06 Apr 2010 15:31:10 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=11717 481030442_ede95597b7

Le monde de la photographie éprouve aujourd’hui un paradoxe nouveau. Il a absorbé dans la pratique le choc de la numérisation, sa plus importante mutation technologique depuis l’invention du négatif (Talbot, 1840). Mais il reste fortement attaché à ses symboles traditionnels et montre une résistance surprenante à admettre ou à faire valoir cette évolution dans ses représentations.

Les effets de la numérisation peuvent être expliqués par sa principale caractéristique: la dématérialisation du support. Tout comme la notation écrite a permis la reproduction et la diffusion des messages linguistiques, la transformation de l’image en information la rend indépendante du support matériel, qui n’en est qu’un véhicule temporaire.

Cette transformation a quatre conséquences majeures. Elle modifie de façon radicale les conditions de l’archivage des documents, désormais intégrables à des bases de données numériques, ce que je caractériserai par leur indexabilité. Elle préserve la capacité de modifier les photographies après-coup, créant une continuité entre la prise de vue et la post-production, soit une nouvelle versatilité. Elle facilite leur télécommunication instantanée, les faisant accéder à une forme d’ubiquité. Elle permet leur intégration aux contenus diffusables par internet, et consacre ainsi leur universalité.

Partagées avec toutes les autres sources numériques, ces propriétés apportent à l’image fixe un ensemble de bénéfices pratiques, techniques et économiques dont l’ampleur est sans précédent. Or, tout se passe comme si le domaine photographique s’était figé dans une sorte d’académisme culturel, camouflant les évolutions apportées par la numérisation derrière la continuité revendiquée de ses pratiques et de ses modèles dominants.

Une révolution invisible?

Il n’est pas rare que les évolutions technologiques engendrent des mutations culturelles dans les pratiques professionnelles. L’histoire fournit de nombreux exemples de ces périodes de crise, qui prennent l’aspect de la fameuse “querelle des Anciens et des Modernes” – autrement dit la polarisation en deux camps des adversaires et des partisans du changement, ainsi que l’émergence d’un théâtre de la dispute, qui assure la publicité des débats.

Loin de constituer un phénomène exceptionnel, la résistance à l’innovation est au contraire le symptôme le plus régulier d’un processus de transition culturelle. Elle est d’autant plus forte que les modifications demandées aux acteurs sont importantes et que le rythme du changement est rapide.

Présentée sous la forme inédite d’une technologie accessible au grand public, la photo témoigne d’une aptitude incontestable à accueillir l’innovation. Son apparition elle-même a suscité la colère des graveurs, des dessinateurs ou des miniaturistes, professions menacées par la nouvelle venue.

D’abord snobé en 1851 par la Société héliographique, première association du champ photographique, le collodion humide s’impose en une poignée d’années comme le nouveau standard. Son successeur, la plaque sèche, qui suscite en 1880 réticences et quolibets de la part des photographes professionnels, s’installe dans la pratique courante dès 1886.

Perçu comme un gadget au début des années 1930, le film 35 mm est rapidement adopté par la jeune génération, qui fait du Leica «l’appareil préféré des reporters opérant en situation d’urgence» (Chéroux, 2008). Ce n’est pas la première fois que la photographie doit faire face à une évolution majeure. Elle a toujours su s’adapter dans des délais relativement brefs.

La révolution numérique, qui affecte le domaine photographique de manière sensible depuis le début des années 1990, ne s’inscrit pas dans cette généalogie. Indicateur de l’évolution des pratiques, le remplacement des matériels s’est considérablement accéléré depuis 2003.

En 2009, le parc actif des équipements de prise de vue en France est estimé à près de 45 millions d’appareils numériques (dont 18,7 millions de camphones) pour 12,3 millions d’argentiques (dont 5,3 millions d’appareils jetables). Depuis 2008, les organismes spécialisés ont cessé de tenir la statistique du marché des appareils argentiques neufs, dont le volume n’est plus considéré comme significatif. Sur le terrain, pour la photo amateur comme pour la photo de presse, la messe est dite – les pixels ont remporté la bataille.

Pourtant, du côté des manifestations publiques de l’activité photographique, on pourrait en douter. Alors que le cinéma, avec la 3D, argument-clé de l’évolution de la filière, a su promouvoir une image attractive de son rapport aux nouvelles technologies, alors que la consultation musicale via le podcasting ou les portails en ligne est désormais intégrée à l’offre commerciale, la photographie reste étrangement en retrait, incapable de valoriser les évolutions réelles de sa pratique.

Organisé par l’association Gens d’images depuis 1999, le prix Arcimboldo, dédié à la création numérique, demeure une manifestation discrète. Une seule exposition thématique notable a été proposée en 2007 par le musée de l’Elysée de Lausanne, sous le titre: “Tous Photographes! La mutation de la photographie amateur à l’heure numérique“. En revanche, les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, principal festival du secteur, affichent cet été parmi leurs thématiques “Les esthétiques qui disparaissent avec le numérique”. Un avis comme celui que j’ai pu exprimer en 2006: “Flickr, l’une des choses les plus importantes qui soit arrivée à la photographie” (Gunthert, 2006) est resté une prise de position isolée.

Après le colloque “Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels“, proposé par l’Ecole Louis-Lumière au Sénat, qui a accordé une place généreuse aux regrets des professionnels installés (avec notamment la projection de l’”autodafé” tragicomique de Jean-Baptiste Avril), plusieurs photographes ont tenu à m’assurer en privé que cette déploration complaisante n’était pas représentative de l’esprit de la jeune génération. Le fait est que celle-ci n’a aujourd’hui guère de support ni de porte-paroles visibles.

Faute d’une mobilisation plus affirmée des acteurs du renouvellement, les effets de la numérisation dans le champ photographique se résument, dans le débat public, à l’antienne de la concurrence des amateurs et à la dénonciation de la retouche.

Le dogme de l’objectivité menacé par Photoshop

La recherche de boucs émissaires en période de crise est un réflexe compréhensible. Mais les difficultés économiques de la filière relèvent d’un ensemble de causes autrement plus complexes que le rôle fantasmé des amateurs.  Ajoutons que la présence de l’image dans l’espace public, via les supports de publicité ou d’information, a habitué nos contemporains à la consommation sans coût apparent d’une ressource qui semble abondante, bien avant la gratuité des contenus sur internet. Les difficultés que rencontrent aujourd’hui les professionnels proviennent d’abord des pratiques qu’ils ont eux-mêmes contribué à mettre en place.

La récurrence de l’interdit de la retouche, encore manifestée récemment par l’exclusion d’un lauréat du World Press Photo, forme un symptôme plus inquiétant. On se souvient qu’avant même la diffusion de la photographie numérique, l’apparition de logiciels de traitement d’image avait suscité l’émoi des spécialistes. Dans L’Œil reconfiguré, William Mitchell évoquait dès 1992 l’entrée dans «l’ère post-photographique», indiquant combien les destinées du médium et de la retouche paraissaient interdépendantes.

Retouche dimage, concours Lathlète complet, Le Journal, 1913 (cliquer pour agrandir).

Retouche d’image, concours “L’athlète complet”, Le Journal, 1913 (cliquer pour agrandir).

La retouche numérique s’inscrit pourtant pleinement dans la continuité des pratiques photographiques professionnelles, où le travail du matériau visuel est un impératif aussi évident que celui du signal sonore pour la musique enregistrée. Contrairement aux affirmations organicistes de théoriciens improvisés, l’inquiétude provoquée par l’irruption de Photoshop n’est pas la conséquence de la versatilité nouvelle du support, mais plutôt celle de la visibilité inédite du post-traitement, désormais exposé aux yeux de tous.

En consultant les ouvrages de référence du siècle passé, les étudiants des années 2010 seront surpris de constater que Roland Barthes pas plus que Susan Sontag ou Rosalind Krauss n’évoquent dans leurs travaux l’existence de la retouche. Ce t aveuglement est le résultat d’une longue hypocrisie du monde professionnel qui, réservant les secrets de fabrication de l’image photographique aux initiés, a réussi à imposer le postulat de son authenticité “naturelle”. Seule Gisèle Freund, avec une lucidité rare, écrivait dès 1936:

«La photographie, quoique strictement liée à la nature, n’a qu’une objectivité factice. La lentille, cet œil prétendu impartial, permet toutes les déformations possibles de la réalité, parce que le caractère de l’image est chaque fois déterminé par la façon de voir de l’opérateur. Aussi l’importance de la photographie, devenue dynamique sous la forme du film, ne réside-t-elle pas seulement dans le fait qu’elle est une création, mais surtout dans celui d’être un des moyens les plus efficaces de détourner les masses des réalités pénibles et de leurs problèmes.»

Depuis Photoshop, il est plus difficile de glisser la retouche sous le tapis. Plus difficile, mais pas impossible, comme le prouve l’argumentaire développé au cours d’une édition d’Envoyé spécial, diffusé le 10 décembre 2009 sur France 2. En distinguant avec soin les secteurs frivoles du portrait de studio, de la mode et de la publicité (où le post-traitement peut se déployer en toute liberté), du seul domaine qui compte, celui de l’information (où l’on souligne que la retouche reste proscrite), le reportage applique la tactique classique de l’exception circonstancielle, qui a maintes fois sauvé la légitimité menacée du médium (Gunthert, 2008).

En cette matière, la confusion est telle qu’il est nécessaire de l’énoncer clairement: non, la versatilité n’est pas une menace pour la photographie, mais bien une puissance mise à la disposition de la création. La véracité de l’enregistrement n’est garantie a priori par aucun paramètre technique, mais seulement par l’éthique de l’auteur.

Dans le domaine de l’information – symbole de la pratique photographique –, tout comme la latitude d’expression d’un journaliste ne fait pas obstacle à l’exactitude, il faut admettre qu’un photographe ne restitue qu’une vision de l’événement, et que celle-ci ne comporte pas moins de marques de subjectivité que son équivalent écrit. Enfin, contrairement au dogme, le photoreportage, marqué depuis ses origines par la contamination avec l’illustration et les artifices rhétoriques (Gervais, 2007), ne constitue nullement l’alpha et l’oméga du document visuel, mais plutôt le successeur de la peinture d’histoire, dont le rôle est de représenter les événements conformément aux attentes de la culture dominante.

La versatilité est une chance pour la photographie de secouer l’évangile pesant de l’automatisme, qui entrave depuis si longtemps l’aveu de sa dimension graphique. Comme dans les années 1920, lorsque László Moholy-Nagy repérait les prémices de la “Nouvelle vision”, c’est dans la publicité qu’on trouvera aujourd’hui l’expérimentation d’une liberté où s’esquissent les contours de la nécessaire auteurisation de la photographie.

Si l’on est attentif à l’évolution des attentes des contemporains, et qu’on s’aperçoit qu’une œuvre signée a désormais plus de crédibilité qu’un document soi-disant impartial, on comprendra que la subjectivité, loin d’être l’ennemie de l’authenticité, en constitue aujourd’hui le meilleur garant. Il ne manque qu’un Moholy-Nagy pour déployer les atouts de ce nouveau paysage.

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Intervention dans le cadre du colloque “Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels”, Ecole Louis-Lumière, Paris, 29 mars 2010.

Références

> Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson. Le tir photographique, Paris, Gallimard, 2008.

> Patrice Flichy, L’Innovation technique, Paris, La Découverte, 1995.

> Gisèle Freund, La Photographie en France au XIXe siècle. Essai de sociologie et d’esthétique, Paris, La Maison des Amis des livres/A. Monnier, 1936.

> Thierry Gervais L’Illustration photographique. Naissance du spectacle de l’information, 1843-1914, thèse de doctorat d’histoire, Lhivic/EHESS, 2007 (en ligne: http://culturevisuelle.org/blog/4356).

> André Gunthert, “Flickr, l’une des choses les plus importantes qui soit arrivée à la photographie” (propos recueillis par Hubert Guillaud), InternetActu, 8 juin 2006 (http://www.internetactu.net/…).

> André Gunthert, “Sans retouche. Histoire d’un mythe photographique”, Etudes photographiques, n° 22, octobre 2008, p. 56-77 (en ligne: http://etudesphotographiques.revues.org/index1004.html).

> Lucie Mei Dalby, Stéphanie Malphettes, Charles Baget et. al., “Photos en trompe-l’œil” (vidéo, 30″), Agence Capa, 2009, diffusé le 10/12/2009 sur France 2.

> William J. Mitchell, The Reconfigured Eye. Visual Truth in the Post-Photographic Era, Cambridge, Londres, MIT Press, 1992.

> László Moholy-Nagy, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie (1927, trad. de l’allemand par C. Wermester et al.), Paris, Gallimard, 2006.

> Amélie Segonds, Indexation visuelle et recherche d’images sur le Web. Enjeux et problèmes, mémoire de master, Lhivic/EHESS, 2009 (en ligne: http://culturevisuelle.org/blog/4118)

> Article initialement publié sur Culture Visuelle

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Métamorphoses de l’évolution. Le récit d’une image http://owni.fr/2010/03/25/metamorphoses-de-l%e2%80%99evolution-le-recit-d%e2%80%99une-image/ http://owni.fr/2010/03/25/metamorphoses-de-l%e2%80%99evolution-le-recit-d%e2%80%99une-image/#comments Thu, 25 Mar 2010 10:56:11 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=10801 Illustration de couverture de la traduction hollandaise de louvrage de Stephen Jay Gould, Ever Since Darwin (Honderd jaar na Darwin, 1979).

Illustration de couverture de la traduction hollandaise de l'ouvrage de Stephen Jay Gould, Ever Since Darwin (Honderd jaar na Darwin, 1979).

Dans La Vie est belle, le paléontologue Stephen Jay Gould note que “l’iconographie au service de la persuasion frappe (…) au plus profond de notre être”. Pour introduire à une réflexion d’envergure sur l’histoire de la vie, le savant s’en prend à une illustration: la fameuse “marche du progrès”, dont il reproduit plusieurs parodies. La succession des hominidés en file indienne, “représentation archétypale de l’évolution – son image même, immédiatement saisie et instinctivement comprise par tout le monde”, propose une vision faussée d’un processus complexe.

“L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches (…). Elle ne peut pas du tout être représentée par l’échelle d’un progrès inévitable.”

(Gould, 1991, p. 26-35, voir également Bredekamp, 2008).

Spécialiste de l’usage des modèles évolutionnistes, Gould est conscient que “bon nombre de nos illustrations matérialisent des concepts, tout en prétendant n’être que des descriptions neutres de la nature”. Ce problème qui caractérise l’imagerie scientifique trouve avec la “marche du progrès” un de ses plus célèbres exemples.

Mais au contraire des nombreuses références que mobilise habituellement le savant, celle-ci n’est ni datée ni attribuée. Quoiqu’il en critique l’esprit et en regrette l’influence, Gould ignore quelle est sa source. Comme beaucoup d’autres images issues de la culture populaire, celle-ci s’est dispersée dans une familiarité indistincte, et a perdu chemin faisant les attributs susceptibles de situer une origine.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il y a une bonne raison pour laquelle Stephen Jay Gould n’a pas été confronté à la source de l’illustration dont il traque les reprises. Lorsque celle-ci est publiée, en 1965, le jeune étudiant en géologie a 23 ans, et une formation déjà bien trop spécialisée pour avoir consulté ce livre destiné à l’éducation des enfants et des adolescents.

Rudolf Zallinger, The Road to Homo Sapiens, illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant fermé).

Rudolf Zallinger, "The Road to Homo Sapiens", illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant fermé).

Dessinée par Rudolph Zallinger (1919-1995) pour l’ouvrage de Francis Clark Howell (1925-2007), The Early Man, cette image prend place dans la plus ambitieuse collection de vulgarisation jamais publiée: celle des éditions Time-Life, qui s’étend sur 51 volumes entre 1961 et 1967 (collections “Young Readers Nature Library” et “Life Science Library”).

Traduite dans de nombreux pays, cette collection s’inscrit dans la longue tradition inaugurée par Les Merveilles de la Science de Louis Figuier (1867), qui fait reposer sur une illustration abondante le récit des “connaissances utiles” nécessaires à l’instruction de la jeunesse.

Volumes de la collection Time-Life (en traductions françaises).

Volumes de la collection Time-Life (en traductions françaises).

Elle se caractérise par la qualité des textes, confiés à des spécialistes, mais aussi par le soin sans précédent apporté à l’iconographie.

Inspirée des principes qui animent le magazine Life, la collection est le premier ouvrage de vulgarisation scientifique à pousser si loin le rôle de l’image. Les éditeurs ont voulu proposer une illustration haut de gamme, très largement en couleur, servie par une impression irréprochable, en faisant appel aux meilleurs dessinateurs et photographes.

Exemples diconographie de la collection Time-Life.

Exemples d'iconographie de la collection Time-Life.

L’iconographie est souvent spectaculaire. Elle offre une large variété de styles et témoigne d’une constante préoccupation pédagogique. L’image doit fournir une synthèse claire et lisible d’une information dense. La collection développe un savoir-faire élaboré en matière de schémas narratifs, combinaison de la représentation tabulaire des données scientifiques avec une mise en scène visuelle forte.

La contribution de Rudolph Zallinger fournit un exemple particulièrement abouti de ce genre. Anthropologue spécialiste de préhistoire, professeur à l’université de Chicago, Francis Clark Howell est également un vulgarisateur convaincu. C’est en connaissance de cause qu’il s’adresse à l’un des plus fameux illustrateurs de sciences naturelles, auteur de la fresque “L’Age des reptiles” pour l’université de Yale, exécutée entre 1943 et 1947, panorama chronologique de l’évolution des dinosaures du Devonien au Crétacé, longue de 33,5 sur 4,9 mètres.

Rudolph Zallinger, Lâge des reptiles, fresque murale, université de Yale (détail).

Rudolph Zallinger, "L'âge des reptiles", fresque murale, université de Yale (détail).

Zallinger sera contacté par Life en 1952 pour participer à l’illustration du feuilleton “The World We Live In”, aux côtés de Chesley Bonestell, Alfred Eisenstaedt ou Fritz Goro.

La composition de The Early Man s’inspire du précédent de Yale. Il s’agit de disposer sur un dépliant de 5 pages – la plus longue illustration de la collection – la série ordonnée des reconstitutions de fossiles de quinze espèces anthropoïdes sur une durée de 25 millions d’années. Les schémas chronologiques en haut de page sont dus à George V. Kelvin.

Rudolf Zallinger, The Road to Homo Sapiens, illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant ouvert).

Rudolf Zallinger, "The Road to Homo Sapiens", illustration pour The Early Man, 1965 (dépliant ouvert).

Sous le titre “The Road to Homo Sapiens”, la représentation synthétique de Zallinger innove par rapport aux formes existantes de figuration évolutionniste, le plus souvent disposées de façon tabulaire. Sa proposition peut être rapprochée de trois sources iconographiques. La première est une gravure due au grand peintre naturaliste Waterhouse Hawkins, publiée en frontispice de l’ouvrage de Thomas Henry Huxley, Evidence as to Man’s Place in Nature (1863), qui associe à fins de comparaison les squelettes du gibbon, de l’orang-outang, du chimpanzé, du gorille et de l’homme.

Waterhouse Hawkins, Skeletons of the Gibbon, Orang, Chimpanzee, Gorilla, man, frontispice de louvrage de Thomas Henry Huxley (1863).

Waterhouse Hawkins, "Skeletons of the Gibbon, Orang, Chimpanzee, Gorilla, man", frontispice de l'ouvrage de Thomas Henry Huxley (1863).

“L’homme descend du singe”. La fameuse formule de l’évêque d’Oxford symbolise la polémique issue de la publication de L’Origine des espèces (1859), dont la relecture biologique du destin humain fait scandale. Défenseur de Darwin, Thomas Huxley utilise l’œuvre de Hawkins dans le cadre d’un ouvrage qui propose la démonstration zoologique et anatomique de la proximité des différentes espèces hominoïdes. Quoiqu’elle n’ait aucun caractère paléontologique, cette illustration qui rapproche l’homme du singe prend bel et bien place dans l’histoire du débat évolutionniste.

Cet exercice comparatif n’offre encore qu’une simple juxtaposition. Pour trouver une articulation plus étroite, il faut remonter à une source plus ancienne: le thème des différents âges de l’homme, qui nourrit la peinture et la gravure depuis la Renaissance. Le ressort visuel sur lequel s’appuie cette iconographie, le principe de la métamorphose, en fait un motif séduisant pour les artistes, qui trouvent l’occasion d’y montrer leur virtuosité, comme pour le public, qui en apprécie la dimension curieuse et ludique.

Hans Baldung Grien, Les trois âges de la vie, v. 1510 (Vienne, Kunsthistorisches Museum); A. F. Hurez, Degrés des âges, Cambrai, 1817-1832 (Paris, musée des arts et traditions populaires).

Hans Baldung Grien, "Les trois âges de la vie", v. 1510 (Vienne, Kunsthistorisches Museum); A. F. Hurez, "Degrés des âges", Cambrai, 1817-1832 (Paris, musée des arts et traditions populaires).

Une version de ce thème, attestée dès le 16e siècle, sera notamment popularisée par François Georgin en 1826 pour l’imagerie d’Epinal, sous le titre de “Degrés des âges”. Celle-ci latéralise et ordonne le motif en paliers, facilitant le jeu des comparaisons. Gravure à succès durant tout le 19e siècle, celle-ci connaîtra d’innombrables reprises dans toute l’Europe (Day, 1992) .

Différentes versions des Degrés des âges.

Différentes versions des "Degrés des âges".

La transposition de ce thème dans l’univers paléontologique n’est pas que l’emprunt d’une forme. Dans les “Degrés des âges”, malgré les altérations qui affectent leurs avatars, ce sont les mêmes personnages que l’on retrouve du premier au dernier échelon. L’application de ce motif au schème évolutionniste constitue une simplification implicite, qui rapporte les transformations des espèces au développement de l’individu, rabat l’ontogenèse sur la phylogenèse. C’est cette opération iconographique qui créé la perception de l’évolution comme un développement unifié et linéaire, aussi homogène que s’il s’agissait de la vie d’un être humain.

Cette impression est encore renforcée par la troisième source de Zallinger: la chronophotographie de la marche d’Etienne-Jules Marey, qui a inspiré une imagerie abondante à partir de 1882 (Braun, 1992). A cette vision cinématographique, l’illustrateur emprunte le dynamisme de la déambulation, qui anime la fresque évolutionniste d’un pas décidé. Le motif de la marche unifie et fluidifie la succession des espèces, désormais métamorphosée en séquence. Plutôt que sous la forme de la juxtaposition tabulaire, le modèle chronophotographique suggère de lire l’image comme la décomposition d’un seul et unique mouvement.

Etienne-Jules Marey, locomotion de lhomme, chronophotographie sur plaque fixe, 1883, coll. Collège de France (détail).

Etienne-Jules Marey, locomotion de l'homme, chronophotographie sur plaque fixe, 1883, coll. Collège de France (détail)

Unification, latéralisation, dynamisation: les choix de l’illustration sont fondés sur l’intention pédagogique, qui veut produire une information synthétique, immédiatement lisible. Cette composition si efficace peut-elle l’être un peu trop? Le texte en regard apporte d’utiles précisions, qui contredisent son apparente homogénéité:

“Ces reconstitutions sont donc en partie hypothétiques, mais même si des découvertes ultérieures imposaient des changements, elles auraient atteint leur but en montrant ce que pouvait être l’aspect de ces primates disparus.” Ou encore: “Bien que les “ancêtres de singes anthropomorphes” aient été quadrupèdes, tous sont ici figurés debout, pour faciliter la comparaison”

(Howell, 1965, p. 41).

Couverture de louvrage de J. Wells, Icons of Evolution. Science or Myth?

Couverture de l'ouvrage de J. Wells, Icons of Evolution. Science or Myth?

Peu importent ces nuances. L’image de Zallinger est si forte qu’elle balaie toute incertitude. La généalogie idéalement linéaire qu’elle figure s’impose à l’esprit avec l’évidence d’un fait objectif. En fournissant un support visuel au rapprochement de l’homme et du singe, l’illustration de Life ravive le scandale de L’Origine des espèces et s’attire les foudres des créationnistes:

“Malgré l’absence de preuves, la vision darwinienne des origines humaines s’est trouvée bientôt enclose dans des dessins montrant l’évolution d’un singe qui, marchant sur ses phalanges, se redresse par paliers pour devenir un être humain debout. Ces dessins ont ensuite été reproduits dans d’innombrables livres, expositions, articles et même dessins animés. Ils forment l’icône ultime de l’évolution, parce qu’ils symbolisent la signification profonde de la théorie de Darwin pour l’existence humaine”

(Wells, 2002, p. 211).

Le succès de l’icône, dont une recherche sur internet permet aujourd’hui de prendre la mesure, se vérifie en effet par ses copies et ses parodies. Ces reprises sans nombre témoignent de ce que cette image est d’abord un récit. Comme le montrent les altérations qui, en modifiant le dernier stade ou en inversant la logique de la progression, jouent à changer le sens de la série, elle fonctionne comme une structure narrative autonome, immédiatement compréhensible. Elle incarne exemplairement cette connaissance par l’image favorisée par les ouvrages illustrés.

Graffiti, Vali-ye-Asr Avenue, Téhéran, photo Paul Keller, 2007 (licence CC).

Graffiti, Vali-ye-Asr Avenue, Téhéran, photo Paul Keller, 2007 (licence CC).

Les reprises constituent également la seule trace accessible de la réception de l’illustration. Elle apportent la preuve de sa fécondité imaginaire, en même temps qu’elles en entretiennent les progrès. Elles montrent que l’icône est partie prenante de la culture visuelle, au sens où son exposition universelle garantit à l’auteur de la reprise un haut degré de connivence et d’interprétabilité.

Diverses parodies de The Road to Homo Sapiens.

Diverses parodies de "The Road to Homo Sapiens".

La discussion sur l’efficacité de l’image prend parfois des aspects tortueux. Pourtant, son agency n’a rien de mystérieux. Dans le cas de “The Road to Homo Sapiens”, les facteurs de son influence sont: 1) l’importance de la diffusion, qui assure une exposition maximale au contenu; 2) la puissance du contexte de l’instruction populaire, qui légitime la connaissance par l’image; 3) l’empreinte du débat évolutionniste, qui structure notre compréhension du monde; 4) l’élégance de la formule graphique inventée par un illustrateur, qui est l’auteur d’une œuvre.

Mis à part une page sur Wikipédia, et sauf erreur de ma part, cet article est le premier consacré à l’analyse iconographique d’une des plus célèbres images de la seconde moitié du 20e siècle. Une icône si profondément intégrée à notre culture visuelle que sa répétition avait fini par effacer le souvenir de son auteur et de son origine. Il s’agit pourtant d’une œuvre, au sens strict du terme, dont on a pu retrouver les sources, expliquer le contexte et les intentions, suggérer l’influence et la fortune critique. En d’autres termes, on a démontré ici qu’on peut faire sur une image issue de la culture populaire un travail d’interprétation qui ne diffère en rien, dans les outils et les méthodes qu’il mobilise, de celui de l’histoire de l’art. Un pas de plus pour l’histoire visuelle.

Couverture du disque de Encino pour le film California Man, (Les Mayfield, 1992); publicité pour le JT de M6, septembre 2009; page du groupe Flickr "March from Monkey to Man" .

Et en bonus spéciale soucoupe, ce magnifique clip réalisé pour le morceau “Do the Evolution”, par Pearl Jam.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Références: sources

> Charles Darwin, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle(1859, éd. D. Becquemont, trad. de l’anglais par E. Barbier), Paris, Flammarion, 1992.
> Louis Figuier, Les merveilles de la science, ou Description populaire des inventions modernes, éd. Furne et Jouvet, 6 vol., 1867-1869.
> Thomas Henry Huxley, Evidence as to Man’s Place in Nature, New York, Appleton & Co, 1863.
> Francis Clark Howell, The Early Man, Time-Life, 1e éd., 1965 (trad. française: L’Homme préhistorique, 1966).

Références: études

> Horst Bredekamp, Les Coraux de Darwin. Premiers modèles de l’évolution et tradition de l’histoire naturelle (trad. de l’allemand par Ch. Joschke), Dijon, Les Presses du réel, 2008.
> Marta Braun, “Marey, Modern Art and Modernism”, Picturing Time. The Work of Etienne-Jules Marey, 1830-1904, Chicago, University of Chicago Press, 1992, p. 264-318.
> Barbara Ann Day, “Representing Aging and Death in French Culture”, French Historical Studies, Vol. 17, n° 3, printemps, 1992, p. 688-724.

> Stephen Jay Gould, La Vie est belle. Les surprises de l’évolution (trad. de l’américain par M. Blanc), Paris, Seuil, 1991.

> Jonathan Wells, Icons of Evolution. Science or Myth? Why Much of What We Teach about Evolution is Wrong, Washington, Regnery Publishing, 2002.

Iconographiehttp://www.flickr.com/…

Intervention présentée dans le cadre du séminaire “Mythes, images, monstres“, le 26 novembre 2009, INHA.

> Article initialement publié sur Culture Visuelle (lisez les commentaires!) /-)
> photo de Lego Kaptain Kobold


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