OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Justice met Apple à la page http://owni.fr/2012/08/31/la-justice-met-apple-a-la-page/ http://owni.fr/2012/08/31/la-justice-met-apple-a-la-page/#comments Fri, 31 Aug 2012 12:29:24 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=119268

Avril 2012, à la suite d’une plainte en nom collectif, le département américain de la Justice se penchait sur les accusations portées contre Apple et cinq grands éditeurs pour soupçons d’entente illégale sur les prix – vous pouvez retrouver au bas de l’article la plainte alors mise en ligne par Owni. Un dossier lourd de conséquences pour les métiers de l’édition numérique, qui a rebondi hier aux États-Unis. Selon les termes d’un accord passé avec le ministère public, trois des cinq éditeurs verseront une amende de 69 millions de dollars, pour avoir cherché à s’entendre sur les prix. Et 250 000 dollars de dommages et intérêts aux lecteurs floués par la hausse volontaire des prix, entre le 1 Avril 2010 et le 21 mai 2012. De son côté, Apple est dans l’obligation de clôturer les contrats à l’origine de ces pratiques.

Apple à livre ouvert

Apple à livre ouvert

La procédure civile contre les pratiques d'Apple sur le marché du livre numérique prend de l'ampleur. Pour le plus grand ...

Amazon en bon concurrent d’Apple sur le marché du livre numérique aux États-Unis peut à présent se réjouir d’un tel accord, passé avec Hachette, Harper Collins et Simon & Schuster, qui se sont pliés à la procédure de conciliation du ministère de la Justice. Tandis que deux autres majors de l’édition, Penguin et Macmillan, n’ont pas suivi la même voie. Ils devront eux se présenter devant le tribunal aux côtés d’Apple.

Amazon flaire l’entente

Tout débute en août 2011. La procédure collective – class action – regroupait à l’origine des plaintes de particuliers disséminés sur tout le territoire américain et dénonçait des contrats d’agence passés entre Apple et les cinq plus gros éditeurs du pays. Les prix fixés avec Apple entrainaient pour les éditeurs l’impossibilité de les vendre moins chers ailleurs. Amazon devait alors augmenter ses tarifs, au détriment des consommateurs.

Quelques mois plus tard, en décembre, la Commission européenne essayait également d’observer si manigances il y avait eu entre des éditeurs et Apple au niveau européen.

Amazon balance Apple

Amazon balance Apple

La Commission européenne enquête sur une potentielle entente illégale entre Apple et cinq importants éditeurs. Amazon ...

Un proche du dossier confiait à l’époque à Owni que des représentants d’Amazon avaient soufflé à certains commissaires européens que le comportement des éditeurs leur paraissait étrange : la frilosité des éditeurs, notamment français. En cherchant un terrain d’entente avec Apple, ils pourraient ainsi protéger leur système de distribution et leurs catalogues respectifs et border ainsi avec leurs propres règles un milieu qu’ils ne maitrisent pas encore. Ce même proche de l’affaire expliquait que les lobbies de l’édition voulait “obtenir une protection légale contre l’évolution technique et la ‘désintermédiation’ par la fixation de prix de vente obligatoires pour le livre numérique, aligné sans aucune justification sous-jacente sur les prix de vente des versions papier”.

L’enquête devait déterminer si Apple, Hachette, Harper Collins, Simon and Schuster, Penguin et Verlagsgruppe Georg von Holzbrinck avaient accordé leurs violons pour la fixation des prix. Toujours au détriment d’Amazon. Dernière nouvelle en date, Apple et quatre des grands éditeurs vont permettre à d’autres vendeurs – Amazon en tête – de pouvoir pendant deux ans vendre leurs livres numériques à bas-prix. Histoire de mettre fin à cette enquête antitrust.

Délivrance

Le 11 avril 2012, le département de la Justice américain se saisissait du dossier et dans un communiqué de presse racontait les avancées de l’affaire :

Le département [NDLR, de la Justice] a conclu un accord avec trois des plus grands éditeurs du pays – et continuera de poursuivre Apple, et deux autres grands éditeurs – pour s’être entendus pour augmenter les prix que payent les consommateurs pour les ebooks. [...] Plus tôt dans la journée, nous avons déposé une plainte à New-York contre Apple et cinq différents éditeurs – Hachette, HarperCollins, MacMillan, Penguin et Simon & Schuster. En réponse à nos allégations, trois de ces éditeurs – Hachette, HarperCollins et Simon & Schuster – ont accepté l’accord proposé. S’il est approuvé par le tribunal, cet accord permettrait de résoudre les préoccupations antitrust de l’administration avec ces entreprises, et les obligerait à permettre à d’autres détaillants, comme Amazon et Barnes & Noble – la liberté de réduire le prix de leurs e-books. Le règlement exige aussi que les entreprises mettent fin à leurs accords anti-concurrentiels avec Apple et les autres vendeurs d’ebook.

Aujourd’hui c’est donc au tour de certains éditeurs d’accepter les conditions. En reconnaissant notamment qu’il y a eu entente avec Apple, privant le marché du livre numérique de sa main invisible.

Pour Hachette à l’époque, il n’y avait aucun problème concernant les prix ou les contrats d’agence qu’ils avaient fixés avec certains des éditeurs, toutefois, ils se disaient prêt à entamer des pourparlers avec le département de la Justice. Ce qu’ils ont donc fait :

Désormais, nous pensons qu’il est du devoir du DOJ et des Procureurs des États de veiller à ce que plusieurs détaillants opèrent sur le marché des ebooks, qui doit demeurer concurrentiel, et que nous ne revenions pas à une situation de monopole dans laquelle une seule entreprise décide quels ebooks les consommateurs doivent lire et comment.

Avec la décision du département de justice américain de verser des dommages et intérêts aux lecteurs et ces 69 millions de dollars, Amazon peut apprécier que la justice ait plongé dans ces affaires de gros sous des milieux de l’édition. Une évolution qui autorise un retour à une saine concurrence, permettant à Amazon de repasser ses livres à dix dollars, son prix de séduction.

plainte contre Apple et les éditeurs US


Illustration par Christophe Dombres(CC-by)

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La part d’ombre de Google Livres http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/ http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/#comments Wed, 13 Jun 2012 11:46:56 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=113175

Paix des braves pour Les Echoshache de guerre enterrée pour La Tribune ;  calumet de la paix partagé pour le Nouvel Observateur : la presse est unanime pour célébrer l’accord-cadre rendu public lundi entre Google, le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), sur la numérisation des livres indisponibles sous droits.

Il est vrai que l’évènement est d’importance, puisque cet arrangement met fin à plus de sept années de conflits entre le moteur de recherche et le monde de l’édition française, à propos du programme de numérisation Google Books, qui avait entendu renverser de fond en comble les règles du droit d’auteur pour progresser plus vite.

Pourtant derrière cette belle unanimité, de multiples signes, émanant notamment d’auteurs français méfiants ou remontés contre les instances prétendant les représenter, attestent qu’il reste comme “un caillou dans la chaussure“, pour reprendre les paroles de l’écrivain Nicolas Ancion…

Il faut d’abord mettre en lumière le côté clair de cet accord, pour mieux cerner ensuite son côté obscur, notamment en ce qui concerne ses liens avec la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle, adoptée par le Parlement français en mars dernier.

Procès fleuve

L’essentiel du contentieux portait sur le recours par Google à l’opt-out – l’option de retrait – un procédé par lequel il demandait aux titulaires de droits de se manifester explicitement pour demander à sortir de son programme, ce qui lui permettait d’avancer dans la numérisation des ouvrages sans s’embarrasser a priori de la question chronophage de la gestion des droits.

Jugement Google/La Martinière : Alea jacta est ?

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Le verdict du procès Google/La Martinière est donc tombé vendredi, mettant fin plusieurs années d’incertitude en ...

Mais cette méthode a été condamnée par la justice française en décembre 2009, au terme d’un procès retentissant faisant suite à une plainte de l’éditeur La Martinière, soutenu par le SNE et la SGDL, qui a rappelé que l’opt-in – l’option d’adhésion – était seule compatible avec les règles du droit d’auteur français qui exigent que les titulaires de droits donnent un consentement explicite et préalable à l’utilisation de leurs œuvres.

L’impasse atteinte par Google en France a également trouvé écho aux États-Unis, où un autre procès fleuve l’oppose depuis plus longtemps encore aux auteurs et éditeurs américains. Saisi pendant plusieurs années d’une proposition de règlement entre les parties, qui aurait entériné le procédé de l’opt-out, le tribunal de New York en charge de l’affaire a lui aussi fini par estimer début 2011 que seule une solution à base d’opt-in pouvait être envisagée. Si un accord paraissait pouvoir être trouvé sur ce fondement avec les éditeurs américains, ce n’est visiblement pas le cas avec les auteurs réunis au sein de l’Author’s Guild, avec qui Google a repris une guerre de procédure acharnée. Et alors qu’on avait pu penser un moment que l’Author’s Guild allait être déboutée, le tribunal a fini à la fin du mois dernier par conforter sa position, ce qui place à présent Google dans une posture délicate aux Etats-Unis.

Cette situation d’échec dans le volet américain de l’affaire Google Livres contraste avec l’entente qui s’est installée peu à peu en France entre Google et les éditeurs, suite à sa condamnation en justice. Dès novembre 2010, Hachette Livres avait décidé de passer un protocole d’accord avec Google pour la numérisation de 50 000 oeuvres épuisées, sur la base de listes d’ouvrages établis par l’éditeur, ce qui consacrait un retour à l’opt-in. Il avait été suivi de manière emblématique par les éditions La Martinière, qui concluaient en août 2011 un accord paraissant suivre des principes similaires. Gallimard, Flammarion et Albin Michel annonçaient de leur côté en septembre 2011 un abandon des poursuites et l’ouverture de négociations.

L’accord-cadre conclu lundi s’inscrit donc dans une certaine logique et un mouvement graduel d’apaisement. Il consacre sans doute le basculement du groupe Editis, dont la position au sujet de Google Livres restait à ce jour incertaine, ainsi que l’abandon des poursuites par la SGDL, côté auteurs.

Réciprocité

Un internet raisonné où chaque partie se comprend” : les propos d’Antoine Gallimard lors de la conférence de presse mettent en avant l’esprit de réciprocité consacré par cet accord.

L’idée de base pour les éditeurs acceptant d’entrer dans l’accord consistera à travailler avec Google pour dresser une liste de titres figurant dans l’immense base de 20 millions d’ouvrages numérisés de Google, de vérifier qu’il en possède bien les droits et que les livres ne sont plus disponibles à la vente, que ce soit en papier ou en numérique.

L’éditeur aura alors la faculté de décider s’il souhaite que Google commercialise ses ouvrages via son propre dispositif de vente (Google Play), la “majorité des revenus”étant reversés à l’éditeur, d’après Philippe Colombet de Google France. Cet élément est décisif, car on imagine que c’est précisément ce taux de retour sur le produit des ventes de Google qui a satisfait les éditeurs français. Dans la première version du règlement américain, 63% des sommes étaient reversées aux titulaires de droits via le Book Right Registry. Ce règlement prévoyait également qu’au cas où les droits d’exploitation n’étaient pas retournés intégralement aux auteurs, le partage de ces revenus devait se faire à 65% pour l’auteur et à 35% pour l’éditeur. Gardez bien cela en tête, car il est fort probable que l’arithmétique soit beaucoup moins favorable aux auteurs avec l’accord-cadre français. Pour l’instant, il n’est cependant pas possible de connaître dans le détail le contenu de cet accord-cadre, qui ne sera transmis qu’aux éditeurs membres du SNE (et pas aux auteurs ? Tiens donc ? ;-).

En complément de ce partage des revenus, le SNE et la SGDL reçoivent eux aussi des sommes qui serviront pour les éditeurs à financer l’opération “Les petits champions de la lecture” et pour les auteurs à améliorer la base de données de la SGDL. Notons que le montant de ces sommes reste confidentiel côté français, alors qu’il était clairement annoncé en ce qui concerne le Règlement américain (125 millions de dollars). Autre pays, autres moeurs !

Mais l’argent n’est quand même pas tout et en matière de livre numérique, le nerf de la guerre, c’est d’abord la possession des fichiers. Or ici, les éditeurs obtiennent de pouvoir récupérer les fichiers numérisés par Google, assortis du droit d’en faire une exploitation commerciale, selon “plusieurs modalités proposées par Google” d’après le compte-rendu   de la conférence de presse dressé par Nicolas Gary d’Actualitté. Cette expression un brin sibylline renvoie visiblement à des possibilités de distribution, par les propres moyens de l’éditeur ou via des plateformes commerciales, étant entendu que, comme cela avait déjà plus ou moins filtré à propos des accords Hachette et Lamartinière, des exclusivités ont été consenties par les éditeurs français afin que les fichiers ne soient pas distribués par les concurrents les plus menaçants pour Google : Apple et Amazon. A ce sujet, il est sans doute assez cocasse de relever que les questions d’atteinte à la libre concurrence ont joué un rôle essentiel dans le rejet du règlement aux Etats-Unis et que l’Autorité de la Concurrence en France s’est déjà émue de l’évolution de Google vers une position dominante en matière dans le domaine du livre numérique.  Les éditeurs pourront par ailleurs également exploiter les fichiers sous forme d’impression à la demande.

Mis à part ces réserves sur lesquelles je reviendrai plus loin, on peut donc considérer l’accord-cadre français comme un échange de bons procédés, relativement équilibrés même s’il parait globalement très favorable aux éditeurs français. Google de son côté pourra à présent se targuer de l’exemple français pour essayer de trouver un terrain d’entente aux Etats-Unis ou dans d’autres pays dans le monde.

Pur hasard

Pourtant la part d’ombre de l’arrangement n’a pas manqué d’apparaître dès la conférence de presse de lundi, notamment lorsque Antoine Gallimard a dû répondre à propos des rapports entre ce dispositif et la récente loi sur la numérisation des livres indisponibles du 20ème siècle. Pour le président du SNE, “la présentation de cet accord-cadre n’est que pur hasard avec le calendrier de la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle”.

Mais les similitudes sont tout de même troublantes et le pur hasard a visiblement bien fait les choses. Car la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle porte exactement sur le même objet que l’accord-cadre conclu avec Google, à savoir le corpus massif des oeuvres qui ne sont plus disponibles à la vente sous forme papier ou numérique, mais qui restent protégées par des droits. Or ce qui frappe immédiatement, c’est la différence de fonctionnement au niveau juridique des deux dispositifs envisagés.

En effet, alors que les éditeurs et les auteurs se sont visiblement battus avec opiniâtreté pour faire triompher l’opt-in dans l’accord-cadre, ils ont accepté avec la loi sur les livres indisponibles que soit introduit dans le Code de propriété intellectuelle français un opt-out !  J’ai déjà eu l’occasion de dire que cette loi était plus que critiquable dans la mesure où elle  portait très fortement atteinte aux principes du droit d’auteur français et que loin de constituer une alternative à Google Livres, elle ne faisait qu’en singer (maladroitement) les modalités.

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Or la loi française, dans l’exposé même de ses motifs, explique qu’il n’était en quelque sorte pas possible de faire autrement que de passer par un opt-out pour introduire un système de gestion collective viable pour les oeuvres orphelines. L’accord-cadre intervenu lundi prouve que c’est absolument faux et que de l’aveu même des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL, qui ont pourtant fait un lobbying d’enfer pour pousser cette loi, une autre approche était tout à fait possible, plus respectueuse des droits de tous - à commencer par ceux des auteurs –  !

Il est donc évident maintenant que cette loi a introduit dans le Code des adultérations majeures au droit d’auteur quasiment pour rien et pour bien mesurer la gravité de la chose, il faut relire ce qu’en dit par exemple le juriste spécialisé en propriété intellectuelle Franck Macrez dans le premier commentaire du texte paru au Dalloz :

En définitive, et à s’en tenir à la cohérence de la loi nouvelle avec les principes traditionnels du droit d’auteur, le bilan de ce texte voté en urgence est désastreux [...] Les auteurs se voient, par la force de la loi, obligés de partager les fruits de l’exploitation de leur création avec un exploitant dont la titularité des droits d’exploitation numérique est fortement sujette à caution. L’obligation d’exploitation permanente et suivie, qui participe de l’essence même de l’archétype des contrats d’exploitation du droit d’auteur, est anémiée. La présomption de titularité des droits d’exploitation sur l’œuvre au profit de son propriétaire naturel est réduite à néant. Que reste-t-il du droit d’auteur ?

Tactique

Quelle cohérence y a-t-il de la part des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL a avoir tant poussé pour faire advenir cette loi, alors qu’un accord-cadre avec Google était en préparation ?

On peut penser que la première – et sans doute principale – raison était avant tout d’ordre tactique. Il est beaucoup plus simple de négocier avec un acteur redoutable comme Google si on peut assurer ses arrières en lui faisant remarquer qu’en cas d’échec des pourparlers, on pourra se tourner vers un dispositif national, financé à grands renforts d’argent de l’Emprunt national pour numériser et exploiter les ouvrages indisponibles, sans avoir besoin des services du moteur de recherche.

Mais une fois ce bénéfice tactique empoché, il y a de fortes raisons de penser que les éditeurs préféreront l’accord-cadre au dispositif mis en place par la loi française. Tout d’abord, l’accord-cadre a le mérite de rester secret, ce qui est toujours bien pratique, alors que la loi française, malgré beaucoup d’obscurités lors de son adoption, est lisible par tout un chacun. Comme le fait remarquer malicieusement @BlankTextfield sur Twitter, Google et le SNE pourraient commencer leur opération des “Petits champions de la lecture”… en permettant à tout le monde de lire cet accord ! Chiche ? Sachant que le Règlement Google Books avait lui aussi la vertu d’être complètement public…

L’autre avantage réside sans doute paradoxalement dans les fameuses “exclusivités” que comporte l’accord-cadre, qui empêchent des acteurs comme Apple et surtout Amazon d’exploiter les fichiers. Il faut sans doute moins y voir une condition imposée par Google qu’une entente passée entre tous les acteurs. Car il ne doit pas tant déplaire aux éditeurs français qu’Amazon par exemple soit ainsi mis sur la touche ; Mister Kindle et ses prix cassés étant considérés comme l’antéchrist numérique par beaucoup… En comparaison, il faut reconnaître que le dispositif de la loi sur les indisponibles est plus ouvert, puisque la société de gestion collective qui récupèrera la gestion des droits grâce à l’opt-out est tenue d’accorder des licences d’exploitation commerciales sur une base non-exclusive.

Notons enfin que contrairement à ce qu’a indiqué Antoine Gallimard lors de la conférence de presse, il y a fort peu de chances que la loi sur les indisponibles et l’accord-cadre s’avèrent “complémentaires”, et ce, pour une raison très simple. Si les ouvrages figurent sur des listes permettant à Google de les exploiter commercialement et si les éditeurs récupèrent les fichiers avec la possibilité de les exploiter, par définition, ces livres ne sont PLUS indisponibles. Ils ne peuvent donc plus être inscrits sur la base de données gérée par la BnF, qui constitue la première étape du processus d’opt-out.

Si les éditeurs principaux du SNE font le choix de signer l’accord-cadre avec Google, la loi française sur les indisponibles sera mécaniquement vidée de sa substance et il n’en restera en définitive que les vilaines scories juridiques qu’elle a introduit dans le Code…

Allez comprendre ! Mais vous allez voir qu’il y a d’autres éléments fort éclairants…

Serf

Le grand mérite de cette loi sur les indisponibles est peut-être d’avoir amené un grand nombre d’auteurs à se mobiliser, en marge de la SGDL, pour la défense de leurs droits dans l’environnement numérique.

Des livres libérés de licence

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Les licences libres ont permis l'émergence de succès dans les domaines de la musique et de la photographie. En revanche, la ...

Réunis sous la bannière du collectif “Le droit du serf“, ils ont fait valoir, notamment lors de discussions avec le Ministère de la Culture, que les oeuvres indisponibles doivent être assimilées à des oeuvres épuisées, ce qui dans l’esprit du droit d’auteur français, signifie que les droits devraient entièrement leur revenir. Un éditeur qui laisse un ouvrage s’épuiser manque vis-à-vis de l’auteur à une obligation essentielle du contrat d’édition. Dès lors que l’éditeur reconnaît, comme c’est le cas dans l’accord-cadre avec Google, que les oeuvres sont bien “indisponibles”, il n’est pas normal qu’il puisse continuer à revendiquer des droits numériques et une prétention à toucher une rémunération.

Cette rémunération de l’auteur a toutes chances d’ailleurs d’être réduite à la portion congrue. Souvenez-vous que dans le Règlement américain, il était prévu que 63% des revenus dégagés par Google iraient aux titulaires de droits, avec une répartition de 65% à l’auteur et de 35% à l’éditeur. Dans le dispositif de la loi sur les indisponibles, les sommes doivent être partagées à 50/50 entre l’éditeur et l’auteur (ce qui est déjà plus défavorable…). Avec l’accord-cadre, ce sera dans la plupart des cas sans doute bien pire encore. En effet, pour pouvoir être en mesure d’exploiter les livres sous forme numérique, les éditeurs font signer aux auteurs des avenants concernant les droits numériques. On sait par exemple que c’est ce qu’a dû faire Hachette [PDF] suite à la passation de l’accord en 2010 avec Google. Or il est notoire que les éditeurs dans ce cas font signer des avenants numériques qui maintiennent le taux de rémunération prévu pour le papier (entre 8 et 12% en moyenne). Et beaucoup d’auteurs hélas ont sans doute déjà accepté de tels avenants… ce qui signifie qu’à tout prendre l’accord-cadre avec Google est beaucoup plus rémunérateur pour les éditeurs que la loi sur les indisponibles. C’est plus clair comme ça ?

Soulignons enfin un point essentiel : il y a tout lieu de penser que l’opt-in imposé à Google s’applique en définitive beaucoup mieux pour les éditeurs que pour les auteurs. En effet, comme le fait très justement remarquer dans une tribune caustique l’auteur de SF et pilier du collectif “le droit du serf”, Yal Ayerdhal, la sortie du dispositif de l’accord-cadre va sans doute nécessiter pour les auteurs une action positive en direction de leur éditeur, et le site Actualitté pointe également ce problème :

“[...] que peut faire un auteur pour empêcher que son oeuvre soit numérisée en amont, et non plus en aval, avec cette simple possibilité de faire retirer le livre de la liste ? ” La démarche est complexe, voire laborieuse, et le président du SNE de nous répondre : « Mais en tout cas, il a le droit de la faire retirer. Son droit de retrait est inaliénable. » Le droit, certes, mais rien à faire en amont de la numérisation…

On est donc bien toujours dans l’opt-out… mais pour l’auteur seulement ! Ceci étant dit, ce travers majeur existait aussi dans la loi sur les oeuvres indisponibles, qui offre à l’éditeur des moyens beaucoup plus aisés de se retirer du dispositif que pour l’auteur

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle voie intermédiaire prendre, entre une logique libérable de la privatisation basée sur la publicité et visant ...

Au final, on peut comprendre que certains auteurs se posent des questions à propos du rôle de la SGDL dans cet arrangement, alors que des points de désaccords importants existaient entre le SNE et cette organisation à propos de la question de l’évolution des contrats d’édition numériqueL’organisation répond à ces critiques en mettant en avant le fait que l’accord qu’elle a signé avec Google est indépendant de celui conclu par le SNE.

Admettons… mais comment expliquer alors qu’en 2010, la SGDL ait si vivement réagi à l’annonce du partenariat conclu entre Google en Hachette, en appelant ses membres à la plus grande vigilance ? En dehors du chèque versé par Google, quelles garanties a-t-elle bien pu obtenir qui aient à présent calmé ses frayeurs, alors que les modalités de fonctionnement de l’accord-cadre de lundi semblent identiques à celles de l’accord Hachette ?

D’autres acteurs de la “chaîne du livre” peuvent sans doute nourrir quelques inquiétudes. Il n’est plus question des libraires par exemple, alors qu’en 2011, La Martinière les mettait encore en avant (mais 2011, c’était déjà il y a si longtemps…). Quant aux bibliothèques, elles sont littéralement rayées de la carte par cet accord, alors qu’elles avaient quand même reçu quelques miettes symboliques dans la loi sur les indisponibles. En ce qui concerne leurs propres accords, aussi bien Hachette que La Martinière avaient évoqué la possibilité que les fichiers remis par Google soient transférés à la Bibliothèque nationale de France. Qu’en est-il pour cet accord ? Mystère… Sans compter que la BnF n’est pas l’ensemble des bibliothèques françaises et que la question du déficit criant de l’offre de livres numériques prévue pour elles reste entière.

Trois scénarios

Vous l’aurez compris, la part d’ombre principale de cet accord-cadre réside pour moi dans son articulation avec la loi sur les indisponibles. L’explication la plus simple consiste sans doute à se dire que les éditeurs français ont habilement joué sur tous les tableaux à la fois et qu’ils l’ont finalement emporté partout.

Mais essayons de nous porter dans l’avenir et d’envisager trois scénarios d’évolution pour cette loi :

  1. Le scénario idyllique : Les deux dispositifs s’avèrent effectivement complémentaires, comme l’avait prophétisé Antoine Gallimard. Les éditeurs gardent ainsi le choix entre deux voies différentes pour faire renaître leurs livres indisponibles. Certains vont travailler avec Google, d’autres – en nombre suffisant – passent par la gestion collective de la loi sur les indisponibles. Certains encore distinguent plusieurs corpus et les orientent soit vers Google, soit vers le dispositif Indisponibles, sur une base cohérente. Il en résulte au final deux offres distinctes et intéressantes pour les consommateurs. La France gagne l’Euro 2012 de football et on découvre un nouveau carburant inépuisable sur la Lune. Hem…

  2. Le scénario pathétique : Les éditeurs font le choix massivement d’adopter l’accord-cadre et de marcher avec Google. Comme je l’ai expliqué plus haut, cela tarit à la source le réservoir des oeuvres qui peuvent intégrer le dispositif, faute d’être indisponibles. La gestion collective envisagée par la loi demeure une sorte de coquille quasi-vide. Les sommes considérables de l’Emprunt national dévolues à ce projet auront été mobilisées en vain. Le Code de Propriété Intellectuelle reste quant à lui défiguré. La France est éliminée piteusement de l’Euro de foot 2012 et on apprend que la Lune émet des particules cancérigènes sur la Terre. Hem…

  3. Le scénario machiavélique : Contrairement à ce que j’ai dit plus haut, il existe tout de même une façon de connecter le dispositif  de la loi sur les Indisponibles à l’accord Google. Mais cela me paraîtrait tellement tordu que je n’avance l’hypothèse… qu’en tremblant ! Imaginons que Google et les éditeurs s’accordent sur un délai pour que le moteur n’exploite pas les oeuvres. Celles-ci sont donc bien indisponibles au sens la loi et elles peuvent être inscrites dans la base, ce qui déclenche l’opt-out. Peut alors jouer à plein l’effet de “blanchiment des contrats d’édition”, qui garantit aux éditeurs de conserver les droits, même sur les oeuvres pour lesquelles cela aurait pu être douteux (notamment les oeuvres orphelines).  Google réalise alors en France, ce qu’il ne peut plus rêver d’atteindre aux Etats-Unis, en demandant in fine une licence d’exploitation à la société de gestion collective.  Alors que les français étaient en passe de gagner l’Euro 2012, la finale est interrompue par une pluie de criquets. On découvre sur la Lune une forme de vie cachée, hostile et bavante, qui débarque pour tout ravager. Hem…

PS : merci @BlankTextField pour ses tweets #GBSfr sur cet accord, sans lesquels j’aurais eu bien du mal à démêler cet écheveau…


Images par Mike Licht [CC-by]

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Amazon tourne une page d’Apple http://owni.fr/2012/04/12/amazon-tourne-une-page-dapple/ http://owni.fr/2012/04/12/amazon-tourne-une-page-dapple/#comments Thu, 12 Apr 2012 15:12:39 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=105621

Dans l’affaire qui oppose la justice américaine à cinq des plus grands éditeurs du pays et Apple, nouveau rebondissement : le département de la Justice (DoJ) a décidé d’intenter une action en Justice (voir la plainte en bas de l’article), faisant suite à une procédure collective démarrée en août dernier, pour soupçons d’entente illégale entre les grands éditeurs américains et le plus gros concurrent d’Amazon pour la vente en ligne.

Les perdants – temporaires – Hachette, Harper Collins et Mac Millan qui se plient à la procédure du département de la Justice et à la remise en cause de certaines des clauses passées avec Apple. Les irréductibles : Penguin et Simon and Schuster qui refusent d’aller dans le sens de l’administration. Celui qui pourrait s’en réjouir à l’avenir, c’est Amazon qui devrait pouvoir de nouveau proposer ses livres à 9,99 dollars.

Apple à livre ouvert

Apple à livre ouvert

La procédure civile contre les pratiques d'Apple sur le marché du livre numérique prend de l'ampleur. Pour le plus grand ...

Prix fixé

Au début du mois d’août 2011, plusieurs plaintes avaient été déposées et regroupées dans une class action – une procédure civile par action collective de particuliers – auprès de différents tribunaux aux États-Unis, comme nous l’avions évoqué à l’époque. En cause, une suspicion d’entente entre Apple et les plus gros éditeurs du pays, Hachette Books, Harper Collins, Penguin, Mac Millan et Simon and Schuster. Par le biais de contrats d’agence passés entre les éditeurs et la firme de Cuppertino, le prix des livres – numériques – était fixé par les éditeurs à la seule condition qu’il ne soit pas inférieur au prix fixé avec Apple. Augmentant ainsi les tarifs pratiqués par Amazon.

Les plaintes s’étaient ajoutées les unes aux autres, dénonçant, captures d’écran à l’appui et évolution des prix, cette entente illégale. Première conséquence, les accords passés entre les acteurs du marché l’étaient au détriment du consommateur et gonflaient artificiellement le prix des livres vendus par le biais de la plateforme d’Apple. Dans son communiqué de presse daté du 11 avril, le département de la Justice précise :

Le département [NDLR, de la Justice] a conclu un accord avec trois des plus grands éditeurs du pays – et continuera de poursuivre Apple, et deux autres grands éditeurs – pour s’être entendus pour augmenter les prix que payent les consommateurs pour les ebooks. [...] Plus tôt dans la journée, nous avons déposé une plainte à New-York contre Apple et cinq différents éditeurs – Hachette, HarperCollins, MacMillan, Penguin et Simon & Schuster. En réponse à nos allégations, trois de ces éditeurs – Hachette, HarperCollins et Simon & Schuster – ont accepté l’accord proposé. S’il est approuvé par le tribunal, cet accord permettrait de résoudre les préoccupations antitrust de l’administration avec ces entreprises, et les obligerait à permettre à d’autres détaillants, comme Amazon et Barnes & Noble – la liberté de réduire le prix de leurs e-books. Le règlement exige aussi que les entreprises mettent fin à leurs accords anti-concurrentiels avec Apple et les autres vendeurs d’ebook.

Avec cette décision du département de la Justice américaine d’intenter une action contre Apple et cinq éditeurs, à terme, ces derniers pourraient être contraints de reconnaître une entente brisant la concurrence sur le marché de la vente en ligne de livres (parfaitement illicite).

Dans les contrats d’agence, la clause de fixation des prix et celle concernant l’impossibilité de vendre moins chère ailleurs seraient rendues caduques. Hachette publiait hier un communiqué précisant que le groupe ne se reconnaissait aucune activité délictueuse mais était prêt à négocier avec le département de la Justice (DoJ) :

Désormais, nous pensons qu’il est du devoir du DOJ et des Procureurs des États de veiller à ce que plusieurs détaillants opèrent sur le marché des ebooks, qui doivent demeurer concurrentiel, et que nous ne revenions pas à une situation de monopole dans laquelle une seule entreprise décide quels ebooks les consommateurs doivent lire et comment.

Tout bénéf’ pour Amazon

Aux Etats-Unis, le marché du livre numérique n’avance pas à la même vitesse que celui français, à peine naissant. Les États-Unis l’ont bien compris, les enjeux sont grands : l’essor des tablettes Kindle et autres liseuses – iPad inclus – représenteront des parts de marché considérables pour les mastodontes de la vente en ligne, dans les années à venir. Mais les positions sur l’échiquier se jouent à l’heure actuelle aux États-Unis. La bataille entre Amazon et Apple se recentre autour des prix pour le consommateur pour le premier (prix de séduction à moins de dix dollars) et autour des catalogues des maisons d’édition pour Apple.

Dans le cadre de ces pratiques d’entente sur le territoire américain entre éditeurs et Apple, le grand lésé du marché, Amazon et sa tablette Kindle vendue à prix quasi coûtant, a été soupçonné d’être derrière les class actions. Amazon était contraint de s’aligner sur les prix fixés sur l’iBook Store, supérieurs en majorité aux prix pratiqués par le marchand de livres en ligne. Et aurait eu tout intérêt à aiguiller la justice sur la piste des ententes.

Si les éditeurs finissent par se ranger derrière la décision du département de la Justice américain, Amazon pourrait bien récupérer son prix de séduction auprès des consommateurs et de nouveau fixer plus librement ses tarifs pour rétablir une “saine concurrence” souhaitée par les autorités américaines sur le dossier. Auprès de la Commission européenne, la plus grande librairie online avait guidé la procédure des inspecteurs de la commission, comme nous l’avions découvert, même si le demande d’enquête à la Comission n’avait pas été déposée par le géant américain.

plainte contre Apple et les éditeurs US

(Contacté par OWNI, l’avocat d’Apple n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. L’un des porte-paroles de Simon&Schuster précise par ailleurs que la maison “est l’un des trois éditeurs qui en parvenu à une entente avec le département de la Justice”. Et est en “en discussion actives et productives” avec la Commission européenne.)


Illustration Flickr Paternité manitou2121 ]]>
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La milice privée d’Hachette Livre http://owni.fr/2012/01/05/milice-privee-hachette-livre-telechargement/ http://owni.fr/2012/01/05/milice-privee-hachette-livre-telechargement/#comments Thu, 05 Jan 2012 11:35:17 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=91930

En se lançant à corps perdu dans la lutte contre le piratage d’eBooks et de livres sur Internet, Hachette Livre frappe un grand coup. Ou du moins est-ce l’impression que veut donner le deuxième éditeur mondial de livres grand public, en signant un accord avec Attributor. Cette société américaine, spécialisée depuis 2005 dans la “traque de contenus copiés”, est désormais chargée par l’éditeur de surveiller les réseaux pirates. Pierre Danet, directeur innovation et technologie numérique de Hachette Livre, constate :

Depuis qu’existent les scanners, le piratage de livres est une réalité. On ne le découvre pas. Mais le marché du livre électronique se développe, et avec l’apparition des liseuses, comme le Kindle d’Amazon, et le développement des tablettes électroniques comme l’iPad, le phénomène a pris de l’ampleur.

Dans la ligne de mire de Hachette et Attributor, les sites de stockage, comme MegaUpload ou RapidShare. Le téléchargement direct est ainsi, si l’on en croit l’étude du Motif (Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de -France) parue en mars, en train de supplanter l’offre en “peer-to-peer” (P2P). Selon la société Sandvine, le trafic de ces deux sites dépasse même celui de Facebook, représentant plus de 2% du trafic mondial sur Internet. Parmi les 20 livres les plus piratés, une bonne dizaine sont estampillés Hachette, comme Bilbo le Hobbit, Da Vinci Code ou Twilight.

Qu’importe si les sites de téléchargement sont hébergés à Hong-Kong, en Suisse ou en Chine, la mission d’Attributor est de les passer au crible, à la recherche de titres piratés. Pour cela, Hachette lui a fourni des métadonnées : titre du livre, nom de l’auteur, ISBN. A partir de ces informations, Attributor effectue un balayage automatisé du web. Une fois ce travail effectué, l’entreprise envoie aux sites détectés une notification de retrait. Le contrevenant a alors le choix entre retirer l’eBook, ou s’exposer à de possibles poursuites. C’est le système du “notice and takedown”.

Ce contrat passé avec la start-up de Redwood City est une première en France, dans la mesure où le Syndicat national de l’édition (SNE), dont Hachette est membre, a décidé de ne pas faire appel à Hadopi. Cependant, pour Antoine Gallimard, président du SNE :

La question du piratage de livres numériques en France ne se pose pas vraiment encore, surveiller les livres électroniques coûte trop cher pour un marché encore petit.

Ce n’est visiblement pas l’avis de Hachette Livre, qui ne semble pas vouloir perdre de temps. Même si l’Hadopi planche sur une riposte graduée adaptée au téléchargement direct, que le SNE pourrait un jour rejoindre, Pierre Danet observe, pragmatique :

L’Hadopi ne couvre pour l’instant que le peer-to-peer. Il sera étendu au téléchargement direct, mais ce n’est pas opérationnel aujourd’hui et on ne sait pas quand cela le sera. On cherchait une entreprise capable de faire du Big Data, de “crawler” le web tout en vérifiant manuellement. Il n’y en avait pas beaucoup, Attributor est l’une des seules sociétés compétentes… On sous-traite du début à la fin, parce que ce n’est pas possible pour un éditeur de couvrir l’immensité du web, à moins de se doter d’un vaste service juridique.

Le rôle d’Attributor est celui d’un tamis. Seul moment où Hachette reprend la main : quand le site refuse d’obtempérer. “Là, on passe en juridique pur.” Elizabeth Sutton, fondatrice d’Idboox.com et conseillère en édition numérique, analyse la stratégie poursuivie par Hachette :

Travailler avec Attributor, ça rassure les auteurs qui hésitent à signer, et ceux qui utilisent la plateforme de vente d’Hachette, Numilog. Et puis, l’offre va bientôt décoller. L’année dernière, Hachette a signé un contrat avec Google Books pour numériser entre 40 et 50 000 livres indisponibles, qui vont arriver sur le marché dans les mois qui viennent.

L’Hydre de Lerne

Anticipation, donc, pour Hachette France, qui suit les traces de son cousin américain, Hachette Book Group. La maison d’édition américaine loue les services d’Attributor depuis bientôt trois ans. Hachette France devient ainsi l’un des 75 éditeurs faisant appel à Attributor, parmi Simon & Schuster, Harper Collins, Scholastic et Wiley‑Blackwell. La nouvelle en laisse beaucoup dubitatifs. Maxime Rouquet, co-président du Parti Pirate (PP) français, pointe du doigt les risques d’erreur liés à un “système automatisé” :

Les internautes qui ne pensent pas à mal, et qui veulent juste stocker un contenu pour le partager avec leurs amis pourront être lésés. On risque de voir des erreurs à répétition, des envois massifs, des sites qui retirent les contenus sans vraiment réfléchir, un peu comme le font Dailymotion et YouTube avec les extraits de films. Et si je rédige une analyse de texte, une parodie ou des extraits d’un livre, que je stocke sur MegaUpload ou que je publie sur mon blog, est-ce que je risque d’avoir des problèmes ?

Dans la Silicon Valley, le président d’Attributor, Matt Robinson, balaie ces inquiétudes d’un revers de main :

Notre système est complétement automatisé, l’information que nous trouvons grâce à notre algorithme est quasiment correcte à chaque fois. Nous croisons ce balayage automatisé avec des vérifications humaines, pour être sûrs qu’il s’agit bien d’une copie illégale d’eBook, et non une simple citation ou un pastiche. Nous ne risquons pas de faire de fausses identifications de piratage, ou pratiquement.

Au Parti Pirate, on reste sceptique : “difficile de croire qu’une personne qui analyse des centaines et des centaines d’eBooks par jour ne risque pas de faire d’erreurs, et qu’Attributor pourra réellement vérifier chaque livre à la main.”

De son côté, Nicolas Gary, directeur de la publication de ActuaLitté, s’interroge :

Qu’en serait-il si un site publiait des informations qui soient justement celles que l’éditeur a demandées de suivre, plusieurs fois par jour ? Attributor enverra-t-il une notification pour signaler la présence de contenu illégal ?

Et de s’inquiéter, entre autre chose, de “ce que fera Attributor des données récoltées”. Avec Trident Media Guard et Hologram Industries, Attributor avait été entendue par le SNE, “quand ce dernier se posait la question d’intégrer l’Hadopi”, en tant que prestataire technique en charge de la surveillance des réseaux P2P.

C’est donc qu’Attributor dispose d’outils suffisants pour obtenir des données privées. Ces questions sont légitimes, quand on voit combien Attributor est flou sur son mode de fonctionnement.

Flou, Attributor l’est aussi sur les coûts de ses produits. A Hachette Livre, Pierre Danet se félicite d’avoir, jusqu’ici un “taux de réussite au dessus des 70%. Pendant 9 mois, nous avons fait un test avec Attributor, sur 500 titres numériques, et nous n’avons pas eu de problème, ou en tout cas de remontée d’erreurs… Dans la majorité des cas, l’approche dissuasive d’Attributor fonctionne : on a eu 100% de succès sur MegaUpload, qui a accepté nos demandes de retrait à chaque fois. Les américains sont plutôt pragmatiques sur ces questions de piratage.”

Chaque jour, si l’on en croit Hachette, plusieurs centaines de notifications de retrait sont envoyées par Attributor à travers le web, “pour des dizaines de milliers de titres, qui composent notre catalogue, le premier en France.”

Mais quand on lui demande combien coûtent les services d’Attributor, motus : Attributor impose à ses partenaires un accord de confidentialité, qui leur interdit de communiquer sur les tarifs. Mais, d’après Nicolas Gary, “ce sont des investissements très lourds, qui comprennent la technologie utilisée et l’expertise.” En 2009, Hachette Group US aurait versé à Attributor, pour la première année, entre 100 et 125 000 dollars.

Pour Elizabeth Sutton, d’Idboox, ce contrat signé par Hachette risque de “coûter cher, et d’avoir des répercussions sur les prix de vente, quand on sait que le groupe confie à Attributor l’intégralité de son catalogue.” Une surveillance des sites de stockage qui coûte cher, et qui ne garantit pas la fin du piratage. Pour Nicolas Gary, “c’est du temps et de l’argent de perdu” :

Le piratage, c’est un peu l’Hydre de Lerne : vous lui tranchez une tête, il y en a dix qui repoussent. La plupart de ces sites sont insaisissables. Hachette a raison de mettre les moyens pour défendre ses droits, mais est-ce vraiment là que les moyens doivent être mis ?

Pierre Danet, à Hachette Livre, reconnaît : “toucher des sites basés en Ukraine, par exemple, ce n’est pas simple. Ce travail peut être infini, mais c’est mieux que de ne rien faire.”

Du côté de chezAttributor, le discours est ultra-policé. Mike Grossman, le directeur général de la société américaine, s’exclame, bon samaritain :

Nous ne sommes ni des chasseurs de pirate, ni des censeurs : nous protégeons les éditeurs et par là même, les auteurs. Copier des livres, c’est illégal. Les écrivains, les créateurs, ont besoin d’être rémunérés pour leur travail, sinon ils vont arrêter d’écrire, et ce sera une perte pour tout le monde. Nous sommes les défenseurs de la propriété intellectuelle. C’est une noble cause.

En 2015, le marché du livre numérique devrait peser, selon une étude IDate, 5,4 milliards d’euros au niveau mondial. Et connaître un taux de croissance moyen de 30% d’ici là. Ces chiffres représentent 12% du marché global du livre. En 2010, le chiffre d’affaires d’Hachette Livre sur support papier et numérique atteignait 2 165 millions d’euros. Un trésor qu’il pourrait défendre à n’importe quel prix.


Illustrations via Wikimedia Commons [CC et Domaine Public] : http://bitly.com/yHm1Oo

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Amazon imprime ses droits http://owni.fr/2011/10/03/amazon-imprime-ses-droits/ http://owni.fr/2011/10/03/amazon-imprime-ses-droits/#comments Mon, 03 Oct 2011 14:19:18 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=81872 Amazon est un libraire verni. Au terme des accords avec les grandes maisons parisiennes, le site prendra 30% du prix des livres électroniques vendus sur sa plateforme française. Mais surtout, il deviendra propriétaire du fichier source de chaque roman ou essai, contrôlant ainsi, de manière exclusive, la distribution des livres dont il aura reçu les droits. “Quand on voit la force de frappe d’Amazon, on sait que les éditeurs ont tout à y gagner” tente de se persuader une éditrice. Le ton est donné.

Stratégie rodée et anticipation du marché

Amazon et les maisons d’édition françaises souhaitent surtout conquérir un secteur en pleine expansion. Pour Amazon, il s’agit d’imposer une unique solution de lecture numérique : la leur, c’est-à-dire la liseuse Kindle. Pour Hervé Bienvault, consultant indépendant sur les stratégies de structuration de contenus et de distribution numérique :

Le but pour Amazon, c’est de reproduire ce qu’ils ont fait aux États-Unis : Amazon c’est 60% de la vente de livres numériques là-bas. Ici, leur stratégie d’expansion est identique et c’est le même principe qu’Apple. Soit proposer un appareil de lecture et un fichier ne pouvant se lire qu’avec une application spécifique, l’idéal pour un modèle vertical. Amazon va à la fois contrôler ce que vous lisez et à la fois contrôler ce que les éditeurs vendent. La situation est monopolistique et leur logique fermée.

Conséquence, un livre acheté ailleurs que sur la plateforme d’Amazon ne pourra pas être lu sur un Kindle. La manœuvre permet de s’assurer la présence du maximum de titres sur son catalogue en ligne, au moment de la sortie en France du nouveau Kindle. Selon le sénateur socialiste David Assouline, le marché du livre numérique aux États-Unis représente 10% des ventes contre 1% en France. Mais en 2010, les ventes ont augmenté sur le continent américain de 202 %, faisant naître en France un grand intérêt.

Contrôle des catalogues

Théoriquement, Amazon sera seulement limité par la législation sur le prix unique. Mais les décrets d’application sont toujours en attente. Pour Anne Chamaillard, directrice commerciale chez Place des Éditeurs, détenteurs notamment de Belfond, Lonely Planète et le Pré aux Clercs :

Des acteurs extérieurs à l’édition peuvent s’immiscer dans notre pricing et faire le forcing pour imposer des politiques de prix aux éditeurs.

Pour l’heure, plusieurs librairies en ligne sont en concurrence. Tel Numilog (50 000 titres) appartenant à Hachette, ou EdenLivre créée par Gallimard, Flammarion et La Martinière (5 000 titres). La Fnac est également de la partie et serait sur le point, selon le site Frenchweb de lancer une nouvelle liseuse. On imagine difficilement l’enseigne détenue par Alexandre Bompard ne pas réagir à l’arrivée du géant américain. Mais Amazon, en plus de pouvoir offrir à l’acheteur un catalogue plus fourni en ouvrages numériques, possède une visibilité que les autres n’ont pas. Son arrivée – bruyante – modifiera durablement les paysages de l’édition.

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur OWNI. Image de Une: Marion Boucharlat.
- Les éditeurs se couchent en ligne
- Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent

Illustrations et photos via Flickr par ArnoKath [cc-by-nc-sa]

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Les éditeurs se couchent en ligne http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/ http://owni.fr/2011/10/03/amazon-gallimard-hachette-flammarion/#comments Mon, 03 Oct 2011 06:30:32 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=81705 Plusieurs cadres du groupe Hachette contactés par OWNI ont confirmé que l’éditeur vient de signer un accord avec Amazon pour la diffusion de ses livres numériques. De leur côté, Albin Michel et les éditions du Rocher jouent encore les pudiques et ne voudraient pas que leur mariage avec le site soit officialisé. Tandis que Gallimard est sur le point de s’entendre mais en entourant ses palabres d’une grande discrétion.

Selon notre enquête, après l’annonce, la semaine dernière, d’un partenariat entre Flammarion et Amazon, la plupart des éditeurs historiques de Saint-Germain-des-Prés affûtent leur communication pour expliquer leur passage massif au livre numérique sur Amazon. Non sans peine. Puisque jusque-là beaucoup vouaient une telle évolution aux gémonies.

Au sein du groupe Hachette, Laurent Laffont, directeur éditorial chez JC Lattès se rappelle que les premières positions de son groupe sur le numérique n’ont pas fait l’unanimité. En mai 2010, la maison dirigée par Arnaud Noury arrivait sur iPad et en novembre, il y a un an, elle était la première à s’accorder avec Google sur les conditions de numérisation de ses œuvres épuisées. Pour Laurent Laffont :

La position d’Hachette a été énormément critiquée par les spécialistes du secteur. Et là, revirement de situation, tout le monde a négocié avec Amazon. Mais tous savent que la part de marché réservée au numérique, avec l’arrivée du Kindle en France (NDLR : Amazon lancera à la fin de cette semaine ses premières opérations de communication auprès de quelques journalistes spécialisés) va augmenter.

Hachette ayant discuté de ses différents catalogues avec Amazon, toutes ses maisons d’éditions sont concernées par l’union avec le site. De Grasset à Fayard en passant par Calmann-Lévy et les multiples collections du groupe appartenant à Lagardère. Et notamment Stock et son très fervent défenseur des librairies du monde réel, Jean-Marc Roberts qui déclarait en août sur Europe1 :

Le lieu unique c’est la librairie, c’est pas la vente en ligne. La vente en ligne, moi je crois que c’est ça qui va peu à peu détourner le vrai lecteur de son libraire, et donc de la littérature.

Le goût des arrangements discrets

Du côté des éditeurs traditionnels, petit ou gros, une seule volonté, celle de ne pas reconnaître trop tôt qu’ils sont en cours de négociation voire qu’ils ont passé des accords. Au sein du groupe Gallimard (Denoël, Mercure de France, P.O.L. notamment) un cadre soucieux de son anonymat affirme :

Aucun accord n’est passé, mais évidemment, Amazon et Gallimard se parlent.

Compte tenu de la position de Gallimard vis-à-vis des libraires et les déclarations de son président Antoine Gallimard – auteur du rapport sur la librairie indépendante en 2007 et président du Syndicat national de l’édition (SNE) – inquiet de certains accords qu’Amazon passe avec les acteurs de l’édition, on comprend sa difficulté de communiquer sur le sujet sans risquer de se mettre à dos une bonne partie des libraires.

Alban Cerisier, secrétaire général de la maison d’édition, expliquait dans une rencontre entre acteurs du secteur animée par Pierre Haski en janvier 2011 :

Ce qui nous empêche de signer avec les grands acteurs du marché du numérique aujourd’hui que sont Amazon, Apple, Google [...] c’est uniquement la maitrise de nos politiques commerciales, notre indépendance

Chez Albin Michel, même son de cloche d’un porte-parole :

Nous ne souhaitons pas communiquer sur le sujet, rappelez d’ici quinze jours. Par contre, ce sera peut-être trop tard.

Difficile de croire que Francis Esménard, patron d’Albin Michel, puisse laisser négocier Hachette et Flammarion pour s’installer sur la plateforme Amazon sans que son catalogue y soit présent. Pourtant son aversion pour Amazon n’est pas nouvelle et il déclarait en mars dernier lors des perquisitions effectuées par la Commission européenne aux sièges de Gallimard, Flammarion, Hachette et Albin Michel que le groupe américain ne pourrait pas “mettre la main sur [leurs] fichiers”. Les perspectives de ventes affichées par Amazon ont balayé semble-t-il ces quelques réticences.


Illustrations et photos via Flickr: timtom [cc-by-nc-sa]

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur OWNI. Image de Une: Marion Boucharlat.

- Amazon imprime ses droits
- Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent

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Accord Google/Hachette: zone grise/zone rouge/zone verte http://owni.fr/2010/12/02/accord-googlehachette-zone-grisezone-rougezone-verte/ http://owni.fr/2010/12/02/accord-googlehachette-zone-grisezone-rougezone-verte/#comments Thu, 02 Dec 2010 17:32:49 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=37612 Michèle Battisti a écrit sur son blog Paralipomènes un remarquable billet de synthèse à propos de l’accord passé entre le groupe Hachette et Google pour la numérisation de 40 à 50.000 œuvres épuisées. Je vous recommande chaudement cette lecture qui permet de remettre en perspective cet évènement retentissant et d’en cerner les tenants et les aboutissants. Je vais d’ailleurs faire dans ce billet comme si vous l’aviez lu pour mieux vous inciter à filer tout droit là-bas !

[...]

Voilà, vous l’avez lu. Et vous êtes revenus ! Grand merci.

Je partage tous les traits de l’analyse de Michèle mais je voudrais ajouter quelques mots pour évoquer d’une manière différente les conséquences possibles de cet accord, ainsi que les enjeux de la question des œuvres épuisées.

On pourrait les évoquer par le biais d’un petit exercice de chromatisme juridique… ou d’alchimie : œuvres au gris, œuvres au rouge et œuvres au vert. Je m’explique.

L’arrangement entre Google et Hachette va permettre sortir les œuvres épuisées de la zone grise dans laquelle elles demeuraient engluées depuis des années pour les transférer dans ce que j’appellerai la zone rouge : la catégorie des œuvres activement exploitées. Mais en opérant cette transmutation (qui relève à plus d’un égard d’un tour de passe-passe), l’accord affaiblit l’espoir de voir se mettre en place une zone verte, c’est-à-dire une frange d’œuvres pour lesquelles un nouvel équilibre aurait été pensé entre la protection et l’accès, notamment dans un cadre collectif. Et c’est d’autant plus regrettable qu’on commençait peut-être à voir poindre un petit bout de cette zone verte en France, dans le cadre du projet gouvernemental de numérisation des œuvres épuisées par le biais du Grand Emprunt.

Mais pas si vite : tout commence dans la zone grise.

La zone grise, une pathologie du droit d’auteur ?

Le droit d’auteur depuis quelques temps est gravement malade et cette maladie se signale par certains symptômes comme la prolifération des œuvres orphelines. L’œuvre épuisée en est un autre, prenant la forme d’un hiatus entre la situation économique réelle d’une œuvre et son statut juridique formel. Si l’on veut bien regarder la réalité économique en face, on se rendra compte que seule une faible part des œuvres créées sont commercialisées sur de longues périodes et génèrent des revenus sur la durée. La grande majorité des œuvres disparaissent en quelques années des circuits commerciaux, mais demeurent protégées par le droit d’auteur durant des décennies encore.  Pour protéger une minorité d’œuvres à longue durée de vie économique, on maintient sous la glace juridique l’intégralité de la création et le monopole exclusif des titulaires de droits empêche le public d’accéder et d’utiliser les œuvres, y compris pour des motifs légitimes (usage pédagogique ou de recherche, usage non-commercial, création de nouvelles œuvres).

Cet état pathologique du statut juridique de la création, rien ne l’a mieux mis en lumière que le projet Google Books. En allant puiser dans les fonds de grandes bibliothèques américaines sans s’arrêter à la barrière du droit d’auteur, Google a produit une sorte de photographie de l’immensité de la zone grise des œuvres épuisées. C’est ce que l’on voit sur le schéma ci-dessous que j’ai extrait d’une présentation donnée par Lawrence Lessig sur le Règlement Google Books [vidéo, EN]. Les ouvrages épuisés représenteraient 75% du contenu de la base, contre 16% d’œuvres appartenant au domaine public et seulement 9% d’ouvrages toujours disponibles à la vente.

Cette part écrasante de la zone grise, on la retrouve aussi de ce côté-ci de l’Atlantique, au pays de Beaumarchais.  La page d’accueil de la base Electre nous dit d’emblée que sur 1,2 millions de notices qu’elle contient, on compte 500.000 épuisés (et seulement 14.000 à paraître), soit 42% d’œuvres en zone grise. Mais Electre ne remonte guère au-delà des années 80 et la proportion d’œuvres épuisées est certainement beaucoup plus forte lorsque l’on prend en compte l’ensemble des ouvrages publiés au XXe siècle. Le groupe Hachette lui-même, dans la communication faite après l’annonce de l’accord estime que 70%  de son fonds est constitué par des ouvrages épuisés.

La zone grise n’est donc pas une exception ; c’est bien la règle statistique. Mais la règle juridique est aveugle à cet état de fait. Les juges français l’ont bien montré l’année dernière en condamnant Google pour contrefaçon dans son procès contre La Martinière, sans distinguer si les œuvres en cause étaient épuisées ou non. À vrai dire, à la lettre du droit français, ils ne pouvaient pas à le faire.

Dans le droit américain, c’est chose différente, car la notion de fair use (usage équitable) admet que l’on puisse faire usage d’une œuvre, sous certaines conditions, dans la mesure où l’on ne menace pas la possibilité de l’exploiter. C’est derrière cette notion que Google cherchait protection pour légitimer son système d’opt-out. Venez à moi, demandez le retrait de vos ouvrages de Google Books et vous serez exaucés. C’est aussi ce principe que le Règlement conclu par Google avec les auteurs et éditeurs américains voulait entériner pour les œuvres épuisées. Et l’on a bien cru que cela allait se produire l’année dernière, avant que le Règlement ne disparaisse quelque part dans les limbes procédurales insondables de la justice américaine…

En attendant, aux États-Unis comme en France (et partout dans le monde, à vrai dire), restait à vif la pathologie juridique de la zone grise. L’accord Google/Hachette pourrait bien marquer le commencement d’une résorption de la zone grise et sa transformation en zone rouge, mais il n’est pas assuré que cette dernière sera moins maladive !

La zone rouge sera-t-elle moins pathologique ?

Le problème posée par les œuvres épuisées provient essentiellement du fait que les titulaires de droits n’ont pas les moyens d’exploiter par eux-mêmes leur propre catalogue. Leurs capacités financières limitées les poussent à se concentrer sur les nouveautés et une part seulement réduite de leur fonds. En faisant affaire avec Google, Hachette se tourne vers un acteur qui dispose de capacités financières sans commune mesure et qui raisonne surtout selon une autre logique de la rentabilité économique.

Il s’ensuit un passage « en bloc » de toute la zone grise de l’éditeur vers la zone rouge des œuvres commercialisées, mais il serait faux de croire que l’accès sous forme numérique suffira à redonner une valeur commerciale incandescente à des ouvrages anciens. Bien sûr, certaines œuvres pourront connaître à l’occasion de leur migration numérique une renaissance commerciale, mais l’effet de longue traîne ne suffira pas pour transformer le plomb en or…

Du coup, il ne faut pas se laisser abuser par cette zone grise, habilement fardée de rouge par Google : son principal attrait n’est peut-être pas commercial, mais stratégique. J’avais été frappé de lire cette phrase dans le premier commentaire sur lequel je suis tombé à propos de l’accord Hachette/Google :

Cet accord a une portée économique assez faible, puisque la vente d’ouvrages épuisés représente un chiffre d’affaires potentiel faible. En revanche, l’accord a une forte portée symbolique.

Françoise Benhamou le dit elle aussi de son côté :

Les gains financiers ne seront pas très élevés. Les enjeux sont ailleurs. Ce sont les suites de cet accord et la manière dont il en enclenchera d’autres, soit entre Hachette et Google, soit avec d’autres partenaires, qui devront être regardées de près.

Ce symbole (ou encore une fois ce symptôme) est à mon sens avant tout celui d’un état de crise, qui oppose de manière larvée éditeurs et auteurs, depuis l’irruption du numérique. Certaines voix se font ainsi périodiquement entendre parmi les auteurs pour réclamer une redéfinition du pacte éditorial, sans parvenir pour l’instant à se faire entendre. C’est le cas des auteurs de BD du SNAC qui demande depuis 2008 déjà à ce que les droits d’exploitation numérique des œuvres soient nettement distingués des droits de papier. On a peut-être oublié également un peu vite qu’en avril dernier les négociations se sont rompues entre le SGDL et le SNE, à propos de la définition d’un accord a minima sur les droits numériques. Manifestation stridente de cette volonté des éditeurs de rester maîtres du jeu numérique, une pétition du SNE lancée en septembre dernier n’hésitait pas à affirmer que « les droits électroniques sont des droits principaux au même titre que les droits de l’édition papier dont l’exploitation revient naturellement à l’éditeur » (en violation, soit dit en passant, d’un des articles les plus importants du Code de la Propriété Intellectuelle sur les cessions de droits).

N’est-ce pas suffisant pour montrer que le rouge de la zone numérique est aussi celui d’un conflit qui oppose peut-être moins profondément à présent Google aux éditeurs que ces derniers aux premiers maillons de la chaîne du livre ? Or les œuvres épuisées constituent peut-être le front le plus sensible de cette lutte et celle qui faisait courir le plus de risques aux éditeurs de voir un jour leur échapper les droits numériques. Car le Code (et Michèle l’explique très bien dans son billet) prévoit que les contrats d’édition ne tiennent qu’aussi longtemps que les éditeurs assurent une exploitation permanente et suivie des œuvres. C’est l’une des clauses  justement du Pacte éditorial : l’auteur cède ses droits l’éditeur, à condition que celui-ci exploite effectivement son œuvre et lui garantisse une diffusion commerciale. Du moins est-ce l’esprit du Code, car à la lettre, les choses ne sont pas aussi simples. Le législateur a choisi de faire peser la charge de la preuve de l’épuisement sur l’auteur et c’est lui qui doit s’acquitter d’obligations procédurales compliquées pour obtenir la résiliation du contrat. Dans la pratique, très peu d’auteurs se lancent dans de telles démarches et les droits restent aux éditeurs, malgré les principes affichés dans le Code.

Pour un groupe comme Hachette, numériser et faire commercialiser par Google l’ensemble de son fonds d’épuisées est quelque part une sacrée aubaine : une fois disponible sous forme numérique, l’épuisement n’a plus vraiment de sens et les droits peuvent demeurer en la possession de l’éditeur de façon quasi perpétuelle… On comprend que la SGDL recommande la plus grande prudence aux auteurs vis-à-vis de cet accord.

Pour autant, d’un certain point de vue, la position d’Hachette pourrait s’avérer elle aussi relativement fragile. L’accord négocié porte, semble-t-il, non sur les œuvres en simple rupture de stock, mais sur celles qui sont définitivement indisponibles, c’est-à-dire totalement épuisées. Et la base Electre sera visiblement mise à contribution pour identifier les livres qui appartiennent à cette catégorie. Cela voudrait donc dire que cette fois, c’est l’éditeur qui reconnaîtra de lui-même l’épuisement, sans passer par le dédale procédural que le Code impose aux auteurs. Certes en droit strict, il faut passer par cet article pour attester de l’épuisement, mais dans l’esprit de la loi, ce que s’apprête à faire Hachette, c’est admettre implicitement que tous les contrats d’édition des œuvres de son fonds sont… résiliés ! Et déjà, certains auteurs estiment que par le biais de cet accord, l’éditeur est en train de négocier avec Google des droits qu’il ne possède pas (ou plus)…

Vous croyez toujours que la zone rouge sera moins pathologique que la zone grise ?

Quel espoir pour la zone verte ?

Michèle Battisti le rappelle également dans son billet : l’idée de renégocier l’équilibre entre la protection et l’accès à propos des œuvres épuisées a plusieurs fois été avancée (en France dès 2005 par le biais du rapport Stasse [pdf], au niveau européen par la Commission et le Level Expert Group [pdf, EN] chargé de réfléchir au développement d’Europeana). Et chaque fois, il est intéressant de constater que les bibliothèques publiques étaient placées au cœur de ce processus de rééquilibrage.

Car après tout, les œuvres épuisées posent aussi une vraie question d’articulation entre l’initiative publique et l’initiative privée. Normalement, dans la tradition française du service public, les personnes publiques ne sont fondées à agir et à mettre en place des services que si l’initiative privée fait défaut pour satisfaire un besoin d’intérêt général. Or c’est exactement ce qui s’est passé pendant des années avec les œuvres épuisées : les éditeurs n’avaient pas les moyens de numériser et d’exploiter les ouvrages de leurs fonds, quand bien même des motifs d’intérêt général, comme l’accès au savoir ou à la culture, justifiaient qu’un tel accès soit ménagé.

Le problème, c’est que notre Code de Propriété Intellectuelle est relativement aveugle à la notion d’intérêt général, qu’il ne le voit que par le petit bout de la lorgnette des exceptions. Et aucune ne permet aux institutions publiques de numériser des œuvres épuisées de manière intéressante. Pourtant si l’enjeu commercial des œuvres épuisées n’est pas déterminant, on aurait dû pouvoir négocier de les faire passer de la zone grise à une zone verte, permettant certaines formes d’usages, notamment dans un cadre collectif, comme l’enseignement ou la recherche, l’usage en bibliothèque, en contrepartie d’une rémunération équitable.

Certainement la volonté politique a manqué pendant des années pour oser favoriser l’émergence de cette zone verte. En témoigne le fait par exemple que les subventions publiques très substantielles versées par le CNL pour aider les éditeurs à numériser leur fond l’on toujours été sans exiger de réelles contreparties sous forme d’accès public.

Finalement, c’est le Grand Emprunt, à partir de la fin de l’année dernière, qui a commencé à faire bouger ces lignes. Et elles avaient bougé assez sensiblement dans les projets du ministère, avant que l’accord entre Google et Hachette n’intervienne. Semblant d’abord se concentrer sur les œuvres du domaine public, le volet culturel de l’emprunt a connu des fluctuations incessantes de modèle économique, qui ont été bien décortiquées par Christian Fauré sur son blog. L’obligation de remboursement des sommes avancées pouvait laisser penser que l’emprunt ne ferait pas autre chose au fond que Google : faire passer les œuvres de la zone grise à la zone rouge, en les recommercialisant.

Mais début octobre, on a vu dans le discours ministériel poindre quelques notes de verdure assez surprenantes, qui attestaient que la question des usages collectifs des œuvres numérisées par le biais de l’emprunt commençait à être sérieusement prise en compte.

Le forum SGDL des 13 et 14 octobre dernier, consacré à la gestion collective de l’écrit, a été l’occasion d’en apprendre plus sur les projets gouvernementaux. Dans l’article de Livres hebdo papier, intitulé « À la recherche de l’œuvre indisponible », on apprend que ce projet allait jusqu’à envisager de modifier le CPI, pour « introduire une dispense de demande d’autorisation de numérisation pour un corpus dont le périmètre est en discussion entre ministère, éditeurs et auteurs », ce qui s’apparente ni plus ni moins à une licence légale ! Le projet aurait porté sur quelques 400 000 œuvres indisponibles du 20e siècle et il était envisagé de recourir à un mécanisme de gestion collective pour « les utilisations numériques des œuvres à des fins pédagogiques » ou encore « l’exploitation d’offres groupées d’œuvres sous droits dans le cadre d’offres auprès des bibliothèques ».

Autant dire qu’on était très proche en définitive de ce que j’appelle la zone verte…

Pourtant, toujours d’après Livres hebdo, si les auteurs paraissaient intéressés par ce projet, les éditeurs montraient leur réticence, si ce n’est leur franche opposition.

Et un mois plus tard, le premier d’entre eux, Hachette, signe avec Google et porte un coup sévère à cette alternative publique. Google est certes assez effrayant, mais dans le cadre de l’accord conclu avec lui, plus question de zone verte, uniquement de la zone bien rouge. Il est certes annoncé qu’un exemplaire des fichiers pourrait être remis par Hachette à la BnF, mais on peut lire ailleurs que ces fichiers ne pourraient être consultés ni gratuitement, ni intégralement par les utilisateurs. Vert très très pâle…

Et si cela avait été une motivation de plus pour se rapprocher de Google, car c’est finalement le Ministère qui se faisait plus progressiste que la firme californienne (quelle époque !).

Conclusion : retour à la case grisaille ?

Hier((le novembre)), Frédéric Mitterrand se prononçait en faveur d’un accord global entre Google et les éditeurs français, tout en réaffirmant sa volonté de faire avancer le projet de numérisation des œuvres épuisées dans le cadre du Grand Emprunt. On voit mal comment on peut courir ces deux lièvres politiques à la fois… Que restera-t-il à numériser si tous les éditeurs font accord avec Google ? Renumérisera-t-on des épuisés déjà numérisés par Google ? Hum…

Peut-être reste-t-il une marge de négociation sur l’usage qui pourra être fait des fichiers remis par Google aux éditeurs, mais l’espoir semble assez mince…

Finalement pour retrouver cette idée de zone verte, peut-être faut-il à nouveau franchir l’Atlantique pour la lire sous la plume de Robert Darnton dans won article paru la semaine dernière dans le New York Review of Books [EN]. Le directeur des bibliotèques d’Harvard appelle à la mise en place d’une alternative publique à Google Books qu’il baptise Digital Public Library of America (DPLA) : « a digital library composed of virtually all the books in our greatest research libraries available free of charge to the entire citizenry, in fact, to everyone in the world ? »

Et son objectif consiste bien à ménager un accès public à la zone grise des œuvres épuisées : « The greatest obstacle is legal, not financial. Presumably, the DPLA would exclude books currently being marketed, but it would include millions of books that are out of print yet covered by copyright, especially those published between 1923 and 1964, a period when copyright coverage is most obscure, owing to the proliferation of “orphans”—books whose copyright holders have not been located. Congress would have to pass legislation to protect the DPLA from litigation concerning copyrighted, out-of-print books. The rights holders of those books would have to be compensated, yet many of them, especially among academic authors, might be willing to forgo compensation in order to give their books new life and greater diffusion in digitized form. »

On est finalement très proche de ce qui était envisagé dans le cadre du grand emprunt, et Darnton fait même explicitement référence à la France !

Nul n’est prophète en son pays…

Billet initialement publié chez S.I.Lex

Photo CC Flickr markhillary, kReEsTaL, helliosjo et IRRI Images

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http://owni.fr/2010/12/02/accord-googlehachette-zone-grisezone-rougezone-verte/feed/ 4
Le « Règlement » Hachette/Google: l’oeil du cyclone? http://owni.fr/2010/12/02/le-reglement-hachette-google-l-oeil-du-cyclone/ http://owni.fr/2010/12/02/le-reglement-hachette-google-l-oeil-du-cyclone/#comments Thu, 02 Dec 2010 16:17:02 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=37553 et le symbole d’un changement radical de modèle ?

Le 17 novembre 2010, nous apprenions que le groupe Hachette avait conclu un accord avec Google pour numériser ses ouvrages épuisés. Hachette étant le premier éditeur français et le deuxième éditeur au niveau mondial, il était difficile de négliger le « symbole » et « le coup de tonnerre » que représente un tel accord, même si tenter d’en imaginer l’impact est sans nul doute une gageure.

Qu’est-ce qu’une œuvre épuisée ?

On qualifie généralement d’œuvre épuisée une œuvre encore protégée par le droit d’auteur qui n’est plus disponible dans le commerce. Plus précisément [pdf], il y a épuisement lorsque l’œuvre n’est pas rééditée à la demande de l’auteur dans un délai « raisonnable » par l’éditeur. Il doit s’agir d’une indisponibilité définitive, à dissocier de la simple rupture de stock qui ne rend l’œuvre indisponible que momentanément.

Toutefois, définir la notion d’épuisement ne semble pas aussi simple que cela puisqu’on a crû bon de préciser qu’une définition sera donnée dans l’accord Hachette/Google.

Les modalités de l’accord

On notera qu’il s’agit d‘un protocole d’accord et que Google et Hachette ont six mois pour en finaliser les conditions. Mais si les négociations se poursuivent, nous disposons déjà de plusieurs informations.

Un accord ciblé sur la France

L’accord concerne la numérisation des ouvrages dont les droits appartiennent à Hachette. Il s’agit d’ouvrages en langue française qui ne sont plus commercialisés, ce qui représente environ 70 % du fonds de Hachette Livre et des maisons d’édition qui font partie du groupe, soit 40.000 à 50.000 livres. Nous savons aussi que l’accord couvre le territoire français et qu’il prend en compte « le droit local », soit le droit français.

Un contrôle gardé par Hachette

Hachette fournira chaque trimestre la liste des ouvrages que Google peut numériser. Dans le faits, trois possibilités sont offertes aux éditeurs du groupe Hachette :
- exiger de Google qu’il détruise le fichier de l’ouvrage qu’il détient après avoir numérisé l’ouvrage présent dans les fonds des bibliothèques américaines ;
- n’accorder à Google que le droit d’indexer le fichier à des fins de promotion ;
- autoriser Google à commercialiser le fichier sur sa propre plate-forme.

Dans ce dernier cas, la copie du fichier que Google remet à Hachette peut être exploitée librement par ce dernier, notamment sur les plates-formes des libraires ou pour une impression à la demande. C’est ce fichier que Hachette proposerait ensuite (dans un délai donné, qui semble encore inconnu à ce jour) à la Bibliothèque nationale de France (BnF), mais celui-ci ne pourrait pas être consulté gratuitement ni, plus étonnamment, intégralement par les utilisateurs.

Google et Hachette se partageront les revenus de la vente selon des modalités non divulguées, car sans doute encore objet de négociations. Dans le projet de Règlement aux États-Unis (non encore avalisé par le juge américain), le partage se ferait à hauteur de 37 % pour Google et 63 % pour les éditeurs.

Abandon de l’opt-out et du Fair use par Google

Tel est le « changement essentiel » puisque Google qui n’envisageait jusqu’à présent que de retirer une œuvre une fois numérisée à la demande (éventuelle) des ayants droit (opt-out), accepte, dans cet accord, d’attendre l’autorisation des éditeurs (opt-in) avant de numériser les œuvres.

En outre, pour les œuvres couvertes par cet accord, il n’y aura pas de mise en ligne d’extraits (autorisée sans autorisation expresse au titre du Fair use américain) sans autorisation des ayants droit, ce qui représente un changement de politique radical de la part de Google.

L’impact de l’accord

Pour les éditeurs, une solution à la résiliation de plein droit des contrats d’édition pour cause d’épuisement de l’œuvre

Il appartient à l’éditeur d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession (art 132-12 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Selon le CPI, une édition sera dite « épuisée » lorsque deux demandes de livraisons d’exemplaires adressées à l’éditeur ne sont pas satisfaites dans les trois mois  (art L 132-17 du CPI).

Mais si l’on ajoute que, lorsque sur mise en demeure de l’auteur, l’éditeur n’a pas procédé à une réédition dans un délai convenable (six mois) lorsque la première édition est épuisée, l’auteur reprend ses droits, on saisit mieux l’un des enjeux de cet accord.
Si des accords similaires devaient être conclus avec d’autres éditeurs, avec Google ou avec d’autres acteurs, les œuvres seraient toujours disponibles commercialement, du moins pendant la durée définie dans le contrat qui lie l’auteur à l’éditeur.

Bien mieux l’œuvre serait toujours accessible par le cloud computing, quel que soit l’endroit où le consommateur se trouve dans le monde. Doit-on ainsi comprendre que le modèle privilégié sera l’accès et non le téléchargement, appelé à tomber en désuétude ?

Lorenzo Soccavo explique à Idboox :

Les notions de livres indisponibles, de tirages épuisés, de ruptures de stocks [ont bien des chances de] voler en éclats.

Et David Drummond explique aussi au Monde que :

Les auteurs français  auront [certes] de nouveaux débouchés commerciaux pour leurs livres et les lecteurs à travers le monde auront disposeront d’ouvrages qui avaient disparu.

Les questions posées

La fin des procès en cours ?

L’accord n’est pas « un quitus pour le passé ». Il ne se traduit donc pas par un abandon des procédures judiciaires en cours par les éditeurs français.

Mais il n’en reste pas moins que cet accord pourrait avoir un impact sur les décisions qui seront prises en appel. L’éditeur La Martinière [à l’origine du procès fait à Google] lui-même n’affirme-t-il pas que « si Google était jusqu’à présent hors la loi, si son revirement se confirm(ait]e, cela devrait faire bouger les lignes ».

Toutefois, la méfiance serait de mise car, selon le SNE, « Google n’a jamais respecté ses engagements jusqu’à présent ».  Mais cette « vigilance » n’est pas « hostilité » et l’accord Google/Hachette a indéniablement « ouvert la brèche » pour d’autres éditeurs en France et ailleurs.

Les craintes liées au monopole ?

Cet accord n’y met pas fin. Si l’accord Google/Hachette peut être gagnant/gagnant  pour les protagonistes, voire pour les auteurs vigilants et qui ont les moyens de négocier, il risque de l’être beaucoup moins pour les petits éditeurs et les libraires et pour l’accès aux contenus.

Les droits des auteurs ?

L’éditeur ne dispose pas automatiquement des droits « numériques » de ses auteurs. Les éditeurs affirmaient eux-mêmes qu’ils n’en disposent par contrat que depuis une quinzaine d’années.

Par ailleurs, en l’absence d’exploitation, comme nous l’avons souligné, les droits accordés à l’éditeur reviennent à l’auteur. Mais plus qu’un avenant au contrat, c’est un nouveau contrat qui doit être envisagé avec l’auteur pour ce mode d’exploitation et, quoi qu’il en soit, une rémunération propre à ce mode d’exploitation  non prévu au départ.

La Société des gens de lettres (SGDL) recommande aux auteurs d’être vigilants sur la nature des cessions accordées à leurs éditeurs, sur leur durée, et la rémunération afférente. Elle met aussi l’accent sur le respect du droit moral. Rien n’interdit aux auteurs, en effet, de reprendre le contrôle de leurs œuvres [14].

Les œuvres orphelines ?

Parmi ces œuvres épuisées figureront immanquablement des œuvres orphelines, soit des œuvres dont les éditeurs eux-mêmes ne parviendront pas toujours à retrouver les ayant droits pour procéder aux renégociations indispensables.

En toute logique, ces œuvres ne devraient pas figurer dans la liste des œuvres appelées à être numérisées. Les éditeurs tablent sur la gestion collective qui devrait être organisée prochainement par une loi et par une directive européenne. Pourtant les conditions envisagées aujourd’hui semblent bien lourdes

Les accords nationaux et européens sur les œuvres épuisées ?

Au niveau européen, on avait préconisé des modèles de licences [pdf, en] à transposer au niveau national. Selon une enquête rapide auprès de bibliothécaires membres d’Eblida, opérant dans divers pays européens, ces modèles ne semblent avoir été adoptés par aucun pays.

Par ailleurs, en France, des négociations étaient en cours entre les éditeurs et le ministère de la Culture, sans doute en concertation avec la BnF. Pour cette « zone grise », il semble que l’on ait envisagé la voie contractuelle, préconisée dans leurs rapports par Marc Tessier [22], avant lui par Bernard Stasse [pdf], permettant de numériser les œuvres épuisées en échange d’une rémunération forfaitaire, mais aussi la voie législative, qui aurait organisé une gestion collective pour les œuvres épuisées publiées avant 1990.

Doit–on imaginer qu’en regard des difficultés et de la longueur des négociations les niveaux politiques n’ont aucun poids face aux « titans » de la culture et de l’Internet ?

L’accès aux œuvres épuisées par le public ?

Dommage car ces modèles nationaux et européens prenaient en compte les intérêts commerciaux mais peut-être davantage aussi les intérêts des auteurs ainsi que celui du public, ce dernier point étant fondamental si l’on ne veut pas donner prise au piratage.

Selon Frédéric Mitterrand, d’ailleurs, « les problématiques de la numérisation ne peuvent pas être laissées au seul secteur privé » et «  la brèche ouverte »  par Hachette met en péril le modèle économique défini dans cadre d’un partenariat privé/public, qui visait, dans le cadre du Grand emprunt, à numériser et à rendre accessibles 400 000 ouvrages du XXe siècle totalement indisponibles aujourd’hui.

Dans son rapport, Marc Tessier soulignait que s’il « n’est pas anormal qu’un partenaire privé ayant pris a sa charge la numérisation de collections bénéficie de certaines contreparties – notamment d’une exclusivité d’exploitation commerciale des fichiers », mais qu’il convient de « s’assurer que ces contreparties n’affecteront pas la mise en valeur et l’exploitation de ces fichiers par les bibliothèques elles-mêmes ».

S’il semble (sous réserve) difficile de connaître aujourd’hui les modalités de cette mise à disposition de œuvres épuisées, Hachette risque fort d’imposer ses conditions. Or, cette « zone grise » qui pourrait exploitée de manière particulière par les bibliothèques ou à des fins pédagogiques et d’enseignement, joue aussi un rôle important pour « la présence patrimoniale française sur les réseaux ».

D’autres modèles.

Hathi Trust est un consortium qui propose aux auteurs qui sont titulaires de leurs droits de déposer leurs œuvres et de les rendre accessibles selon une licence [pdf] donnant une autorisation non exclusive de copier leur ouvrage pour des usages non commerciaux. Elle leur assure, notamment aussi via la qualité des métadonnées associées, une excellente visibilité. (Savoir plus sur le blog  S.I.Lex)

La gestion collective ?

Le ministre estime aussi que la gestion collective obligatoire était particulièrement adaptée à « la mise au jour de la zone grise ».Mais puisque le modèle, dans l’environnement numérique, semble être l’accès permanent, en streaming, pourquoi ne pas s’orienter plutôt vers des licences nationales pour couvrir les usages en bibliothèques et les usages pédagogiques ? Frédéric Mitterrand n’a-t-il pas souligné aussi, lorsqu’il évoquait les œuvres épuisées, que ce type de projet «  « a une portée essentiellement patrimoniale et politique », qu’il s’inscrit non en termes de rendement financier immédiat,  mais bien pour son caractère exemplaire au titre de présence patrimoniale sur les réseaux ?

Voir aussi

>> Article initialement publié sur Paralipomènes et sur le site de l’ADBS

>> Illustrations FlickR CC : azrasta, Thorsten Becker, Lin Pernille ♥ Photography

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http://owni.fr/2010/12/02/le-reglement-hachette-google-l-oeil-du-cyclone/feed/ 4
L’édition française est-elle encore soviétique ? http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/ http://owni.fr/2009/11/22/ledition-francaise-est-elle-encore-sovietique/#comments Sun, 22 Nov 2009 16:44:37 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5625 statues_flamboyantes1Antoine Gallimard vient de donner lors du Forum d’Avignon une interview au Figaro (le buzz média – Orange – Le Figaro) sur l’avenir du livre numérique. Encore une, dira-t-on. Mais cette fois, les termes employés par le patron de la prestigieuse maison d’édition rejoignent presque complètement les propos du patron de la maison Hachette, Arnaud Nourry, qui s’était exprimé quelques jours auparavant lors d’un petit déjeuner INA-Odéon. Les deux hommes, séparés par une barrière conceptuelle apparemment irréductible, semblent étonnamment proches l’un de l’autre sur la question du livre numérique.

Tous deux s’insurgent contre la concurrence déloyale que viennent leur faire les géants  de la distribution en ligne, à la fois par une véritable guerre des prix (Amazon), et par un non-respect assez prononcé du droit d’auteur (Google). Tous deux redoutent les dangers du piratage tel qu’ils l’ont vu atomiser le marché physique de la musique. Tous deux s’inquiètent de l’actuel taux de TVA à 19,6% appliqué en France sur le livre numérique. Enfin ils semblent d’accord sur le fait de présenter un front uni, c’est-à-dire une plate-forme unique (ou des plate-formes interopérables) face à la concurrence anglo-saxonne.

Dans ce concert consensuel d’appels à la raison et à la défiance vis-à-vis de la révolution numérique, nos deux compères fustigent également le terrifiant Google Books et son accord américano-américain excluant le reste du monde (Le cas par cas étant plus facile à traiter quand on a la taille de Google plutôt que de devoir faire face à une fronde de tous côtés). Et en cela, Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont bien raison. Car Google est une machine de guerre bien entretenue et parfaitement équipée pour écraser n’importe quel concurrent sur son passage au jeu traditionnel de la confrontation juridique. Faute d’une véritable cohésion, l’édition française pourrait bien rapidement manger son pain noir et reculer sur tous les fronts à la fois.

Cette extraordinaire similitude entre les discours est inquiétante. Elle laisse entendre que les éditeurs-distributeurs français n’ont pas de discours propre, singulier, réfléchi sur la situation. Aucun n’a anticipé cette situation pourtant visible depuis plusieurs années. Enfin pas un seul des grands groupes d’édition française n’a daigné écouter les voix de ceux et celles qui prédisaient cette révolution en menant des expériences d’édition sur le terrain. D’où une étonnante incapacité à répondre de manière efficace aux problématiques actuelles et surtout de répliquer intelligemment à l’arrogance de Google et de sa filiale française.

La symétrie des discours pose un autre problème de taille, celui de la représentation que se font les grands de l’édition française de leur monde. Outre le paternalisme patent dans le discours des deux PDG vis-à-vis de l’édition indépendante, il y a cette agaçante collusion avec les appareils de l’Etat français qui seraient comme garants de la suprématie des français sur le péril étranger. Il y a là comme un soviétisme mou mais insurpassable qui lie l’institution et les éditeurs, et ce malgré la démolition progressive et discrète du CNL et de la DLL. La culture en France aurait un représentant officiel, le ministre. Et celui-ci défendrait les droits commerciaux des éditeurs (essentiellement les happy few qui tiennent le marché de la distribution). D’ailleurs, le ministre n’ a-t-il pas demandé sa part du gâteau du Grand Emprunt pour financer, à hauteur de plus de 750 millions d’euros, la numérisation du patrimoine culturel. N’est-ce pas là la réponse du berger à bergère ?

Cette étonnante ressemblance avec les dispositifs soviétiques de financement de la culture du défunt empire socialiste russe est frappante à la fois par les objectifs avoués (protéger la production nationale) et par le fonctionnement (conserver l’exclusivité et la supériorité nationales). Et c’est cet appareil déloyal du point de vue de la concurrence interne et externe qu’attaquent les tenants de l’économie globale de manière directe et indirecte.

Comme tous les appareils soviétiques, les dispositifs français se constituent en dehors de la demande et des attentes du public et surtout en marge de tout dialogue ou de toute possibilité d’intervention de ce même public. Les institutions et les grandes maisons jouent au jeu de la patate chaude, faisant des effets d’annonces pour démontrer leur bonne volonté commune, mais tout cela au détriment les acteurs sous-représentés de la profession (les éditeurs indépendants, les « petits ») et surtout au détriment des auteurs d’un côté et des lecteurs de l’autre.

En fait, plutôt que de mobiliser les quelques 3 000 maisons dites « indépendantes » au travers d’une politique plurielle, sectorielle et d’envergure menée par le SNE, les « grands » préfèrent la stratégie éculée du white washing. Ils montrent patte blanche, criant au loup, proposant chacun leur plate-forme de distribution, imitant à la perfection les modèles anglo-saxons et espérant que l’institution publique se chargera de verrouiller le marché et de tuer la concurrence étrangère. De cette manière, Google et les autres devront négocier avec un Etat souverain (et s’exposer à une extension de la confrontation aux relations internationales avec les Etats-unis). De leur côté, les « petits », les auteurs, les libraires et les lecteurs devront se résigner à la perpétuation du monopole de quelques uns sur un marché juteux.

statue_romaineLes risques d’une telle posture protectionniste, qu’elle soit française ou européenne, sont nombreux.

En tête, celui de voir la population des lecteurs migrer progressivement, sur une période de dix ans, vers des contenus gratuits en langue anglaise. Ce risque est d’autant plus grand que la France mène une politique de contraction et de coupes budgétaires sur les institutions culturelles à l’étranger (Centre culturels et Alliances françaises) qui ont fait son rayonnement pendant plus d’un siècle. L’invasion culturelle anglo-saxonne sera alors presque totale. Après les secteurs du cinéma, de la musique et de la télévision, le livre qui formait une sorte de dernière ligne de défense sera soumis à la dictature de la culture anglo-américaine. Dans un contexte européen, seuls les espagnols tireront leur épingle du jeu, car ils disposent d’une forte culture littéraire au niveau mondial et surtout d’une représentation déterminante sur le sol américain.

Le deuxième risque est de voir la guerre des prix et la balkanisation de l’offensive de Google complètement asphyxier les petites maisons d’édition et les librairies. Plus d’une sera tentée de rejoindre les géants et de s’écarter des modèles traditionnels français pour adopter les modèles parallèles dématérialisés. Si pour la plupart le gain en frais fixes sera une aubaine, ils seront cadenassés par les CGU de ces mastodontes qui ne s’encombrent ni du droit moral de l’auteur, ni d’une politique culturelle de prix unique du livre. Seules les grosses structures pourront résister aux chocs successifs qui s’accompagnent de l’inéluctable numérisation du monde scientifique, des publications scolaires, des parutions spécialisées en droit, en finance, en comptabilité, en informatique… Mais aussi tout le secteur pratique et touristique qui est salement mis en échec par l’arsenal des applications pour smart phones. Autant de niches qui disparaîtront définitivement des offres de l’édition classique.

La troisième menace sera, comme le craignent Antoine Gallimard et Arnaud Nourry, le piratage systématique et parfaitement incontrôlable par les dispositifs policiers voulus par les lobbies de la musique et du cinéma (HADOPI). Le piratage sera la solution première chaque fois que l’offre légale ne sera pas disponible, comme le démontre le rapport de Mathias Daval publié par le MOTif. Et dans l’incapacité de faire fi d’une chronologie des sorties de livres (d’abord en papier, puis en numérique), les maisons d’édition de tailles intermédiaires seront mises à mal sur les derniers pans de leurs métiers.

D’autres risques liés à la diversité des méthodes de référencement et d’archivage des publications, à la lenteur de la numérisation des fond patrimoniaux, à l’absence de politique cohérente et unifiée sur la gestion du patrimoine culturel, et au rôle des bibliothèques viendront aggraver les difficultés des maisons d’éditions et des groupes de distribution du livre. Seuls, des entités à niveaux multiples et à forte composante financière comme Hachette Livres et comme Editis-Planeta, disposant d’une réelle dimension internationale, pourront restructurer leurs actifs et prendre une part sur les marchés du livre numérique à un niveau mondial. Cela se fera dans la douleur de devoir couler quelques fleurons de l’édition française du vingtième siècle.

Antoine Gallimard et Arnaud Nourry ont raison de se méfier des hordes barbares numériques. La révolution numérique en marche comporte de nombreux périls. Mais ces derniers proviennent essentiellement de la marge de manœuvre laissée aux nouveaux entrants et surtout au manque de clairvoyance et d’anticipation dont font preuve les grosses maisons, persuadées comme les tribuns romains d’antan que l’Empire était inaltérable… Sic transit gloria mundi.

Il est temps pour les décideurs de se réveiller et de travailler, au delà des représentations et des clivages traditionnels, avec les acteurs du terrain. Ils sont ceux et celles qui effectuent le travail de fourmi et disposent de données et d’expériences propres à mettre en échec les tentatives hégémoniques des colosses aux pieds d’argile que sont les Google, les Amazon et autres du monde numérique. La révolution numérique change énormément de choses périphériques mais finalement peu de l’essentiel, et cela les patrons de grandes maisons, assis la-haut dans leurs perchoirs ont tendance à l’oublier…

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L’édition française contre le péril numérique… http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/ http://owni.fr/2009/11/02/ledition-francaise-contre-le-peril-numerique/#comments Mon, 02 Nov 2009 01:25:41 +0000 Pierre-Alexandre Xavier http://owni.fr/?p=5077 La fin de semaine étant rarement un moment de folle activité pour l’information régionale, Le Monde en profite pour sortir un volant d’opinions au titre accrocheur : le livre survivra-t-il à Internet ? Son casting est impressionnant : Arnaud Nourry [patron de Hachette Livre], Antoine Gallimard [héritier émérite et P-D.G. du groupe du même nom], Bruno Racine [patron de la BNF], Arash Derambarsh [Directeur de dépt. au Cherche-Midi], Rémy Toulouse [Directeur des éditions Les prairies ordinaires] qui font suite à Roger Chartier qui les a précédés de quelques jours.
L’édition française et les principaux représentants du livre sont là, en ordre de bataille, chacun avec ses arguments, pour lancer un bombardement massif contre Google et le péril numérique. Il y a cependant quelques absences notables comme celle de Editis, qui ne manque certainement pas de portes-paroles, ou celle de La Martinière, en procès avec le géant américain…

BNF sideDevant une telle mobilisation et une concentration inhabituelle, on serait en droit d’attendre du grand spectacle, un authentique blockbuster ! On espère des projets d’envergure, des partenariats inédits, des actions au niveau international et la forge d’un nouveau discours du livre. Et c’est ce que nous vend le titre, tel une bande annonce hollywoodienne : têtes d’affiches, pitch percutant, promesse de divertissement, succès assuré…
Mais voilà, comme beaucoup de productions cinématographiques d’outre-Atlantique, tout est dans le titre et rien n’est dans le film. Bien que la situation de l’édition française ne ressemble pas à la situation de l’édition musique et vidéo d’il y a cinq ans, la communication et les réflexes sont les mêmes. Les quelques points clés sont courus d’avance :
— l’édition ne se laissera pas spolier par l’ennemi étranger,
— les éditeurs sont les gardiens des droits des auteurs, les cerbères du patrimoine,
— le livre résistera au « tsunami » numérique,
— la garde meurt mais ne se rend pas…

Si Bruno Racine tempère les passions en bon énarque et que Rémy Toulouse relativise l’impact réel sur les petits éditeurs, le reste de la troupe mène une campagne napoléonienne. Faisant preuve d’une imagination très limitée, d’un discours convenu et d’une argumentation faible, voire fébrile, malgré des effets de manche, les « grands » de l’édition française peinent à démontrer des axes clairs et d’éventuelles actions solidaires. Tout le monde est d’accord pour désigner l’ennemi, mais personne ne propose de terrain commun, ni de politique conjointe.

Personne, sauf Hachette, qui fort de sa mainmise sur la distribution papier, n’hésite pas à ouvrir la porte de sa tour d’ivoire à qui voudra bien en passer le seuil. Arnaud Nourry n’y va pas par quatre chemins et écrit : « Habitués à tort à se méfier d’Hachette, mes confrères sauront-ils percevoir le danger que les bouleversements en cours font peser sur toute la profession ? Ma porte leur est grande ouverte. » Si l’intelligence se mesure à l’aune du chiffre d’affaire, évidemment les confrères de Hachette Livres sont particulièrement bêtes. Mais sa stratégie ne se limite pas à la politique de la main tendue, comme si sa position dominante ne pouvait être remise en question.
Arnaud Nourry va plus loin, faisant la liste des dangers qui menacent : la guerre des prix, la concurrence déloyale de Google (qui méprise le droit d’auteur) et d’Amazon (qui emprisonne les lecteurs dans son Kindle), le diktat de la politique de distribution… Hachette ne craint pas ce péril numérique car il est le leader français du stockage et de la commercialisation des livres numériques. Et qui plus est, Hachette n’est plus un groupe français mais international, un acteur majeur du marché américain. Il ne craint personne depuis qu’il a, à l’instar de Google, signé son propre accord avec Lightning source, filiale du géant Ingram, leader incontesté de la distribution américaine et grand rival de Amazon sur le livre.

Le discours de la grande braderie est le même chez Gallimard, qui convoque aussi bien les antiques que les classiques pour défendre l’honneur et l’intégrité des œuvres. Car chez Gallimard, les œuvres ont connaît. Et elles n’ont rien à craindre de Twitter et autres médias sociaux pour illettrés : « Sans craindre que les cent quarante caractères imposés par Twitter ne viennent inhiber le lecteur d’une “Pléiade” de 2 500 000 signes, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’une véritable pratique de l’écriture, sur la disparition des correspondances et du temps de lecture qui leur est consacré. » nous dit-il. Ça fera plaisir à Thierry Crouzet et c’est occulter les résultats les plus récents qui démontrent que les possesseurs de Kindle achètent (et lisent) plus de livres que les lecteurs conventionnels.
En tous cas, pas question de pactiser avec le diable (Google) ou avec la pieuvre verte (Hachette) : « Ces temps-ci, on reproche aux éditeurs d’arriver dans le désordre, en multipliant le nombre de plates-formes de distribution. Mais on se trompe de cible : il s’agit, au contraire, d’une précaution élémentaire, légitimée par un siècle et demi de pratiques éditoriales. L’alternative, en matière de distribution, est salutaire, même au plan national. » déclare Antoine Gallimard, qui comme son homologue n’en est pas un paradoxe près. C’est ainsi que l’auguste maison compte, avec ces alliés (Flammarion et La Martinière/Seuil), combattre elle aussi le péril numérique. Ici ce ne sont pas les millions qui seront décisifs mais la volonté.

tour_belemArash Derambarsh, directeur du département politique et personnalités publiques au Cherche Midi, fait sobrement l’état des lieux. Mais en tentant de se faire le médiateur diplomate entre les positions conservatrices des uns et l’inévitable virage numérique, il ne fait qu’amplifier le décalage qui existe entre les deux mondes : celui du papier et celui des réseaux numériques. A mesure qu’il avance dans son propos, Arash Derambarsh nous dit d’une manière presque naïve que la mutation est inéluctable, qu’il faut s’y préparer, et qu’une offre légale payante est la seule issue. C’est l’aveu de l’impuissance de l’industrie toute entière.

En seulement cinq papiers et une tribune offerte par Le Monde, la pensée unique et obsessionnelle de l’édition française (et même européenne) apparaît clairement : c’est à l’Etat d’intervenir et de mettre en coupe réglée toutes ces hordes barbares débarquées depuis l’autre rive de l’océan. Ce réflexe de déresponsabilisation du secteur privé devient une mode aussi coûteuse qu’intolérable. Quand les banques jouent aux apprentis sorciers dans la finance, c’est l’Etat qui trinque et les contribuables qui payent. Quand les majors de la musique détruisent leur réseau de détaillants avec des politiques sanguinaires et cannibales, et au moment de l’addition, c’est à l’Etat de bricoler des lois liberticides pour sauver leur business. Cette fois, ce sont les groupes d’édition (et dans la foulée les titres de presse) qui n’ont rien anticiper de ce qui se déroulait devant leurs nez, et c’est à l’Etat de trouver des solutions. C’est ahurissant de voir des groupes financiers de taille respectable démontrer leur incapacité totale et faire peser sur la collectivité (c’est-à-dire leurs clients !) le poids de leur incompétence.

Remy Toulouse donne une piste de travail : « …cela passe aujourd’hui sans aucun doute par la défense du livre papier, ainsi que par une vigilance critique renouvelée face à une industrie du livre dont les dysfonctionnements sont légion. » N’est-ce pas à ce niveau que l’Etat devrait intervenir et édicter des règles ? Il s’agit alors d’imposer à la grande distribution des contraintes dures sur la vente des livres. Il s’agit aussi d’appliquer les principes de base de la concurrence dans la distribution du livre et protéger les libraires de la mainmise des uns et des procédés de requins des autres. Enfin il s’agit d’instituer de nouvelles dispositions pour le droit des auteurs et de redonner à ces derniers le pouvoir de bénéficier pleinement et de contrôler les œuvres qu’ils et elles ont produites. Mais tout porte à croire que ce n’est pas de ce genre de dispositions dont veulent les groupes d’édition français.

Récemment, Mark Coker, pionnier de l’édition numérique, se fendait d’un billet dans le Huffington post portant un titre évocateur : Do Authors Still Need Publishers? [Les auteurs ont-ils encore besoin des éditeurs ?]. Il y expliquait par le menu pourquoi les “publishers” (qui n’ont pas d’équivalent en France tant l’éditeur et le diffuseur sont enchaînés l’un à l’autre) devaient passer d’une culture d’entreprise tournée vers les actionnaires et les marchés à une culture d’entreprise tournée vers les auteurs et les lecteurs, sous peine de disparaître purement et simplement de l’équation. Il n’est pas le seul à penser ainsi, loin de là. Mais apparemment, cette pensée là ne parvient pas à pénétrer les bureaux feutrés de nombre de groupes d’édition européens. Le réveil sera difficile et la chute promet d’être vertigineuse.

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