OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Zahia, ou le remords du journalisme lol http://owni.fr/2010/06/05/zahia-ou-le-remords-du-journalisme-lol/ http://owni.fr/2010/06/05/zahia-ou-le-remords-du-journalisme-lol/#comments Sat, 05 Jun 2010 11:00:19 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=17477 C’est probablement parce que le spectacle footballistique n’est pas mon passe-temps favori que je n’ai d’abord accordé qu’une attention distraite à l’affaire Zahia D. Jusqu’au jour où j’ai lu l’article que lui consacrait Vincent Glad. Étoile montante du journalisme en ligne, Vincent est un ami dont j’admire le talent et l’esprit. Outre la pertinence de son expertise webistique, ses fans apprécient son ironie volontiers mordante et son art du second degré.

C’est pourquoi j’ai été quelque peu surpris de lire sous sa plume le constat désabusé de la mèmification de Zahia, où semblait se nicher comme un regret de l’emballement médiatique. Était-ce bien mon Vincent, jamais assez vif contre les contempteurs de l’exposition online et autres adeptes du pour-vivre-heureux-vivons-cachés, qui citait ici Nathalie Kosciusko-Morizet ? Comme un remords, plutôt qu’une image de l’accorte jeune femme, l’illustration du billet affichait le “coup de boule” de Zidane – ce qui a certainement détourné bien des lecteurs de Slate de la lecture de l’article.

J’apprendrai ensuite que Vincent, suivant le jeu de piste ouvert par Le Monde.fr, a été vraisemblablement le premier à signaler le 21 avril sur Twitter (ou il avait alors 6.200 followers) l’adresse du compte Facebook de Zahia, où l’on pouvait apercevoir quelques photos avantageuses sur son wall, qui servait évidemment de support promotionnel (le Blog de Lingway propose une chronologie précise de la circulation des images). Interrogé à ce sujet par Guy Birenbaum dans La Ligne jaune d’Arrêt sur images, Vincent répondra qu’il a réagi comme l’aurait fait n’importe quel usager du web de son âge, et qu’il est «internaute avant d’être journaliste».

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : la césure web/médias classiques me paraît désormais en grande partie artificielle. C’est pourquoi j’ai mis du temps à admettre la thèse développée dans cette émission, qui s’interroge sur le mélange des genres entre culture du web et caisse de résonance médiatique. Mais un second article de Vincent, cette fois sur BienBienBien, m’a finalement convaincu que cet angle d’analyse était le bon.

Dans une tentative de définition du “journalisme lol”, ou journalisme des digital natives (une insulte devenue étendard, comme l’impressionnisme), Vincent revient sur son premier billet sur Zahia, dont il justifie le sérieux étrange par une adaptation au caractère “bas de gamme” du sujet, proposant une courbe explicative de cette curieuse “ligne du lol” (voir ci-dessous).

Un type qui, après avoir écrit sur Slate un billet pour se faire pardonner un tweet malheureux, élabore ensuite une théorie pour s’excuser de son article ne peut pas être complètement mauvais. Le journalisme lol a du cœur, et c’est peut-être ça qui le distingue de l’autre.

Sexe + football + prostitution + mineure + Facebook + photos + gros seins… Comme ont pu le constater les lecteurs de la presse magazine, Zahia est juste une bombe journalistique, un truc pour faire exploser tous les compteurs, un sujet auquel aucun rédac’chef ne peut dire non. Et toi, Vincent, tu es le premier à avoir les photos de la fille que tous les lecteurs mâles veulent épingler sur le mur de l’atelier, et tu fais un article de réflexion janséniste illustré par une photo de Zidane et Materazzi. Johan a dû te détester ce jour-là.

J’ai assez tapé sur Slate pour avoir le droit de le dire : sur ce coup-là, chapeau ! Si l’on met côte à côte l’article de Match et le tien, on n’a pas une seconde d’hésitation pour décider de quel côté se trouve l’élégance. Et l’humanité. Oui, tu regrettes, pour la pauvre Zahia, petite fille jetée dans les mâchoires d’une machine dont tu connais la puissance, et tu essaies de lui dessiner un avenir de contes de fées (« Un an et demi après avoir été outée par le New York Times, Ashley Alexandra Dupré devient chroniqueuse pour le New York Post »).

Internaute avant d’être journaliste. Un jeune homme de 25 ans, curieux comme un chat, et puis navré de sa boulette. Ce qui fait du journalisme lol un digne héritier du journalisme gonzo. Si le web est aussi ce tam-tam des pratiques des “vrais gens”, qui s’échangent des vidéos de chaton parce que c’est tout mignon, un journalisme capable de restituer cette matière, tout en se souvenant d’où il vient, peut devenir un récit précieux. Un journalisme qui a des remords vaudra toujours mieux qu’un journalisme qui n’a que des regrets.

Billet initialement sur Totem ; image CC Flickr nicasaurusrex

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Tentative de définition du journalisme lol http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/ http://owni.fr/2010/06/05/tentative-de-definition-du-journalisme-lol/#comments Sat, 05 Jun 2010 08:32:30 +0000 Vincent Glad http://owni.fr/?p=17520

Le mot avait été lancé comme une insulte. Xavier Ternisien, journaliste au Monde et star du micro-blogging m’avait un jour envoyé à la gueule sur Twitter que j’étais un “journaliste lol”. Nous étions alors en plein tweet-clash, surjouant nos rôles respectifs de jeune con et de vieux aigri après la publication d’un fameux papier sur les “forçats de l’info” portant sur les conditions de travail des journalistes web. Franchement, je l’avais mal pris. En ce début d’été 2009, “journaliste lol” ne pouvait être qu’un oxymore.

Et puis, à ma grande surprise, au fil des mois, les choses ont évolué. Et il est devenu cool d’apparaître comme un “journaliste lol”. Quand, pour la blague, j’ai créé une liste Twitter “chaire de journalisme lol” à la fin 2009, nombre de journalistes web (ou d’étudiants en journalisme) se sont réjouis d’y être. Comme si c’était devenu un label.

Mais merde, alors, journaliste lol, c’est devenu un vrai métier ? Pour répondre à cette question, il faut bien faire l’effort d’essayer de définir le concept, sur lequel personne ne s’est jamais penché dans un lignage supérieur à 140 caractères. Étant entendu que le lol représente le rire en général sur Internet, et plus particulièrement une certaine élite de l’humour sur Internet.

Il y a une première définition. Est journaliste lol celui qui est journaliste et qui fait du lol sur Twitter. C’est une spécificité toute française : les journalistes les plus connus sur le réseau sont des jeunes issus des rédactions web qui balancent du lol 24h/24 avec parfois quelques inserts plus sérieux, notamment quand il y a du breaking news. C’est le modèle Alex Hervaud du nom de ce journaliste loleur d’ecrans.fr qui tweete toujours les mêmes blagues que quand il n’était pas encore journaliste et qu’il plafonnait à 30 followers. Aux Etats-Unis, les journalistes tweetent chiant. En France, un journaliste ne peut tweeter chiant, sous peine d’être vieux. La tyrannie des jeunes l’a emporté, le journalisme Twitter français est de fait un journalisme lol.

Mais le journalisme Twitter n’est pas la grandeur du journalisme lol. C’est la deuxième définition qui est la plus intéressante. Le journalisme lol consiste à maintenir un niveau de lol constant dans les articles. Expliquons-nous. Quand il traitera la crise grecque, le journaliste lol essaiera d’intéresser son lecteur en prenant un angle marrant mais signifiant, comme par exemple le fisc grec qui a découvert sur Google Earth qu’il y avait 16.976 piscines dans un quartier huppé d’Athènes pour seulement… 324 de déclarées. A contrario, le journaliste lol traitera avec un grand esprit de sérieux les sujets les plus bas-de-gamme, comme par exemple Zahia que j’avais couvert pour Slate sous l’angle de l’obus médiatique en ne laissant pas transparaître un sourire tout au long des 8.000 signes de l’article.

Un petit graphique pour essayer de mieux comprendre : le journalisme lol s’applique à rester sur la “ligne du lol”, équilibre instable entre le journalisme bas-de-gamme et le journalisme sérieux (parfois chiant). Plus un sujet est sérieux, moins l’angle choisi le sera. Inversement, plus le sujet est bas-de-gamme, plus il nécessite une orfèvrerie de l’angle. Les deux exemples cités plus haut – la crise grecque et Zahia – sont matérialisés par des étoiles.

(le graphique est moche, c’est pas pour faire “lol”, c’est juste que je ne sais pas me servir d’un illustrateur)

Les Américains y ont un peu réfléchi et ont inventé le concept de “meta-enabling“, terme qui n’a pas franchement fait florès mais dont la définition est intéressante pour essayer de comprendre notre journalisme lol à la française. Dans une série de tweets restés mémorables,Andrew Golis, éditeur chez Yahoo News et ancien éditeur adjoint de Talking Points Memo, lançait le concept:

Aux Etats-Unis, l’équation du journalisme lol est donc posée en termes économiques. Sur Internet, l’opération consistant à devoir cliquer pour lire un contenu tend nécessairement à favoriser les contenus bas-de-gamme. L’homme est ainsi fait qu’il cliquera toujours plutôt sur du cul, du lol et du fail plutôt que sur de la politique ou de l’économie. Sachant que les contenus les plus sérieux sont en général peu lus, il n’est pas illogique de tenter de rendre plus intelligents les contenus a priori bas-de-gamme, ceux qui seront cliqués. Andrew Golis estime en outre que le “meta-enabling” permet de faire du clic tout en maintenant des tarifs publicitaires élevés puisque l’annonceur jugera que le contenu est néanmoins qualitatif.

Pour résumer le point de vue américain, le journaliste lol fait sa pute, mais il le fait bien, se plaçant ainsi sous le haut patronage de Zahia qui déclarait “Je ne suis pas une prostituée, mais une escort-girl”. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que les journalistes de Gawker, référence du “meta-enabling”, sont payés en partie au nombre de clics sur leurs articles.

Au-delà de ce point de vue cynique (qui est celui des rédacteurs en chef), le journaliste lol ne doit pas écrire pour faire des stats mais plutôt pour flatter ses propres instincts de “digital native”. Le Keyboard Cat le fascine ? Qu’il en fasse un article de 5.000 signes. Il a la vague impression que YouPorn est le TF1 du porn ? Qu’il enquête dessus. Il trouve que le langage Skyblog a ses poètes ? Qu’il les glorifie dans un long article. Il sent que la tecktonik est morte ? Qu’il aille en reportage au Metropolis. La reconquête d’un lectorat jeune (objectif central de la presse actuellement) passe certainement par un élargissement du spectre des sujets dits “sérieux”. Les digital natives ont tous le même père, Internet. Ils devraient pouvoir se comprendre.

On peut esquisser une troisième définition. Le journalisme lol est un journalisme qui pourra parfois s’attacher davantage aux représentations qu’à la vérité. La proposition est évidemment choquante : la première ligne de la Déclaration de Munich des devoirs des journalistes stipule que la profession doit avant tout “respecter la vérité”. Pourtant, le journaliste peut aussi dans certaines conditions spécifiques considérer la vérité comme un sujet secondaire et constater que là n’est pas l’essentiel.

Internet est une machine à créer de la culture en permanence. Pour garder sa mission d’ “historien du présent”, le journaliste web doit parfois faire le récit en direct de la création d’une idole pop, d’une « mémisation » d’une personne ou d’un fait d’actualité, y compris si l’emballement d’Internet repose sur une vérité factuelle douteuse. Le meilleur exemple est celui du monstre de Montauk, une bête informe échouée sur une plage de Long Island en juillet 2008. Le Web s’était perdu en conjectures mais impossible de savoir s’il s’agissait d’un chien, d’un ragondin, d’un raton-laveur ou d’un fake. Que peut faire le journaliste lol face à une telle histoire ? Il doit considérer qu’en l’espèce, la vérité est annexe et peu intéressante journalistiquement, seule compte la chronique de la création d’une idole, l’ajout à la culture pop de cette incroyable photo d’une bête échouée.

La plupart des journalistes web partagent cette vision de l’information sans même le savoir. On le voit dans la multiplication des articles titrés “[un fait d'actualité] enflamme le web”. En voici quelques exemples : sur Zahiasur la main de Thierry Henry ou sur le coup de boule de Zidane. Ces papiers ne s’attachent pas tant à la vérité qu’à sa représentation sur Internet, à l’énergie créative libérée par l’élément d’actualité.

Cette forme de journalisme comporte évidemment un risque. Il ne faut le pratiquer que quand la question de la vérité est secondaire, comme pour le monstre de Montauk ou pour la main de Thierry Henry (où la vérité est réglée d’emblée, oui, il a touché le ballon de la main). Mais dans le cas de Zahia, le journalisme lol a dérapé avec plusieurs articles qui décrivaient l’”emballement” du Web en postant des photos de son Facebook ou la vidéo de sa prestation chez NRJ12, alors que personne n’était certain qu’il s’agissait bien d’elle, et que d’évidentes questions de vie privée se posaient.

Cet intérêt qu’ont les journalistes web pour les mèmes doit pouvoir aboutir à une nouvelle forme de journalisme culturel qui applique le canevas traditionnel de la critique culturelle à des contenus Internet. On devrait pouvoir critiquer une vidéo YouTube avec la même application qu’un film dans Les Inrocks. Il est maintenant évident qu’il existe une “culture web” bien circonscrite (avec ses “chefs-d’oeuvre” comme les lolcats), il devient donc possible de placer une oeuvre Internet dans une lignée culturelle et de disserter sur ses références.

LOL.

> Article initialement publié sur Bienbienbien

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