AR et chirurgie: “une innovation majeure”

Le 22 avril 2010

Si ses usages dans le marketing sont les plus connus du grand public, la réalité augmentée apporte aussi beaucoup à la chirurgie. Explications avec deux spécialistes.

Une caméra filme le patient et l'information fournie par le modèle virtuel du patient est superposée sur l'image vidéo. Le chirurgien peut donc voir le patient en transparence.

Si ses usages dans le marketing sont les plus connus du grand public, la réalité augmentée apporte aussi beaucoup à la chirurgie. Explications avec le docteur Stéphane Nicolau, qui dirige la nouvelle équipe de recherche en réalité augmentée pour la chirurgie à l’IRCAD de Taiwan (Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif), et le professeur Luc Soler, responsable de la recherche et développement à l’IRCAD de Strasbourg.

Comment s’est fait le pont entre le monde de la chirurgie et la réalité augmentée ?

Ce lien a été imaginé par quelques visionnaires du monde chirurgicale, comme le professeur Jacques Marescaux (directeur de l’IRCAD et du département de chirurgie digestive des hôpitaux universitaires de Strasbourg) ou le professeur Rick Satava (professeur du département de chirurgie de l’université de Washington) il y a déjà plus de quinze ans. Ces quelques personnes ont compris le sens de la révolution digitale du monde de l’imagerie médicale et de son impact potentiel sur les techniques chirurgicales.

Actuellement, quelles techniques sont déjà utilisées ? Quels projets sont en cours ?

Les systèmes actuellement utilisées sont limités au guidage chirurgicale en neurologie et orthopédie. En fait, elles ne sont pas totalement des techniques de réalité augmentée mais plutôt de virtualité augmentée puisque c’est l’image scanner ou IRM du patient qui est augmentée et non pas son image vidéo. À l’IRCAD, nous développons et évaluons actuellement des techniques de réalité augmentée en chirurgie endoscopique pour les régions plus complexes qui subissent d’importantes déformations (notamment l’abdomen). Dans le contexte de la chirurgie endoscopique, le chirurgien guide ses gestes à partir de la vue fournie par la caméra endoscopique. L’utilisation de la réalité augmentée se fait donc en incrustant des informations virtuelles en semi-transparence dans l’image vidéo. Plus de trente opérations des surrénales, de la parathyroïde, du foie et de la rate ont ainsi été réalisée avec succès. La toute première intervention pour une surrénale avait été réalisée en 2004 et publié dans JAMA (The Journal of the american medical association).

Il est important de comprendre que la mise en place de technique de réalité est beaucoup plus compliquée sur des organes mous et déformables que pour des organes rigides comme les os. Nous avons développé des outils efficaces utilisables au bloc opératoire, mais ils sont manuels et dépendent de l’utilisateur. Notre objectif actuel est d’automatiser tous nos outils, et c’est la tendance générale dans les laboratoires qui travaillent dans ce domaine.

Y a-t-il des spécialités chirurgicales pour lesquelles l’apport de la réalité augmentée est particulièrement utile ?

En fait toutes les spécialités chirurgicales rêvent de pouvoir disposer de tels systèmes. La réalité augmentée permet de voir ce qui n’est normalement pas visible par l’Å“il du chirurgien. L’utilisation de ces techniques en neurochirurgie et en orthopédie a démontré de grands bénéfices sans surcoût excessif. Les opérations que nous avons réalisées montrent également un grand bénéfice à certaines phases précises de l’intervention, en particulier au moment de la recherche des vaisseaux et des tumeurs qu’il faudra retirer. A l’inverse, il semble réellement inutile de disposer de cette technique durant la totalité de l’acte opératoire. Trop d’information tue l’information. La réalité augmentée doit donc être utilisée uniquement lorsque le chirurgien a besoin de voir en transparence où les informations qui lui sont cruciales. Une fois le repérage effectué, il peut alors opérer.

Modèle 3D du patient réalisé à partir de son image scanner. Il est ensuite superposé sur une image vidéo du patient.

Cette technique suscite un intérêt croissant…

Effectivement, la multitude de projets développé aussi bien sur le plan national que sur le plan international illustre parfaitement l’intérêt pour cette solution technologique. Il y a actuellement plusieurs dizaines de laboratoires dans le monde qui travaillent sur cette thématique (par exemple à Imperial College of London, Technische Universität of München, John Hopkins Hospital, à Baltimore).

Sur quel(s) projet(s) vous concentrez-vous ?

À Taïwan, nous avons plusieurs projets en cours. Le premier est orienté sur l’automatisation des outils de RA en chirurgie endoscopique hépatique. Le second a pour objectif de réduire les irradiations produite par les imageurs C-arm à rayons X en chirurgie orthopédique. La méthode consiste à montrer sur une vidéo externe du patient la position de sa colonne vertébrale.

L’IRCAD Strasbourg travaille non seulement sur de nouvelles techniques de RA en chirurgie, mais aussi sur le développement de logiciels de visualisation 3D accessible gratuitement sur internet afin de permettre aux chirurgiens du monde entier de bénéficier des apports des technologies de visualisation les plus récentes. Un des logiciels phares – VR Render – est d’ailleurs disponible à l’adresse suivante : http://www.websurg.com/softwares/vr-render/index.php?lng=fr Ce logiciel a été réalisé dans le cadre du projet européen PASSPORT financé par l’Europe (programme de recherche FP7).

Comme se passe leur réalisation, en collaboration avec les ingénieurs qui travaillent avec vous ?

Nous avons exporté le modèle appliqué en France à Taïwan, car ici ils ont très peu d’expertise dans
le domaine biomédical. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils étaient intéressés par la mise en place d’un centre IRCAD. Les projets impliquent généralement trois ensembles de personnes, des chercheurs, des praticiens et des ingénieurs programmeurs. Les chercheurs et praticiens imaginent les concepts innovants et utiles, les chercheurs fixant les limites techniques. La communication à ce stade est cruciale car les deux proviennent d’un monde d’où les champs lexicaux sont très différents. Ensuite, les chercheurs et les ingénieurs travaillent ensemble afin de développer un logiciel qui réponde aux besoins des praticiens. Durant toute la phase de développement, l’interaction avec les praticiens est capitale pour voir aboutir un projet réellement utile pour le praticien et le patient. Il est malheureusement assez commun de voir des projets se finir avec des logiciels inutilisables pour le praticiens car trop compliqués.

Est-ce que les chirurgiens vont devoir revoir sur le fond leur formation pour intégrer cette technique ou s’agit-il juste d’une évolution de leurs compétences ?

En chirurgie endoscopique, l’information est rajoutée sur l’outil de visualisation du chirurgien (c’est-à-dire sur l’image vidéo de la caméra endoscopique), il n’est donc pas nécessaire de revoir sur le fond car l’approche RA s’adapte ici naturellement à leurs conditions de travail. À l’IRCAD, nous pensons qu’il ne faut pas que les chirurgiens modifient dans le fond leur formation, car le système doit plutôt s’adapter à leur façon d’opérer. En fait, les techniques opératoires de RA montrent leur efficacité, mais aussi leurs limites. La réalité augmentée est essentiellement là pour dépasser les limites des actes chirurgicaux actuels tout en conservant les modes opératoires. Il s’agit d’un outils supplémentaire pour un moment bien précis de l’acte.

A priori, les chirurgiens recevront à l’avenir une formation expliquant les principes des systèmes de RA, et il est probable que les assistants opératoires devront avoir des compétences plus importantes et plus spécialisé pour bien comprendre comment utiliser les systèmes et leurs limites.

Des sociétés d’informatique commencent-elles à s’intéresser sérieusement à l’AR appliquée à la chirurgie comme un source de business ?

Cela fait depuis plus de dix ans qu’il existe des logiciels de guidage en chirurgie. Néanmoins, la plupart de sociétés étaient des petites ou moyennes entreprise. Actuellement, les géants du médical, comme SIEMENS, GE, PHILIPS, sont très intéressés mais sont encore en phase de recherche et validation.

Le recours à l’AR va-t-il se démocratiser ou relever d’une chirurgie “de luxe” ?

Actuellement, il faut reconnaître qu’il y a déjà des différences entre les centres médicaux : certains centres en France peuvent être considérés comme luxueux par rapport à d’autres dans des régions moins développées ou moins focalisées sur l’acte médical. Nous retrouverons certainement le même phénomène lors de l’introduction des techniques de réalité augmentée. Certains centres investiront massivement dans le médical et auront accès plus rapidement à ces technologies basées réalité augmentée, mais avec le temps nous les retrouverons certainement partout.

La médecine généraliste peut-elle aussi tirer partie de l’AR ? Peut-on imaginer un médecin de famille y recourir ?

Avant de parler des généralistes, je vais donner un exemple montrant que certaines spécialité pourraient déjà en bénéficier. En dermatologie par exemple, certaines pathologies peuvent être détectées grâce à des caméras thermiques ou infrarouges, dans ce cas de figure, on peut très bien imaginer un système permettant au dermatologue de filmer la peau du patient et de voir sur l’image visualisée des animations virtuelles indiquant les pathologies potentielles et les risques.

Chez le généraliste, nous pensons plutôt que la RA servira de manière pédagogique pour le patient. À l’heure actuelle, nous pouvons déjà utiliser la réalité virtuelle pour montrer des reconstructions 3D du patient lui permettant de mieux comprendre son anatomie et ses pathologies.

On parle de l’AR comme d’une nouvelle “révolution” en général, est-ce que le terme, appliqué à la chirurgie, est galvaudé ?

Le mot « révolution » est certainement trop fort. Je dirais plutôt que l’introduction de la RA au bloc opératoire est une innovation majeure. Néanmoins, il est clair que le gain sera très important pour le patient en terme de sécurité et de coût car la réalité augmentée permettra aussi de réduire les courbes d’apprentissage.

Image de Une : Helgasm! en CC sur FlickR

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