OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les data en forme http://owni.fr/2012/02/06/les-data-en-forme-episode-19/ http://owni.fr/2012/02/06/les-data-en-forme-episode-19/#comments Mon, 06 Feb 2012 18:43:56 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=97546 En guise d’amuse-gueule, un petit article [EN] sur le design informationnel, où l’on voit bien – à travers le livre Graphic Methods for Presenting Facts de 1917, notamment – que nos infographies d’aujourd’hui n’ont rien de révolutionnaire. On en profite ici pour dire bonjour à Karen, grande veilleuse parmi les veilleurs, pour qui la plupart des liens de journalisme graphique que nous vous fournissons chaque semaine ne sont pas inconnus.

DataWOW

Alors que nous sommes en train de finaliser pour la présidentielle française un très beau joujou dont nous sommes très fiers et que nous avons hâte de vous montrer, nous ne pouvons pas manquer l’occasion cette semaine de faire honneur à deux applications de très haut niveau. Si vous rêviez de vous promener aux confins de la “big data” sans vraiment oser rentrer dedans, en voici deux magnifiques illustrations.

Les plates-formes eXplorer de la société suédoise NComVA manipulent de très gros volumes de données pour créer de remarquables visualisations statistiques. Par exemple, Europe Explorer [EN] permet de naviguer dans un large dataset (téléchargeable) d’informations économiques et démographiques sur les pays européens et de personnaliser (c’est le point fort) l’affichage de ces données – telles que la croissance du PIB, le taux de fertilité, l’espérance de vie à la naissance, ou encore la population par tranches d’âge.

Total Annual Building Energy Consumption for New York City [EN] est une application un poil titanesque réalisée par l’équipe du groupe de recherche du Professeur Viraj Modi, spécialiste de sources d’énergie et de mécanique des fluides à l’université de Columbia. Comme son nom l’indique, cette application interactive veut pouvoir fournir une estimation de la consommation d’énergie de chaque bâtiment new-yorkais à partir d’une étude ad hoc [EN] et d’une méthodologie assez épurée [EN]. Rien qu’imaginer le temps qu’il a fallu pour rassembler les données et les harmoniser… donne un peu mal à la tête. Nous avons là, typiquement, un travail qui pourrait être le reflet idéal d’un monde parfaitement “open data”, dans lequel ce genre d’information serait aisément à la portée de tous.

Datacheap

Une fois n’est pas coutume s’agissant de la campagne présidentielle étasunienne, les éléments incontournables de notre veille cette semaine sont moyennement excitants. Petite déception, vu que le New York Times et le Washington Post nous ont habitués à beaucoup mieux. Ou alors on devient plus exigeants avec le temps, possible aussi.

Pour accompagner un (bon) article d’analyse politique [EN] du discours de l’état de l’Union, le NYT s’est donc fendu d’une infographie [EN] comparant la fréquence d’usage des mots du Président Obama avec ceux prononcés par ses adversaires républicains putatifs. La mise en forme en histogramme est ici assez originale dans le contexte de l’analyse lexicale – pour nous être également prêtés au jeu, on vous confirme que le rendu d’un tel corpus est loin d’être évident à modéliser. En revanche pour le reste, deux écueils majeurs (l’échelle du temps et l’échelle de numération) rendent particulièrement décevante cette expérience : primo, Obama est scruté sur ses quatre adresses à la Nation (2009-2012) tandis que les candidats républicains sont étudiés sur les neufs derniers mois au cours de “plusieurs entretiens”. Secundo, le nombre d’occurrences observées ne dépasse 7 qu’une seule fois – la plupart du temps, on compare des fréquences situées entre 1 et 5 fois ; rendant le diagnostic particulièrement biaisé au vu de la taille du corpus étudié.

La deuxième “déception” de la semaine (les guillemets parce qu’il nous reste un peu d’humilité quand même) provient de la visualisation en treemap [EN] qui accompagne un papier économique plutôt technique [EN, paywall] qui déchiffre les “déficits” Obama et qui établit une comparaison avec ceux provoqués par Bush fils. Le format treemap[EN] est toujours performant pour comparer des budgets (on se souvient de celui, brillant, de Jean Abbiateci) mais on attend – forcément – du WashPo autre chose qu’une pauvre image compressée, des cubes à géométrie variable et des projections jusqu’à 2017.

Datacoq

D’autant que l’économie est un sacré terrain de jeu pour faire de l’infographie et de la bonne datavisualisation. Pour preuve, le blog “Echosdataviz” de Frédéric Vuillod, qui a pondu une vidéo très simple et très didactique à l’occasion de l’introduction en bourse de Facebook. Deux regrets : 18 secondes de pub en pré-roll (désolé) et une vidéo non-embeddable. On va dire que c’est pour faire du business à la française.

Dataworld

Et puisqu’on parle de business à la française, difficile de ne pas évoquer cette semaine le bras armé de la moralisation du capitalisme qui se réunit chaque année à Davos en Suisse. Le célèbre Forum Economique Mondial nous gratifie d’une jolie vidéo – limite décadente – pour présenter le rapport 2012 des “risques globaux” qui peuvent transformer notre planète en véritable chambre de torture si les grands de ce monde ne font rien pour les détruire à la racine. Notre “risque” préféré est sans aucun doute “les graines de la contre-utopie” (“the Seeds of Dystopia”) – symbolisé par des drapeaux, des poings levés et un masque d’Anonymous – et leur “côté sombre de la connectivité” (“the Dark Side of Connectivity”) et son logotype de port USB, véritable empêcheur d’épanouissement humain. Passée la propagande, la vidéo [EN] est objectivement bien foutue, donc pourquoi pas.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Databowl

Heureusement, pour contrer les anarchistes et les hackers, il reste le Super Bowl. On n’insultera ici ni les amateurs ni les détracteurs de ce spectacle en omettant volontiers de donner le résultat de la finale du championnat de football américain, qui vient de se dérouler. A ceux qui douteraient qu’il s’agit bien d’un sport, les laboratoires de Brandwatch ont pondu une application de réputation sociale [en] (basée sur Twitter) des annonceurs figurant dans la liste très courue de ceux qui peuvent se payer 30 secondes de pub pendant cette messe annuelle. C’est marrant, ça parle de sentiment, et donc presque d’amour.

Et en parlant d’amour, on se quitte sur la nécessaire vidéo de la semaine de Stephen Malinowski. Paix et gloire sur vos data !

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

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Une politique du chiffre sans texte http://owni.fr/2011/10/05/fillon-a-abroge-la-culture-du-chiffre-de-sarkozy-oupas/ http://owni.fr/2011/10/05/fillon-a-abroge-la-culture-du-chiffre-de-sarkozy-oupas/#comments Wed, 05 Oct 2011 17:45:32 +0000 Romain Renier http://owni.fr/?p=82363

L’instruction, signée par Nicolas Sarkozy en 2006, et révélée ce mercredi par OWNI, instaurant une “culture de la performance” dans la police nationale, et donc à l’origine de la politique du chiffre, a été abrogée, en mai 2009, par… François Fillon.

En décembre 2008, le Premier ministre de Nicolas Sarkozy signait un effet un décret, dont l’entrée en vigueur était fixée au 1er mai 2009, et qui disposait que toute circulaire ou instruction signée avant cette date et non publiée sur le site internet circulaires.gouv.fr serait automatiquement abrogée :

Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné n’est pas applicable. (…) Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site.

Or, l’“instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique”, qui instaure la “culture de la performance” au sein de la police nationale, n’avait jamais été rendue publique jusqu’à ce matin. Elle a donc automatiquement été abrogée.

Des policiers coincés entre le marteau et l’enclume

Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’Université Evry-Val d’Essone, avait annoncé sur son blog Combats pour les droits de l’Homme la mort de nombreuses circulaires. Une information confirmée, le 23 février dernier, par le Conseil d’Etat.

Est-ce à dire qu’un policier peut aller à l’encontre d’un ordre découlant de l’instruction de Nicolas Sarkozy ? Loin de là, tempère Serge Slama : “l’abrogation de cette circulaire ne change pas grand-chose à l’application qui en est faite“.

Le policier peut toujours contester la valeur juridique de la circulaire, mais pas l’ordre de son supérieur, quand bien même il découlerait de l’“instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique” qui a donc été abrogée, explique l’universitaire : “le policier est pris entre une circulaire devenue inapplicable et l’obligation de respecter l’ordre de son chef de service en vertu du principe hiérarchique“.

Le principe hiérarchique, gravé dans le marbre par l’article 28 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires du 13 juillet 1983, dite Loi Le Pors, impose en effet aux fonctionnaires d’appliquer à la lettre tout ordre émanant de son supérieur :

Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Le fonctionnaire de police a certes le droit de désobéir, mais uniquement si l’ordre qui lui est donné enfreint la loi et porte atteinte à l’intérêt général, et non à celui d’un simple individu. “Un cas de figure très rare“, selon Serge Slama.

Le policier réfractaire qui ne satisfait pas à ces conditions s’expose donc à une sanction pour faute disciplinaire. De même, le brigadier-chef qui doit passer ces jours-ci en conseil de discipline pour avoir insulté une collègue qui l’obligeait à oeuvrer en marge de la légalité afin de respecter la politique du chiffre, ne pourrait s’en prévaloir. Le constat est clair, le texte n’est plus, mais l’esprit, lui perdure.


Illustrations : Marion Boucharlat pour OWNI /-)

Retrouvez le dossier complet :

La note à l’origine de la politique du chiffre
La politique du chiffre se calcule
Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente

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La note à l’origine de la politique du chiffre http://owni.fr/2011/10/05/note-sarkozy-police-politique-chiffre/ http://owni.fr/2011/10/05/note-sarkozy-police-politique-chiffre/#comments Wed, 05 Oct 2011 08:19:15 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=82148 Critiquée depuis des années, la politique du chiffre mise en place par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était au ministère de l’Intérieur sera au coeur de la campagne présidentielle. Elle prend en réalité son origine dans un texte cadre, rédigé en 2006, signé de sa main, et qui conditionne aujourd’hui encore tout l’appareil sécuritaire français. La semaine passée, OWNI publiait ainsi des documents internes révélant, au coupable près, les objectifs chiffrés récemment assignés aux policiers de Coulommiers.

En août, Jean-Jacques Urvoas, chargé de la sécurité au parti socialiste, publiait une circulaire de la directrice des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice qui indiquait à ses services qu’ils n’étaient pas obligés de faire du zèle pour inciter les victimes de la délinquance à déposer plainte. Pour mieux atteindre les objectifs chiffrés.

Naissance d’une culture de la performance

Cette politique du chiffre a donc été formalisée le 28 juillet 2006, dans une “instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique” signée par Nicolas Sarkozy. Un document longtemps ignoré, dont Le Monde évoquait hier l’existence pour la première fois et qu’OWNI publie en intégralité – voir le document au bas de cet article.

Sous couvert d’”actualiser les règles fondamentales de l’organisation des relations hiérarchiques dans la police nationale“, elle visait à prendre en compte deux “données nouvelles” apparues depuis la précédente circulaire, datant de 1997 :

  • la réforme des corps et carrières, que le syndicat Alliance Police Nationale se vantait d’avoir initiée, et qui visait notamment à renforcer les “capacités managériales” et “moderniser la gestion des ressources humaines
  • L’instauration d’une culture de la performance (c’est le ministère qui passe certains mots en gras, NDLR) avec la mise en place d’un management par objectifs et l’évaluation des résultats“.

Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, rappelle tout d’abord que “l’exercice de l’autorité hiérarchique est un acte de responsabilité individuelle (qui) comporte naturellement une contrepartie : le chef doit toujours assumer l’entière responsabilité des ordres donnés” :

Le supérieur hiérarchique doit, en toutes circonstances, avoir un comportement exemplaire afin d’obtenir l’adhésion sans réserve de ses subordonnés. Cette exemplarité renforce sa crédibilité et la reconnaissance de son autorité.

Chaque policier, à chaque niveau hiérarchique, est également investi d’un devoir de vigilance citoyenne sans faille dans le domaine déontologique.

Or, et comme l’atteste l’enregistrement clandestin effectué par un brigadier-chef convoqué par son commandant pour avoir dénoncé la politique du chiffre, de nombreux policiers, poussés en cela par leur hiérarchie, sont contraints à “faire n’importe quoi, raconter des conneries au magistrat” et flirter avec la loi, voire même s’en affranchir, afin de respecter les objectifs chiffrés de résultat :

Le commandant : Mais je suis désolé ! Avec ce système pervers des IRAS, on ne peut pas faire autrement ! On ne peut pas ! Si, de temps en temps, vous ne mettez pas un pied à côté (de la loi, NLDR), vous ne faites aucune affaire, ou quasiment aucune.

Le brigadier-chef : Moi, si je peux sortir un papier, voilà, ordre du commandant M., ou du capitaine M., ou de madame B. ou de Brice Hortefeux (à l’époque ministre de l’intérieur – NDLR) ou de qui vous voulez, moi y a aucun problème : moi, on m’a dit, moi, je fais.

Le commandant : Vous savez bien que moi, je ne ferai jamais un ordre écrit comme ça, vous savez bien que la directrice départementale ne fera jamais un ordre écrit comme ça et que le ministre jamais ! Le ministre, quand il y a quelque chose qui ne va pas : “Ah, attention, je suis le garant du bon fonctionnement des institutions, donc ce fonctionnaire a péché, il doit payer”. Et voilà, comment ça se passe.

La performance, “au coeur de la stratégie de la police”

Ces propos résonnent singulièrement avec l’instruction signée Nicolas Sarkozy, qui définit l’”exercice de l’autorité hiérarchique” comme “un acte de management au service de la performance” :

La recherche de la performance est désormais au coeur de la stratégie de la police nationale.

Pour l’autorité hiérarchique responsable d’un service, le pilotage de la performance repose désormais sur une conception stratégique de ses missions (c’est toujours le ministère qui souligne, NDLR).

Dès lors, l’exercice de l’autorité “s’appuie sur une politique déterminée et cohérente de recherche de la performance (…) sous-tendue par une logique de contrôle interne de qualité des processus reposant sur une évaluation et un suivi permanent de l’activité au moyen des outils propres à chaque direction“, allant du Système de traitement des infractions constatées (STIC, qui fiche 5 millions de suspects et 28 millions de victimes, et dont la CNIL n’a de cesse de dénoncer le taux – 83% – d’erreurs) au système GEOPOL de gestion des horaires de la police en passant par la Main courante informatisée (MCI) ou encore l’Application de gestion optimisée des résultats et de l’activité des services (AGORA), “dont la finalité est la constitution d’un registre de courrier judiciaire et la production de statistiques“, “etc…

La “recherche de la performance” passe également par le contrôle de gestion, “indispensable pour évaluer en permanence l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens mis en oeuvre, les confronter aux résultats obtenus, et procéder aux ajustements indispensables“, ainsi que par l’”évaluation individuelle“, qui conditionne “l’avancement, les primes et les témoignages de satisfaction” accordés aux agents “dont le mérite est reconnu“.

“Placer le facteur humain au centre de la réflexion”

Clairement inspirée des techniques de management et de gestion des ressources humaines, l’instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique avance également qu’il convient de procéder à une “gestion participative” reposant sur trois piliers : “mobilisation, adhésion, responsabilisation“, de “fixer des objectifs clairs et réalistes à l’issue d’un dialogue au sein du service“, afin de “donner aux agents un sens à leur action en les mobilisant autour d’un projet” :

En plaçant le facteur humain au centre de la réflexion, le management moderne facilite l’épanouissement de chacun dans son travail et permet ainsi d’obtenir une plus grande efficacité individuelle et collective.

A toutes fins utiles, Nicolas Sarkozy rappelle également que “la recherche de la performance doit se réaliser dans le cadre fixé par les règles de droit et du code de déontologie qui régissent le fonctionnement de la police nationale“, et qu’elle se doit de repecter “rigueur et loyauté dans les actes de procédure” :

Dans cette démarche de qualité du service public, le recueil des attentes de la population, l’accueil, l’écoute et la protection des victimes et des témoins sont une priorité de chaque échelon hiérarchique, et de chacun des agents qui doivent utiliser tous les instruments mobilisables pour la plus grande efficacité.

Or, c’est précisément parce que la politique du chiffre l’amenait à mentir sur des actes de procédure, à refuser d’enregistrer des plaintes, à l’empêcher d’aller au contact de victimes avérées, pour aller traquer des suspects potentiels en multipliant les IRAS, que le brigadier-chef va passer en conseil de discipline…

En conclusion, l’instruction relative à l’exercice de l’autorité hiérarchique, qui permit l’”instauration d’une culture de la performance” au sein de la police nationale, avance qu’”une police moderne ne peut remplir ses missions et répondre aux attentes de la population sans un engagement total de sa hiérarchie et une culture de l’exigence” :

La première richesse de la police nationale est dans les femmes et les hommes qui la composent. Le premier devoir de tous ses responsables est de savoir en tirer le meilleur.

En poussant certains de leurs subordonnés à flirter avec l’illégalité, voire à s’affranchir de la loi, pour respecter les quotas et objectifs chiffrés qui leur sont assignés, le ministre de l’Intérieur, les hauts fonctionnaires et gradés sont précisément en train de détruire cette “richesse“.


Illustration CC Flickr tonton copt (cc by nc sa), pelegrino (cc by nc sa), clairity (cc by)

Illustration de Une Marion Boucharlat

Retrouvez le dossier complet :

La politique du chiffre se calcule
Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente
Fillon a abrogé la culture du chiffre de Sarkozy #oupas

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Pas de rigueur pour chiffrer le coût du crime http://owni.fr/2011/04/07/pas-de-rigueur-pour-chiffrer-le-cout-du-crime/ http://owni.fr/2011/04/07/pas-de-rigueur-pour-chiffrer-le-cout-du-crime/#comments Thu, 07 Apr 2011 09:16:59 +0000 Thierry Godefroy http://owni.fr/?p=55567

Depuis quelques temps circule un chiffrage du coût de la criminalité en France. L’estimation avancée est de 115 milliards d’euros, ce qui représente 5,6 % du PIB. Repris par les médias et dans des discours politiques, ce chiffre a récemment encore servi comme préambule au rapport Benisti (mission parlementaire sur la prévention de la délinquance des mineurs). Cette évaluation est issue d’une étude de Jacques Bichot (économiste, professeur en retraite de l’Université Lyon 3, collaborateur régulier de l’Institut Montaigne, co-auteur avec Alain Madelin d’un livre intitulé Quand les autruches prendront leur retraite). Cette étude a été publiée sur Internet en avril 2010 par l’Institut pour la Justice, un groupe de pression qui œuvre pour des lois plus sévères afin « de débarrasser réellement la société des sadiques dangereux ». La lecture attentive de cette étude révèle de sérieux problèmes de méthode, des approximations confondantes et des partis pris évidents.

Une addition de choses qui n’ont rien à voir

L’addition de phénomènes aussi différents que des homicides, le proxénétisme, l’immigration clandestine, les cambriolages ou la délinquance informatique… n’a pas grand sens autre que de créer artificiellement un groupe ‘victimes‘ sans homogénéité réelle. Il n’est pas possible d’opposer deux groupes sociaux homogènes celui des profiteurs de la délinquance et celui des victimes. Si l’on prend le phénomène criminel dans sa globalité, cet exercice n’a pas de sens. Un vendeur de drogue peut être la victime d’un vol de voiture et la victime d’un cambriolage commettre des fraudes fiscales et sociales… Il faut se méfier du raisonnement simpliste consistant à construire un chiffre unique et total agrégeant des comportements hétéroclites pesant sur agents différents et relevant de la mise en œuvre des ressources diverses. Ce chiffrage en apparence commode est finalement une fiction.

En conséquence, laisser croire qu’une sorte de cagnotte serait disponible et qu’elle permettait de supprimer l’impôt sur le revenu (cf. p.22 du rapport Bénisti) moyennant quelques mesures plus sévères est totalement démagogique et contraire à toute méthode scientifique. 
Le chiffre de 115 milliards ne s’en tient pas à cette fiction, il additionne également les dépenses privées et publiques de sécurité. Ce qui pose un problème tout simple de circularité du raisonnement. Prenons les énormes dépenses engagées dans la vidéosurveillance ou imaginons un accroissement important des moyens policiers, ces sommes vont mécaniquement alourdir le chiffrage total du « coût du crime » et rendre le problème encore plus impérieux. Ainsi, plus on dépense pour réprimer la délinquance, plus le coût est élevé et l’enjeu important, ce qui nécessite des dépenses encore plus importantes qui à leur tour, etc.

Les mêmes qui se font les avocats de surenchères dans les dépenses technologiques de sécurité courent ainsi après le coût du crime sans aucune chance de ne jamais le diminuer. Et cela pour le plus grand profit des marchands de sécurité.

Une construction aberrante des chiffres

L’estimation monétaire des délinquances empruntent le plus souvent à des calculs indirects. Ils sont donc tributaires de postulats et de quotas calculés par celui qui se livre à l’opération. Le chiffrage de cette étude dépend donc largement de conventions arbitraires, traductions des a priori de l’auteur et de ses commanditaires. Cependant, les approximations ne s’arrêtent pas à l’estimation de la seule contre-valeur monétaire de l’infraction. J. Bichot étend les estimations aux préjudices diffus sans traduction monétaire directe que sont le préjudice moral et le sentiment d’insécurité général. Espace où la chaîne qui relie l’évènement initial au préjudice finale est dénuée de base fiable.
Les observations relatives à la construction du chiffrage peuvent s’organiser autour de trois points.

1) Le parti pris de privilégier les délinquances à victimes directes telles que les violences ou les vols. L’étude compte non pas ce qui est illégal mais ce que l’auteur et ses commanditaires estiment préjudiciables pour l’économie et la société. A cet aune, les choix sont clairs, certaines délinquances sont ignorées et d’autres minorées. Ainsi, toutes les violences ne retiennent pas l’attention de cette étude, le coût des violences n’intègrent ni la violence routière ni celle liée au travail. L’auteur qui n’a de cesse de fustiger : « la possibilité d’être victime (qui) nous pourrit l’existence » (p. 18), ou « le pourrissement de la vie qu’engendrent ces délits » (p. 27, à propos des menaces), et concernant l’immigration clandestine « des gens qui pourriront la vie des autochtones de différentes manières, à commencer par l’augmentation de la délinquance » (p. 32) fait preuve d’une grande compréhension envers la fraude fiscale ou les atteintes à l’environnement. Il ne s’agit plus de compter ce qui est illégal mais seulement ce qui est « préjudiciable » et en matière de finances publiques, lorsque « l’impôt est mauvais … les fraudeurs rendent service à leur concitoyen » (p. 66).

L’étude évalue ainsi ces fraudes à 22,5 milliards d’euros alors que l’estimation plutôt prudente du Conseil des Prélèvements Obligatoires donnerait entre 33 à 44 milliards rapportée à la même période. Enfin, le chiffrage des atteintes à l’environnement estimées « au doigt mouillé » selon l’expression de l’auteur à 20 ME est encore plus déconcertant. L’on ne sait si l’explication tient dans cette remarque de l’auteur : « il existe des infractions d’utilité publique » (p.54) à propos de ces atteintes.

2) Des bases de calculs variables et pas toujours cohérentes. Les estimations des violences et des vols au centre des préoccupations du commanditaire posent d’autres problèmes qui fragilisent les évaluations et les additions de l’auteur. La question des faits constatés, de ceux non-enregistrés et des tentatives ne relève pas de traitements identiques. Ainsi, l’auteur s’en tient aux faits constatés pour les agressions sexuelles (mais non pour les viols qu’il redresse de 50%) ; pour les vols de 2 roues ou les dégradations de véhicules (mais non pour les vols d’automobiles) ; pour les cambriolages des locaux professionnels (mais non pour les vols sur les chantiers).

Lorsque l’auteur cherche à intégrer dans ses calculs les faits non-enregistrés, il s’appuie souvent sur les enquêtes de victimation mais en fait une utilisation variable selon les postes. Ainsi, le résultat de ces enquêtes est jugé excessif pour les viols (peut-être à raison), pour les menaces ou les vols à la tire, mais valide pour les vols avec violence. Enfin, il arrive que les faits constatés soient ajoutés aux chiffres de l’enquête victimation qui est alors assimilée non à un comptage de faits non-enregistrés mais de tentatives (par exemple pour les vols d’automobiles, les vols à la roulotte…).

3) La prise en compte de préjudices diffus de façon arbitraire. On le voit l’exercice d’évaluation de coûts de types très différents : butin d’un vol, pertes de production résultant des atteintes à la vie humaine ou en conséquence de l’oisiveté supposée des trafiquants de drogue, coût pour les intéressés (immigration clandestine), ou CA de commerces illicites (armes, animaux…), contrepartie monétaire de la disparition de biens ou gain retiré de l’infraction, est très dépendant des choix fait au fil de l’étude. L’auteur ne s’en tient cependant pas à ces coûts immédiats, il étend les estimations à deux autres types de coûts pour rendre compte du préjudice moral et du sentiment d’insécurité.
 Le premier évalue les désagréments ou le traumatisme résultant de l’évènement, les démarches des victimes, le préjudice moral des proches ou le stress… Le second estime des préjudices encore plus diffus en rapport avec la peur ressentie par tous ceux qui n’ont pas vécu l’évènement « mais qui ex ante savent avec angoisse que cela pourrait leur arriver » (p11).

L’auteur part du postulat que « chaque infraction, en tant qu’elle est constitutive du danger cause un préjudice infinitésimal à chaque habitant » (p. 73). Fort de cette proposition, l’auteur postule une série de forfaits arbitraires et variables selon les infractions.
 Ainsi, le préjudice moral par exemple est estimé à 100 € pour les vols à la roulotte ou les vols simples, à 500 € pour les cambriolages ou les vols violents et atteint 1000 € pour les vols d’automobiles. Il peut même dépasser la valeur du préjudice monétaire, le préjudice moral relatif aux atteintes à la dignité (2000 €) est le double du coût monétaire.

Les bases de la valorisation forfaitaire du sentiment d’insécurité aussi obscures

Les bases de la valorisation forfaitaire du sentiment d’insécurité restent tout aussi obscures. L’exemple du préjudice retenu pour les outrages et violences à dépositaire de l’autorité résume bien le raisonnement « chacun des 60 millions d’habitants soucieux de vivre dans un Etat de droit subit un préjudice d’un millième d’euro lorsque se produit un coup de canif dans cette partie du contrat social qu’est le respect dû aux représentant de l’autorité légitime. Cette base modeste conduit à 5,90 € pour chaque Français » (p. 65). Sur ce modèle, l’étude crédite le sentiment d’insécurité attaché aux vols simples de 4 € par adulte, de 2 € pour les personnes âgés victimes de vols avec entrée par ruse, de 5 € pour les particuliers internautes victimes de délinquance informatique, de 10 € par adulte pour les Homicides…

Au total, la valorisation arbitraire du sentiment d’insécurité ajoute 4,5 milliards.

On le voit, ces évaluations qui associent à des a priori des forfaits au doigt mouillé sont finalement moins une estimation vraisemblable des délinquances et de leur contrôle d’abord qu’un appui aux discours sécuritaires agressif des commanditaires.

Pour aller plus loin : 
Une version plus détaillée de cette analyse de Thierry Godefroy est disponible sur le site du CESDIP


Publié initialement sur le site de Laurent Mucchielli sous le titre Le coût du crime selon « l’Institut pour la justice » : une étude bien peu rigoureuse

Image Flickr  Pas d'utilisation commercialePas de modification Funky64 (www.lucarossato.com)

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La “vraie” mort de l’industrie de la musique http://owni.fr/2011/03/09/la-vraie-mort-de-lindustrie-de-la-musique/ http://owni.fr/2011/03/09/la-vraie-mort-de-lindustrie-de-la-musique/#comments Wed, 09 Mar 2011 11:32:44 +0000 Michael DeGusta http://owni.fr/?p=30799 Michael DeGusta (@degusta) qui écrit pour le site Businessinsider.com et tient le blog TheUnderstatement.com.

Comme beaucoup d’observateurs de l’industrie de la musique, il s’est intéressé aux graphiques publiés suite à l’étude menée par l’institut Bain & Company en janvier dernier. Sauf qu’il a découvert que ce graphique, censé représenter l’évolution de l’industrie de la musique enregistrée depuis 1973, était erroné. Il a donc repris les chiffres, et propose une version corrigée de cette étude pour le moins éloquente… lorsque elle est correctement utilisée.

Un graphique erroné et ses origines

En janvier dernier, Bain & Company a produit le graphique suivant, lequel fait partie de leur rapport intitulé “l’édition à l’ère du numérique”. Voir le PDF ici.

Puis quelques jours plus tard, (un mardi) quelqu’un l’a posté sur FlickR. En conséquence, Peter Kafka de MediaMemo/Wall Street Journal l’a remarqué et transmis à Jay Yarrow, qui en a fait le “graphique du jour” du Business Insider le mercredi sous le titre “La mort de l’industrie musicale”, en citant Kafka et le post sur FlickR. Le jeudi, l’excellent John Gruber de Daring Fireball a posté un lien menant à ce graphique. Entre ces deux posts, le graphique a commencé à attirer l’attention, notamment de la part du soi-disant expert en musique en ligne Bob Lefsetz (“Premier en analyse musicale”). Personne ne semble l’avoir rattaché à sa source originale ou remarqué ce qui m’a d’emblée sauté aux yeux : ce graphique, c’est de la merde.

Ce qui cloche

Oh, Bain… J’espère vraiment que personne ne vous a engagés pour votre expertise d’“analyse” dans ce domaine.

- Le graphique prend en compte le chiffre d’affaires brut, non ajusté par rapport à l’inflation et à la population.
- Le graphique s’intitule “Chiffre d’affaires mondial de la musique”, mais les données ne concernent en fait que les Etats-Unis. (1)
- Le graphique affiche la mention “Analyse réalisée par Bain”, mais on ne sait pas clairement s’ils ont effectivement réalisé l’analyse, puisque n’importe qui payant 25$ à la RIAA peut se connecter à leur site et voir le même graphique immédiatement, quoique présenté un peu différemment.
- Ils omettent de clarifier comment ils redistribuent (si tel est le cas) les 16 catégories parfois vagues de la RIAA en 4 comme c’est le cas dans leur étude.

Le bon graphique

Toute la discussion ci-dessous concerne la musique enregistrée américaine, puisque couverte par la RIAA. Le graphique ci-dessus a été revu en prenant en compte l’inflation et la population. Pour de plus amples précisions, voir “les détails de fabrication” plus bas.

Corrigeons donc les conclusions erronées que chacun pourrait tirer du travail trompeur de Bain.

Faux : l’industrie de la musique a perdu 40% de sa valeur depuis son point culminant de 1999.
Vrai : L’industrie de la musique a perdu 64% depuis 1999.
Faux : L’industrie de la musique vaut presque 4 fois plus qu’en 1973.
Vrai : L’industrie vaut 45% de moins qu’en 1973.
Faux : L’ère du CD était une aberration (L’avis légitime de M. Gruber)
Vrai : Le point culminant du CD n’était que de 13% supérieur à celui du vinyle, pas supérieur de 250% comme nous le laisse penser le graphique de Bain.

La conclusion générale est que l’industrie de la musique va beaucoup plus mal que ce que semble indiquer le graphique de Bain.
Il y a dix ans l’Américain moyen dépensait trois fois plus qu’aujourd’hui pour acheter des supports de musique enregistrée.
Il y a 26 ans, il dépensait près de deux fois plus qu’aujourd’hui.

Que s’est-il passé ?

Il s’avère que, sans grande surprise, l’industrie de la musique enregistrée réalise la plupart de son chiffre d’affaires grâce aux albums.

Sans surprise aucune là non plus, plus personne n’achète d’albums.

Cela revient à tout juste plus d’un album par personne et par an, et 0,25 album téléchargé (légalement) par an. Ici l’analyse de M. Gruber est plus réaliste, bien que les chiffres actuels soient toujours légèrement inférieurs à ceux de l’ère pré-CD. En plus du piratage et du manque d’intérêt des gens pour l’achat d’albums (par rapport aux singles, voir ci-dessous), il est également possible que le fait de pouvoir facilement transformer ses CD en fichiers numériques (alors qu’on rachetait souvent ses vinyles en CD) explique une partie de la disparité entre les chiffres.

Que nous réserve l’avenir ?

Penchons-nous plus précisément sur ces quelques “nouvelles” sources de revenus, qui étaient inexistantes en 2003:

Le téléchargement d’album et de singles a gentiment grossi, mais il a déjà été clairement établi qu’il est loins de compenser les pertes liées au format physique.
La musique sur téléphone portable, qui inclut “Les sonneries Hi-Fi, les clips, les téléchargements, ou autres contenus mobiles” a atteint son point culminant en 2007, mais décline depuis 2 ans. On dirait que c’est la fin de la sonnerie, qui coincide avec la naissance de l’iPhone ?
Les abonnements (probablement les services tels Rhapsody, Zune PAss et consorts), ont aussi connu le déclin ces deux dernières années.
La chute du mobile et de l’abonnement me surprennent beaucoup, d’ailleurs.
Les seuls à encore rapporter de l’argent sont internet et les radios satellites (comme Pandora) et autres payeurs via SoundExchange. Ils ont connu une belle croissance depuis 2007, mais c’était au moment où l’on a renégocié les taux de royalties pour les diffuseurs en ligne. Même si la croissance se maintient, elle viendra s’ajouter à trois fois rien.
On dirait bien que l’industrie de la musique plus modeste et en décroissance est encore là pour un moment.

Quelques graphiques en plus

On dirait bien que le digital a provoqué le boom du single.

Ca vaut ce que ça vaut, mais voici la version du graphique du chiffre d’affaires ajusté à l’inflation (mais pas à la population).

Enfin, comme je n’étais pas sûr de ce qui faisait partie ou non du graphique de Bain, voici ma version des chiffres de chiffre d’affaires bruts.

Les détails de fabrication :

- Les données de population que j’ai utilisées proviennent de http://www.census.gov/popest/
Les données concernant l’inflation proviennent du CPI-U http://data.bls.gov/cgi-bin/surveymost?cu
Je me suis basé sur le dollar de 2011 (les chiffres de janvier, les derniers disponibles), car je pense que les dollars d’aujourd’hui sont plus parlants pour une meilleure compréhension des sommes en jeu, plutôt que d’utiliser arbitrairement une autre date.
Voici comment j’ai regroupé les catégories de la RIAA :
- 8 track se compose de “8 track” et “other tapes” (décrites comme “reel-to-reel” ou “quadraphonic”)
- Vinyl : se compose de “LP/EP” et “vinyl single”
- Cassettes: se compose de “Cassettes” & “Cassette Single”
- CD: se compose de “CD”, “CD Single”, “DVD Audio”, & “SACD”
- Videos: se compose de “Music Video”
- Digital: se compose de “Download Single”, “Download Album”, “Kiosk”, “Download Music Video”, “Mobile”, “Subscription”, & “Digital Performance Royalties” (décrit comme “SoundExchange royalties”)

(1) La RIAA (sur ce lien) explique : cette base de données inclut les chiffres de livraisons de fin d’année pour l’industrie de la musique enregistrée aux Etats-Unis.

Article initialement publié sur TheUnderstatement.com et traduit par Loïc Dumoulin-Richet

Crédit photo : FlickR CC doug88888

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http://owni.fr/2011/03/09/la-vraie-mort-de-lindustrie-de-la-musique/feed/ 17
Zoomer ou dézoomer? Les enjeux politiques des données ouvertes http://owni.fr/2011/02/21/zoomer-ou-dezoomer-les-enjeux-politiques-des-donnees-ouvertes/ http://owni.fr/2011/02/21/zoomer-ou-dezoomer-les-enjeux-politiques-des-donnees-ouvertes/#comments Mon, 21 Feb 2011 16:41:01 +0000 dominique cardon http://owni.fr/?p=47820 Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs, est l’auteur de “La démocratie Internet” (Seuil/République des idées).

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Le mouvement qui s’est constitué autour des “données ouvertes” et du “journalisme de données” ouvre un nouveau terrain au dialogue, déjà ancien, entre journalisme et sciences sociales. La promotion du journalisme de données ne cesse en effet de vouloir faire du journaliste un chercheur en sciences sociales, doublé d’un informaticien et d’un infographiste. Certes, la révolution de l’information numérique, ses potentialités interactives, la multiplication des grandes bases de données, la participation du public et les nouveaux outils de visualisation créent un contexte tout à fait nouveau. Mais les chercheurs en sciences sociales reconnaîtront facilement leur travail quotidien dans certaines des promesses du journalisme de données : se coller devant des kilomètres de stats, de verbatim et d’archives [dire "données"] pour les interpréter [dire "narrativiser"] en produisant des corrélations parlantes [dire "storytelling"].

On ne peut que se réjouir de cette proximité, même si, faut-il le rappeler, le journalisme ne se résume pas à ce travail de mise en perspective documentaire et qu’il doit sa noblesse au rapport privilégié qu’il entretient avec l’événement en train de se faire – rôle dans lequel les sciences sociales ont toujours montré une inaptitude quasi constitutive. Les audaces créatives de l’opendata et du datajournalism aideront peut-être également les chercheurs à bousculer leur conservatisme, par exemple en partageant leurs données d’enquête (à l’instar de la récente banque de données qualitatives), en expérimentant des dispositifs participatifs de recueils d’information (à l’instar de l’enquête sociogeek sur la pudeur et l’impudeur en ligne ou du dispositif participatif de simulation de réforme fiscale) ou en inventant de nouvelles solutions graphiques pour représenter des informations complexes (à l’instar des recherches de la communauté Infovis).

Mais je voudrais tirer parti de ce nouveau terrain d’échange pour adresser au journalisme de données une question issue de l’expérience ancienne des sciences sociales dans l’usage critique des statistiques. S’il est assez discourtois de reprocher au jeune et ambitieux programme de l’open data sa croyance un peu naïve dans la “donnée brute”, il est, en revanche, plus important de porter attention aux effets moraux et politique des opérations critiques qui peuvent être menées dans l’espace public à partir des informations statistiques. Les riches débats qui entourent les données publiques et l’impératif de transparence ont l’intérêt de nous aider à mettre en perspective de nombreuses questions sur la place de la critique dans des sociétés de moins en moins opaques.

Secrets des coulisses, secrets des chiffres

Depuis Robert Ezra Park et l’Ecole de Chicago, la connivence (et les disputes) entre les métiers de journaliste et de sociologue n’est plus à montrer et a déjà fait l’objet de mille et une discussions. Un des liens qui rapprochent le journalisme et les sciences sociales est le travail critique de dévoilement des réalités cachées. Les proximités entre enquêteurs des deux rives se sont construites à travers le partage de techniques d’investigation permettant d’accéder à des faits dissimulés, recouverts par des discours d’autorité, des illusions plus ou moins bien fondés et d’innombrables stratégies de dissimulation. Aussi n’est-il pas étonnant que ce soit du côté du journalisme d’enquête que les relations entre sciences sociales et journalisme aient été les plus fructueuses. Sociologues et journalistes d’investigation se sont d’ailleurs souvent retrouvés pour dénoncer ensemble (par exemple chez Acrimed) le “journalisme de connivence”, relayant sans distance les discours officiels et racontant sans mise en perspective les petits faits de l’actualité.

Dans cette pratique partagée de la révélation, il faut cependant distinguer deux techniques de dévoilement différentes : la publication des secrets logés dans les coulisses du pouvoir et celle des “vérités” cachées dans les chiffres des statistiques. Pour l’essentiel, les articulations entre journalisme et sciences sociales se sont faites autour des secrets arrachés aux coulisses du pouvoir et à l’intimité des puissants. Le dévoilement d’un écart entre la scène et les coulisses, l’officiel et l’officieux, même s’il a pris des formes différentes dans le monde du journalisme et dans celui des sciences sociales, partage une même visée : révéler au public des liens, des pratiques, des relations qui ne sont pas visibles de tous. Les sociologues dévoilent des systèmes d’intérêts, des réseaux de proximité, des héritages historiques qui rendent plus complexes, moins attendus et plus solides l’explication des faits sociaux. Le journalisme d’investigation écoute dans les coulisses, récupère des documents cachés ou reçoit des confessions anonymes pour révéler les motifs et les logiques qui président aux événements que d’autres décrivent naïvement en prenant les propos des acteurs pour argent comptant. A sa manière, WikiLeaks s’inscrit dans cette longue tradition de la révélation des secrets de coulisses. Sa principale nouveauté est d’“amateuriser” les sources de secrets. Désormais, ce ne sont plus seulement les puissants choyés par les journalistes d’investigation (avocats, juges d’instruction, responsables en position de dissidence institutionnelle) qui livrent des informations de coulisse, mais aussi des acteurs de rang subalterne ayant accès aux bases de données numérisées de leur institution qui les font “fuiter” vers le grand public – tout au moins lorsque les professionnels de l’information ne servent pas de filtre comme ce fut le cas avec les câbles de la diplomatie américaine.

Mais il est une autre forme de dévoilement, longuement travaillée par les sciences humaines, et consistant à révéler des “vérités” cachées dans les chiffres. En s’appuyant sur les solides instruments de mesure mis en place par les institutions publiques, en produisant des méthodologies de recueil de données rigoureuses, le travail statistique des sciences humaines cherche à faire apparaître des corrélations et des faits de structure susceptibles d’éclairer nos sociétés sur ses mécanismes de fonctionnement ; mécanismes parfois méconnus et, plus souvent, niés. Ce que les chiffrent révèlent alors, ce sont des inégalités de distribution, des déplacements de répartition, des corrélations entre variables hétérogènes (par exemple, entre la réussite scolaire des enfants et l’origine sociale des parents). Parfois, les journalistes s’emparent des statistiques de l’INSEE pour traiter toute sorte de sujet : les inégalités entre hommes et femmes, la distribution des revenus, ou l’accès différencié aux équipements culturels. Certes, la vulgarisation du travail statistique mené dans les laboratoires de sciences humaines n’a pas attendu la révolution numérique. Mais, la relation des sciences sociales et du journalisme n’a pas connu auparavant le même degré d’intimité. Les rôles étaient en effet jusqu’à il y a peu clairement séparés. Le chercheur était considéré comme une source comme les autres montrant au journaliste ses tableaux et en proposant un commentaire vulgarisé afin de faciliter le travail des infographistes. Il était rare que les statisticiens appartiennent pleinement aux rédactions, comme le montrent Eric Dagiral et Sylvain Parasie dans une recherche à paraître retraçant l’histoire des premières pratiques américaines du journalisme de données à Chicago.

Les données complètes contre l’échantillon représentatif

L’accès public à des masses de données brutes, numérisées et normalisées, bouleverse ce partage des rôles et invite à réfléchir sur la nature des opérations critiques qu’il est désormais possible de conduire dans l’espace public à partir de données statistiques partagées par tous. La démocratisation de l’accès aux données et de l’interprétation statistique vient bousculer les habitudes des professionnels des grands nombres. Traditionnellement, les usages de la statistique promus par les sciences sociales révèlent des structures et effacent les individus. Ces derniers n’existent qu’à travers les catégories sur lesquelles s’appuie le raisonnement interprétatif du sociologue, du démographe ou de l’historien. Mais les personnes intéressent beaucoup moins que le système qui les fait agir en raison de certaines de leurs propriétés catégorielles : un tableau croisant des variables rend possible une critique systémique, ce que ne peut faire une simple liste d’individus statistiques.

Ce mode d’interprétation s’appuie sur (au moins) deux piliers. En premier lieu, il ne peut se déployer qu’à l’intérieur d’un consensus sur les catégories conventionnelles décrivant les propriétés des individus statistiques. Une partie du rôle politique de l’institution statistique est de produire un répertoire catégoriel suffisamment stable et appropriable pour que la société parvienne à se décrire selon ce système d’équivalence. Cette stabilité catégorielle, même si elle est arbitraire, permet de débattre, de confronter des arguments, de mesurer des effets et de critiquer l’ordre social. En second lieu, les techniques d’échantillonnage qui permettent de considérer qu’une partie des données vaut pour le tout, sont souvent privilégiées au dépens des bases supposément “complètes” de données – à tel point qu’il est fréquent de “redresser” les données dites “complètes”, ou “brutes”, afin de corriger les biais d’enregistrement inhérents aux procédures de recueils des données. Il n’est pas nécessaire de disposer d’une base de données granulaire des populations pour tenir un discours critique sur la société.

Or, en privilégiant les individus sur les structures, le mouvement des données ouvertes et celui du journalisme de données ne portent guère intérêt à ces deux piliers de l’interprétation statistique. Ils s’orientent même parfois dans une direction opposée. Hétérogènes, diverses, locales, produites à d’autres fins, les catégories de certaines des données “libérées” sont rarement interrogées et recodées dans un système conventionnel permettant de garantir la cohérence des interprétations qu’en feront ses usagers. Par exemple, rendues publiques, les catégories indigènes du travail policier ou hospitalier, seront interprétées dans un contexte tout autre. Ce déplacement peut entraîner bien des malentendus pour tout ceux qui ne sont pas familiers de l’usage finalisé et contextuel de ces catégories par les professionnels qui les manipulent.

Par ailleurs, le mouvement des données ouvertes refuse les techniques d’échantillonnages au profit d’une visée d’exhaustivité complète et de granularité la plus fine possible des données. Peu importe que la base de données soit représentative du phénomène qu’elle enregistre, il est préférable qu’elle soit la plus complète possible, “brute”. L’exigence de complétude et de granularité que porte le mouvement des données ouvertes est nourrie par une revendication de transparence à l’égard des institutions productrices de données, lesquelles cachent parfois dans leurs tiroirs des secrets de fabrication, des techniques de redressement et des opérations de recodage. Elle se renforce de l’ambition de rendre les données au public en lui facilitant une entrée “individuelle” dans les bases d’information. Mais ce faisant, on se préoccupe moins de composer des agrégats représentatifs susceptibles de porter des critiques systémiques dans l’espace public. En perdant le lien avec l’idée de représentativité, la préférence accordée aux données complètes et “brutes” sur les données échantillonnées entrave le chemin permettant de “remonter” de l’individu vers la structure.

La circulation du local au global

Or l’enjeu démocratique du journalisme de données et des données ouvertes est de savoir comment circuler sur le chemin du local au global avec les nouveaux outils dynamiques de visualisation. Faut-il regarder les individus ou les structures, zoomer ou dézoomer ? Sur quel type de données, et à propos de quel type d’acteur, doit-on favoriser cette circulation des interprétations ? A toute fin de simplification, distinguons les bases de données qui concernent les activités des puissants et celles qui enregistrent des activités sociales de tous. Dans le premier cas, les données portent sur ceux qui font l’actualité, dans le second, elles enregistrent la place de l’utilisateur à l’intérieur de la société.

Les expériences parmi les plus réussies de données ouvertes proposent de zoomer/dézoomer les activités des puissants. En visualisant le travail parlementaire de chaque député (nosdéputés.fr) ou en cartographiant la composition chimique des produits industriels (sourcemap), l’opération de dévoilement critique est circonscrite à l’espace des puissants, hommes politiques ou industriels, qui sont redevables d’une surveillance citoyenne vigilante. L’effet de comparaison entre le comportement d’individus singuliers et celui de l’ensemble de leur catégorie permet des évaluations, des mises en équivalence et des notations qui exercent un effet critique incontestable. Ces critiques peuvent, par ailleurs, aisément prendre appui sur des attentes partagées et publiques relatives à ce que devrait être le comportement des hommes politiques ou des industriels. A bien des égards, ces dispositifs de traitement des données publiques nourrissent et renforcent les formes de l’enquête d’investigation en rendant beaucoup plus ouvert et démocratique le contrôle des citoyens sur les coulisses du pouvoir. Dans le même esprit, beaucoup d’autres expériences journalistiques mettent en lumière des données permettant une lecture enrichie des événements : liste des clients de Madoff, données complètes et cartographiés des soldats américains morts en Irak, comparaison graphique des réductions d’effectifs des municipalités travaillistes ou conservatristes, pour ne prendre que des exemples des très innovants Visualisation Lab du New York Times et Datablog du Guardian.

SourceMap

Nosdéputés.fr

Mais une partie de la “demande sociale” qui revendique un accès plus ouvert aux données publiques formule aussi d’autres attentes à l’égard des statistiques. En reconstituant l’histoire et les différents promoteurs du mouvement des données ouvertes, Valérie Peugeot a montré que celui-ci épousait les intérêts de multiples acteurs économiques, dont les médias ne sont qu’une infime partie, pour développer des services pratiques dirigés vers les utilisateurs. Le premier réflexe de tout utilisateur de Google Earth est de partir du globe terrestre pour zoomer sur son propre lieu d’habitation. Le public voudrait “se” voir sur la carte, se comparer dans le tableau, se situer au sein de son quartier. C’est l’individu qui est alors le point d’entrée de toute navigation dans la base de données. Il “customise” la vue qu’il va construire pour établir des comparaisons, des croisements, des corrélations entre les séries de données qui lui seront accessibles. En cela le discours des données ouvertes emprunte tous les ressorts rhétoriques des dynamiques d’individualisation du web social pour imaginer un utilisateur qui cherche et dessine sa propre histoire à l’intérieur de bases de données “agnostiques”.

Lorsque la circulation dans les données ne se fait pas dans le monde des puissants, mais dans celui de tout un chacun, cette entrée individuelle dans les chiffres se place moins dans l’horizon de la critique sociale, de la connaissance ou de la découverte que dans celui des intérêts personnels de l’utilisateur. Il n’est pas indifférent à ce titre que les expériences les plus significatives d’ouverture de données statistiques individuelles soient les cartes des crimes, des revenus, des appartements, ou relatives à la santé, la pollution ou encore des métriques mesurant l’efficacité des administrations pour équiper, surveiller ou nettoyer. Il est aussi significatif que, parmi les différents artefacts de visualisation, la carte du territoire se soit substituée à la liste pour favoriser une entrée individuelle dans les données, tout en préservant (relativement) les informations nominatives. La carte zoomable/dézoomable est devenue le principal instrument de navigation des services cherchant à donner des informations pratiques aux lecteurs. L’utilisateur n’est plus confronté à des informations sur d’autres que lui, mais, se trouvant lui-même dans les données, simple point sur la carte, il interprète le monde depuis la position qui lui est réservée par les chiffres. Et parfois,  lorsqu’il dézoome, il ne voit pas des catégories mais de gros nuages formés des points de ses semblables.

Crise des catégories, crise de la critique

C’est parce que les catégories qui nous servaient à décrire et à “faire tenir” la société connaissent un affaiblissement que nous faisons désormais reposer une grande part de la critique sociale sur la dénonciation des agissements individuels. Lorsque les catégories (socioprofessionnelles, d’activités, de statut, etc.)  ne permettent plus aux individus d’identifier la société dans laquelle ils vivent, il est beaucoup plus difficile de mobiliser des théories de la justice pour exercer une critique politique de la répartition des pouvoirs et des ressources entre groupes sociaux, territoires et conditions de vie. Le reproche qu’adresse de façon implicite le mouvement des données ouvertes aux pratiques habituelles des statisticiens est de produire des tableaux de la société si désincarnés qu’ils n’attirent plus l’attention du public. En revanche, représentées et questionnées autrement, ces données peuvent “parler” au public si l’on accepte qu’elles parlent d’abord de chacun à chacun. En cela se manifeste bien l’individualisation du rapport à la société et la mise en crise des explications catégorielles et systémiques.

La personnalisation de la critique pose des problèmes spécifiques quand elle s’applique au monde des puissants. La question de savoir s’il faut rendre public les comportements des individus en les désignant nominativement (politique dite du “Naming, blaming, claiming”) ou porter seulement intérêt au système qui les fait agir ainsi a longtemps constitué un nœud de la polémique entre journalistes et sociologues. La pratique de l’anonymisation dans les sciences sociales, appliquée même aux puissants, constitue un garde-fou pour préserver la critique systémique de la dénonciation ad hominem. Dans un livre récent sur la corruption et le favoritisme des élites, Pierre Lascoumes et ses collègues ont systématiquement masqué les noms des élus dont ils détaillent pourtant les agissements par le menu. Mais cette pratique s’est quelque peu érodée dans les travaux de sciences sociales au bénéfice d’une lecture de plus en plus nominative des faits et gestes des puissants. S’il lui est parfois reproché de favoriser les théories du complot et d’individualiser les responsabilités des gouvernants, cette critique personnalisée du pouvoir est aujourd’hui au cœur d’initiatives parmi les plus originales en sciences sociales pour rendre compte de la complexité des réseaux d’acteurs qui façonnent les institutions, les politiques publiques ou les décisions politiques, ainsi qu’en témoigne les cartographies de controverses initiées par Bruno Latour à Sciences Po.

Mais quelle forme prend l’usage critique des statistiques lorsqu’il s’exerce à un niveau local dans l’environnement personnel des individus ? Mon quartier est-il protégé des criminels ? La valeur immobilière de ma rue est-elle en train de croître ? Le service de nettoyage de ma mairie est-il efficace ? Les écoles de mon quartier ont-elles un bon taux de réussite ? Vues sous cet angle personnalisé, les données guident vers une lecture individualisée et consumériste dans laquelle ce ne sont plus les puissants qui sont soumis au regard citoyen, mais les fonctionnaires, les acteurs locaux, les voisins et les proches. En navigant dans les données en caméra subjective, la dénonciation reste locale et s’occupe principalement de responsabiliser les acteurs du bas de l’échelle. Sorte de Naming and blaming de voisinage, l’interprétation ne cherche pas à remonter la chaîne des causes vers les effets structurels, les politiques publiques ou les décisionnaires. Elle reste prisonnière des intérêts des individus et de leur capacité à faire des choix personnels en fonction des variables sur lesquelles ils ont un pouvoir d’action. A l’instar des classements des services éducatifs ou de santé, la publication des données ouvertes renforce alors les inégalités entre ceux qui disposant des bonnes informations sur leur cadre de vie ont aussi le pouvoir d’agir sur ces variables et ceux qui accédant aux bonnes informations n’ont aucun moyen d’échapper à leur sort.

Le site de cartographie des crimes de la police britannique demande à l’utilisateur d’entrer dans la base de données en tapant son code postal.

Soyez sympa, dézoomez

Se dessine ainsi deux horizons possibles de l’ouverture élargie des données : portant sur les puissants, elle permet aux citoyens d’exercer une vigilance documentée, précise et ciblée sur les figures publiques ; s’appliquant à tout le monde, elle encourage tout un chacun à optimiser ses décisions personnelles dans une logique de choix rationnel. Les données ouvertes et le journalisme de données enfantent deux projets politiques apparemment opposés : la démocratisation de la démocratie représentative et le renforcement des logiques de concurrence entre individus. Sans doute ces deux projets ne sont-ils pas si contradictoires. Ils témoignent tous deux d’un rapport personnalisé aux représentants comme à ses propres intérêts. Mais il n’est pas du ressort des promoteurs des données ouvertes et du journalisme de données de choisir entre ces deux directions, puisque c’est aux utilisateurs qu’il est confié le soin d’interpréter les données dans un sens ou dans un autre. Cependant le choix des bases de données rendues publiques, la manière dont elles sont mises à disposition et les propositions d’interfaces et de navigation qui sont faites ne sont pas sans conséquences politiques.

Parmi ces différents arbitrages, un des plus importants est de préserver le lien entre le zoom (l’entrée subjective dans les données) et le dézoom (la statistique catégorielle). A trop vouloir zoomer ne risque-t-on pas de perdre le bénéfice critique de la vue d’ensemble ? Le zoom permet aux individus de se voir, mais ne leur permet plus de critiquer s’il n’est pas associé à un travail de catégorisation ou à une visualisation des chaînes d’interdépendance entre les différents acteurs. L’enjeu démocratique auquel le mouvement des données ouvertes est confronté est donc de préserver le lien entre le local et le global, de conserver les liens qui font tenir ensemble les actions de chacun au système.

Un certain nombre de visualisations de données encourage cette articulation. Un outil du New York Times permet par exemple aux utilisateurs de comparer leur situation professionnelle avec celle de ceux de leur catégorie d’âge, de diplôme, de race, de sexe, etc. qui sont au chômage. L’utilisateur peut ainsi faire un aller-retour entre sa position personnelle et celle de sa catégorie. Un outil britannique développé sur Facebook, UK Crime Statistics Quizz, demande aux utilisateurs de répondre à un questionnaire sur leur propre perception du risque d’insécurité dans leur vie personnelle, avant de leur permettre de visualiser les informations statistiques mesurant la « réalité » des actes d’incivilité dans leur quartier. Ce détour permet aux utilisateurs de se détacher de leur représentation spontanée de l’insécurité en la confrontant à une vue statistique globale des actes d’incivilités. Le dispositif permet ainsi de « dégonfler » les effets de grossissement suscité par la peur. Ce genre d’outils présente l’intérêt de baliser un chemin entre les individus et des catégories de description de la société. Il évite ainsi la logique consumériste d’une mise en concurrence des individus.

Apprendre à se dézoomer soi-même est un trait sociologique de nombreuses pratiques du web aujourd’hui. Cette mise à distance nourrit de façon théâtrale la mise en scène de soi sur les plateformes relationnelles. Elle invite les internautes au recul réflexif, afin qu’ils évaluent les informations personnelles qu’ils publient ou qu’ils gardent pour eux. Elle les pousse à se mettre à la place des points de vue opposés au leur pour trouver des compromis dans les espaces de production coopérative de contenu comme Wikipedia. Cet apprentissage du dézoomage devrait aussi nourrir la manière de s’approprier l’information statistique du journalisme de données : se retrouver soi-même dans les chiffres pour mieux comprendre comment nous faisons société.

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Crédits photo: Flickr xJasonRogersx,

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Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente http://owni.fr/2011/01/25/plus-la-delinquance-baisse-plus-la-violence-augmente/ http://owni.fr/2011/01/25/plus-la-delinquance-baisse-plus-la-violence-augmente/#comments Tue, 25 Jan 2011 16:16:22 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=43808

La sécurité ne doit pas être un thème de polémique, c’est un thème d’union, qui doit rassembler, mais les Français doivent savoir la vérité.
Brice Hortefeux, TF1, le 20 janvier 2011

Fait relativement inédit, Brice Hortefeux a tenu à illustrer, dans le JT de TF1, la baisse de la délinquance dont il s’enorgueillit avec un graphique pédagogique. A OWNI, on estime nous aussi que “les Français doivent savoir la vérité“. Alors nous avons nous aussi fait un graphique pédagogique, à partir des mêmes données, et pour le comparer à celui du ministère de l’Intérieur (à 1′ sur la vidéo).

Il y a une baisse de la délinquance globale, de plus de 2%, plus forte encore que celle de l’année dernière, et qui s’inscrit dans la durée, puisque cela fait 8 ans qu’il y a une baisse de la délinquance année après année.

Pour illustrer son propos, Brice Hortefeux a donc sorti un graphique montrant une hausse de 17,8% de la délinquance de 1996 à 2002, suivi d’une baisse de 16,2% depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au poste de ministère de l’Intérieur. Ce qui, dit autrement, revient également à constater que la délinquance a effectivement baissé de… 1,3% depuis 1996 :

+90% de violences physiques

Le rapport sur la Criminalité et délinquance enregistrées en 2010, basé sur les faits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie et qui a permis au ministère de l’Intérieur de pondre ce graphique, est un peu plus complet… sauf qu’on n’y retrouve aucune trace de cette hausse socialiste, non plus que de cette baisse sarkozyste, et que Brice Hortefeux ne précise aucunement ce qu’il entend exactement par “délinquance“.

Un premier graphique présente cela dit l’évolution des “faits constatés d’atteintes aux biens, d’atteintes volontaires à l’intégrité physique et d’escroqueries et infractions économiques et financières entre 2005 et 2010“. C’est de ce graphique que serait apparemment tiré le chiffre de la “baisse de 1,9%” vantée par Brice Hortefeux.

En violet, le nombre de faits constatés, pour 1000 habitants, d’atteintes aux biens; en orange, les atteintes volontaires à l’intégrité physique; en vert, les escroqueries et infractions économiques et financières. On voit bien que la délinquance baisse. Par contre, quand on ne visualise que les “atteintes volontaires à l’intégrité physique” (en orange), là, ça ne baisse plus, ça explose, de plus de 90% depuis 1996 (=(7,4-3,9)/3,9*100), et de près de 16% depuis 2002 (voir le tableur) :

Dans l’interview qu’il a accordé au Figaro, et que l’on peut retrouver sur le site du ministère de l’Intérieur, Brice Hortefeux reconnaît que “les atteintes aux personnes restent le défi à relever” :

Point noir de toute société développée », les atteintes aux personnes ont vu leur hausse limitée à 2,5% en 2010. « C’est encore trop » a estimé le ministre, avant de souligner que « comparé au rythme annuel de plus de 10% par an sous le gouvernement socialiste », ce résultat indique que « la spirale infernale a été cassée ». Et le ministre de l’intérieur de préciser que « le phénomène des violences est désormais circonscrit géographiquement » puisque « les violences sont en baisse sur 90% du territoire ».

Le rapport d’où sont tirés les chiffres de Brice Hortefeux ne fait pas mention de cette baisse des violences “sur 90% du territoire“. A contrario, il évoque “la relative régularité du taux d’accroissement annuel des faits constatés d’atteintes volontaires à l’intégrité physique depuis 2007, soit + 2,4 % en 2008, + 2,8 % en 2009 et + 2,5 % en 2010“, une hausse de 4,3% des faits de “violence physiques crapuleuses” en 2010, ainsi qu’un “fort ralentissement de l’augmentation” (sic) des faits constatés de” violences physiques non crapuleuses” qui, après avoir doublé de 1996 à 2006, a augmenté de 28% en 5 ans. Et ce ne sont pas les seuls chiffres à exploser de la sorte :

En 2005, moins de 150 000 faits de coups et violences volontaires non mortels sur personnes de 15 ans et plus ont été constatés. En 5 ans, ce nombre s’est accru de près de 30 % (soit + 44 255 faits constatés).

Le nombre de faits de violences à dépositaire de l’autorité est proche de 27 500 en 2010, soit + 4 093 faits constatés en 5 ans (+ 17,5 %). Il dépasse 17 000 pour les
violences, mauvais traitements et abandons d’enfants, en hausse de plus de 37 % par rapport à 2005 (soit + 4 620 faits constatés).

“Un numéro digne des vendeurs d’épluche-patates magiques sur les marchés”

Le rapport présente également d’autres données attestant, a contrario, d’une baisse de certains indicateurs : le taux d’homicides (“hors tentatives“) est ainsi au plus bas depuis 1996. Mais le nombre de tentatives d’homicides enregistré en 2010, lui, “augmente de 13%“. Les statistiques sont politiques, et l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, tout dépendant de la façon de les présenter ou, a contrario, de les noyer dans la masse.

Dans son éditorial politique sur France Inter, Thomas Legrand déploreun numéro digne des vendeurs d’épluche-patates magiques sur les marchés” :

Le ministre a sorti de sa serviette un panneau cartonné avec le chiffre de la délinquance. (…) Le problème c’est que ce chiffre est malléable à l’envie (et) que la violence ressentie par la population, celle qui pourrit la vie et qui accroît le sentiment d’insécurité c’est, évidemment, la violence aux personnes. C’est de celles-là qu’on parle quand on parle de l’insécurité et non pas des homicides, par exemple, qui décroissent depuis des décennies régulièrement. Et bien la violence aux personnes augmente de 2, 5% à 3% chaque année depuis 2005.

Dans sa critique bien troussée de la com’ rituelle du ministre de l’Intérieur, le sociologue Laurent Mucchielli revient également sur cette explosion des atteintes volontaires à l’intégrité physique :

Quant aux violences interpersonnelles, elles continuent leur hausse apparente, mais il faut appliquer la même rigueur de raisonnement et dire que le ministre n’en est pas davantage responsable. Cette hausse est régulière depuis maintenant plusieurs décennies. Et les recherches montrent qu’elle résulte principalement non pas d’une transformation des comportements mais d’une plus forte dénonciation de comportements classiques tels que les violences conjugales et les bagarres entre jeunes.

Des statistiques “indépendantes” ?

Afin d’asseoir la crédibilité de son propos, et de son graphique, Brice Hortefeux n’avait pas hésité à expliquer sur TF1 que les chiffres présentés “ne viennent pas du ministère de l’Intérieur, mais d’un observatoire indépendant“.

En l’espèce, il s’agit de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), “établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du Premier ministre“, sis à l’École militaire de Paris.

En matière d’indépendance, on a vu mieux : l’INHESJ est en effet dirigé par André Michel Ventre, ex-contrôleur général des services actifs de la police nationale, et ancien secrétaire général du syndicat des commissaires et haut fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN, surnommé le Schtroumpf, et connu pour son soutien à Nicolas Sarkozy). Et sa création, en 2009, avait été saluée par une salve de chercheurs et magistrats dénonçant une “mise sous tutelle de la statistique pénale” par le ministère de l’intérieur…

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le département de l’INHESJ chargé de la production statistique, est quant à lui présidé par Alain Bauer, le très contesté Mr Sécurité de Nicolas Sarkozy, ce qui faisait craindre à leurs opposants que ce “devienne une sorte de verrou pour ne laisser voir que le commentaire qu’il veut bien donner“… CQFD.

A toutes fins utiles, on rappellera que depuis 2002, Nicolas Sarkozy a fait adopter pas moins de 42 lois sécuritaires

PS : le théorème statistique qui sert de titre à cet article est directement inspiré de la maxime shadokienne selon laquelle « Ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir. Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »

Photo d’Alain Bauer, CC Cornouaille.

SUR LE MÊME SUJET:
- “La com’ rituelle du ministre de l’Intérieur”
-“La délinquance n’a pas diminué: la vérité sur les statistiques”

Illustration de Une Marion Boucharlat

Retrouvez le dossier complet :
La note à l’origine de la politique du chiffre
La politique du chiffre se calcule
Fillon a abrogé la culture du chiffre de Sarkozy #oupas

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La délinquance n’a pas diminué: la vérité sur les statistiques http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/ http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/#comments Tue, 25 Jan 2011 13:22:18 +0000 Jean-François Herdhuin http://owni.fr/?p=43793 Jean-François Herdhuin, fonctionnaire de police français, contrôleur général, puis inspecteur général de la police nationale, nous livre son expérience au sein de la police, et revient sur les chiffres de la délinquance.

La présentation des chiffres de la délinquance pour 2010 m’a inspiré les réflexions suivantes : à l’oral du concours de commissaires de police le jury m’avait demandé de commenter cette citation de Churchill :

Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées.

Je suis persuadé que les examinateurs ne pensaient pas aux statistiques de la délinquance. C’est ainsi que j’ai très prudemment évité ce sujet. Pour ne pas susciter des interrogations j’ai replacé la question dans le domaine économique. Et pour aller au devant de ce que l’on attendait de moi, j’ai ajouté que nous avions besoin d’instruments de mesure pour guider notre action, même si ceux ci ne pouvaient être parfaits. J’ai donc évité de contrarier le jury.

“On ne parlait déjà que de chiffres”

Depuis 2002 le thème de l’insécurité étant parmi les premières préoccupations des français, les statistiques de la délinquance font l’objet de toutes les attentions.

A la tête de directions départementales de la sécurité publique pendant de longues années, j’avais aussi la responsabilité de l’élaboration des statistiques de la délinquance. En 2002 les responsables de la sécurité publique et de la gendarmerie ont été réunis à l’occasion ce que nous appelions une « grande messe ». Le discours du nouveau ministre de l’intérieur était mobilisateur, approuvé par la très grande majorité des auditeurs. A l’époque, j’ai regretté que les responsables du gouvernement précédent n’aient pas réussi, comme Nicolas Sarkozy, à créer cet élan de responsabilisation, voire d’optimisme chez les commissaires de police et dans la police en général.

Le Ministre de l’intérieur avait mis en place un système d’évaluation des performances, que nous appelions le « sarkomètre ». J’ai été convoqué à cette réunion d’évaluation pour une augmentation de 3% de la délinquance sur un seul mois. La réunion était présidée par le Ministre de l’Intérieur lui-même assisté de Claude Guéant et de Michel Gaudin, Directeur Général de la police Nationale. Quelqu’un m’avait prévenu, « si tu as ton nom en face, tu vas prendre ». Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Dès en entrant dans la salle, j’ai vérifié notre position, c’était sur la gauche du ministre, près d’un conseiller technique que j’appréciais beaucoup, il avait été mon directeur.

J’accompagnais mon Préfet, nous étions une douzaine de départements concernés. Pour nous, la Seine-Maritime, cela s’est plutôt bien passé, je n’en dirai pas autant pour certains préfets. J’étais gêné de voir ces grands serviteurs de l’Etat traités de la sorte devant nous, leurs subordonnés. Je me souviens de l’un d’entre eux qui, rouge de colère s’exclamait courageusement, « Mais nous avons travaillé Monsieur le Ministre ! » On ne parlait déjà que de chiffres. C’était avant notre tour, je me suis dit que si cela tournait mal, il valait mieux tenir tête. J’étais prêt, mais il m’a semblé que notre ministre était pressé de quitter la réunion.

La fabrique des statistiques

On me pardonnera la présentation un peu technique de l’élaboration des statistiques. Il s’agit de révéler les effets de cette pression sur les résultats et les chiffres de la délinquance. Cela peut varier en fonction des instructions qui sont données au plan départemental et aussi de pratiques locales plus ou moins répandues.

La manière la plus grossière, quoique très répandue de réduire la délinquance, est le refus de la prise de plainte. Cette attitude peut être due à l’insuffisance de la formation des personnels dédiés à l’accueil et aussi à l’affluence de plaignants. Des efforts ont toutefois été accomplis pour mieux accueillir le public avec des pratiques de testing de l’Inspection Générale de la Police Nationale.

L’utilisation abusive de la main courante, permet de masquer un nombre très important d’infractions. On enregistre dans la main courante sous l’appellation de« différents » voire même de « crimes et délits » des faits de toutes natures et de gravité parfois très importante.

Parmi les pratiques les plus productives de « bons résultats », il y a la possibilité de requalifier des délits en contraventions qui ne sont pas prises en compte dans l’état statistique. Il s’agit notamment des dégradations de biens privés ou publics. Les tentatives de cambriolages peuvent être enregistrées comme de simples dégradations contraventionnelles. Il en est de même pour des coups et blessures volontaires qui peuvent être convertis en violences légères afin d’être comptabilisées dans les contraventions de 5e classe. On oubliera souvent de mentionner les circonstances aggravantes de l’infraction pour ne pas la classer en délit. Il s’agit par exemple de la commission de l’infraction en réunion, ou encore des injures qui peuvent être en réalité des menaces sous conditions. On peut aussi omettre la présence d’une arme blanche ou d’une arme par destination. Pour éviter une plainte on peut encore « convertir » des violences familiales en simples différents, malgré la gravité des faits.

Au sujet de l’enregistrement et la transmission des statistiques, l’Office National de la Délinquance et des Réponses Pénales a découvert récemment une pratique qui date de 2002. C’est la prise en compte retardée de procédures pour assurer une bonne présentation aux médias en fin d’année. Les commissariats étaient invités à arrêter l’enregistrement, dans l’état « 4001 », de certaines procédures, celles qui font du chiffre, comme les dégradations, les atteintes aux biens. Ce ralentissement pouvait être ordonné depuis l’administration centrale, plusieurs jours avant. Ordre était parfois donné d’arrêter toute intégration un jour entier avant la fin du mois. La prise en compte des weekends, des jours fériés était déterminante pour espérer l’arrêt de l’enregistrement sans instruction particulière. La communication des chiffres est désormais mensuelle, pour atténuer les effets de l’impact médiatique de toute évolution à la hausse. Lorsque la communication était semestrielle et annuelle, en cas de résultats médiocres, la pratique de l’enregistrement retardé était systématique. Il est intéressant à cet égard d’observer les statistiques du mois qui suit la communication de celles-ci. Mais comme il faut bien procéder à l’enregistrement des procédures, il fallait procéder à des corrections les mois suivants par une utilisation appropriée de la main courante.

La délinquance est-elle vraiment en baisse?

L’observation objective des chiffres qui nous sont fournis permet de faire douter sérieusement du bilan qui nous est aujourd’hui présenté

Selon les résultats qui viennent d’être communiqués et le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les atteintes aux biens sont en diminution constante depuis 2004. On passe d’environ 2,7 millions d’atteintes aux biens en 2005 à 2,2 millions en 2010 soit une baisse de 17,1%. Il y aurait donc dans cette rubrique une diminution de 500 000 faits constatés.

Pour ce qui concerne les atteintes aux personnes entre 2005 et 2010 on enregistre une augmentation de 13,6%, (+57 998 faits constatés) avec 467 000 violences ou menaces constatées en 2010.

Pour ce qui est des escroqueries et des infractions économiques et financières l’ONDRP indique qu’elle n’est pas en mesure de « commenter les chiffres récents » car il y a une « rupture statistique (sic) dans le mode d’enregistrement des plaintes » en 2009. Il s’agit principalement des fraudes avec les cartes bancaires. Pour résumer on considère que ce sont les banques qui sont victimes de ce type de délit et non plus les détenteurs de ces moyens de paiement. Toutefois dans le bilan global de la délinquance cette catégorie d’infractions figure à la baisse avec -4,3% soit 16 072 faits constatés en moins avec 357 000 infractions. Comme l’indique les statistiques de l’ONDRP, si les règles d’enregistrement n’avaient pas évolué en 2009, elles auraient légèrement augmenté.

On peut aussi souligner la baisse des IRAS (infractions révélées par l’activité des services) ; il s’agit par exemple de l’usage de stupéfiants, du port d’arme, du recel. Pour ces faits il n’y a pas de plainte car tout dépend de l’initiative des services de police ; depuis 2009 ce chiffre est en baisse non négligeable, d’environ 3,3 % chaque année. Il est vrai qu’il avait augmenté les années précédentes.

Quel est l’impact de l’utilisation des mains courantes ?

La main courante informatisée, permet de recenser l’intégralité des mains courantes, elle a été mise en place progressivement et ce n’est qu’en 2008 que l’on peut établir une estimation presque exhaustive des mains courantes.

En 2010 le total des mains courantes établies s’élève à 1 046 151 contre 1 063 158 en 2009 soit une baisse plutôt modérée de 1,6 %.

En examinant par groupes les nomenclatures principales, les chiffres se présentent de la manière suivante :

En 2010 273 058 crimes et délits figurent dans les mains courantes, soit une baisse de 2%.

- 518 056 différends de toute nature ont été enregistrés par mains courantes, soit une baisse de 2,1%.

- et 123 503 faits de nuisances ou de troubles à l’ordre public, soit une baisse de 0,9%.

Nous n’avons retenu que les nomenclatures portant sur les chiffres les plus importants.

On peut constater que cette évolution à la baisse n’est pas aussi importante que celle présentée vendredi 21janvier 2011.

Il est important d’observer l’évolution du nombre de mains-courantes depuis 2008, puisque nous ne disposons pas de données exploitables pour les années antérieures.

A titre d’exemple la comparaison 2008-2009 fait apparaître une augmentation de 10% en matière de crimes et délits avec 278 484 signalements. Les différents de toutes natures ont augmenté de 3,4% avec 528 983 faits. Pour la même année le total des mains courantes s’établit à 1 063 158 soit une augmentation de 5,6% par rapport à l’année précédente.

L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales avance le chiffre de 805 341 mains courantes en 2005 et de 1 O46 151 en 2010, toutes affaires confondues, soit une augmentation de 30%. L’activité des services de police a-t elle été supérieure aux années précédentes ? Les victimes ont-elles signalé plus de faits fantaisistes dans les commissariats ? Ou bien le système a-t-il recensé plus de mains-courante que les années précédentes.

En se reportant aux commentaires de l’ONDRP. on verra que son président prend beaucoup de précautions pour indiquer que les statistiques de la délinquance sont issues de l’état 4001 et qu’ils ne peuvent être le reflet de la réalité du phénomène criminel. Dans ces mêmes commentaires, qui sont répétés sur plusieurs années, il espère que les enquêtes de « victimation » viendront compléter l’étude statistique. Or les enquêtes effectuées ne démontrent pas qu’il y ait une baisse sensible de la délinquance. A l’exception de certaines atteintes aux biens (vol automobile, par exemple).

Que faut-il en conclure ?

Contrairement aux affirmations du gouvernement la délinquance n’a pas baissé durant les huit dernières années. Au mieux cette délinquance a stagné, et elle a même augmenté dans les rubriques les plus sensibles.

Comme le disait William Ewart Gladstone, qui a inspiré Churchill,

les statistiques sont (vraiment) la forme la plus élaborée du mensonge.

Sources : Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales. Se reporter également à partir de ce lien aux rapports annuels des années précédentes.

Voir aussi : Jean-Paul Grémy, « Les “défaillances de la mémoire” dans les enquêtes de victimation » Bulletin de méthodologie sociologique, 94 | 2007, [En ligne], Mis en ligne le 01 avril 2010. URL : http://bms.revues.org/index464.html. Consulté le 23 janvier 2011.

Mon blog : http://Jeanfrancoisherdhuin.blog.lemonde.fr

Article initialement publié sur Police et banlieue

Crédits Photos CC FlickR: zigazou76, ILRI, Martin Leroy, zigazou76

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La com’ rituelle du ministre de l’Intérieur http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/ http://owni.fr/2011/01/25/la-com%e2%80%99-rituelle-du-ministre-de-l%e2%80%99interieur/#comments Tue, 25 Jan 2011 11:09:09 +0000 Laurent Mucchielli http://owni.fr/?p=43800 Comme chaque année, le ministre de l’Intérieur fait sa com’ en annonçant au mois de janvier les prétendus « chiffres de la délinquance » de l’année écoulée. Le quotidien pro-gouvernemental Le Figaro en a eu la primeur, l’interview du ministre étant reprise sur le site officiel du ministère.

Bien entendu, les choses sont globalement positives, il ne saurait en être autrement. Depuis 2002 tout va mieux, tandis qu’avant c’était naturellement la catastrophe. En 2010, on constate des progrès qui sont entièrement dus aux décisions prises par le ministre. Et s’il reste des problèmes, soyons rassurés : le ministre a déjà pris les décisions qui s’imposaient pour 2011. On n’est pas loin d’Alice au pays des merveilles. Les choses sont cependant un peu plus compliquées.

Les statistiques de police ne sont pas les « chiffres de la délinquance »

Il faut d’abord marteler ce rappel fondamental : les statistiques de la gendarmerie et de la police ne sont pas « les chiffres de la délinquance ». Elles sont le résultat de l’enregistrement des procès-verbaux dressés par ces fonctionnaires, ce qui ne représente qu’une petite partie de la délinquance. Tout ce que les policiers et les gendarmes n’ont pas su, ou bien ont su mais n’ont pas « procéduralisé », n’est pas compté. Si les victimes n’ont pas porté plainte ou que leur plainte n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal en bonne et due forme (on les a débouté, on a fait une simple « main courante »), la délinquance n’existe pas officiellement. En outre, les contraventions (même les plus graves, de 5ème classe) ne sont pas comptées, ni les délits routiers, ni la plupart des infractions au droit du travail, au droit de l’environnement, au droit fiscal, etc.

Non, décidément, il ne s’agit pas d’un baromètre fiable et représentatif de l’évolution de la délinquance. D’autant que les policiers et les gendarmes subissent depuis 2002 une pression inédite pour produire les « bons chiffres », et qu’il existe toute une série de techniques pour y parvenir. Face à des plaintes concernant des problèmes parfois réellement bénins (dispute familiale, bagarre de cour de récréation, échauffourée entre automobilistes, vol de pot de fleurs, carreau cassé, etc.), ils peuvent décider d’agir de façon informelle ou bien verbaliser et donc faire monter la statistique. Face à des plaintes en série concernant le même auteur, ils peuvent parfois faire autant de dossiers qu’il y a de plaignants ou bien les regrouper.

C’est par exemple ce qui s’est produit cette année concernant des infractions économiques et financières. La baisse des escroqueries et abus de confiance est liée au fait que ce sont de moins en moins les particuliers qui portent plainte et de plus en plus les banques, ce qui permet de regrouper une multitude de victimes dans une même affaire.

Bref : il n’est pas sérieux de continuer à croire ou faire semblant de croire que cette statistique nous informe sur l’état et l’évolution réels de la délinquance. Pour aller plus loin en ce sens, il faut en réalité se tourner vers les enquêtes (scientifiques) en population générale.

Au vu de cette statistique, il n’y a pas vraiment de quoi se vanter

Mais pour en rester ici à cette statistique de police et de gendarmerie sur l’année 2010, un examen attentif des chiffres devrait imposer un commentaire bien plus modeste au ministre. Certes, le total appelé « la délinquance » baisse d’environ 2 %. Mais quel sens a un tel chiffre ? On a mis dans le même sac les meurtres, les viols, les vols de scooters et de nains de jardin, les escroqueries, les « usages de stupéfiants » (joints fumés), les « infractions à la législation sur les étrangers », les pensions alimentaires non versées, les défauts de permis de chasse ou de pêche… (il y a 107 genres d’infraction dans la statistique de police, le 107ème étant « autres » !), on a secoué le tout et il en est ressorti « le chiffre de la délinquance ». Cela n’a strictement aucun sens.

En réalité, ce total dénué de sens baisse parce que ce qui l’a fait principalement augmenter pendant des décennies recule au contraire depuis le milieu des années 1990 : ce sont les vols de ou dans les voitures et les vols de deux roues. Et les ministres de l’Intérieur successifs n’y sont pour rien, ce sont davantage les systèmes antivols qui en sont responsables. La baisse est du reste confirmée par les enquêtes. Ensuite, cette baisse globale est due aux destructions-dégradations, ce qui n’est pas confirmé par les enquêtes et résulte sans doute en partie de quelques « ruses » dans le comptage, notamment celui des voitures brûlées comme on l’a récemment discuté à propos des incendies de la nuit du 31 décembre.

Mais ces deux baisses masquent des augmentations bien plus gênantes pour le ministre, en particulier celle des cambriolages et celle des vols commis sur la voie publique avec ou sans violence. Des délinquances qui touchent également la vie quotidienne des Français.

Quant aux violences interpersonnelles, elles continuent leur hausse apparente, mais il faut appliquer la même rigueur de raisonnement et dire que le ministre n’en est pas davantage responsable. Cette hausse est régulière depuis maintenant plusieurs décennies. Et les recherches montrent qu’elle résulte principalement non pas d’une transformation des comportements mais d’une plus forte dénonciation de comportements classiques tels que les violences conjugales et les bagarres entre jeunes.

Enfin, il n’y n’a pas non plus de quoi se réjouir de la baisse continue des délinquances économiques et financières ces dernières années. Elle ne signifie sans doute pas que ces infractions sont en voie de disparition dans la société française, mais bien plutôt que les services de police et de gendarmerie ont de moins en moins de temps à consacrer à ces délits plus compliqués et impliquant souvent des délinquants appartenant à des milieux plus aisés.

Non, décidément, le monde merveilleux d’Alice demeure une fiction.

Article initialement publié sur Mediapart

Illustrations CC Flickr: not françois, sjsharktank

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[vidéo] Sexy statistics (en) http://owni.fr/2011/01/02/video-sexy-statistics-en/ http://owni.fr/2011/01/02/video-sexy-statistics-en/#comments Sun, 02 Jan 2011 16:19:18 +0000 Admin http://owni.fr/?p=40868 Pas la pêche pour reprendre en ce début janvier ? Faites-vous donc plaisir avec ce documentaire, The Joy of Stats [en], dédié aux statistiques et à la visualisation de données, diffusé en décembre sur France3, non on plaisante, sur la BBC4. Comme cela, cette vidéo n’a pas l’air du remontant idéal… Mais si l’on vous dit que c’est le professeur Hans Rosling qui présente, un des papes sur le sujet, dont le credo est “Unveiling the beauty of statistics for a fact based world view”, cela change la donne. “Believe me, that’s nothing boring about statistics”, explique-t-il en introduction. Et de le démontrer en 4 minutes.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Photo CC Flickr mindfieldz

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