OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les ali-menteurs confondus http://owni.fr/2012/06/19/les-ali-menteurs-confondus/ http://owni.fr/2012/06/19/les-ali-menteurs-confondus/#comments Tue, 19 Jun 2012 15:12:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=113843 Les alimenteurs de Brigitte Rossigneux et Stéphane Horel, diffusé ce mardi soir sur France 5, révèle une pléthore de conflits d'intérêts entre le lobby de l'agroalimentaire et les institutions. Rencontre avec la réalisatrice Stéphane Horel.]]>

Ce soir, en première partie de soirée sur France 5, est diffusé le deuxième documentaire du duo Brigitte Rossigneux / Stéphane Horel. Après Les médicamenteurs , voici Les alimenteurs dont la bande-annonce est à retrouver sur le site de France 5. Centré sur les conflits d’intérêt et les lobbies de l’agroalimentaire, ce 52 minutes met en lumière les risques sanitaires issus de ce que nous mangeons. Owni a rencontré Stéphane Horel, la réalisatrice, qui raconte les coulisses et les raisons de leur travail.

Après Les médicamenteurs, Les alimenteurs. C’est une “maladie” ?

Brigitte [Rossigneux, NDLR] et moi avions déjà travaillé ensemble pour Les médicamenteurs – diffusé en juin 2009 sur France 5 – un an avant le début du scandale du Mediator et c’est un des premiers documentaires qui parlait du conflit d’intérêt en médecine. Nous avions fait ça ensemble. Brigitte, travaillant depuis trente ans au Canard, suit ces questions-là. Moi je travaillais sur la pollution et les perturbateurs endocriniens. Avec Brigitte, on se connaît depuis plusieurs années, nous sommes amies et nous travaillons ensemble. Je ne sais plus comment est venue l’idée exactement. Mais c’est la suite logique du premier film. Je travaille aussi sur les conflits d’intérêt en santé publique, donc ça paraissait naturel de passer après les médicamenteurs aux alimenteurs.

Ça prend toujours très longtemps, mais au départ il y avait l’idée de recommencer avec cette question de conflit d’intérêt dans un thème de santé publique. Avec la nourriture, c’est idéal. On s’y intéresse, moi je m’y intéresse, je fais attention à ce que je mange, je lis les étiquettes et je me pose des questions comme tout le monde. Ça concerne encore plus de de monde que les médicaments, il y a cette espèce de prise d’otage qui fait qu’on est obligé de manger trois fois par jour. Les gens n’ont pas le choix. Et pas forcément les moyens non plus de n’acheter que du bio. J’ai pour principe de ne pas manger ce qui a, collé sur l’emballage, une étiquette que je ne comprends pas. C’est Michael Pollan, le journaliste chroniqueur qui disait dans son livre : “n’achetez jamais ce que votre grand-mère ne pourrait pas ajouter comme ingrédient”.

Techniquement, votre travail a-t-il été différent du premier documentaire ?

Il y a un même boulot d’enquête au départ. Notre première question ça a été : est-ce qu’on fait les alimenteurs sur le même principe au départ que les médicamenteurs ?

Les géants de l’agroalimentaire bouffent l’Europe

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Nestlé, Coca-Cola ou Danone voient leur influence encore grandir à Bruxelles. De fait, l'agence européenne chargée de ...

Ça pourrait vouloir dire qu’on avait un a priori. Mais je sais comment fonctionne le système des conflits d’intérêt en santé publique. Le temps de tournage est limité par le budget, lui-même limité. L’animation coûte aussi très cher. Donc il a fallu aussi tourner vite. Quinze jours de tournage en octobre 2011, c’est très peu. Puis le montage, avec peu de rushes, en tout cas moins que quand on reste plus longtemps sur le terrain. Et puis entre tournage, montage et diffusion, ça a été court ! Moins d’un an c’est plutôt bien. Et c’est mieux que pour le précédent.

Concernant les interviews, avec qui avez-vous eu des refus, des accords enthousiastes et des non-réponses ?

Brigitte précise que des industriels ont refusé de nous rencontrer. Nous n’avons pas essayé qu’une seule fois ! On a commencé en septembre pour caler les tournages. Nous n’avions pas de réponse, des “peut-être”, Jean-René Buisson [Le président de l'Association nationale des industries alimentaires, Ania, NDLR] est très pris… Et puis je leur ai dit : “voilà mon chef op’ part en vacances dans une semaine donc soit vous nous dites que vous ne voulez pas nous rencontrer, soit il est d’accord, soit je vous rappelle tous les deux jours”. On a fini par envoyer un courrier avec accusé de réception pour vraiment dire “on vous a contacté”. Ils n’ont jamais répondu.

Au départ, on a contacté l’Ania, puisque c’est le porte-parole des entreprises. Les entreprises individuellement ne s’expriment plus. Puis j’ai essayé Danone, Nestlé, Ferrero et je n’ai jamais eu de réponse ou des fins de non recevoir. J’ai aussi demandé de tourner dans des usines. J’ai beaucoup argumenté : ça fait des siècles que les gens ne voient plus comment sont fabriqués les aliments qu’ils mangent ! Il ne faut pas s’étonner que les consommateurs paniquent quand ils entendent qu’il y a un germe dans un steak haché. Il n’y a pas de problème d’hygiène, on le sait. Notre film ne porte pas sur l’hygiène. Je voulais juste filmer des céréales du petit déjeuner, je n’ai jamais vu comment ça se fabrique. Une usine qui fabrique des céréales c’était bien. Mais tous n’ont pas été réfractaires.

Parmi les moins réfractaires, il y a eu ?

Une lobbyste qui a dit “oui” tout de suite. J’ai été agréablement surprise. Linda Pavy est américaine et vient de cette culture où on n’a pas de problème pour dire les choses. Je lui ai posé toutes les questions possibles et elle a été et est toujours fairplay. Elle ne m’en veut pas de faire mon travail. C’est ça la différence avec l’état d’esprit de l’Ania : ils restent dans leurs tranchées et c’est ridicule. C’est une position grotesque.


Il y a eu aussi avec les ministres que nous avons eu de la chance. Ce sont nos relations de travail avec les ministères qui ont joué. Qu’on avait déjà eu pour d’autres questions. Bruno Lemaire, on ne le connaissait pas, ni Brigitte, ni moi, mais il a dit oui parce que le sujet l’intéressait. Xavier Bertrand, il avait eu affaire indirectement à Brigitte avec le Médiator. Et puis Roselyne Bachelot, elle a entendu parler de notre boulot aussi. Elle avait refusé l’interview pour les médicamenteurs, peut-être qu’elle ne voulait pas se retrouver à nouveau dans cette position. Là, elle balance !

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Valérie boyer, la député UMP, elle a aussi répondu facilement parce qu’elle était très impliquée à l’époque. Elle avait beaucoup travaillé sur son rapport. Et elle était bien isolée à droite. Politiquement du coup, ça a été une motivation pour elle. Plusieurs députés de droite la suivaient mais ont été absents le jour du vote. Il était 2 heures du matin à l’Assemblée nationale quand même.

Et quelle a été la position des chercheurs ?

Ils ont tous répondu. Il y en a deux qui nous ont dit qu’ils n’avaient aucun – ou plus de – conflit d’intérêt. Arnaud Basdevant les a énuméré. Gérard Pascal travaille pour Nestlé et l’ILSI [International life sciences institute, NDLR]. Serge Hercberg dit qu’il n’a pas de conflit d’intérêt patent et Pierre Meneton est celui qui sourit en disant qu’il est ”juste payé par le contribuable”. Ils ont répondu à toutes les questions, oui. Gérard Pascal dit que ça influence de travailler pour l’industrie, il est extrêmement franc par rapport à ça. Ce que nous reprenons avec les logos dans le documentaire, c’est lui qui nous l’a dit. Après pour le souligner dans le documentaire, il a fallu trouver un procédé visuel permettant de préciser ce à quoi ils appartenaient ou avaient appartenu. C’est un peu violent pour les personnes intéressées. Il fallait qu’on trouve une solution pour visualiser les missions sans perdre dix minutes.

Nous avons fait quelques découvertes mais nous savions la majorité. Encore Gérard Pascal, il est à la retraite maintenant. Donc il n’a plus à mettre à jour ses déclarations d’intérêt. Il fait du conseil auprès de l’INRA, qui n’est pas dans cette culture-là du tout. Il n’y a pas de loi qui les oblige à ça.

Ce serait un problème de déclaration d’intérêt seulement ?

Il y a beaucoup d’entreprises privées qui financent les recherches publiques. Le problème principal, ce n’est pas le conflit d’intérêt mais l’origine même du financement de la recherche. Il y a les contrats individuels d’une personne avec une entreprise et il y a aussi l’orientation des contrats de recherche : le lobby du sucre ne vas pas orienter une recherche sur l’obésité. Le financement biaise les résultats. Par exemple pour les médicaments, une étude financée par un laboratoire a quatre fois plus de chance d’être positive pour le médicament que si elle avait été faite dans le cadre d’une étude indépendante. Mais la transparence seule ne suffit pas. On peut voir les conflits d’intérêt sur des déclarations mais les conflits sont toujours là.

Qu’est ce qui peut permettre en France d’assainir ces liens avec les industriels, la recherche et les scientifiques ?

C’est une question très complexe, la base de notre réflexion c’est la démission du secteur public de la recherche. C’est ce que disent les rédacteurs de Prescire pour les médicaments, c’est ce que dit Pierre Meneton sur la recherche. Le public a démissionné de la recherche. Quand on laisse les entreprises privées rentrer dans les universités par exemple… ou que la condition pour le grand emprunt c’est d’avoir au moins un partenariat avec le privé. On marche sur la tête. C’est l’inverse de ce qu’il faudra faire pour l’intérêt général et la santé publique.

Le constat est pessimiste…

Oui c’est pessimiste, c’est pour ça qu’on essaye de mettre un peu d’humour… Après, que ce soit vain, c’est une des questions évidemment que je me pose. Vus les sujets sur lesquels je travaille, “à quoi ça sert que je me décarcasse ?”. J’ai profondément besoin de sens dans mon travail. Ces domaines là sont un peu abandonnés, désaffectés par les journalistes alors que ça a un poids assez important ! 60 % des lois, à peu près, dérivent des lois de l’Union européenne. Quand on voit que les perturbateurs endocriniens, ça fait vingt ans que les chercheurs disent “ok, il y a un problème”. En 1999, la Commission [européenne, NDLR] avait dit “il faut qu’on s’y mette, peut-être qu’il se passe un truc grave”. L’industrie a entretenu un faux débat en polluant la science et en faisant du lobbying. Et en 2012, on en est à “ce serait bien qu’on fasse une définition des perturbateurs endocriniens” pendant des conférences qui durent deux jours. Alors que ce n’est plus un débat seul qu’il faut faire. On a un degré de connaissance scientifique pour prendre des décisions. Et on le fait pas.

Mais évidemment si je pensais que ça servait à rien, je ne travaillerais pas. Là où je me dis que ça sert à quelque chose c’est que, par exemple, les médicamenteurs ont bien tourné. Je fabrique des outils pour informer les gens. Ce n’est pas nous qui organisons les rencontres mais les gens, les associations locales, les petits festivals de documentaire “écolo” au sens large et qui peuvent programmer les films, ça permet à plein de gens d’échanger. Le principal c’est que les gens se sentent un peu moins désarmés quand ils font leurs courses. Et aussi pour savoir pour qui ils votent. Je ne fais pas des films de sciences ou de santé, je fais des films politiques.

Illustration Copyright (c) BCI Communication

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Les géants de l’agroalimentaire bouffent l’Europe http://owni.fr/2012/06/06/le-lobby-agroalimentaire-grignote-leurope/ http://owni.fr/2012/06/06/le-lobby-agroalimentaire-grignote-leurope/#comments Wed, 06 Jun 2012 12:30:16 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=112498

Les conflits d’intérêts au sein de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA ou EFSA en anglais) sont de plus en plus dénoncés. Alors que le 8 mai dernier sa présidente, Diana Banati, s’en allait occuper la direction européenne de l’International Life Sciences Institute (ILSI), le plus gros lobby mondial de l’industrie agroalimentaire, les industriels s’appuyaient encore sur des expertises de l’agence.

Controverses

Les raisons de son départ reposent sur cette décision de prendre “un poste à responsabilités” à l’ILSI. Non sans antécédents puisqu’elle en faisait partie jusqu’à la fin de l’année 2010.

En poste à l’EFSA depuis 2008, elle a été reconduite pour quatre ans en 2010. Jean-Marc Desfilhes, assistant de José Bové au Parlement, se souvient des controverses de l’époque :

Quand on est au Parlement européen, il y a des dossiers qui nous arrivent sur les genoux. On peut les feuilleter et c’est pour nous plus facile que ceux qui tombent par hasard sur des papiers. En mars 2010, on assistait à la commission Dalli [commissaire européen chargé de la Santé et de la Politique des consommateurs, NDLR] avec le groupe Envi [Environnement santé publique et santé alimentaire, NDLR] et cinq ou six députés avaient visité auparavant l’EFSA. Nous avions le compte-rendu de cette visite sous les yeux. Un parlementaire avait posé la question à la présidente de l’EFSA concernant son rôle à l’IFSI. Mme Banati a répondu qu’elle ne voyait absolument pas de conflits d’intérêt là-dedans. Nous ne savions pas ce qu’était l’ILSI. Et un mois et demi plus tard, nous avons pu comprendre que c’était le super lobby mondial de l’agro-alimentaire, présent partout. Donc au final invisible.

Le 14 juillet 2010, ”pour éviter un scandale”, le parlementaire et son assistant rencontrent le commissaire Dalli et lui laissent deux mois pour faire le ménage au sein de l’EFSA et mettre fin aux conflits d’intérêts entre la présidente et ses responsabilités annexes. Mais au mois de septembre de la même année, Diana Banati, se représente pour un second mandat au même poste.

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Après une démission de l’ILSI quelques jours avant le vote du conseil d’administration, elle est reconduite, n’ayant plus de liens formels avec le lobby. Mais ”quelqu’un qui a occupé des fonctions de ce type continue à avoir des liens avec ses anciens amis. Le conflit d’intérêts perdure bien après.”, ironise Jean-Marc Desfilhes.

Plus récemment cette année, Monica Macovei, députée PPE et ancienne ministre de la Justice en Roumanie, a été chargée de produire des rapports pour la validation des comptes des agences européennes, EFSA comprise. Dans ces rapports, elle accable, entre autres dysfonctionnements, la gestion de la transparence de l’EFSA. Le 10 mai dernier – peu après la démission de Diana Banati -, le Parlement a européen a “adopté à une très courte majorité (321 voix pour, 306 voix contre et 14 abstentions) une décision visant à ajourner la décharge à octroyer au directeur exécutif de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur l’exécution du budget de l’Autorité pour l’exercice 2010.”. Anne Delvaux, une député (PPE), écrit pour justifier son vote :

Le Parlement européen a décidé de ne pas accorder sa décharge budgétaire à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), dont les coûts sont jugés excessifs et pour laquelle des conflits d’intérêts ont été avérés. Membre de la commission parlementaire Environnement et santé publique [Envi, NDLR], j’ai moi-même pu constater combien l’EFSA était, à juste titre, sous les feux de l’actualité, avec la démission de la présidente de son conseil d’administration, Mme Diana Banati, qui a pris la direction d’un important lobby de l’industrie agroalimentaire. Ce passage a suscité de nombreuses critiques, d’autant plus que les liens de Mme Banati avec l’industrie sont connus de longue date. Interrogée jeudi sur le sujet, la Commission européenne a “regretté que Mme Banati passe directement” de l’agence de sécurité alimentaire au lobby. Bien que ce passage ne soit “pas illégal en tant que tel”, il va tout de même à l’encontre de l’esprit d’indépendance de l’agence !

L’EFSA n’ayant pas les garanties suffisantes pour que ses comptes soient validés, tant concernant les dépenses que les éventuels conflits d’intérêts qui mettraient à mal sa réputation d’agence indépendante, la conséquence la plus directe pour que soit votée la décharge du budget en octobre prochain : que l’autorité, garante de la sécurité alimentaire des millions d’européens fasse le ménage dans ses membres. Soit, avant le 30 juin, un sacré travail de fond pour éviter que les décisions ne favorisent trop les industriels.

Recette

Début mars de cette année, l’État de Californie déclarait cancérigène l’un des ingrédients de Coca. Son arôme caramel. 27 ans après le lancement de la nouvelle formule de Coca-Cola, la firme US pourrait être contrainte d’ajouter sur ses bouteilles la mention “dangereux pour la santé”. Ou d’en changer la recette. Mais celle-ci continuera à être vendue avec la même composition en Grande-Bretagne et dans le reste de l’Europe, sans label mentionnant la dangerosité de l’ingrédient.

Le caramel pourrait avoir un lien avec des cas de cancers et de leucémie chez les rats, résultats des études du National Institute of Environmental Health Sciences. Pepsi et Coca, qui cumulent à eux deux 90% du marché de la boisson aux Etats-Unis, démentent les risques de leur boisson sur la santé.

Dans The Independent, Coca estime que les risques de cancer sont “scientifiquement infondés”. Un porte parole déclarait alors que :

Le caramel dans tous nos produits a été, est et sera toujours sans danger.

Les géants de la boisson gazeuse s’appuient notamment sur les recherches de l’EFSA tant décriée pour ses liens avec les lobbys de l’industrie agro-alimentaire – pour expliquer que :

L’Autorité européenne de sécurité alimentaire a réaffirmé la sécurité du colorant contenu dans le caramel en mars 2011 et a déclaré que la présence de 4-MEI dans le caramel n’est pas un problème pour la santé. En fait, 4-MEI se trouve dans de nombreux aliments, y compris les produits de boulangerie, le café, le pain, la mélasse, la sauce soja, les sauces et certaines bières.

Dans les déclarations d’intérêts des différents membres du groupe de travail (EFSA Panel on Food Additives and Nutrient Sources added to Food), il est possible de retrouver de nombreux liens entre les membres et les industries agroalimentaires. Et avec les lobbies industriels des pays de l’Union.

En particulier avec l’International Life Sciences Institute (ILSI), l’un des plus gros lobbies de l’agro-alimentaire (dont le président, entre 1978 et 1991, n’était autre que l’un des vice-présidents de Coca-Cola, Alex Malaspina).

Au sein de ce groupe, la française Dominique Parent-Massin, professeure de toxicologie et consultante pour l’industrie à partir de 2009, a fait quelques passages chez Coca-Cola en 2009 et Ajinomoto, grand fabricant mondial d’aspartame de 2005 à 2008, considérés comme porteurs de potentiels conflits d’intérêts par l’EFSA [PDF p.7]. Dans une moindre mesure, elle a également fait partie du Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France entre 2003 et 2004.

Le Français Fernando Aguilar déclare ainsi qu’un membre de sa famille proche est employé chez Nestlé depuis août 2008 en tant que coordinateur à l’assurance qualité.

John Gilbert, l’homme d’affaires anglais est quant à lui président de Foodlife International depuis 2009 et a fait partie de l’ILSI entre 1995 et 2009. Petit détail, il est également consultant pour la maison d’édition Taylor and Francis depuis 2000, au coeur de la rubrique food and contaminant.

Jürgen König participe au Danone Nutrition Forum depuis 2007 et a passé deux ans à l’ILSI en 2010 et 2011. Entre 2007 et 2010, il a aussi fait partie de la FIAA, l’Association de l’industrie alimentaire autrichienne.

Le Danois John Christian Larsen et le Français Jean-Charles Leblanc ont également été en lien – plus ou moins étroit – avec l’ILSI : le premier, entre 2002 et 2009, et le second, entre 2006 et 2009.

Iona Pratt participait aussi aux colloques et autres de l’ILSI en 2008 et 2009.

Paul Tobback est membre, lui, de la Société générale de surveillance (SGC) depuis 1997 et a été consultant pour European Advisory Services entre 1997 et 2009. Il a fait partie du comité scientifique de Carrefour Belgique entre 2003 et 2009. Enfin il a été membre pendant dix ans, entre 2001 et 2011, du comité scientifique de la Federation of belgian food industries (un lobby belge de l’agroalimentaire).

Sur la vingtaine de membres que comptait l’étude de cas, sept d’entre eux ont des liens étroits avec l’industrie agroalimentaire. L’ONG Corporate europe observatory a poussé plus loin encore en publiant un rapport Conflits indigestes [PDF]. Avec toute cette indépendance, l’EFSA a déclaré en mars 2011 la non-dangerosité de l’arôme caramel de l’une des boissons gazeuses les plus consommées aux USA. Aujourd’hui, l’EFSA essaie de faire le ménage dans les couloirs de l’Autorité : par souci de transparence et d’indépendance. Condition sine qua non pour que les parlementaires votent la décharge du budget 2010, reportée au mois d’octobre. Du côté de l’EFSA, un porte-parole nous répond :

Le vote de la décharge n’est pas conditionné par le règlement des conflits d’intérêts. Il y a aussi les dépenses sur lesquelles nous allons aussi agir. D’autre part, nous sommes déjà en train de corriger certaines choses pour assainir les groupes de travail. Le conseil d’administration s’est réuni au mois de décembre 2011 pour définir une politique de gestion des conflits d’intérêts et aussi pour pouvoir les appliquer.


Illustrations par Christopher Dombres.

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Les dangers de l’aspartame et le silence des autorités publiques http://owni.fr/2011/03/15/les-dangers-de-l%e2%80%99aspartame-et-le-silence-des-autorites-publiques/ http://owni.fr/2011/03/15/les-dangers-de-l%e2%80%99aspartame-et-le-silence-des-autorites-publiques/#comments Tue, 15 Mar 2011 14:48:18 +0000 Marie-Monique Robin http://owni.fr/?p=51295 Dans son livre Notre poison quotidien aux éditions de la Découverte (à paraître le 24 mars) et dans le documentaire (diffusé le 15 mars sur Arte), Marie-Monique Robin revient sur trois cas emblématiques des problèmes liés à l’industrie agroalimentaire : les pesticides, l’aspartame et le bisphénol A. Elle s’arrête notamment sur l’aspartame (E951), édulcorant de synthèse au pouvoir sucrant deux cents fois supérieur à celui du sucre de canne et découvert par James Schatter, chimiste de la société pharmaceutique G.D. Searle. L’aspartame est composé de trois molécules : l’acide aspartique (40%), la phénylalanine(50%) et le méthanol(10%). Ce sont les effets nocifs potentiels de chacune de ces trois molécules qui alimentent la controverse depuis quarante ans.

MM Robin rappelle dans son enquête la polémique importante qui a précédé l’homologation de l’aspartame par la Food and Drugs Administration. Celle-ci fut prononcée peu après la nomination d’un certain Donald Rumsfeld à la tête de Searle. Et cette décision enclencha l’effet “boule-de-neige” dans les administrations européennes qui prirent le même chemin, autorisant tour à tour l’aspartame. OWNI publie les bonnes feuilles du livre de Marie Monique Robin sur le silence des autorités publiques en réponses aux différentes alertes sur les méfaits possibles de cet édulcorant.

Le savant n’est pas l’homme qui fournit de vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions.

Claude Lévi-Strauss.

« Ceux qui attaquent la sécurité de l’aspartame attaquent aussi les décisions indépendantes des autorités sanitaires et réglementaires du monde entier. Le fait est, Monsieur le sénateur, que toutes les autorités ou institutions scientifiques, médicales ou réglementaires, non seulement des États-Unis mais aussi partout dans le monde, qui ont examiné le dossier scientifique concernant la sécurité de l’aspartame sont toutes parvenues, indépendamment et séparément à la même et unique conclusion, à savoir que l’aspartame est sans danger . » Ces fortes paroles de Robert Shapiro sont particulièrement savoureuses quand on sait que l’aspartame doit son succès mondial à un (peu reluisant) « effet de troupeau », ressemblant à s’y méprendre à celui qui conduisit les moutons de Panurge à leur perte.

Dans Le Monde selon Monsanto, j’ai longuement évoqué le parcours de l’ambitieux et arrogant patron de la firme de Saint Louis, qui voulait révolutionner la planète avec les OGM. Il a commencé sa (fulgurante) carrière comme avocat chez… Searle. En 1983, il est nommé P-DG de NutraSweet, la filiale de la firme pharmaceutique chargée de produire l’aspartame (qui est vendu aux États-Unis sous le nom de « NutraSweet »). Il est confirmé dans ses fonctions en 1985, lorsque Searle est rachetée par… Monsanto, dont il prendra la tête en 1995 .

1987 : les révélations de la commission Metzenbaum du Sénat américain

En ce jour de novembre 1987, Robert Shapiro est cité comme témoin dans une audition sénatoriale à Washington, organisée par Howard Metzenbaum, un élu démocrate de l’Ohio qui n’a jamais fait mystère de son opposition à l’aspartame. Conscient que l’interdiction pure et simple de l’édulcorant est un mirage hors de portée, il bataille alors pour obtenir ce qu’il considère comme une mesure de salubrité publique, à savoir l’étiquetage obligatoire de la quantité d’aspartame contenue dans les produits alimentaires. Lors d’une séance du Congrès qui s’est tenue le 5 mai 1985, il s’interrogeait déjà en ces termes : « Avec toutes les inquiétudes concernant la sécurité du NutraSweet, est-ce qu’il n’est pas sensé, logique, que les individus et leurs médecins sachent combien d’aspartame contient leur soda light ? En quoi est-ce si terrible d’indiquer la quantité ? De quelle autre manière un consommateur ou son médecin peut-il savoir s’il a dépassé les limites d’une consommation raisonnable, tout particulièrement pendant les mois d’été ? »

J’ai consulté les cinq heures d’enregistrement de l’audition du 3 novembre 1987, disponibles sur le site de la chaîne parlementaire C-Span . Et je dois dire que j’ai été fascinée par la capacité des Américains à déballer très officiellement toute une série de vérités fort dérangeantes, même si cela ne change pas grand-chose au bout du compte – en l’occurrence, l’aspartame n’a toujours pas été interdit ni même étiqueté près d’un quart de siècle plus tard. C’est ainsi que j’ai découvert que le Pentagone avait mis la substance sur une liste de produits candidats pour le développement d’armes chimiques. Ou que pas moins de dix hauts fonctionnaires de la FDA, qui avaient œuvré dans l’entourage d’Arthur Hayes, le patron de l’agence fédérale de 1981 à 1983, pour ficeler l’homologation de l’aspartame d’abord pour les produits secs (1981), puis pour les boissons gazeuses (1983), avaient ensuite été recrutés par Searle ou Monsanto. Parmi eux : un certain Michael Taylor.

Dans mon enquête sur Monsanto, j’ai raconté comment cet avocat d’un cabinet conseil de la multinationale avait été nommé en 1991 numéro deux de la FDA (où il restera trois ans) pour rédiger la (non)-réglementation des OGM, puis deviendra en 1998 vice-président de Monsanto, firme pionnière en la matière. Considéré comme l’archétype de la pratique des « portes tournantes », il avait commencé son activité pendulaire entre les secteurs privé et public dès le début des années 1980, puisqu’il représenta la FDA lors du Public Board of Inquiry sur l’aspartame. Quant à Arthur Hayes, qui quitta l’agence en novembre 1983, dès sa mission accomplie, il devint consultant de Burson-Marsteller, l’une des firmes de communication préférées de NutraSweet et de Monsanto .

J’ai découvert aussi que, sollicité par le sénateur Metzenbaum, le Government Accountability Office (GAO), considéré comme le « bras investigateur du Congrès », avait entendu soixante-sept scientifiques : « Plus de la moitié avait déclaré avoir quelques inquiétudes concernant la sécurité de l’aspartame » – douze d’entre eux avaient reconnu « être très préoccupés ». Et j’ai découvert encore que, cinq ans après sa mise sur le marché, l’aspartame était le produit pour lequel la FDA avait reçu le plus de plaintes spontanées, dont 3 133 concernaient des « troubles neurologiques ».

Pour incarner les (nombreux) « effets secondaires » – j’y reviendrai – de la poudre blanche qui a « conquis les papilles des Américains », selon les termes du sénateur Metzenbaum, celui-ci a convié le major Michael Collins, un pilote de l’US Air Force. Adepte des footings carabinés (« sept à dix kilomètres dans le désert du Nevada »), l’officier avait pris l’habitude de boire « au moins un gallon [3,8 litres] de Coca light par jour ». Progressivement, il est pris d’imperceptibles tremblements dans les bras et mains ; puis, le 4 octobre 1985, il perd conscience et fait une crise d’épilepsie. Après un arrêt maladie, il s’envole pour le désert australien où il est privé de sa boisson favorite : les symptômes disparaissent. De retour aux États-Unis, il reprend ses bonnes vieilles habitudes. Et les tremblements reprennent, jusqu’à une nouvelle crise d’épilepsie. Un médecin lui recommande d’éviter tous les produits contenant de l’aspartame : « Je l’ai fait, a-t-il expliqué la voix émue, et tous mes symptômes ont définitivement disparu. Mais depuis, je n’ai plus le droit de voler, car l’armée considère que je suis invalide … »

D’aucuns diront que ce témoignage est « anecdotique ». Mais tel ne fut pas l’avis de Richard Wurtman, une sommité américaine dans le domaine de la neurologie, qui dirigeait alors le centre de recherche clinique du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). Lors de son audition au Sénat, il a présenté une étude qu’il avait conduite sur deux cents consommateurs d’aspartame souffrant de crises d’épilepsie, assorties de migraines et de vertiges fréquents, alors qu’ils n’avaient aucun antécédent ni aucune cause physiologique détectable . Avec l’assurance tranquille du spécialiste à qui on ne peut en compter, le docteur Wurtman a expliqué que l’origine de ces troubles pouvait être la phénylalanine, un acide aminé sur lequel il « travaille depuis quinze ans et sur lequel son laboratoire a publié plus de quatre cents études ». Coupant court aux (pauvres) arguments des représentants de NutraSweet, qui ont répété à l’envi que « les acides aminés de l’aspartame sont identiques à ceux que l’on trouve dans les protéines des aliments », le neurologue a au contraire affirmé que la « consommation d’aspartame n’avait rien à voir avec celle d’une protéine normale, parce que la phénylalanine n’est pas associée à d’autres acides aminés. C’est pourquoi elle a un effet bien supérieur sur le plasma sanguin, ce qui peut affecter la production des neurotransmetteurs et les fonctions du cerveau ».

« Combien d’études ont été réalisées pour mesurer les effets de l’aspartame sur le cerveau ?, a demandé le sénateur Metzenbaum.

– À ma connaissance, aucune », a répondu sans hésiter le docteur Wurtman, qui a alors raconté des choses fort intéressantes…

Les manœuvres de l’ILSI

En 1980, le neurologue avait témoigné devant le Public Board of Inquiry en faveur de l’aspartame : il estimait qu’incluse dans des produits secs, la substance ne présentait que des risques infimes, car sa consommation resterait limitée. Il travaillait alors comme consultant pour l’International Life Sciences Institute (ILSI), l’organisme de « recherche » fondé en 1978 à Washington par des fabricants de l’agroalimentaire (voir supra, chapitre 12), dont le directeur était Jack Filer, un scientifique de l’université de l’Iowa qui avait « testé » l’aspartame pour le compte de Searle.

En 1983, Richard Wurtman apprend que la firme a demandé une extension de l’homologation du NutraSweet pour la fabrication de sodas. Il s’en inquiète auprès de l’ILSI, car, connaissant l’engouement de ses compatriotes, notamment des enfants, pour les boissons gazeuses, il craint qu’un apport massif de phénylalanine dans la chaîne alimentaire n’entraîne de graves conséquences sanitaires. Il propose donc de conduire une étude pour mesurer la capacité de l’aspartame à « modifier la chimie du cerveau » et à « favoriser le déclenchement de crises d’épilepsie ». Informé de son projet, Gerald Gaull, le vice-président de Searle, lui rend visite dans son laboratoire du MIT et le menace de faire jouer son droit de veto auprès de l’ILSI pour que les fonds que lui verse l’organisme soient coupés. « J’ai compris que l’industrie n’avait aucune volonté de tester véritablement les effets potentiels de son produit, a expliqué Richard Wurtman lors de l’audience, et j’ai décidé de me passer de son aide financière. »

Au moment de démissionner de son poste de « consultant », il écrit une lettre à Robert Shapiro : « Cher Bob, je pense que tu seras d’accord avec moi si je dis que ce que j’apporte à Searle, c’est ma capacité de lui dire des choses qu’elle préférerait ne pas entendre pour l’aider à trouver des solutions. L’une de ces choses, c’est que certains consommateurs peuvent développer des symptômes médicaux significatifs s’ils ingèrent de grandes quantités d’aspartame, notamment lorsqu’ils suivent un régime pour perdre du poids. Si les études financées par Searle sont censées contribuer à la compréhension des symptômes de ces gens-là, alors les études doivent les inclure et ne pas se limiter à ceux qui ne consomment qu’un ou deux sodas par jour . » Lors de l’audience, le docteur Wurtman a stigmatisé les « études financées par l’industrie qui ne durent qu’un ou deux jours avec une ou deux doses d’aspartame. Comme nous savons que les symptômes apparaissent généralement après plusieurs semaines de consommation de la substance, les études d’un ou deux jours ne servent à rien ». « Le problème, a-t-il poursuivi, c’est qu’il n’y a pas d’argent public pour conduire de vraies études. Je connais plusieurs collègues qui ont déposé des projets et à qui on a répondu qu’il fallait demander le soutien de l’industrie. Moi-même, je poursuis mes travaux en puisant sur les fonds propres de mon laboratoire. »

Ce système pervers, qui permet aux fabricants de verrouiller la recherche sur leurs produits, a été confirmé par deux autres scientifiques auditionnés par les sénateurs. « Les effets de la phénylalanine sur les fonctions cérébrales des humains n’ont jamais été étudiés, a ainsi déclaré Louis Elsas, un généticien de l’université Emory d’Atlanta. Des millions de dollars ont été dépensés pour des études inutiles qui n’ont jamais traité ces questions. » Spécialisé en pédiatrie, le chercheur s’inquiétait particulièrement des effets de l’acide aminé sur les fœtus. « Nous savons que le niveau de phénylalanine présent dans le sang de la mère est quatre à six fois supérieur après avoir passé le placenta et la barrière sang-cerveau du fœtus, a-t-il expliqué. Cette capacité de concentration peut entraîner un retard mental, des microcéphalies et des malformations congénitales. Selon le même mécanisme, il pourrait se produire des dommages cérébraux irréversibles chez les bébés de zéro à douze mois. »

« Avez-vous eu des contacts avec l’ILSI ?, a demandé Howard Metzenbaum.

– Oui, et ce ne fut pas une bonne expérience, a répondu le docteur Elsas. Comme j’avais exprimé en privé et publiquement mes inquiétudes, l’ILSI m’a demandé d’écrire un projet de recherche. Ce que j’ai fait, mais je n’ai jamais eu de réponse. En revanche, j’ai vu que le protocole de l’étude que j’avais élaboré a été repris par des laboratoires payés par l’industrie. »

Endocrinologue et professeur de médecine à l’université de Californie, William Pardridge a vécu une expérience similaire avec l’ILSI, qui « systématiquement a réservé ses fonds à des alliés au sein de la communauté scientifique en refusant son soutien à ceux qui soulevaient des questions sanitaires (( Ibid. )) ». Travaillant spécifiquement sur le transport de la phénylalanine à travers la barrière sang-cerveau, il a déposé deux projets de recherche sur les effets de l’aspartame sur le cerveau des enfants, mais ils ont été refusés.

Face à ces accusations circonstanciées, les représentants ou collaborateurs de l’ILSI ont fait bien pâle figure. Parmi eux, John Fernstrom, psychiatre à l’université de Pittsburgh, a essayé de botter en touche. « Je ne peux pas imaginer qu’un enfant boive cinq canettes de coca light par jour, la quantité nécessaire pour qu’il atteigne la DJA de l’aspartame, a-t-il ironisé. C’est impossible ! » Puis, il s’est lancé dans une discussion surréaliste sur la « vitesse de dégradation de l’aspartame », qui serait « cinq fois plus rapide chez les rats que chez les hommes ». Manifestement exaspéré, le sénateur Metzenbaum a coupé court à sa langue de bois, en exhibant de derrière son pupitre, un à un, avec un sourire coquin, plusieurs dizaines de produits courants qui contiennent de l’aspartame : boissons gazeuses, chewing-gums, céréales, yaourts, médicaments, vitamines, etc. L’accumulation très théâtrale des produits a déclenché des salves d’applaudissement dans l’assistance.

Octobre 2009, la FDA persiste et signe : « La substance est sûre »

« Je n’ai aucun scrupule à dire que si nous basons la quantité d’aspartame autorisée dans nos aliments sur les études de Searle, alors c’est un vrai désastre. » Après les embrouillaminis des scientifiques de l’ILSI, le témoignage de Jacqueline Verrett est apparu d’une étonnante limpidité, provoquant un silence religieux dans la salle de l’audience. Très stricte avec ses lunettes carrées et son tailleur de vieille fille rangée, le docteur Verrett a travaillé à la FDA comme biochimiste et toxicologue de 1957 à 1979. En 1977, elle fit partie de l’équipe de Jerome Bressler et eut donc accès aux données brutes des trois fameuses études (celle sur le DKP et les deux sur la tératogénicité) qui ont fondé la DJA de l’aspartame aux États-Unis comme en Europe (voir supra, chapitre 14). Avec un ton pince-sans-rire, elle a ironisé sur les « animaux remis dans l’étude après extraction de leurs tumeurs », « les rats morts, puis ressuscités » et a tranché : « Il est impensable qu’un toxicologue digne de ce nom, après avoir effectué une évaluation complète et objective de ces données, ne conclut pas qu’il est impossible d’interpréter ces études et qu’il faut les refaire. » Or, a-t-elle asséné, « j’ai vérifié la littérature scientifique récente et je n’ai trouvé aucune étude qui ait tenté de reproduire ces recherches pour résoudre les questions soulevées ; […] de sorte que nous ne pouvons absolument pas être sûrs d’avoir la bonne DJA ».

Décédée en 1997, Jacqueline Verrett a publié en 1974 un livre iconoclaste intitulé Eating May be Hazardous to your Health (Manger peut être dangereux pour votre santé), où elle racontait son travail à la FDA. Bravant la réputation de la célèbre agence, elle n’hésitait pas à écrire : « Malheureusement, notre alimentation n’est pas la plus sûre du monde. […] Si certains additifs alimentaires étaient réglementés comme des médicaments, ils seraient interdits, sauf à être vendus sur prescription médicale, et devraient alors être accompagnés d’une mise en garde pour les femmes enceintes . » Elle donnait l’exemple du colorant rouge citrus n° 2, qui provoque des « mort-nés, des morts fœtales et des malformations congénitales chez les animaux ». La toxicologue racontait aussi le rôle qu’elle a joué dans l’interdiction aux États-Unis du cyclamate (E 952, toujours autorisé en Europe). Le 1er octobre 1969, elle avait provoqué un cataclysme en révélant sur la chaîne NBC les résultats d’une étude qu’elle avait menée sur 13 000 embryons de poussins. Elle leur avait injecté du cyclamate et ils étaient nés avec de « graves malformations congénitales » : « Colonnes vertébrales et pattes déformées, phocomélie . »

Faisant le tour des centaines d’additifs alimentaires autorisés par la FDA, dont la « majorité n’a jamais été testée », elle déplorait : « Nous sommes tous embarqués dans une expérimentation gigantesque dont nous ne saurons jamais les résultats, du moins pendant notre vie. Quels sont les dangers des produits chimiques que nous mangeons ? Est-ce qu’ils provoquent le cancer ? Des malformations congénitales ? Des mutations ? Des dommages au cerveau, au cœur et de nombreuses autres maladies ? Nous n’en savons rien. […] Il est possible que nous soyons en train de semer les graines d’une épidémie de cancers qui se développera dans les années 1980 et 1990 . »

Après avoir lu ce livre très démoralisant, j’ai pris contact avec la Food and Drug Administration à Washington. Le moment semblait propice, car le président Obama venait de confier, en mars 2009, la direction de l’agence à Margaret Hamburg, un médecin réputé pour son engagement dans la santé communautaire, domaine peu investi par l’industrie… Connaissant la procédure pour l’avoir utilisée lors de mon enquête sur Monsanto, je me suis adressée au service de presse et je suis tombée sur Mike Herndon, le fonctionnaire qui, après moult tergiversations, avait fini par me donner l’adresse électronique d’un personnage clé : James Maryanski, l’ancien directeur du département des biotechnologies de la FDA. Tout indique que Mike Herndon avait eu vent de mon film Le Monde selon Monsanto, où Maryanski faisait quelques révélations fracassantes sur les liens entre l’agence et la firme de Saint Louis, car il m’a gentiment envoyé promener ! Il m’a fallu écrire à Joshua Sharfstein, le bras droit de Margaret Hamburg, qui – preuve d’un changement Outre-Atlantique – m’a rapidement débloqué la situation. Voilà comment le pauvre Mike Herndon s’est retrouvé contraint de m’organiser un rendez-vous avec un certain David Hattan, le toxicologue en charge des additifs alimentaires à l’agence ! Quand, le 19 octobre 2009, je suis entrée dans le bureau du senior toxicologist, j’ai cru halluciner : c’était l’homme qui siégeait à gauche du commissioner Frank Young lors de la fameuse audition sénatoriale du 3 novembre 1987. Inutile de préciser que Young avait alors défendu mordicus l’homologation de l’aspartame, sous le regard approbateur de Hattan.

Je vous ai vu sur les archives de C-Span, lui ai-je dit, un rien amusée.

– Oui…

– Il y avait aussi votre collègue, Jacqueline Verrett, qui a écrit ce livre Eating May be Hazardous for your Health. Vous l’avez lu ?, ai-je demandé, en tendant l’ouvrage à mon interlocuteur, passablement crispé.

– Non… a-t-il murmuré.

– Je vous prie de l’ouvrir à la page 96. J’aimerais avoir votre commentaire, car vous travaillez ici depuis très longtemps. Le docteur Verrett écrit : “Ce n’est pas que les décideurs gouvernementaux soient corrompus…” C’est une bonne nouvelle, n’est-ce pas ?, m’interrompis-je, en scrutant la réaction de David Hattan, qui opina du chef, avec un sourire figé. Puis, je repris ma lecture : “…mais leur sens du devoir est constamment érodé par leurs contacts avec l’industrie et leur souci pour les effets à court terme sur l’industrie plutôt que pour les effets à long terme sur les consommateurs.” Partagez-vous ce constat ?

– Non, je ne suis pas du tout d’accord, me répondit le toxicologue. Je pense qu’aucun d’entre nous à la FDA estimerait faire son travail correctement s’il ne plaçait pas la sécurité du consommateur au-dessus de toute considération pour le bien-être de l’industrie. Cela reviendrait à subvertir le paradigme de l’évaluation de la sécurité. Vraiment, je ne suis pas du tout d’accord avec le docteur Verrett…

– Vous avez suivi de très près le processus d’homologation de l’aspartame, puisque vous êtes arrivé à la FDA au moment de la mise en place du Public Board of Inquiry, n’est-ce pas ?

– Oui…

– Le PBI, comme les autres groupes d’investigation de la FDA, s’est prononcé contre l’autorisation de l’édulcorant. Comment expliquez-vous que, quelques mois plus tard, la substance ait tout de même été autorisée, alors que l’opinion générale dans l’agence était que les études de Searle n’étaient absolument pas fiables ?

– Oh ! J’aimerais que vous consultiez nos archives pour que vous voyiez tout ce que la FDA a fait pour résoudre cette controverse. Cela a coûté des millions de dollars au fabricant, Searle… Nous ne défendons pas tout ce qui a été fait, ces études présentaient certes quelques erreurs et raccourcis… Vous savez, c’était avant l’instauration des “bonnes pratiques de laboratoire” et les exigences n’étaient pas aussi rigoureuses qu’aujourd’hui…. Mais nous pensons qu’aucun des problèmes rencontrés n’était suffisamment sérieux pour invalider les résultats des études et le fait que la substance est sûre .

[...]

L’influence du financement de la recherche par l’industrie : le « funding effect »

« L’article que nous venons de publier montre une augmentation de l’incidence des tumeurs du cerveau ainsi qu’une gravité accrue des tumeurs cérébrales dans la population américaine qui ont commencé trois ans après la mise sur le marché de l’aspartame . » C’était le 18 novembre 1996, lors d’une conférence de presse, organisée à Washington. Y participaient Ralph Walton, l’avocat James Turner, le sénateur Howard Metzenbaum et John Olney. Ce dernier avait épluché les données de l’Institut national du cancer concernant les tumeurs cérébrales recensées de 1970 à 1992 dans treize zones géographiques des États-Unis, qui couvraient 10 % de la population américaine. « Nos résultats montrent une première hausse ponctuelle de l’incidence au milieu des années 1970, qui peut s’expliquer par l’amélioration des techniques de diagnostic, avait commenté le neurologue, puis, une deuxième hausse très nette de 10 % en 1984, qui s’est maintenue jusqu’en 1992. » Et de conclure : « Cette étude ne permet pas d’établir si l’aspartame cause ou non des tumeurs du cerveau, mais il est urgent de répondre à cette question avec de nouvelles études expérimentales bien conçues. »

La publication de John Olney avait provoqué beaucoup de remous médiatiques, au point que le célèbre magazine télévisé « 60 minutes » décida de consacrer une édition spéciale à l’aspartame. Désemparés face à la masse d’études concernant l’édulcorant, les producteurs de CBS avaient demandé à Ralph Walton de conduire une revue systématique de celles qui avaient été publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. Une première recherche sur différentes banques de données, dont MedLine, donna 527 références, dont le psychiatre ne garda que celles qui étaient « clairement liées à la sécurité du produit pour les humains ».

D’abord, me dit Ralph Walton, il faut noter que les trois études fondamentales de Searle, qui ont servi à calculer la DJA de l’aspartame, n’ont jamais été publiées ! Par ailleurs, sur les 166 études que mon équipe a finalement sélectionnées, 74 avaient été financées par l’industrie (Searle, Ajinomoto ou l’ILSI) et 92 par des organismes de recherche indépendants (des universités ou la FDA). 100 % des études financées par l’industrie concluaient que l’aspartame était sans danger. Sur les 74, plusieurs avaient été publiées plusieurs fois dans différents journaux, sous différents noms, mais c’était la même étude. Sur les 92 études indépendantes, 85 concluaient que l’édulcorant posait un ou plusieurs problèmes sanitaires. Les sept dernières avaient été conduites par la FDA et arrivaient aux mêmes conclusions que celles financées par l’industrie.

– Comment expliquez-vous cet incroyable résultat ?, demandai-je.

– Ah ! Vous savez l’argent est très puissant…

Le phénomène que Ralph Walton a constaté d’une manière flagrante a été qualifié de « funding effect » (que l’on pourrait traduire par « effet financement »). David Michaels décrit ainsi ce mécanisme fort inquiétant : « Quand un scientifique est recruté par une firme qui a un intérêt financier dans les résultats de l’étude qu’elle soutient, la probabilité que les résultats de l’étude soient favorables à la firme augmente considérablement. » Et le nouveau patron de l’OSHA de préciser : « Le fait qu’il y ait un enjeu financier lié aux résultats change la manière dont même les scientifiques les plus respectés approchent leur recherche et interprètent les résultats des expériences. »

La vie est belle

Le funding effect a été découvert par Paula Rochon, une gériatre de Boston, alors qu’elle comparait les tests cliniques de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme l’aspirine, le naproxène ou l’ibuprofène (Advil), utilisés pour traiter l’arthrite. Elle montra que les tests payés par l’industrie présentaient toujours des conclusions favorables, même si un examen attentif des données ne le confirmait pas. Quatre ans plus tard, l’équipe du Canadien Henry Thomas Stelfox (université de Toronto) faisait le même constat pour les antagonistes du calcium, des médicaments prescrits pour soigner l’hypertension et suspectés de provoquer des infarctus. Les chercheurs ont examiné les articles publiés entre mars 1995 et septembre 1996 et classé leurs auteurs en trois catégories caractérisant leur position par rapport aux molécules : « favorable », « neutre » et « critique ». Résultat : 96 % des scientifiques « favorables » avaient un lien financier avec les fabricants d’antagonistes du calcium, contre 60 % des auteurs « neutres » et 37 % des critiques . Depuis, le phénomène a aussi été détecté pour les anticontraceptifs oraux, les médicaments pour le traitement de la schizophrénie, de la maladie d’Alzheimer ou du cancer .

J’ai épluché attentivement la liste des soixante-quatorze études financées par les fabricants d’aspartame que Ralph Walton a établie, et l’une d’entre elles a attiré mon attention, car elle illustre bien le phénomène des « boîtes noires » que décrit Bruno Latour dans son livre La Science en action. En effet, pour qu’un énoncé scientifique devienne un fait établi, dont plus personne n’est en mesure de reconstituer la genèse, il faut que celui-ci soit largement cité dans de multiples articles scientifiques. « Un énoncé a valeur de fait ou de fiction non par lui-même, mais seulement parce que les autres énoncés font de lui plus tard, explique le philosophe. Pour survivre, ou pour acquérir le statut de fait, un énoncé a besoin de la génération suivante d’articles . » Voilà pourquoi Searle et consorts ont fait publier plusieurs dizaines d’« études », qui n’ont jamais traité les questions essentielles, mais dont le but était d’occuper le terrain de la littérature scientifique : une étude publiée est une étude qui peut être citée et donc contribuer à transformer une « fiction » en « fait » et c’est encore plus efficace si on parvient parallèlement à bloquer la production d’études indépendantes sur les questions essentielles justement, une tâche dont l’ILSI s’est parfaitement acquitté.

Nous avons vu dans quelles conditions douteuses la DJA de l’aspartame avait été fixée en 1981. Dix ans plus tard, Searle demande à deux de ses scientifiques, Harriett Butchko et Krank Kotsonis, de publier un article sur le concept de la DJA, « en prenant comme exemple l’aspartame, un additif alimentaire largement utilisé », ainsi que le dit le préambule . C’est astucieux, car cela permet de poser d’emblée comme une « boîte noire » la DJA de l’aspartame, alors que quatre ans après l’audience sénatoriale, celle-ci est loin de faire l’unanimité : « L’OMS et les autorités réglementaires d’Europe et du Canada ont fixé une DJA de 40 mg/kg et la FDA de 50 mg/kg », écrivent ainsi les auteurs, qui truffent ensuite leur papier de multiples références (cinquante), principalement aux études financées par Searle (mais la source du financement n’est pas précisée), dont celles conduites par Jack Filer (neuf références), qui, on l’a vu, deviendra le directeur de l’ILSI ! Qui va vérifier que ces études, dont les auteurs prétendent qu’elles ont servi à fixer la DJA, sont toutes postérieures à 1979 ? Ou qu’une étude de l’incontournable Filer, censée confirmer l’innocuité de l’aspartame a duré… six heures, pendant lesquelles huit « adultes normaux » (quatre hommes et quatre femmes) ont ingéré 10 mg d’aspartame toutes les deux heures ?

« Le problème, a commenté Ralph Walton, c’est que toutes ces études de faible qualité, voire biaisées, sont publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. On attend toujours la “réforme radicale” que Richard Smith a appelée de ses vœux. » Directeur du prestigieux British Journal of Medicine, l’homme avait fait sensation en avouant publiquement les limites et faiblesses du système du peer review (voir supra, chapitre 9), pourtant considéré comme le must en matière de publication scientifique. « Nous savons qu’il est coûteux, lent, enclin aux biais, ouvert aux abus, voire défavorable à la véritable innovation et incapable de détecter la fraude, écrivait-il. Nous savons aussi que les articles publiés qui émergent du processus sont souvent grossièrement déficients . »

Dans cet éditorial, qui fit grincer bien des dents (industrielles), Richard Smith racontait l’expérience menée par Fioda Godlee et deux collègues du journal : ils avaient pris une étude qui allait être publiée, dans laquelle ils avaient inséré volontairement huit erreurs. Puis ils avaient envoyé le texte à 420 relecteurs potentiels, dont 221 (53 %) ont répondu : le nombre moyen d’erreurs relevées était de deux, pas un seul relecteur n’a relevé plus de cinq erreurs et 16 % n’y ont vu que du feu…

L’Institut Ramazzini, « maison de ceux qui ont consacré leur vie à la recherche de la vérité »

« Cela fait vingt ans que je bataille pour que le National Toxicology Program (NTP) conduise une étude sur l’aspartame, m’a expliqué en 2009 James Huff, le directeur adjoint du département de la cancérogenèse chimique au National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS), qui dirigea le programme des monographies du CIRC [voir supra, chapitre 10]. Malheureusement, la FDA s’y est toujours opposée, en faisant jouer son droit de veto .

– Comment l’expliquez-vous ?

– Je pense que l’agence craignait que nous prouvions que l’édulcorant est cancérigène », m’a répondu le scientifique en me renvoyant à un article de novembre 1996, qui faisait suite à la publication de l’étude de John Olney sur l’augmentation des tumeurs cérébrales. Y témoignait James Huff, ainsi que David Rall, l’ancien directeur du NIEHS, qui supervisa le NTP pendant dix-neuf ans (jusqu’à son départ à la retraite en 1990) : « C’est une manière efficace d’assurer que l’aspartame ne sera pas testé, déclarait ce dernier. On empêche les chercheurs de le tester, puis on dit qu’il est sûr . »

« J’ai lu, pourtant, que le NTP avait publié les résultats d’une étude sur l’aspartame en 2005 , ai-je poursuivi.

– C’est vrai, a reconnu James Huff, mais j’étais opposé à cette étude ainsi que plusieurs collègues du NIEHS. Elle a été menée sur des souris transgéniques à qui on a inséré un gène qui les rend plus susceptibles au cancer. C’est un nouveau modèle expérimental qui ne présente aucun intérêt pour les produits chimiques non génotoxiques. Or, l’aspartame n’est pas génotoxique, c’est-à-dire qu’il ne produit pas de mutations . Le résultat de cette étude, qui a coûté beaucoup d’argent pour rien, fut bien sûr négatif et elle a fait le bonheur de l’industrie … J’étais écœuré, c’est pourquoi j’ai participé activement à la conception des études conduites par l’Institut Ramazzini qui, elles, ont confirmé les pouvoirs cancérigènes de l’aspartame. Ce sont pour moi les meilleures études jamais réalisées sur cette substance. »

Créé en 1987, en hommage au « père de la médecine du travail » (voir supra, chapitre 7), l’Institut Ramazzini est l’œuvre du cancérologue italien Cesare Maltoni, dont les travaux sur le chlorure de vinyle avaient semé la panique chez les fabricants de plastique européens et américains (voir supra, chapitre 11). Installé dans le magnifique château renaissance de Bentivoglio, à une trentaine de kilomètres de Bologne, le centre de cancérologie environnementale définit ses programmes de recherche en collaboration avec le Collège Ramazzini, qui compte cent quatre-vingts scientifiques issus de trente-deux pays. Parmi eux, quelques-uns des scientifiques que nous avons croisés dans ce livre, comme James Huff, Devra Davis, Peter Infante, Vincent Cogliano, Aaron Blair ou Lennart Hardell, Une fois par an, cette assemblée exceptionnelle se réunit à Carpi, le « lieu de naissance du maître » Bernardo Ramazzini. Dans un article publié en 2000, qui constitue une véritable profession de foi, mais aussi son testament, Cesare Maltoni (décédé en 2001) a décrit ce qui fait l’originalité de ce collège académique à nul autre pareil. « Notre époque est caractérisée par l’énorme expansion et la suprématie de l’industrie et du commerce, au détriment de la culture (dont fait partie la science) et de l’humanisme, écrit-il. L’objectif premier et bien souvent unique de l’industrie et du commerce est le profit. La stratégie de l’industrie et du commerce pour atteindre leurs objectifs – dussent-ils entrer en conflit avec la culture et l’humanisme – a été marquée par la création d’une culture alternative pseudoscientifique, dont le but principal est de polluer délibérément la vérité, en opposant la culture et la science et en étouffant la voix des humanistes . » C’est pourquoi, poursuit Cesare Maltoni, la raison d’être du Collège Ramazzini, c’est d’« être la maison de ceux qui ont consacré leur vie à la recherche de la vérité et d’être solidaire avec ceux qui sont attaqués et humiliés parce qu’ils poursuivent la vérité ».

Depuis sa création, l’Institut a testé quelque deux cents polluants chimiques, comme le benzène, le chlorure de vinyle, le formaldéhyde et de nombreux pesticides. Ses études ont souvent contribué à une baisse des normes d’exposition en vigueur, car leurs résultats sont inattaquables. D’abord, contrairement à la grande majorité des études industrielles, celles de l’Institut sont conduites sur des méga-cohortes, comprenant plusieurs milliers de cobayes, ce qui bien sûr renforce leur pouvoir statistique . Lors de ma visite, le 2 février 2010, j’avais été impressionnée par l’étendue du laboratoire, qui couvre 10 000 mètres carrés. D’énormes installations circulaires abritaient alors 9 000 rats soumis à différents niveaux d’ondes électromagnétiques pour une expérience que le docteur Morando Soffritti, qui a succédé à Cesare Maltoni, m’avait présentée comme « top secret », avec un large sourire entendu. « La deuxième caractéristique de notre Institut, m’avait-il expliqué, c’est que, contrairement aux recommandations du guide des “bonnes pratiques de laboratoire”, nos études expérimentales ne durent pas deux ans, mais nous laissons vivre nos animaux jusqu’à leur mort naturelle. En effet, 80 % des tumeurs malignes détectées chez les humains le sont après l’âge de 60-65 ans. Il est donc aberrant de sacrifier les animaux expérimentaux à la cent quatrième semaine, ce qui, rapporté à l’espèce humaine, correspond à l’âge de la retraite où la fréquence d’apparition des cancers ou des maladies neurodégénératives est la plus élevée . »

« C’est la principale force des études de l’Institut Ramazzini, m’a confirmé James Huff. Quand on interrompt arbitrairement une étude au bout de deux ans, on risque de passer à côté des effets cancérigènes d’une substance. Et plusieurs exemples le prouvent. Le cadmium est un métal largement utilisé, notamment pour la fabrication de PVC ou d’engrais chimiques, qui a été classé dans le groupe 1 (« cancérigène pour les humains ») par le CIRC. Pourtant, les études expérimentales de deux ans ne montraient aucun effet. Jusqu’au jour où un chercheur a décidé de laisser mourir les rats naturellement : il a constaté que 75 % développaient un cancer du poumon dans le dernier quart de leur vie. De même, le NTP a étudié le toluène et n’a trouvé aucun effet au bout de vingt-quatre mois. En revanche, l’Institut Ramazzini a vu plusieurs cancers apparaître à partir du vingt-huitième mois. Le protocole des études de l’Institut Ramazzini devrait être repris par tous les chercheurs, car l’enjeu est important : on se glorifie toujours de l’allongement de l’espérance de vie, mais à quoi bon vivre dix ou quinze ans plus vieux, si c’est pour vivre sa retraite, accablé par toutes sortes de maladies qui seraient évitables si on contrôlait mieux l’exposition aux produits chimiques ? C’est pourquoi les deux études de l’Institut Ramazzini sur l’aspartame sont très inquiétantes… »

« L’aspartame est un agent cancérigène multisite puissant »

Plus inquiétant encore est le rejet de ces deux études par l’EFSA et la FDA et, dans la foulée, par toutes les agences réglementaires nationales (dont, bien sûr, l’ANSES française). Et je dois dire que j’ai beau tourner leurs arguments dans tous les sens, ils ne parviennent pas à me convaincre…

Publiée en 2006, la première étude portait sur 1 800 rats, qui ont ingéré des doses journalières d’aspartame comprises entre 20 mg/kg et 100 mg/kg, depuis l’âge de huit semaines jusqu’à leur mort naturelle. Résultat : une augmentation significative, corrélée à la dose, des lymphomes, leucémies et tumeurs rénales chez les femelles, et des schwannomes (tumeurs des nerfs crâniens) chez les mâles. « Si nous avions tronqué l’expérience en l’arrêtant à deux ans, nous n’aurions sans doute pas pu montrer le potentiel cancérigène de l’aspartame, écrivent les auteurs dans leur publication. Les résultats de cette méga-étude indiquent que l’aspartame est un agent cancérigène multisite puissant, y compris à la dose journalière de 20 mg/kg, qui est bien inférieure à la DJA . »

Curieusement, alors qu’elle se contente en général fort bien des résumés de données que lui envoient les fabricants, la FDA a, dans ce cas précis, beaucoup insisté pour obtenir l’ensemble des données brutes de l’étude. C’est en tout cas l’argument officiel qu’elle n’a cessé de brandir, à l’instar de David Hattan qui me l’a resservi sans sourciller : « Nous n’avons pu examiner qu’une petite partie des données brutes, m’a-t-il expliqué avec une moue navrée, et il nous a semblé que les changements observés étaient sporadiques et somme toute habituels dans ce genre d’expérimentation. Malheureusement, nous n’avons pas pu obtenir toutes les données, car l’Institut Ramazzini nous a dit que le règlement interne lui interdisait de les partager avec des tierces parties. »

« Pourquoi avez-vous refusé de communiquer les données brutes de l’étude ?, ai-je demandé à Morando Soffritti, le directeur scientifique de l’Institut Ramazzini.

– Je suis surpris que la FDA ait pu vous dire cela, m’a-t-il répondu, avec son indéfectible sourire en coin. Nous sommes entrés en contact avec la FDA dès 2005 et nous lui avons envoyé toutes les données en notre possession. »

Dans l’avis qu’elle a publié, le 20 avril 2007, l’agence américaine affirme, en tout cas, que « les données de l’étude ne permettent pas de conclure que l’aspartame est cancérigène ». Un an plus tôt, l’EFSA avait rendu un avis similaire, après une longue introduction où elle ne manquait pas de s’appuyer sur la « boîte noire » si laborieusement construite : « L’aspartame a notamment été l’objet de quatre études de cancérogénicité conduites sur des animaux pendant les années 1970 et au tout début des années 1980. Ces études, avec d’autres sur la génotoxicité, ont été évaluées par les agences réglementaires du monde et toutes ont conclu que l’aspartame n’avait pas de potentiel génotoxique ou cancérigène . » Puis, l’Autorité européenne en vient à l’étude de l’Institut Ramazzini, qui comprend des « déficiences remettant en question la validité des résultats. […] L’explication la plus plausible des résultats de l’étude concernant les lymphomes et leucémies, c’est que ceux-ci sont dus à une maladie respiratoire chronique dont souffrait la colonie. […] En résumé, il n’y a pas de raisons de revoir la DJA de 40 mg/kg établie précédemment. »

« Pourquoi avez-vous rejeté cette étude ?, ai-je insisté auprès d’Hugues Kenigswald, le chef de l’Unité des additifs alimentaires de l’EFSA (que nous avons déjà rencontré au cours du chapitre 14).

– Alors, d’abord que ce soit bien clair : cette étude n’a absolument pas été rejetée, au contraire, elle a été étudiée (sic) avec le plus grand soin. Par contre, ce qui est très clair, c’est qu’il y a un certain nombre, pour ne pas dire un nombre certain, d’insuffisances méthodologiques qui ont été relevées dans cette étude…

– Par exemple ?

– En particulier, le fait que certains rats présentaient des pathologies respiratoires…

– Quel est le rapport entre le fait d’avoir une maladie respiratoire et un lymphome ou une leucémie ?

– La maladie respiratoire fait que ça provoque… est à l’origine de tumeurs et peut donc complètement brouiller les pistes ; c’est exactement ce qui s’est passé dans cette étude. »

L’argument de l’EFSA a (de nouveau) fait sourire Morando Soffritti qui, bien calé dans son fauteuil, a répliqué : « Nous ne sommes pas d’accord, pour une série de raisons. Premièrement, parce que les processus inflammatoires que nous observons dans nos animaux dépendent très souvent du fait que nous les laissons mourir naturellement sans interrompre leur vie de façon arbitraire. Et comme il arrive pour l’homme, dans la dernière phase de la vie, les complications pulmonaires et rénales sont très courantes. De plus, il n’a jamais été démontré que les infections pulmonaires ou rénales, qui apparaissent en fin de vie, soient capables de produire des tumeurs en si peu de temps.

– Est-ce que les rats du groupe contrôle avaient le même problème inflammatoire ?

– Bien sûr, nous l’avons observé à la fois dans les groupes traités et dans le groupe contrôle. La seule différence entre les deux groupes était que les groupes expérimentaux avaient ingéré de l’aspartame et que le groupe contrôle n’en avait pas ingéré. »

En 2007, l’équipe du docteur Soffritti a publié une seconde étude, encore plus inquiétante que la première. Cette fois-ci, quatre cents rates en gestation ont été exposées à des doses journalières d’aspartame de 20 mg/kg et de 100 mg/kg et leurs descendants ont été suivis jusqu’à leur mort. « Nous avons constaté que quand l’exposition commence pendant la vie fœtale, le risque d’avoir les tumeurs observées lors de la première étude augmente de manière très significative, a commenté Morando Soffritti. S’y ajoute l’apparition de tumeurs mammaires chez les descendantes femelles. Nous estimons que ces résultats devraient conduire les agences réglementaires à agir au plus vite, car les femmes enceintes et les enfants sont les plus grands consommateurs d’aspartame. » Dans leur publication, Morando Soffritti et ses collègues soulignent que, « à leur demande, nous avons fourni aux agences réglementaires toutes les données brutes de l’étude ».

Pourtant, David Hattan m’a soutenu le contraire : « Nous n’avons pas examiné la seconde étude de l’Institut Ramazzini, car malheureusement nous n’avons pas pu trouver un accord pour obtenir les données brutes », a affirmé le toxicologue de la FDA.

« Ce n’est pas vrai, a rétorqué le docteur Morando Soffritti., depuis son laboratoire de Bentivoglio.

– Vous prétendez que David Hattan ment ?, ai-je insisté.

– On peut dire qu’il ment. »

Dans l’avis qu’elle a rendu le 19 mars 2009, l’EFSA souligne aussi que « les données brutes de l’étude n’ont pas été fournies par les auteurs », ce que dément avec vigueur le directeur de l’Institut Ramazzini. Puis, l’Autorité européenne écarte de nouveau les leucémies et lymphomes constatés, qu’elle s’entête à considérer comme « caractéristiques d’une maladie respiratoire chronique » (décidément !), avant de se lancer dans une explication qui a carrément fait bondir les Américains James Huff et Peter Infante tant elle leur semblait « scabreuse et peu scientifique » : « L’augmentation de l’incidence des carcinomes mammaires n’est pas considérée comme étant indicative d’un potentiel cancérogène de l’aspartame, car l’incidence des tumeurs mammaires chez les rats femelles est relativement élevée et varie considérablement d’une étude de carcinogénicité à l’autre, écrivent les experts de l’EFSA. Le groupe scientifique a constaté qu’aucune augmentation de l’incidence des carcinomes mammaires n’a été signalée dans la précédente étude menée sur l’aspartame, dans laquelle des doses du produit beaucoup plus élevées ont été utilisées . »

« C’est incroyable que des experts puissent écrire cela, s’est étonné James Huff. On dirait qu’ils n’ont pas compris que l’originalité de l’étude, c’est de commencer l’exposition in utero. Ce qui est inquiétant, c’est précisément que les descendantes ont développé des tumeurs mammaires que les rates adultes n’avaient pas développées dans la première étude. On observe exactement le même phénomène avec les perturbateurs endocriniens : ce sont les filles exposées pendant la vie fœtale qui ont des cancers mammaires, mais pas leurs mères ! »

De fait, l’argument de l’EFSA a de quoi surprendre, mais c’est pourtant le seul qu’a évoqué Hugues Kenigswald pour justifier la décision d’ignorer les résultats de l’étude italienne : « Les tumeurs mammaires qui sont décrites dans la deuxième étude n’apparaissaient pas dans la première étude, m’a-t-il expliqué, en jetant des regards vers les deux fonctionnaires européens assis dans mon dos. Donc, les résultats des deux études sont incohérents. »

« Comment expliquez-vous cet argument de l’EFSA ? », ai-je demandé à Morando Soffritti, qui, manifestement, a cherché ses mots avant de me répondre : « Les évaluations faites par les experts des différentes agences sont souvent hâtives et pas toujours réfléchies, a-t-il lâché. S’ils avaient pris le temps de mesurer ce que peut impliquer une exposition commencée pendant la vie fœtale, peut-être n’auraient-ils pas émis un jugement aussi trivial d’un point de vue scientifique… » En attendant, la décision européenne a fait le bonheur de l’Association internationale des édulcorants (ISA) qui, dans un communiqué d’avril 2009, s’est « félicitée de l’avis scientifique publié par l’EFSA qui reconfirme le précédent avis publié en mai 2006 sur la sécurité et l’innocuité de l’édulcorant aspartame, rejetant les affirmations de l’institut Ramazzini, en Italie, selon lesquelles l’aspartame serait dangereux pour la santé. Ces conclusions de l’EFSA sont entièrement compatibles avec le consensus scientifique mondial, etc.  ».

Conflits d’intérêts et boîte de Pandore

Je l’ai déjà dit et je le répète : les arguments avancés par l’EFSA et la FDA ne sont absolument pas convaincants. Comment comprendre que ces agences décident d’ignorer deux études conduites par un institut considéré comme un poids lourd dans le domaine de la cancérologie environnementale, alors qu’elles continuent de défendre bec et ongles la DJA de l’aspartame, fondée sur des études qui, pour le moins, présentent les pires « insuffisances méthodologiques », pour reprendre les termes d’Hugues Kenigswald ? Intriguée, j’ai décidé de savoir qui étaient les vingt et un experts qui constituent le « groupe ANS » de l’EFSA, le « groupe scientifique sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments ajoutés aux aliments ».

Depuis 2002, les experts de l’Autorité européenne, qui à la différence de ceux du JMPR ou du JECFA sont permanents, sont tenus de déclarer leurs conflits d’intérêts et les déclarations sont consultables sur le site de l’EFSA. J’ai ainsi découvert que John Christian Larsen, le président du groupe, travaille pour… l’ILSI ! Même chose pour John Gilbert et Ivonne Rietjens, qui a aussi des liens financiers avec la FEMA (Flavor and Extract Manufacturers Association). Quant à Jürgen König, il a des contrats avec Danone, grand utilisateur d’aspartame. Mais la « palme », si j’ose dire, revient à Dominique Parent-Massin, qui est membre du comité scientifique d’Ajinomoto, le géant japonais de l’aspartame, et de Coca-Cola, un utilisateur historique de l’édulcorant et membre fondateur de l’ILSI ! Directrice du Laboratoire de toxicologie alimentaire de l’université de Brest, l’experte a même présidé le groupe additifs alimentaires de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa, rebaptisée Anses en 2010) ! Avec France Bellisle, une chercheuse de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui siège au comité scientifique du Conseil européen de l’information sur l’alimentation (EUFIC), financé par les géants de l’agroalimentaire, et Bernard Guy-Grand, professeur de nutrition à l’Hôtel-Dieu, qui fut président du comité scientifique d’Ajinomoto, Dominique Parent-Massin fait partie de la dream team française du fabricant japonais, même si elle se garde bien de le dire quand elle intervient sous l’étiquette « autorités sanitaires » dans les congrès pour défendre l’innocuité de l’aspartame . Ainsi, lors des Entretiens de Bichat de 2006, elle a répété la bonne vieille antienne : « L’aspartame est l’un des additifs les plus étudiés au monde . »

J’ai évidemment interrogé Catherine Geslain-Lanéelle, la directrice exécutive de l’EFSA, sur les conflits d’intérêts patents qui caractérisent certains membres du « groupe ANS », avec en tête Dominique Parent-Massin. Pour être franche, j’avais quelque curiosité à rencontrer cette ancienne haute fonctionnaire très zélée de la Direction générale de l’alimentation, qui, on l’a vu dans le chapitre 6, avait refusé de communiquer le dossier d’autorisation de mise sur le marché du Gaucho au juge Louis Ripoll, alors qu’il perquisitionnait au siège de la DGAL, dans le cadre d’une instruction sur la toxicité de l’insecticide pour les abeilles. D’apparence très cordiale, la directrice exécutive m’a d’abord expliqué que l’EFSA avait commencé en 2008 la « réévaluation des colorants » et décidé récemment d’interdire un « colorant utilisé depuis trente ans en Europe dans les produits de petit-déjeuner et des saucisses consommées en Grande-Bretagne et en Irlande ». « Un examen des études a montré qu’il était génotoxique, m’a-t-elle précisé, donc nous l’avons retiré du marché, comme nous l’avions fait précédemment pour certains arômes de synthèse.

– C’est certes une bonne nouvelle, dis-je. Concernant l’aspartame, je suis surprise de voir qu’une personne comme Dominique Parent-Massin, dont les liens avec le principal fabricant d’aspartame sont avérés, siège dans le groupe sur les additifs alimentaires…

– Cela veut dire que, quand nous faisons l’évaluation de l’aspartame, cette experte ne peut pas être rapporteur, ne peut pas préparer l’avis du groupe et ne peut pas participer aux délibérations sur ce sujet, parce qu’elle a un conflit d’intérêts.

– Par exemple, dans le cas de l’avis qui a été rendu sur l’aspartame en mars 2009, Dominique Parent-Massin n’a pas participé ?

– Non… C’est important de comprendre qu’aujourd’hui la recherche publique est souvent associée à la recherche privée et, donc, qu’il est impossible de trouver des experts qui n’ont jamais eu de contact avec l’industrie, je pense que cela n’existe plus, a reconnu Catherine Geslain-Lanéelle. C’est pourquoi nous avons établi une règle qui veut que les scientifiques ayant travaillé ou travaillant directement pour le fabricant du produit évalué sont disqualifiés pour participer aux travaux d’évaluation, et c’est ce qui s’est passé avec Dominique Parent-Massin . »

La transparence, en tout cas, a ses limites. La déclaration de conflits d’intérêts de Dominique Parent-Massin que j’avais trouvée sur le site de l’EFSA avant ma visite à Parme a disparu quelques jours plus tard ! Elle a été remplacée par une nouvelle, où l’experte ne dit plus un mot sur ses liens avec Ajinomoto et Coca-Cola… L’anecdote a fait (encore) sourire Morando Soffritti, qui en avait aussi une à me raconter : « Un haut dirigeant de EFSA m’a dit un jour : “Docteur Soffritti, si nous admettions que les résultats de vos études sont valides, nous devrions interdire l’aspartame dès demain matin. Vous vous rendez bien compte que cela n’est pas possible”… »

Tout indique, en effet, que par-delà les enjeux économiques, l’aspartame est devenu une forteresse inexpugnable, ainsi que le souligne Erik Millstone, l’indéfectible poil à gratter des agences réglementaires : « Si elles admettent qu’elles ont fait une erreur, cela entraînera une perte de confiance. Et puis, elles craignent sans doute que cela ouvre les vannes, m’a-t-il expliqué avec un ton franchement accusateur. Il y a des gens qui risquent de dire : peut-être n’avez-vous pas fait une seule, mais plusieurs erreurs ; et peut-être que tout le processus est défectueux ! L’aspartame est une boîte de Pandore : si elle s’ouvre, c’est tout le système qui risque d’exploser. C’est aussi vrai pour le bisphénol A, un autre produit symbolique de l’inefficacité de la réglementation telle qu’elle fonctionne depuis un demi-siècle »…

>> Cet extrait n’est pas en Creative Commons

>> Illustrations CC pour Elsa Secco et FlickR Phranet, same_same, niallkennedy

Retrouvez notre dossier sur l’enquête de Marie-Monique Robin :

“Notre poison quotidien”: un docu difficile à digérer

Des alternatives aux pesticides

Et notre illustration de Une de Elsa Secco en CC (utilisation de l’image de Dave – aka Emptybelly en CC )

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http://owni.fr/2011/03/15/les-dangers-de-l%e2%80%99aspartame-et-le-silence-des-autorites-publiques/feed/ 0
“Notre poison quotidien”: un docu difficile à digérer http://owni.fr/2011/03/15/notre-poison-quotidien-un-docu-difficile-a-digerer/ http://owni.fr/2011/03/15/notre-poison-quotidien-un-docu-difficile-a-digerer/#comments Tue, 15 Mar 2011 13:25:53 +0000 Martin Clavey http://owni.fr/?p=51420 Le 15 mars, Arte diffusait le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien. Après avoir traité, avec un certain succès, le thème des OGM dans le Monde selon Monsanto, la documentariste s’attaque maintenant à l’agroalimentaire en général. Elle a enquêté de manière approfondie et très documentée sur trois sujets en particulier :

  • les pesticides
  • l’aspartame
  • le bisphénol A (que l’on retrouve dans de nombreux plastiques).

Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’après l’avoir vu, on a du mal à digérer.

On a du mal à digérer notamment parce que Marie-Monique Robin nous présente un monde occidental dans lequel l’agriculture intensive a tellement pris le dessus que nos agriculteurs ont du mal à réagir face aux différents accidents du travail dont ils font les frais. Car, comme le montre le documentaire, ce sont essentiellement les agriculteurs qui sont victimes de l’usage intensif des pesticides. Depuis des années, l’utilisation de ces produits est très ancrée dans la pratique des agriculteurs. Et les pressions sont très fortes pour ne pas parler des problèmes qu’ils engendrent (aussi bien des autres agriculteurs que des fournisseurs ou des commanditaires). Les agriculteurs ont donc eu beaucoup de mal à faire reconnaître certaines maladies dues à leur usage. Et il a fallu attendre le milieu des années 90 pour que “des études américaines, italiennes et scandinaves montrent que certains cancers étaient plus fréquents dans la population agricole que dans la population générale” indique dans le documentaire le docteur Jean-Luc Dupupet (médecin de la Mutuelle Sociale Agricole).

Marie-Monique Robin revient aussi longuement sur la mise sur le marché de l’aspartame alors que des scientifiques prévenaient déjà la Food & Drugs Administration (FDA) que le rapport bénéfices/risques n’était pas bon. En effet, le bénéfice de l’utilisation de l’aspartame, s’il apporte un certain confort, présente aussi des risques d’effets secondaires et de cancers. Dans son enquête, Marie-Monique Robin explique aussi comment, Searle, la société pharmaceutique productrice de l’aspartame a réussi a imposer aux politiques la mise sur le marché de son produit.

Rendre publiques les données toxicologiques pour un meilleur fonctionnement

La digestion de ce documentaire est encore plus difficile quand on apprend comment les agences de sécurité sanitaire travaillent. Robin dénonce les méthodes de calculs de la dangerosité des produits. Elle explique que la DJA (la Dose journalière admissible par le corps d’un individu moyen de 60 kg), mesure utilisée par toutes les agences, est calculée de manière assez floue. Basée sur des expériences sur les animaux, elle utilise un facteur de sûreté décidé arbitrairement par la FDA dans les années 60.

Pour mesurer cette DJA, les agences utilisent les données fournies par les industriels. Mais ces données sont protégées par une clause de confidentialité et ne sont accessibles qu’aux experts des agences. Il est donc impossible de vérifier le bon fonctionnement du système.

Angelika TRITSCHER, secrétaire adjointe au Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives (JECFA) et à la Joint FAO/WHO Meetings on Pesticide Residues (JMPR) justifie cette rétention des données par la protection du droit de propriété intellectuelle. Mais comme le dit Eric Millstone, professeur de politique scientifique interrogé par Marie-Monique Robin :

[Cette pratique] ne sert que les intérêts des entreprises chimiques et est complètement contraire aux intérets des consommateurs et de la santé publique. Seules les données qui concernent le processus de fabrication des produits peuvent justifier ces clauses de confidentialité car elles représentent des informations commerciales sensibles. En revanche, toutes les données toxicologiques devraient être dans le domaine public.

La dose ne fait plus le poison

La documentariste aborde aussi le problème du Bisphénol A (utilisés jusqu’à récemment dans les biberons) et du nonylphénol, hormones de synthèse utilisées dans certains plastiques qui entraînent des dérèglements hormonaux graves pouvant déclencher eux-mêmes des cancers (du sein et de la prostate par exemple). Ces substances jouent le rôle de perturbateurs endocriniens : elles ne sont pas toxiques au sens habituel du terme mais perturbent le bon fonctionnement du système hormonal et donc la fonction sexuelle et reproductrice.

Pour les agences de sécurité sanitaire, la DJA est la mesure la plus importante, car elle permet d’autoriser la mise sur le marché agroalimentaire d’une substance. Et cette DJA s’inscrit dans la logique qui fait que c’est à partir d’un certain seuil qu’une substance est déclarée nocive. Mais l’action des hormones n’est pas proportionnelle à la dose injectée. Par exemple, une faible dose d’une certaine hormone peut avoir une action stimulatrice alors qu’une dose importante de cette même hormone peut être inhibitrice. Mais les industriels et les agences restent sur leur dicton “La dose fait le poison” et ne veulent pas tester de produits à très faibles doses.

Enfin, Marie-Monique Robin pointe le fait que les agences sanitaires ne s’occupe aucunement des problèmes qui pourraient être liés aux “cocktails de substances agroalimentaires” sachant qu’au-delà de trois substances ingérées les toxicologues ne savent pas quels effets cela produit sur l’organisme.

Une naïveté parfois un peu trompeuse

Mais Notre poison quotidien est aussi difficile à digérer parce que son auteure refuse à la science et aux scientifiques la possibilité de se tromper et d’être approximatifs. Quand elle pointe le fait qu’une DJA ait été révisée au vu de nouvelles données, elle demande au scientifique en face d’elle si l’ancienne DJA nous protégeait. Mais on sait très bien que n’importe quel seuil de sécurité est posé en fonction des connaissances du moment et qu’il faut réviser ce seuil si on a de nouvelles données. Et ceci n’est pas seulement vrai en science, mais dans tous les domaines.

Enfin, Marie-Monique Robin conclue candidement son documentaire par une séquence en Inde pour nous montrer que dans la population de l’Orissa (état de l’est de l’Inde) les cancers sont “quasiment inexistant” (à l’exception de celui de la bouche dû à la mastication de tabac).

Consommant leurs propres légumes et du Curcumin, les villageois qu’elle rencontre ne connaissent ni cancer, ni obésité. D’ailleurs regardez, la personne interrogée ne sait même pas vraiment ce qu’est le cancer. Ici, Robin va vite en besogne et compare des modes de vie difficilement comparables. Faut-il en conclure que nous devons adopter le mode de vie indien ? Ou que cette fin est un appel a ce que nous ne aidions les pays du Sud à ne pas reproduire nos erreurs ?

Espérons que c’est cette deuxième idée que la documentariste veut faire passer. Il serait naïf de sa part de penser que la solution à tous nos problèmes agroalimentaires consisterait en l’adoption du modèle traditionnel indien.

Cette enquête nous montre que la surveillance des produits de l’industrie agroalimentaire est autant soumise aux pressions et aux conflits d’intérêts que celle du médicament (mis en lumière par le Mediator). Mais dans le cas du médicament, il existe au moins une chaîne de vérification qui n’existe pas dans l’agroalimentaire.

>> Illustrations CC Elsa Secco pour OWNI et FlickR (utilisation de l’image de Dave – aka Emptybelly en CC ) Ðeni [away for a while]

Retrouvez notre dossier sur l’enquête de Marie-Monique Robin :

Les dangers de l’aspartame et le silence des autorités publiques, les bonnes feuille du livre de Marie-Monique Robin Notre Poison quotidien

Des alternatives aux pesticides

Et notre illustration de Une de Elsa Secco en CC (utilisation de l’image de Dave – aka Emptybelly en CC )

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Les paysans victimes d’une agriculture de guerre http://owni.fr/2010/11/04/les-paysans-victimes-dune-agriculture-de-guerre-kokopelli-pesticides-agroalimentaire-nourritur/ http://owni.fr/2010/11/04/les-paysans-victimes-dune-agriculture-de-guerre-kokopelli-pesticides-agroalimentaire-nourritur/#comments Thu, 04 Nov 2010 15:23:35 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=37096 Dominique Guillet, fondateur de Kokopelli, association qui produit et distribue des semances potagères bio de variétés anciennes, fait l’ouverture du documentaire « Solutions locales pour un désordre global » de Coline Serreau. Il va poser ce qui constitue les prémices de la thèse qui est défendue par la réalisatrice :

Qu’est-ce que c’est la première guerre mondiale en fait ? C’est l’éradication de la paysannerie franco-germanique qui se fait massacrer au front, des millions de paysans sont morts !

Puis il poursuit :

Et donc, cette entreprise de dé-paysannerie a été parachevée par le deuxième guerre mondiale. Et viens se greffer, par dessus tout cela, la synthèse de l’ammoniaque qui permet de faire des bombes et qui après permet de faire des fertilisants de synthèse. Ensuite, l’invention du gaz moutarde qui va donner quoi ? Eh bien tous les insecticides, qui sont des gaz de combats. Puis, avec le plan Marshall de 1947, les États Unis arrivent avec leur tracteurs qui sont la suite logique des tanks. Donc, en fait, l’agriculture occidentale est une agriculture de guerre.

Ce propos est ensuite souligné par celui d’Ana Primavesi, ingénieur agronome, docteur, professeur en gestion des sols de l’université de Santa Maria:

Cette agriculture occidentale est un pacte, une alliance entre deux parties. Le deal était entre l’agriculture et l’industrie qui, après la seconde guerre mondiale, avait d’énormes stocks de poison sur les bras, qui devaient soit-disant « tuer des ennemis » mais, une fois la guerre finie, il n’y avait plus d’ennemis à tuer.

Elle poursuit :

Alors [...] on a eu une idée fantastique. On a dit : l’agriculture n’achète presque rien à l’industrie, de temps en temps un petit tracteur, mais rien quoi… Alors on va faire comme ça, on va passer un accord : l’agriculture achètera des machines puissantes, des engrais chimiques, des pesticides, le tout provenant de l’industrie. L’industrie empochera les bénéfices, l’agriculture sera déficitaire, mais le gouvernement va détourner une partie des impôts pour subventionner et renflouer l’agriculture.

La « révolution verte » est l’expression douteuse qui désigne le bond technologique de l’agriculture pendant la période 1945-1970, grâce aux progrès scientifiques de la première partie du 20° siècle. Elle a été largement diffusé dans le monde jusqu’à modifier radicalement le visage de la paysannerie mondiale et, par voie de conséquence, l’ensemble des ressources naturelles.

Fumigation aérienne en Argentine.

En se lançant à la conquête de l’agriculture, en faisant de l’agriculture un marché industriel, cette industrie dont les racines plongent dans une économie de guerre va défigurer pays et paysans. Cette défiguration repose sur un processus de dissociation systématique de l’économie du vivant.

[Dans son fond cette politique industrielle est profondément pétrie de la métaphysique occidentale et de l'hégémonie de son schème hylémorphique, il faut être ainsi aveuglé par cette pensée pour en arriver à croire que la terre n'est qu'un substrat, de la matière morte et inerte.]

Maintenir le vivant malade pour qu’il reste rentable

Il s’agit d’une dissociation en ce sens que la démarche consiste à briser les liens économiques et écologiques. Les processus naturels sont niés et détruits dans l’objectif d’y substituer l’utilisation des produits de l’industrie. Les milieux qui étaient naturellement associés sont décomposés pour être ensuite recomposés artificiellement dans un milieu industriel dissocié.

Ce milieu industriel dissocié qui s’est mis en place n’a cessé de se généraliser en tendant à privatiser les ressources naturelles en y substituant des ressources artificielles, notamment avec le scandale des semences.

Cette agriculture intensive et industrielle a une production qui n’est pas saine, qui est toujours toxique, même si c’est à des degrés divers et même parfois infinitésimaux. Pourquoi produire des plantes (mais la question vaut aussi pour les animaux) malades ? Cela se comprend aisément : plus les plantes sont en mauvaise santé durant le cycle de leur exploitation, plus il faudra utiliser les services et les produits de l’industrie chimique et agro-alimentaire pour les maintenir en vie, sous perfusion.

L’ensemble de ces actions visant à maintenir le vivant malade induit en même temps une augmentation du nombre de transactions qui fait mécaniquement augmenter le PIB d’un pays. De là à interpréter le PIB comme une mesure indiquant le degré d’intoxication d’une nation, il n’y a qu’un pas. Un pas que l’on peut franchir lorsqu’un intervenant du documentaire de Coline Serreau explique que :

[...] une rivière en bonne santé n’est pas valorisée en économie, elle ne représente aucune richesse. Mais commencez par la polluer puis essayer de réparer l’irréparable et vous observerez que tout cela a augmenté sensiblement le PIB. (citations de mémoire)

Face à de tels exemples, on comprend l’importance et l’enjeu de la réforme du PIB. Indicateur qui est devenu un instrument de mesure qui ne valorise essentiellement que l’ensemble des transactions d’une industrie qui fonctionne de manière quasi exclusive sur le mode de la dissociation. (Extrapolons : occupez-vous de vos parents et vous ne produisez aucune richesse, mais mettez-les en maison de repos et vous augmentez le PIB, pareil pour vos enfants quand vous les faites garder voire quand vous les mettez devant la télévision.)

En ce qui concerne l’agriculture, le résultat est là : on a beau voir de beaux champs à perte de vue, symboles photogéniques de la modernité agricole mais, ce qu’il faut voir, c’est en réalité un désert stérile, un paysage mortifié et à l’agonie.

Le paysan devenu exploitant agricole, impuissant face au système qui les endette

La terre est morte, elle ne respire plus car toute sa diversité micro-biologique a été éradiquée à coup de labours et d’intrants toxiques. Même les blés que l’on voit de nos propres yeux ne sont que des morts vivants. Car tout a été fait et organisé pour que rien ne pousse et rien de croisse sans le recours à l’industrie de l’intensité : de la graine génétiquement modifiée et brevetée jusqu’à la récolte en passant par les pesticides, herbicides et engrais. Toute l’agriculture se fait en réalité « hors-sol » car la terre a été tuée. Il s’agit d’un terracide dont toute l’écologie environnementale et alimentaire paye quotidiennement son tribut économique et environnemental.

Sans surprise, mais avec encore plus de tristesse, on constate que ce que le capitalisme productiviste et consumériste fait à notre psychique (cf. la baisse tendancielle de l’énergie libidinale, la débandade généralisé et le malaise dans lequel nous sommes), il le fait aussi en même temps, dans une même tendance, à nos terres. À la prolétarisation du travailleur (perte de savoir-faire) , puis à celle du consommateur (perte de savoir-vivre) fait écho celle de l’agriculteur et du paysan, devenus exploitants agricole, c’est à dire qu’on en a fait les agents de leur propre déchéance.

En France, les premières et les plus grandes victimes de cette prolétarisation sont d’abord et majoritairement les exploitants agricoles regroupés sous le syndicat FNSEA. On y trouve de plus en plus des hommes qui sont devenus dangereux car endettés jusqu’au cou et empêtrés dans un système aberrant, soutenu par la politique agricole commune dont il sont à la fois les agents et les premières victimes. Quel système pernicieux !

Si le diagnostic est une chose importante et première, il doit toutefois conduire à des thérapeutiques et des thérapies, et notamment conduire à des processus de reconversion qui offrent de nouvelles perspectives. Le documentaire de Coline Serreau, qui m’a ici servi de prétexte, en donne. La réalisatrice en fait un résumé dans un cours entretien vidéo :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il faut donc reconstruire nos pays et notre paysannerie et trouver des passerelles pour offrir des solutions non seulement à ceux qui sont devenus bien malgré eux des paysans prolétarisés mais également à ceux qui souhaitent se reconvertir dans la paysannerie. Si la question de la paysannerie est plus que jamais une question d’avenir, c’est aussi parce qu’il ne s’agit pas de revenir mille ans en arrière en niant les progrès accomplis : il y a nécessairement un avenir industriel et technologique à la question agricole, mais elle ne peut pas passer par des pratiques qui nous inscrivent dans la « mécroissance » sous prétexte de maintenir des rentes de situations industrielles héritées d’une industrie qui est en guerre contre l’humanité et la terre entière depuis près d’un siècle.

Je signale que le documentaire de Coline Serreau est en vente dès le 2 Novembre 2010, et que ce n’est pas qu’un produit de consommation, comme vous l’aurez sans doute compris (même si j’ai par ailleurs quelques réserves qui ne sont pas opportunes de développer ici et maintenant)

Billet originellement publié sur le blog de Christian Fauré sous le titre Prolétarisation paysanne et terracide.

Photo FlickR CC Ol.v!er [H2vPk] ; Santiago Nicolau ; C.G.P. Grey ; Diego Lorenzo F. Jose.

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