OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le code source du premier jeu http://owni.fr/2011/11/17/le-code-source-du-premier-jeu/ http://owni.fr/2011/11/17/le-code-source-du-premier-jeu/#comments Thu, 17 Nov 2011 11:02:01 +0000 Trois Couleurs http://owni.fr/?p=87210 À l’occasion de l’exposition Game Story, au Grand Palais, OWNI s’associe au magazine Trois Couleurs pour vous proposer plusieurs articles autour du jeu vidéo, issus du hors-série concocté par la rédaction de Trois Couleurs, “Games Stories”.

Je sortais de l’université, du Dartmouth College, et j’ai commencé à travailler au M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) à l’automne 1958. Je bossais sur l’intelligence artificielle (I.A.) dans un laboratoire avec John McCarthy. Nous avancions sur des pistes visant à créer cette forme d’intelligence. J’ai commencé l’élaboration d’un programme qui permettrait de gérer des listes d’informations via un ordinateur.

L’idée, c’était d’autonomiser la machine pour qu’elle interprète ces listes de manière rationnelle afin d’éviter la saisie et la valorisation des informations par la main de l’homme. Mon rôle était de traduire les idées des chercheurs en langage informatique. Après d’intenses, travaux nous sommes parvenus à intégrer ce langage, cette I.A. nommée Lisp, dans un IBM 704 au printemps 1959.

Russel + PDP-1 = Spacewar!

Bref, je planchais sur différents projets, lorsque à l’automne 1961 une entreprise, la Digital Equipment Corporation, donna au M.I.T. un ordinateur : le PDP‑1. Celui-ci fut installé près de mes bureaux. Je connaissais une bande de types du club de modélisme ferroviaire, le TMRC (Tech Model Railroad Club), qui expérimentaient sur le PDP‑1. Je suis donc passé les voir et la machine a retenu mon attention. Il y avait un programme de démonstration qui tournait dessus, et qui présentait trois points sur l’écran. Chacun de ses points était influencé par les autres, ils tournaient ensemble, produisant une sorte de motif kaléidoscopique.

C’était marrant de jouer avec pendant quelques heures. Mais j’ai vite trouvé ça barbant. Le système était trop aléatoire, les motifs pas si intéressants et pas vraiment différents à la longue. Alors j’ai évoqué l’idée de construire un programme plus abouti. Il se trouve qu’à ce moment la course aux étoiles battait son plein. En 1961, les Russes ont mis un homme en orbite. Juste après, les Américains sont parvenus à faire de même. J’ai réalisé que bien peu d’humains savaient comment piloter une navette spatiale. Je me suis dit qu’on devrait produire un logiciel d’entraînement au pilotage d’engins spatiaux.

Comme d’habitude avec ce genre de projet, les gens m’ont dit : « Tu sais… C’est vraiment une super idée. Vraiment chouette. Par contre, ça a l’air compliqué… Et pourquoi tu ne le ferais pas toi-même ? » [Il se met à rigoler comme un bossu, ndrl] Et voilà comment je me suis retrouvé à écrire les lignes de code de Spacewar! sur le PDP‑1 en 1961.

J’ai eu l’idée de mettre en scène deux vaisseaux spatiaux, et de leur donner la capacité de se tirer des missiles dessus. J’y ai ajouté la possibilité d’accélérer et de tourner. Ça, c’était vraiment marrant à jouer. Mais il y avait encore des ajouts à faire pour rendre l’expérience tout à fait intéressante.

J’avais intégré en arrière-plan une voute stellaire fictive. Un informaticien, Peter Samson, trouvait ça tragiquement peu réaliste. Il a donc créé un petit programme, qu’il a appelé Expensive Planetarium. Il permettait de représenter de vraies galaxies. En intégrant ce planétarium dans mon jeu, je me suis rendu compte que mon code était perfectible, que je pouvais augmenter la vitesse de calcul du programme. Cela m’a permis d’accélérer les déplacements des vaisseaux, d’alléger le calcul de leur positionnement. Du coup, on a eu de l’espace en rab. On l’a comblé avec la gestion de la gravité entre les deux vaisseaux.

Le hic, c’était qu’on n’avait plus de place pour gérer la gravité des missiles. On a donc décrété qu’il s’agissait de missiles-photons, non affectés par la gravité. Les vaisseaux évoluent sur une grille qui définit leur position et la direction d’émission des missiles. On ne pouvait figurer cela en trois dimensions, mais uniquement sur un seul plan, or celui-ci intégrait de vraies propriétés physiques. Ainsi, j’ai pu mettre les vaisseaux en orbite autour d’une étoile qui les attirait, ce qui a conféré au jeu une dimension réellement tactique.

Cela nous a pris d’abord six semaines, sur notre temps libre, pour achever la première version de Spacewar! Puis six autres semaines pour terminer la version avec gravité. Vous pouvez penser que c’est très rapide, mais il faut comprendre qu’il n’y avait que deux mille lignes de code à assembler – l’ordinateur ne nous permettait pas d’en faire beaucoup plus.

Le seul truc sur lequel on s’est vraiment arraché les cheveux, c’était la gestion de la rotation des vaisseaux, compte tenu de la puissance de calcul dont on disposait. Une vraie prise de tête. J’ai trouvé la solution en retournant le problème. Au lieu de calculer la position en permanence, on pouvait la calculer uniquement au moment où elle changeait. Pour le reste, c’est allé tout seul. Non, on n’appelait pas ça un « jeu vidéo », le terme n’est apparu que vingt ans plus tard. Je ne peux pas vous laisser dire que Spacewar! est le premier jeu vidéo. Il y a eu OxO en 1952, ou Tennis for Two en 1958. En 1959, j’ai vu des types du M.I.T. Competition Center mettre au point un programme de balle rebondissante.

“Je ne peux pas vous laisser dire que Spacewar! est le premier jeu vidéo.”

Revenons à Spacewar! Les gens de Digital Equipment Corporation, qui avaient mis le PDP‑1 à notre disposition, ont vu le jeu. Nous, on a pensé brièvement leur vendre le programme. Mais il n’y avait aucune raison qu’ils veuillent l’acheter, et le prix qu’ils proposaient était dérisoire. En fait, ils étaient un peu embêtés parce que notre machin paraissait vraiment trivial. Eux, ils cherchaient à vendre des ordinateurs sérieux à des gens sérieux. Ils ont aussi réalisé que c’était un chouette argument de vente. Peu de temps après, il y a eu un accord officieux entre les chaînes de production et les revendeurs du PDP‑1. En bout de production, le dernier truc que faisaient les assembleurs, c’était de charger Spacewar! sur les machines et regarder s’il tournait correctement. Ce que faisaient à leur tour les revendeurs pour s’assurer que l’ordinateur n’avait pas souffert pendant le trajet. Quand des clients entraient dans le magasin, on leur montrait Spacewar! car, à l’époque, les machines ne proposaient pas grand-chose de visuellement parlant.

De notre côté, nous avons participé à la diffusion du jeu auprès des utilisateurs du PDP‑1. Vous pouviez en demander très simplement une copie auprès de Digital Equipment Corporation. Du coup, beaucoup de personnes ont vu Spacewar!, notamment parce que la moitié des PDP‑1 se trouvaient dans les universités. C’était un truc que les étudiants aimaient montrer à leurs amis. Bien sûr, tout le monde le connaissait au M.I.T. Ce qui fait que ce fut le jeu le plus populaire pendant quelques années. Ça, et aussi le fait qu’il n’y avait pas de concurrence à l’époque.

“Spacewar! est devenu une source d’influence pour beaucoup d’ingénieurs en informatique”

Ainsi, Spacewar! est devenu une source d’influence pour beaucoup d’ingénieurs en informatique. Si vous voulez, c’est peut-être en cela (à part le fait qu’on était les premiers à représenter des explosions sur un écran) que l’on peut dire que c’est le « premier » jeu vidéo : il a montré que si vous aviez un peu de temps à tuer sur un ordinateur, vous pouviez vous asseoir et commencer à coder votre propre jeu. Prenez le jeu d’arcade Asteroids, sorti en 1979. Le concepteur avait joué à Spacewar!, Asteroids s’en est beaucoup inspiré, il n’y a qu’à le regarder. Enfin, notre jeu peut se jouer à deux ; le sien, on en profite que tout seul…

Après cette aventure, j’ai gardé peu de contacts avec le jeu vidéo. Dix ans après Spacewar!, c’est devenu une industrie, avec les bornes d’arcade. Moi, je bossais sur d’autres projets en lien avec mes premières recherches. Une autre décennie plus tard, l’informatique est devenue bon marché et les gens ont commencé à faire des jeux maison. Par la suite, je me suis impliqué dans des start-up de jeu vidéo, mais les lois du business ont fait qu’il n’est plus possible de bricoler un programme seul. Vous avez besoin de plusieurs ingénieurs et d’un paquet d’artistes. Regardez les génériques de fin d’un jeu moderne, ça ressemble au long défilé d’un générique de film. Aujourd’hui, je continue de montrer Spacewar! aux visiteurs du Computer History Museum en Californie. On a de la chance, le PDP‑1 est une machine increvable.


Propos recueillis par Étienne Rouillon
Illustrations de Marion Dorel pour Trois Couleurs
Article initialement paru dans le hors-série Games Stories du magazine Trois Couleurs

Retrouvez la Une “Games Stories”les deux autres articles du magazine Trois Couleurs sur Owni :
Tournez manettes !
Infographie : L’incroyable généalogie du jeu vidéo

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Quand les utilisateurs de logiciels libres refusent de mettre la main à la poche http://owni.fr/2010/09/14/quand-les-utilisateurs-de-logiciels-libres-refusent-de-mettre-la-main-a-la-poche/ http://owni.fr/2010/09/14/quand-les-utilisateurs-de-logiciels-libres-refusent-de-mettre-la-main-a-la-poche/#comments Tue, 14 Sep 2010 14:27:50 +0000 Philippe Scoffoni http://owni.fr/?p=28097 L’objet de cet article est de nous interroger à nouveau sur les travers de la gratuité et de son association aux logiciels libres, mais par un exemple concret. C’est l’histoire d’Olivier et de son plugin Wats qui vous est ici comptée :

J’ai commencé il y a un an le développement d’un plugin Wordpress pour transformer celui-ci  en système de support technique avec gestion des tickets. En un an, j’ai livré plus de 50 versions et des centaines de correctifs et nouvelles fonctionnalités. En échange, je n’ai reçu que très peu de donations. Régulièrement, des gens demandent de nouvelles fonctions, promettent parfois des dons en retour, mais ne donnent rien au final.

WordPress 3.0 est sorti il y a peu. Je n’avais pas pris le temps de tester et modifier WATS pour fonctionner avec cette nouvelle version et de nombreux utilisateurs ont mis à jour leur Wordpress sans faire attention à la compatibilité. Ils viennent maintenant me réclamer une version compatible au plus vite et bien entendu ne veulent toujours pas faire de dons.

J’ai eu une idée un peu originale : livrer la nouvelle version lorsque j’aurai reçu 500€ de dons. Il y a plus de 250 sites qui utilisent le plugin dont des entreprises. 500€ de dons, ce n’est donc pas grand-chose au regard des centaines d’heures passées jusqu’à présent pour développer le plugin.

J’ai suggéré à ceux qui me pressuraient pour livrer une version compatible avec Wordpress 3.0 de faire des dons. Je m’engageais à envoyer la nouvelle version à tous les utilisateurs faisant un don d’au moins 10€ . J’ai eu quelques dons. Une grosse dizaine en un peu plus de deux mois.

Ce qui a joué en ma faveur et forcé certains à donner, c’est que la version disponible sur wordpress.org n’était pas compatible avec wordpress 3.0 à cause de gros changements dans le core de WP. Du coup, ceux qui voulaient une version compatible ont dû faire un geste. En retour, je leur fournissais une version mise à jour (sachant qu’entre temps, j’avais aussi ajouté quelques fonctionnalités sympas).

Quels enseignements tirer de cette histoire ?

Tout d’abord que beaucoup d’utilisateurs de logiciels libres ignorent qu’ils ont à faire à des amateurs ou des personnes dont le support et le développement ne sont pas le métier principal. Ce sont souvent des passionnés.

Dans le cas présent, parmi les utilisateurs, nous avions à faire à des entreprises. Que représente 500€ pour une entreprise quand on sait que certains consultants spécialisés se facturent plus de 800€HT la journée. Tarif que bien des entreprises paient sans sourciller.

Évidemment, toutes les entreprises ne roulent pas sur l’or et certaines sont contraintes pour joindre les deux bouts d’utiliser des logiciels qu’elles ne paient pas. On notera au passage qu’il s’agit bien souvent de logiciels non libres.

C’est là toute la difficulté : faire payer ceux qui le peuvent. C’est possible, mais au prix d’un contrôle qui peut-être difficile à mettre en œuvre. C’est un peu la quadrature du cercle qui peut laisser penser certains qu’il ne faut alors rien faire et que la gratuité doit donc s’imposer.

Pourtant, il n’y a pas de fatalité. En France, les statuts comme ceux des associations sont facilement accessibles. Placer un logiciel libre dans le cadre d’une association peut procurer bien des avantages. Ce statut offre des déductions fiscales pour les donateurs. Une démarche qui demande cependant à faire reconnaître par l’administration fiscale l’association comme d’intérêt général. Difficile aussi pour le développeur de tirer des revenus de cette association. Idéalement celle-ci doit être portée par la communauté des utilisateurs qui pourrait alors “payer” le développeur (extérieur à l’association) pour réaliser des évolutions.

Une idée que je jette comme cela sans avoir trop étudié les tenants et aboutissants. Je me base sur le modèle des AMAP qui soutiennent des producteurs locaux par les achats des membres de l’association. On pourrait appeler cela des AMIL : Association de Maintient de l’Informatique Libre. Un contrat entre des utilisateurs et le ou les créateurs d’un logiciel libre. Mais j’invente peut-être le fil à couper le beurre!

Dommage aussi que des entreprises comme WordPress ne fassent rien pour ces milliers de développeurs. Nous passons tous par sa plate-forme et nous ne sommes même pas sollicités avant de télécharger un plugin pour faire un don. A charge pour le développeur d’introduire un bouton de don (Paypal toujours…) dans l’interface d’administration.

Je sais, le sujet délicat et je vous demanderais de ne pas porter de jugement ad hominem à l’encontre d’Olivier. Il s’agit ici de s’interroger sur des pratiques et de discuter ensemble des solutions.

Illustrations FlickR : Nils Geylen, bitzcelt

Article initialement publié sur le blog de Philippe Scoffoni

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Journaliste-programmeur, le mutant parfait ? http://owni.fr/2010/02/23/journaliste-programmeur-le-mutant-parfait/ http://owni.fr/2010/02/23/journaliste-programmeur-le-mutant-parfait/#comments Tue, 23 Feb 2010 15:54:48 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=8852

Tremblez simples journalistes ! Une espèce hybride est en train d’apparaître sur un marché de l’emploi déjà sous tension. Son CV est une arme absolue terriblement séduisante. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais un article du blog américain Gawker, exemples à l’appui, et dont voici la traduction (si vous ne comprenez pas certains mots, c’est normal, vous ne vivez pas entouré de geeks ;-) ) Un point de vue qui n’est pas partagé en France.

Comme si le paysage de l’emploi dans le journalisme n’était déjà pas assez terrifiant, les journalistes feraient bien d’apprendre à coder. C’est encore une compétence du domaine des médias dont ils auront besoin pour rester en tête de la compétition. Et ne faites pas d’erreur : la concurrence fait des stocks de livres d’O'Reilly (ndlr : gros éditeur de livres d’informatique).

-En 2006, lorsque Adrian Holvaty, fondateur d’Everyblock.com, lui-même développeur, en appela à plus de programmeurs dans les rédactions américaines, il n’obtint pas beaucoup de retour. Mais quelques années et quelques faillites de journaux plus tard, les rédacteurs semblent prendre conscience des avantages d’apprendre à développer des applications web ou de bidouiller rapidement des scripts ensemble pour effectuer les tâches de collecte de données qui demandent beaucoup de travail. Parmi les rédacteurs pris dans cette tendance nerd :

-Nick Bilton, New York Times : il est peut-être blogueur en chef de Bits, le blog techno du Times, mais Bilton a aussi travaillé comme spécialiste des interfaces utilisateurs et bricoleur de matériel au laboratoire R&D du Times, aidant à développer le TimesReader (ndlr : une application permettant de lire une version rich-media du Times sur un ordinateur). Il sait aussi s’en sortir avec un compilateur C.

-Taylor Buley, Forbes : il vient juste d’accepter publiquement un nouveau travail de “rédacteur et développeur éditorial”, selon la newsletter de Gorkana. “Dans sa nouvelle fonction, il va écrire et des articles et du code.”

-Jennifer 8. Lee, ancienne du New York Times : comme reporter, Lee s’est fait un nom en tant que pionnière de l’art du “scoop conceptuel” (man dates et d’autres). Mais avant de débuter dans le journalisme professionnel, Lee étudiait les maths appliquées à Harvard. En avril dernier, elle a commencé à apprendre à coder, et depuis écrit occasionnellement des jets de Python (qui s’avère être l’un des languages-clés chez Google, où son petit ami Craig Silverstein est directeur de la technologie). Il y a des rumeurs disant qu’elle pourrait joindre ou fonder une sorte de start-up dans le journalisme web.

-Cody Brown, NYU Local : après avoir commencé un site universitaire d’information hyperlocal à la New York University et rédigé des méditations bien meilleures que la moyenne sur les nouveaux médias, ce diplômé en cinéma a commencé à travailler sur une start-up appelée Kommons. Et il a débuté la nouvelle année en apprenant le framework de développement Rails pour le langage de programmation Ruby, sans doute pour faire avancer Kommons.

-Elizabeth Spiers, romancière, consultante, a lancé Dealbreaker, et blogué pour Gawker : cette ancienne analyste de Wall Street a blogué il y a deux jours qu’elle est en train d’apprendre Python dans le cadre d’un effort concerté pour acquérir de nouvelles compétences. En suivant un cours du MIT sur Internet, pas moins. Aucune idée de l’application qu’elle va écrire mais nous sommes impatients de lire ses commentaires de code malicieux et sa documentation sans-merci.

Apprendre à programmer est encore un autre moyen pour les journalistes de devenir généralistes, plutôt comme Benjamin Franklin et ses compagnons polyvalents tachés d’encre, à la fois pamphlétaires, linotypistes, distributeurs et éditeurs de journaux, que comme Bob Woodward, Annie Leibovitz ou Mario Garcia, au profil de rédacteur hyper spécialisé. Un blogueur professionnel-type peut jongler avec des tâches requérant des connaissances fonctionnelles en HTML, Photoshop, enregistrement vidéo, montage, prise d’images, podcasting, et CSS, le tout pour accomplir des taches dont avaient l’habitude de s’occuper d’autres personnes, lorsqu’elles existaient : la production, le design, l’informatique, etc.
Sur cette voie, coder est la prochaine étape logique, bien qu’elle puisse n’être attirante que pour les journalistes les plus ambitieux et les plus attirés par la technique, le genre de personnes qui veulent lancer leur propres sites ou ajouter une fonctionnalité vraiment puissante et interactive à un site existant.
Il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin pour voir que la programmation peut naître naturellement de l’écriture. Prenez Gawker Stalker. Lancé par Spiers sur un coup de tête, c’est devenu une rubrique hebdomadaire, ensuite un rendez-vous plus fréquent, puis une section à part entière, et finalement, une carte interactive utilisant l’API Google. Avec un peu plus de code, elle est maintenant mise à jour directement par les usagers.

Comme l’a écrit Clay Shirky, les programmeurs à temps partiel peuvent compenser leur manque de compétence technique pure par leur connaissance du métier. Dans l’essai de 2004 Situated software, le professeur de la NYU raconte combien il avait été surpris de constater que le logiciel social de ses étudiants est devenu populaire en dépit de son manque de fini.

‘Je me suis dit que [le code] avait réussi pour un certain nombre de raisons vaguement déloyales: les utilisateurs connaissaient les programmeurs, la liste des noms avait été préremplie, les programmeurs ont pu se servir de la liste de diffusion interne pour lancer l’application.

Les designers sont issus du même groupe que les utilisateurs, et pouvaient donc considérer que leurs propres instincts étaient fiables ; les beta-testeurs pouvaient être recrutés en se promenant dans le hall : et cela les a empêchés de faire des plans sur la comète. Ce que je n’avais pas anticipé, ce sont les bénéfices de second ordre. Encore et encore, les groupes ont rencontré des problèmes qu’ils ont résolus en partie en tirant bénéfice de l’infrastructure sociale ou d’informations liées au contexte…’

Shirky poursuit en postulant que la programmation, comme pratique, va se démocratiser. En d’autres termes, les journalistes vont faire à la programmation ce que les plateformes de blog écrites par des programmeurs ont fait au journalisme : saturer l’industrie avec des amateurs non-rémunérés.

Gartner (ndlr : entreprise américaine de conseil et de recherche dans les domaines techniques) a récemment fait du bruit en disant qu’il y aurait 235.000 programmeurs de moins aux USA d’ici dix ans. C’est comme si on avait prédit dans les années 80 que le nombre de dactylos diminuerait aux USA d’ici 2004. Une telle prédiction serait juste dans un sens – les équipes de dactylos dans les bureaux ont disparu, et une bonne partie du travail de saisie de données a été délocalisée. Mais la saisie à proprement parler, les doigt frappant le clavier, n’a pas disparu, elle s’est répandue partout.

En conclusion, bien que la sous-traitance concentre toute l’attention, il y a également beaucoup d’internalisation en cours, de métier à part entière, la programmation devient une compétence plus largement mise en œuvre. Si par programmation nous entendons “personnes qui écrivent du code” plutôt que “personnes qui sont payées pour écrire du code”, le nombre de programmeurs va augmenter, beaucoup augmenter, d’ici 2015, même si beaucoup de ceux qui utilisent perl et JavaScript et Flash ne se considèrent pas comme des programmeurs.

Désolé les programmeurs professionnels : la désintermédiation est un fléau, n’est ce pas ? D’un autre côté, si la première vague qui attaque votre profession est un peloton de journalistes, et bien vous n’avez pas de soucis à vous faire pour le moment.

[Traduction effectuée avec l'aide de Julien Kirch]

gawker2

Faut-il donc que les malheureux qui ne connaissent “que” des bases de html potassent asap Knuth et Stroustrup ? Pas de panique, l’oiseau est rare et devrait le rester. “C’est une des lubies du moment, tranche Johan Hufnagel, rédacteur en chef du pure player Slate.fr. Mais je ne crois pas à une race à part qui irait chercher les contenus et les mettrait en scène. C’est très bien d’avoir des journalistes-programmeurs mais ce que l’on demande avant tout à un journaliste, c’est de ramener des informations.” Morgane Tual, que l’on ne peut soupçonner de partialité puisqu’elle possède cette double casquette qui l’a aidée à trouver du travail chez Youphil, renchérit : “À un moment, je me suis dit ‘aujourd’hui tu as un profil hors du commun, dépêche-toi de faire ton trou, des jeunes (Morgane a 26 ans, ndlr…) qui savent coder vont arriver.’ Mais en fait non, apprendre à programmer est quelque chose de rébarbatif, il n’y en a donc pas tant que cela.”
Pour vous faire une idée, Raphaël da Silva, étudiant en licence professionnelle “journalisme et médias numériques de Metz“, est seul de sa promo sur seize à s’y connaître dans le domaine, et pour cause, il a étudié l’informatique avant. La perspective de voir des journalistes piquer le travail des informaticiens laisse encore songeur, à l’écouter : “Il est plus difficile de passer du journalisme à l’informatique, que l’inverse, observe le jeune homme, la plupart de mes camarades ont fait des études littéraires avant.” Et tout programmeur honnête vous dira qu’il faut dix ans et un million de lignes de code pour bien maîtriser son métier, et à condition que vous ayez la tournure d’esprit qui convient. Bref, “faire les deux fonctions très bien, c’est très difficile. Tu te contentes d’un résultat moyen”, conclut Johan Hufnagel.

Après, il est évident que posséder la double-casquette présente des avantages. Déjà dans la façon de mettre en forme son information. “Cela m’ouvre des possibilités énormes, je publie comme je veux”, analyse Morgane Tual. Et tant pis si elle doit en passer par des nuits blanches pour rebidouiller un plug-in, la créativité et l’autonomie valent bien quelques arrachages de cheveux.

Tous soulignent aussi ce rôle de lien entre journalistes et informaticiens que ces mutants peuvent tenir. Les deux mondes sont en effet traditionnellement assez hermétiques, pour le plus grand malheur de l’info en ligne. “Il est important d’avoir des journalistes capables de comprendre les contraintes des techniciens. Il y a des demandes qui peuvent être réalisées en trois jours, d’autres en trois mois, explique Johan Hufnagel. ll faudrait des “SR web”, capable de trifouiller dans le code jusqu’à un certain niveau, pour éviter de solliciter l’informatique. L’inverse vaut d’ailleurs aussi, soit dit en passant : “On manque d’informaticiens qui s’intéressent aux contenus” déplore-t-il.

Si le double profil ne devrait donc pas devenir incontournable, il est aussi évident qu’une bonne louche de culture web supplémentaire ne ferait pas de mal à la profession, dès l’école ou en formation continue. Et pour ceux qui veulent aller plus loin, une spécialisation programmation.

Le journaliste portugais Paulo Querido a fait un commentaire de ce billet sur son blog The Journalist programmer

Image de une von_boot sur Flickr

Photo Stéfan sur Flickr

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