Les discussions autour de ce moment et les paroles du Ministre de l’Intérieur et très proche ami du Président Brice Hortefeux ont été filmées, puis mises en ligne par Le Monde et relayées par Lemonde.fr en raison de la nature plus qu’équivoque des propos du Ministre de l’Intérieur.
Laissons de côté l’aspect politique des choses. Les réactions des rédactions, des médias et des commentateurs politiques ont montré un profond fossé dans la compréhension du monde. Internet n’est pas un monde virtuel à part, il est le prolongement de notre monde réel, avec quelques particularités. On y trouve donc les mêmes personnes.
Rappel des faits : la vidéo qui a déclenché la polémique a été mise en ligne jeudi 10 septembre.
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Notons qu’elle est clairement identifiée comme mise en ligne par Le Monde : le texte est explicite, le compte est celui du monde.fr, un masque translucide indique LeMonde.fr. Autrement dit, ce n’est pas un illustre inconnu qui met la vidéo en ligne mais une rédaction, qui effectue un travail journalistique : vérification des sources, recoupement… Ce qui ne l’oblige bien évidemment pas à révéler ses sources, c’est même un des privilèges de la fonction de journaliste.
La ligne de défense du Ministre de l’Intérieur, également Ministre des cultes, et qui constituait à dire que ses propos sortis de leur contexte étaient mal interprétés, tiendra peu de temps. Elle ne permettra que de temporiser : soit l’affaire s’éteint parce qu’il n’y a pas à revenir sur une histoire “sortie de son contexte” et montée de toute pièce, soit les journalistes s’acharnent à faire mentir le Ministre (une stratégie à double tranchant comme le fait remarquer Versac), en particulier avec la vidéo d’origine sur laquelle on peut rendre le son plus audible et surtout étendre la séquence pour qu’il n’y ait pas de contestation sur le contexte. C’est la seconde option qui s’est réalisée, et finalement il fallait s’y attendre.
La vidéo en question dans son intégralité telle que l’a diffusée le 11 septembre 2009 au soir par Public Sénat.
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Des médias traditionnels en retard
Les hésitations des médias traditionnels à diffuser les images (lire à ce sujet les atermoiements de Gilles Leclerc pour Public Sénat, sommé de s’expliquer par la SDJ) voire simplement mentionner la polémique qui enflait déjà (Jean-Pierre Pernault, que le médiateur de TF1 Jean-Marc Pillas a promis d’interroger) ne sont pas très claires mais elles montrent un décalage et une inadéquation de certains journalistes avec l’information à l’heure du temps réel comme le notait Versac.
Pour certains journalistes, la grand messe du JT vespéral ne vient qu’entériner des informations déjà divulguées par d’autres médias : surtout, ne pas prendre de risques ni de coups. La presse ne s’est pas montrée toujours meilleure, de nombreux quotidiens n’ayant réagi dans leurs éditos… que le samedi 12 septembre (quelques extraits recensés par le Nouvelobs.fr)
Sur Internet, il n’y a pas de médias ?
Les déclarations de Dominique Wolton à l’antenne de RTL le 11 septembre sont plus étonnantes encore : d’un côté un espace pas vérifié, par légitimé, qui est Internet, de l’autre un espace légitime, qui est les médias. Ceci est lamentable et indigne d’une personne qui affiche clairement ses propres citation sur son site web, notamment Opposer les anciens et les nouveaux médias est une problématique dépassée ; il faut les penser ensemble, et qui par ailleurs est :
- membre du Conseil d’administration du groupe France Télévisions et de France 2 (a priori il sait ce qu’est un média et un journaliste)
- Directeur de recherche au CNRS (normalement c’est un gage de sérieux)
- Président le Comité d’éthique du Bureau de vérification de la publicité
- Directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS (qui a dû oublier qu’Internet existe).
La retranscription des propos tenus sur RTL est en ligne chez Benoît Delmas.
Pareille idiotie ne manqua pas de faire réagir Pierre Haski, qui rappelle qu’il est journaliste sur Internet et qui voit là une forme de lâcheté de certains journalistes qui préfèrent coller la faute sur Internet plutôt que sortir une vidéo. Accuser le moyen de transmission, cela revient à dire que si la radio se permet de critiquer, c’est de la faute des ondes.
Le coupable, c’est Internet !
Comme le pressentait dès le 10 septembre Guy Birenbaum dans C’est pas très net sur Europe 1 : En France, lorsqu’un puissant commet un faux pas, ce n’est pas lui qui paye les pots cassés, c’est le messager ou le média qui a osé divulguer et amplifier son propos, en l’occurrence Internet. Il faut comprendre ici que le messager est Le Monde, et le média pris au sens de moyen de communication et mode de transmission de l’information est Internet.
Ce véritable travail se sape concernant Internet ne date pas d’hier dans les médias broadcast,comme le note 3615 Mavie qui a recensé des vidéos effarantes extraites de journaux télévisés qui accusaient la toile des pires maux. Cette diabolisation se poursuit encore aujourd’hui : que l’on songe à la vidéo commandée par Nadine Morano sur les dangers d’Internet truffée d’amalgames douteux, au reportage partisan d’Envoyé Spécial sur Facebook ou aux déclarations édifiantes d’un Frédéric Lefèvre pendant le débat sur Hadopi I.
La première erreur de base c’est de présenter Internet comme un tout foisonnant et brouillon (un tout-à-l’égout pour Denis Olivennes) duquel sortirait de temps en temps des morceaux peu ragoûtants. Comme le rappelle avec humour Michaelski : ce sont bien les médias qui lancent des scoops et des images volées de politiciens, de Ségolène Royal à Manuel Valls en passant par Patrick Devedjian et Nicolas Sarkozy lui-même.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Un rapport ambigu du politique au net : la fracture numérique est toujours là
Au fond, il y a une dichotomie profonde dans le discours des politiciens, comme l’indique Renaud Revel qui rappelle qu’en cela Brice Hortefeux est à bonne école avec son ami d’enfance Nicolas Sarkozy pour qui un ordinateur sert uniquement à écrire.
D’un coté la toile est considérée comme un formidable média complémentaire qui n’est pas pris en compte par ce CSA dans le décompte du temps de parole, ce qui est bien pratique car une vidéo ou un site qui “tourne” c’est autant de propagande politique gratuite et sans contrôle quand le buzz va dans le bon sens. Il n’y a qu’à voir la légitime admiration des politiciens français quant à la campagne de Barack Obamma, largement appuyée par les réseaux sociaux et le web sur lesquels les militants étaient invités à s’impliquer, et les ambitions des différents partis pour imiter ce principe. Pensons par exemple aux Créateurs des possibles pour l’UMP et à la CooPol pour le PS.
De l’autre, Internet est le mal incarné, l’œil qui espionne et qui lynche en place publique dès qu’il le peut, le lieu de toutes les bassesses et des rumeurs les plus folles. Comme le note Amaury de Rochegonde sur France Info, il est certain que les équipes de communication des personnalités politiques doivent s’en prendre à elles-mêmes : à trop vouloir user du levier de la mise en scène, ce n’est qu’un retour de flamme du “tout transparent” dont les citoyens se sont emparés grâce aux nouveaux outils de diffusion et de partage dont ils disposent.
A trop vouloir exhiber leurs moments de vie privée, leurs loisirs et leurs passions dans les émissions de divertissement pour s’attirer la sympathie des électeurs en montrant que ce sont des gens comme tout le monde, les professionnels de la politique ont pris un risque sans penser qu’il serait difficile de faire marche arrière. Ce n’est pas seulement une désacralisation de la politique qui est à l’œuvre, c’est le culte du je me présente tout entier et nu devant votre jugement que les Etats-Unis connaissent si bien qui prend forme dans l’Hexagone.
Une instrumentalisation à sens unique
Cette tendance à distinguer Internet du monde réel, doublée de l’envie d’instaurer des règles et valeurs à deux niveau avec d’un côté les braves citoyens, de l’autre les méchants internautes, est une tendance de fond comme le notait un avocat sur Ecrans. Mais ces citoyens et ces internautes, ce sont les mêmes personnes ! Il y a plus de 30 millions d’internautes en France.
Ce sont les mêmes qui moquent les politiques sur Internet et les mêmes qui se sont déplacées en masse lors des élections présidentielles de 2007. Ce sont les mêmes qui achètent en ligne et qui piratent. Ce sont les mêmes qui critiquent les médias (ce qui signifie qu’ils les consultent, ne serait-ce que pour savoir de quoi parler) et qui souhaitent que ceux-ci s’améliorent. Traiter avec mépris Internet, c’est mépriser des citoyens qui discutent, consomment, s’informent et partagent en ligne. Et qui votent.
Des pièges ? Non, du « off » qui devient « on »
Internet ne piège pas les politiques, comme on l’a trop souvent dit ou écrit. D’abord parce qu’Internet n’existe pas en tant qu’entité. Dans l’affaire Hortefeux il s’agissait de journalistes, dans d’autres cas c’étaient des passants ou des militants, des gens bien réels et pas des fantômes évanescents.
De plus, les personnalités politiques ne sont pas piégées dans ce sens où il n’y a pas manœuvre, manipulation, trahison. Elles sont simplement prises sur le vif, dans une situation où le discours n’est pas aussi policé et maîtrisé que dans le cadre des traditionnelles interviews ou prises de paroles en public. Les progrès de l’électronique et les outils de partage existant en ligne, les professionnels de la politique doivent savoir qu’aujourd’hui le off n’existe plus. Ce n’est pas la première fois qu’un imprudent se fait prendre, ce ne sera pas la dernière. La leçon que certains ont payée cher n’a pas profité aux petits camarades.
La boucle est bouclée : il faut qu’Internet la boucle
La réaction ce matin dans les 4 Vérités de Jean-François Copé, l’autre personnalité politique présente dans la vidéo incriminée, n’est pas à son honneur non plus. En substance : J’ai pensé à ceux qui font votre métier, ceux qui sont preneur de son, cameraman, reporter… qui font des vrais reportages… Là, on a été sur autre chose. Il s’agissait pourtant bien de journalistes : autant savoir de quoi on parle quand on aborde un sujet aussi brûlant de l’actualité. Et d’ajouter Il faudra un jour ou l’autre que l’on assume un débat public sur Internet et la liberté. Avec Hadopi II, c’est pourtant bien déjà de cela qu’il était question.
Rappelons qu’il fut dans le gouvernement de Dominique de Villepin le champion de la transparence dans la gestion publique avec ses 100 audits lorsqu’il était Ministre du Budget et de la Modernisation de l’Etat (il lança alors une vague importante de modernisation de l’administration publique avec Adèle, la télédéclaration fiscale, les plateformes de marché public sur Internet…) et qu’il se vantait sans rire d’arrêter la langue de bois.
Petit manuel à l’usage de ceux qui embrassent ou veulent embrasser une carrière politique
1 – Internet n’est pas un monde à part, c’est un monde construit par des gens bien réels. C’est aussi un monde plus rapide. Derrière un internaute, il y a un citoyen.
2 – Internet est un moyen de communication au même titre que le papier et les ondes. Le saviez-vous, il y a des journalistes sur Internet !
3 – Internet n’est pas un outil dont on se sert de manière verticale pour communiquer de haut en bas : la base réagit, et bien plus fort que le sommet. Il sera difficile de museler la toile dans un pays ouvert. En Chine, en Iran, en Corée du Nord, c’est une autre histoire.
4 – En politique, le off n’existe plus car la communication politique a trop joué avec les mises en scènes de la vie privée et des moments intimes. Désormais, vous êtes sous l’œil permanent des citoyens que vous avez voulu draguer à tout prix.
5 – Faute avouée à moitié pardonnée : nier quand les faits accablent, ça ne prend que si on a des moyens de coercitions conséquents pour étouffer les choses. Si Hortefeux avait dit que c’était une mauvaise plaisanterie ou qu’il regrettait des propos ambivalents, peut-être n’aurait-il pas eu droit à un tel tollé. Peut-être, mais ses antécédents ont parlé contre lui.
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