A quand un observatoire des média sociaux ?

Le 19 avril 2010

Il manque une structure officielle qui pourrait fournir des données en nombre ainsi que des analyses, et pas uniquement sous l'angle de la technique et de l'économie : c'est comme pratiques culturelles que les réseaux sociaux doivent aussi être étudiés.

Photo CC Flickr Zoltan Papp.

Il manque une structure officielle qui pourrait fournir des données en nombre ainsi que des analyses, et pas uniquement sous l’angle de la technique et de l’économie : c’est comme pratiques culturelles que les media sociaux doivent aussi être étudiés.

Il y a des sujets récurrents que je me lasse d’avoir à lire et relire sans cesse. Même quand cela parle du blogging, qui est pourtant mon sujet de prédilection.

Néanmoins, je me suis intéressée au billet de Jean Véronis qui se saisit d’une question à la mode en ce moment, celle de La mort des blogs, pour en interroger sa pertinence.

En faisant l’hypothèses de la désaffection de Skyblog au profit de Facebook, l’article du linguiste-informaticien révèle surtout que le manque de données rend difficile tout diagnostic sur cette question… et tant d’autres !

Cela m’a donné envie de réagir, tout en étant bien consciente que je ne suis pas une experte, et que mes recherches pourraient être plus poussées… si j’avais le temps.

Dominique Cardon, Le design de la visibilité : un essai de typologie du web 2.0

— Une lacune de données

Qui n’a jamais cherché de données sérieuses sur lesquelles s’appuyer pour parler de l’environnement bloguesque, de l’usage des média sociaux ? Et qui en a trouvé ?

Les données disponibles sont bien pauvres et dispersées. À commencer par des chiffres bruts : personne ne sait, même à 10% de marge d’erreur — même à 100% de marge d’erreur ! — combien il existe de blogs en France, encore moins combien sont actifs.

Les plate-formes d’hébergement sont d’ailleurs peu bavardes sur la question. Et quand bien même, si quelques chiffres sont fournis parfois (ex. en commentaire du billet de Véronis, par Overblog), sans une démarche globale et méthodique, impossible de croiser les données pour en tirer des informations exploitables.

Je ne suis pas pour la mise en place de systèmes qui contraignent et surveillent, mais, parfois, j’en viens à souhaiter l’existence d’une sorte de grille d’observation partagée. Les plate-formes pourraient y déclarer quelques données de bases indispensables, comme celles que l’article et les commentaires chez Véronis pointent comme manquantes.

— Une approche scientifique trop circonscrite

Tout de même, un observatoire des média sociaux (les blogs seuls, ce serait trop limité pour décrire un écosystème cohérent) ne mériterait-il pas d’exister ? L’idée n’est pas neuve (voir ici et là), il y a même un blog qui en porte le nom, et l’IFOP propose quelques données actualisées sur les réseaux sociaux.

Mais qu’en est-il d’une structure « officielle » sinon publique, qui serait capable de produire des chiffres en quantité, et des observations approfondies ?

Eh bien, figurez-vous qu’il existe déjà une structure de ce type, créée par Carignon en 2005 : c’est l’observatoire des pratiques numériques culturelles, à l’IRI (Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou).

Mais faites une recherche sur son intitulé et voyez ce que cela donne… A-t-il récemment produit des résultats intéressant le plus grand nombre ? Nous donne-t-il les informations que nous recherchons ?

Aucune étude ne nous dit qui sont les blogueurs, quel est le profil sociologique des usagers des réseaux sociaux, quelle part prennent ces activités dans nos occupations, de quelle manières celles-ci sont orientées…

C’est comme si ce phénomène ne valait pas la peine d’être étudié autrement que dans ses aspects technico-économico-marketing, notamment par ceux qui veulent faire du fric et conquérir de nouveaux marchés, ou développer de nouveaux dispositifs avec.

Tout n’est pas à jeter (cf. la très intéressante étude de Dominique Cardon, Orange Labs : Le design de la visibilité : un essai de typologie du web 2.0, certes. Mais il y a tellement d’autres dimensions qui ne sont jamais explorées par les chercheurs !

— Une focalisation sur le vecteur

Même si les usages numériques commencent timidement à être reconnus comme vecteurs de pratiques culturelles, ils ne sont pas encore vraiment abordés comme des pratiques culturelles à part entière.

On apprend quels sont les usages de l’Internet, on découvre (ou pas !) que les « écrans » sont des « supports privilégiés de nos rapports à la culture » et que plus les gens les utilisent fréquemment, plus ils vont également au cinéma, au musée, lisent de livres, etc.

Malgré son titre prometteur, « Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique », cette enquête nous apporte peu d’enseignements sur les nouveaux usages, ce qui n’a rien de surprenant…

Voici ce que j’ai trouvé : 23% des Français de plus de 15 ans ont une activité en amateur sur ordinateur, dont 12% écrivent un journal personnel et 7% ont créé un blog ou un site personnel (hors photographie et vidéo, source : pratiques culturelles 2008, DEPS, Min. de la Culture et de la Communication).

À part cela, peu de choses. Tout est abordé sous l’angle des pratiques culturelles habituelles, le numérique n’étant qu’un moyen.

Cette porte d’entrée ne conduit-elle pas à entretenir l’opposition manichéenne entre les anciens et les modernes ? Placer les TIC dans une position de vecteur entretient l’idée qu’elles vont tuer le livre, le cinéma, le disque, les journaux d’information, voire les relations sociales, l’autorité, les valeurs morales et que sais-je encore ! À force de se concentrer sur des sujets épars, on finit par construire une image diabolisée qui révèle surtout nos fantasmes collectifs.

Commençons par travailler à une compréhension plus globale et hors des polémiques, qui remette les choses en perspective !

— D’autres perspectives

Qu’est-ce qu’évoluer dans le monde d’Internet aujourd’hui ? Comment intégrons-nous ces média dans nos occupations quotidiennes ?

Quels impacts les blogs et autres réseaux sociaux interviennent-ils dans la manière qu’a la société – ou au moins les gens qui les fréquentent et les nourrissent – de s’informer, s’exprimer, s’impliquer, se lier, se représenter les uns les autres… et aussi s’épanouir, créer, se socialiser, être citoyens ?

Considérons tout ce « temps de travail » bénévole cumulé, cet investissement que nous y avons tous : on ne peut pas dire que cela soit quantité négligeable ! Je suis même certaine que, en observant pratique du blogging et usage des réseaux sociaux, on peut aussi comprendre comment, et peut-être vers quoi, nous sommes en train d’évoluer dans nos rapports sociaux.

Pour ce que j’en sais, on dirait que les recherches se focalisent sur certains effets « tendances » alarmistes qui ne sont sans doute que des épiphénomènes, ou tout au moins abordent les questions uniquement par des aspects très circonscrits et posant problème (genre « jeux vidéo et addiction » dont on nous rebat les oreilles depuis des années).

Où trouve-t-on les plus intenses des débats et les plus intéressantes des réflexions sur le blogging ? Sur les blogs eux-mêmes !

Et loin d’être des échanges sclérosants, ceux-ci touchent à tous les domaines des sciences humaines (économie, sociologie, ethnologie, psychologie et même psychanalyse, communication, étude des média, sémiologie… ou un peu de tout cela).

On sent que les média sociaux sous-tendent des enjeux majeurs… mais combien de chercheurs travaillent-ils dessus ?

Qu’attendent les pouvoirs publics pour s’intéresser à la part sociale (et pas seulement sociologique, d’ailleurs) et culturelle de cet environnement technologique qui ne cesse de se développer ?

Billet initialement publié sur En attendant BlogExperience

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