[ENTRETIEN] Oxmo Puccino, artiste connecté

Le 15 novembre 2010

Poète, rappeur, musicien, les multiples casquettes d'Oxmo Puccino étaient connues. Mais au cours de notre entretien avec l'artiste, nous avons découvert un homme très au fait des nouvelles technologies et en avance sur une industrie endormie.

Oxmo Puccino est sans conteste un des artistes hip-hop les plus talentueux que compte la France. Depuis Opera Puccino, en 1998, il a marqué la scène album après album en maniant la langue française en virtuose. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son album live.

On nous avait prévenus. Si il y a un artiste avec qui on peut parler de nouvelles technologies, d’internet, et des mutations de l’industrie musicale, c’est bien lui.

Valeur de la musique à l’heure du web, création musicale, réseaux sociaux ou logiciel libre, rencontre avec le “Black Jacques Brel”.

“Si je suis un geek ? Complètement !”

Depuis quand as-tu perçu l’utilité d’internet pour la musique ?

Depuis 1995, le jour où je suis allé chez la mère d’un de mes amis, elle avait pour son travail un ordinateur avec une grosse boite à côté, d’où sortaient pleins de fils connectés au téléphone, et je savais que c’était cela dont on avait besoin pour aller sur internet. J’ai allumé l’ordinateur et j’ai vu le logo Netscape, et c’est là que tout a commencé ! J’ai tapé Mobb Deep sur le clavier et j’ai vu un de ses clips, de la taille d’un timbre poste. Là je me suis dit, il se passe quelque chose, je peux voir Mobb Deep à la demande !

J’ai du attendre deux ans, vers fin 97, pour avoir mon premier abonnement, en 56k. Mais à l’époque c’était pas facile, il n’y avait que très peu de sites internet et ils étaient en anglais.

Quand as-tu commencé à te servir d’internet pour propager ta musique, quand as-tu créé ton premier site internet ?

L’idée m’est venue assez vite, dès l’arrivée de Napster en 99. Le seul problème était qu’il n’y avait pas encore de demande, il a fallu que j’attende que les gens commencent à arriver vraiment sur internet. J’ai réellement créé mon premier site en 2001, pour le lancement de mon deuxième album, L’Amour est mort. Ce site était un terrain de jeu, représentant une salle de casino, avec déjà des pages et des fonctionnalités cachées, un forum, une vraie expérience autour de l’album. Il avait été réalisé par Soleil Noir.

Au delà de ton utilisation précoce d’internet, peut on dire que tu es un geek ?

Complètement. Mais c’est un mot qui a été galvaudé. Il ne suffit pas d’aimer l’iPhone pour en être un, c’est l’impression que donne ce mot aujourd’hui. Un geek pour moi, c’est quelqu’un qui est toujours au fait des dernières évolutions de l’informatique, qui est un passionné, toujours connecté, quelqu’un qui est informatisé.

Je sais que tu utilises beaucoup Twitter et Facebook. Quel est ton utilisation au quotidien des réseaux sociaux et d’internet ?

Pour moi cela permet de partager des idées et de communiquer. On peut directement accéder à moi par ce biais, mais pas me joindre. Je le mets d’ailleurs souvent sur mes bios “accessible mais injoignable”. Tu peux me donner une phrase, n’importe où dans le monde, et je la reçois. On peut même trouver une de mes adresses mails et m’envoyer des messages, directement sur mon Blackberry. C’est sûr que répondre à tout le monde est un peu délicat dans ma position, mais c’est en tout cas dans cette optique que j’utilise les réseaux sociaux, pour communiquer.
J’utilise internet avant tout pour m’informer, et non pas pour diffuser ma musique. J’ai toujours fait de la musique comme on jette des bouteilles à la mer, et ce n’est pas internet qui a changé ça. J’adore voir des morceaux prendre 4 ou 5 ans à émerger. C’est ce qui est intéressant, il y a beaucoup de choses en sommeil, et tout d’un coup, sans qu’on sache pourquoi, les gens se mettent à l’échanger. Je trouve que c’est l’une des magies du réseau.

En quoi ces nouvelles possibilités de communication apportent-elles quelque chose au sein de ta création ?

Cela ne m’apporte pas forcément d’aide au niveau de la création en elle même, mais plutôt un point de vue, un retour sur ce que j’ai créé. Comme je compte sur moi pour être inspiré, j’attends de pouvoir recueillir les fruits, ce que l’on pense de mon travail. Cela me donne une meilleure idée des gens qui me suivent, leurs goûts et quels autres artistes ils écoutent.

“La valeur marchande de l’art n’est qu’un tarif”

On entend souvent dire aujourd’hui que le concept d’album est sur la fin, lié à un support physique dépassé, et qu’on arrive dans une ère de morceaux one shot, sortis indépendamment les un des autres ou presque. Comment perçois-tu ca, et est-ce que tu prévois de sortir des morceaux de cette façon ?

J’ai toujours vu les albums en termes d’œuvre, pas en termes d’un CD avec une pochette, c’est à dire des morceaux conçus ensemble, pour être écoutés ensemble et liés autour d’une thématique, le tout avec une belle photo et sur un objet. Aujourd’hui, je vois un objet qui est prétexte à aller sur scène, à échanger. On pourrait se poser la question sous un angle commercial, de ventes, mais aujourd’hui le débat ne se situe plus là.
C’est vrai que depuis qu’internet est là on a tendance à penser en termes de singles, de morceaux coup par coup, mais je pense que c’est céder à la facilité, parce que c’est très difficile de concevoir un album. Mais d’une certaine manière, réussir un album en termes d’œuvre, c’est rendre indissociable un morceau d’un autre. Tu écoutes un morceau qui te plaît, et si tu as envie d’en avoir un dans la même saveur, le même parfum, tu ne peux que te retourner vers l’album. Chaque chanson est une couleur, un élément d’un tableau. Ça ne rime pas à grand chose d’apporter juste quelques bouts du dessin, c’est un bon prétexte pour la paresse quelque part. La valeur marchande de l’art n’est qu’un tarif, l’art n’a pas toujours rapporté de l’argent.

Créer une expérience, à l’heure où beaucoup d’artistes semblent livrer une marchandise ?

Ils se trompent tellement ! Et ça, c’est à cause de notre époque, où tout doit être mainstream, tout doit être vendu, tout doit correspondre à certains goûts, alors que ce n’est pas cela du tout.
On est à l’heure de la célébrité inutile, tu es célèbre parce que tu n’as rien fait.

On est à l’heure de la “génération zapping”, où si le morceau n’a pas accroché dans les 20 première seconde on passe au suivant. Est ce que cela influence tes créations ?

Énormément oui. C’est pour cela que je met plus de temps à concevoir mes morceaux, et que j’y attache une importance et une qualité que les autres ne donnent pas forcément. Dans cette époque du zapping, certains artistes sont tombés dans le vice de la quantité, à croire que c’est en inondant les gens que l’on va attirer leur attention. Je n’aimerai pas être un artiste qui débute aujourd’hui, car débuter signifie être maladroit, être moins performant, et la masse d’artiste aujourd’hui t’oblige à être bon tout de suite pour attirer l’attention.

Mais ça n’a rien changé dans la structure de mes morceaux, je prend juste plus de temps, et plus au sérieux, la conception de la chanson.
Dans la quantité, on t’oublie, et internet m’a fait prendre conscience de la rareté. On a l’impression que l’on peut tout mettre sur internet alors que pas du tout. Tout n’est pas sur internet, et je ne mets pas tout sur internet parce qu’il faut garder une part de mystère, une part de rareté. J’ai tweeté l’autre jour une phrase : “Les gens n’accordent pas de valeur à ce qu’ils n’achètent pas”. Il faut donc trouver la valeur d’une autre manière, quelque chose de rare a toujours de la valeur.

Comment intègres-tu les fans à ton univers, à ton aventure ?

Ils ont contribué à mon dernier album d’une certaine façon. Non pas artistiquement et directement, mais par ce que j’ai compris ce qu’ils avaient ressenti avec mes précédents morceaux,  mes anciens disques. J’avais une idée plus précise des gens qui m’écoutent. Je prends note de leurs impressions.

Comment gères-tu cette articulation entre le physique et le numérique, comment réussis-tu à recréer de la valeur en jouant sur ces deux tableaux ?

On ne joue pas, je suis entouré d’une équipe qui passe son temps à réfléchir, à trouver les solutions pour faire les choses au mieux. Nous sommes dans une période où nous testons constamment, et ce que nous faisons est l’objet de nos recherche. Ce n’est pas toujours quelque chose de calculé mais si ce que l’on teste marche nous poussons dans cette direction. Au lieu de dire à tout le monde “on est perdus, on ne vend plus de disques”, on essaie de trouver et d’avancer avec ce que l’on a en main.

Avec l’évolution des usages de consommation de la musique sur internet, la musique est devenu de fait partagée librement et gratuitement. Cependant, la question du droit d’auteur, du copyright reste entière. Comment perçois-tu cette dichotomie entre l’usage et le droit ?

C’est complexe, parce que c’est mélanger les artistes et les industriels. Si jusqu’à présent ils ont eu besoin les uns des autres pour exister, c’est aujourd’hui une question qui se pose avec un grand point d’interrogation. L’indépendance se révèle aux artistes comme une possibilité.

Les artistes et l’industrie ont toujours été en désaccord si on regarde bien l’histoire de la musique, donc quelque part c’est une redistribution des cartes. Si on entends tellement parler du piratage, du copyright, c’est que ce sont les industriels qui ont perdu, en premier lieu, pas forcément les artistes.

Nous n’avons pas encore trouvé d’équilibre, mais cela représente un retour à l’échelle humaine, à un niveau communautaire.

Les opérations de branding, une marque qui s’associe à un artiste, existent depuis longtemps, mais ces dernières années ont a vu une accélération du nombre de ces partenariats. Ces opérations sont souvent présentées comme une nouvelle source prépondérantes dans les revenus d’un artiste. Qu’en est-il dans ton cas, t’es tu déjà associé à des marques ?

Je travaille avec des marques au coup par coup, j’ai des liens affectifs avec quelques marques, mais ce n’est vraiment pas quelque chose de prépondérant pour moi. Je reste centré sur l’artistique, et après c’est au gré des opportunités et des rencontres. Cela se passe rarement avec une marque mais plutôt avec quelqu’un que je connais bien et qui travaille pour une marque. C’est pour cela que c’est plutôt à un niveau affectif. Je ne suis pas au niveau où une marque m’appelle directement.

Considères-tu qu’utiliser internet, communiquer avec ses fans par ce biais, faire du community management fait aujourd’hui partis du métier d’artiste ?

Je ne pense pas que cela fasse parti du métier de l’artiste, le métier de l’artiste est de divertir avec de la qualité, et d’être communicatif. Je fais en sorte que cela ne reste que de la communication. Je ne suis pas tout le temps en train de tweeter mon travail, je tweete plutôt des états de pensée, des mots.

“Dans l’industrie de la musique, le pouvoir passe dans d’autre mains”

Comment vois-tu l’évolution de l’industrie musicale en ces temps de mutations liées à internet ?

Je le vois comme une sorte de changement de contrôle, le pouvoir passe dans d’autres mains. Il n’y a pas si longtemps on voyait des compagnies téléphonique investir dans la musique, on peut s’attendre à tout. Je ne suis pas dans l’utopie d’un système qui serait uniquement contrôlé par les artistes, le contrôle sera repris à un moment ou un autre. Mais uniquement industriellement.

Mais musicalement, nous sommes face à une révolution. On va être témoin d’explosions fantastiques, avec ces mélanges avec le monde, l’accès à la culture de n’importe quel pays en quelques millisecondes, la manière dont on peut apprendre sur internet. La musique est un langage universel, c’est logique que cela colle parfaitement avec internet.

Au niveau de l’international, développes-tu aussi ta carrière à l’étranger ?

J’y ai pensé, mais c’est plus compliqué qu’on ne le croit, notamment à cause de la barrière de la langue. Je reste dans la direction francophone, avec l’espérance d’être traduit par mes pairs. Mais m’internationaliser n’est pas du tout évident même si je reste concentré dans l’optique de produire une musique qui s’écoute bien, et c’est déjà beaucoup.
Il y a bien sur le Québec, mon pays de cœur. J’ai vécu des choses énormes là bas, très fortes, au delà du froid bien sûr !

D’où provient aujourd’hui la majorité de tes revenus ?

De la scène en premier lieu, et ensuite des travaux externes, comme la publicité ou le cinéma. Ce n’est pas en tout cas pas de la vente de musique, c’est quelque chose que j’ai assimilé depuis longtemps. Les maquettes de mon deuxième album (L’amour est mort) se sont retrouvées sur internet un an avant la sortie, cela fait donc un bout de temps que j’ai compris que mes revenus ne se situaient pas là. Je pourrais écrire un bouquin sur les déboires liés à internet !

A ce sujet, quand est-ce que vous me posez la question sur Hadopi ??

On n’avait pas forcément prévu de te poser la question, tu y a déjà répondu récemment dans plusieurs interviews, mais puisque tu en parles, c’est avec grand plaisir que nous t’écoutons à ce sujet!

Il y a quelque chose que je n’avait pas dit lors des précédentes interviews, je me suis rendu compte que parler d’Hadopi c’est nul. Aujourd’hui l’Hadopi n’est plus d’actualité du tout, avec des sites comme Megaupload, Rapidshare ou même Deezer. C’est déjà décalé technologiquement, ca y est c’est fini ! On me parle de lutter contre les torrents, le P2P aujourd’hui, je suis mort de rire, les gens sont déjà passé à autre chose pour télécharger et écouter de la musique.

“Et vous, Mac ou PC ?”

PC, toi aussi ?

Ben oui, quand même. Mac ça plante, ça plante dur ! Et tu es sous Linux ou Windows ?

Windows en dual boot avec Linux, netbook sous linux, et Android pour le téléphone.

Ah ça c’est bien, tape moi dans la main.
Tu vois l’iPhone, c’est séduisant, mais tu es super limité. C’est cher payé pour les gens qui n’ont pas envie de s’embêter, de bidouiller un peu.

Et toi, tu es sous Linux ?

Oui, ca fait six ans que je suis sous Linux. En ce moment je suis Ubuntu Maverick, la dernière version. C’est plus simple, c’est la version développée la plus régulièrement, mais je les teste toutes. J’ai aussi installé sur un de mes ordinateurs, en dual boot, Ubuntu Studio. C’est un système libre, gratuit, pour faire de la musique. Quand tu sais que Pro Tools vaut plusieurs centaines d’euros, Linux te fournit la même chose mais gratuitement.
Il y a aussi l’aspect communautaire, dès que tu as un problème, tu pose la question sur les forums et on te répond dans les deux minutes.

Voilà un bel exemple de la communication qu’apporte internet, non ?

Pas tant que ca. Pour moi, cela revient quand même à des placebos de communication. Ils ont rendus encore plus important le contact physique. On est là à communiquer à distance, c’est une bonne chose, mais tôt ou tard il faut en arriver au contact physique, qui est l’aboutissement normal de cette prise de contact à travers internet. Ce que je vois, c’est que beaucoup de gens utilisent internet pour tout ce qu’ils ne peuvent pas faire dans la vie, donc c’est plus pour moi un révélateur de certains maux qu’un vrai outil de communication. Un outil, il faut savoir l’utiliser, et les gens ne se rendent parfois pas compte de ce qu’ils font. Les gens s’étonnent de certaines dérives, mais ce n’est pas du tout nouveau quand tu connais bien l’outil.

Mais revenons sur Linux. Tu vois l’interface, elle a 5 années d’avance. Mac Os et Windows, tout ce qu’ils font ce n’est qu’une copie de Linux. Mac Os ce n’est qu’un système Linux sur mesure pour les ordinateurs produits par Apple qu’ils vendent à un certain prix. Mais si toutes les marques développent un système basé sous Linux, adapté uniquement à leur ordinateur, cela va devenir complètement dingue ! Apple a compris que les gens pouvaient se satisfaire de la simplicité.

Un univers standardisé, où tout semble facile…

Moins tu comprends les choses aujourd’hui, plus tu es contrôlable. J’ai quitté Windows parce qu’il y avait trop de choses que je ne comprenais pas, je trouvais ça louche. Les bases de registres, tout ce qui t’est caché, ce n’est pas clair !

Tu parles souvent de ça avec ton entourage artistique ?

Ben non justement, je ne peux pas avoir ce genre de discussions. Quand j’arrive avec ce genre de discussion je passe pour un fou. Je n’en discute qu’avec des gens qui sont dans l’informatique.

Une petite question en plus : et l’iPad dans tout ça ?

Je ne suis pas pro Apple, parce que je suis contre les systèmes fermés. Pour moi Apple, c’est une marque qui profite d’une défaillance de la curiosité. Parce qu’avec un peu de curiosité, tu peux te faire un mac.

Et du temps !

Et du temps, mais aussi avec moins d’argent. C’est sur qu’Apple c’est un truc qui se tient très bien, ils ont créé un univers, de beaux design, un concept, une sorte de secte même. Quelque part, je trouve ça très fort d’avoir réussi à créer ça, mais je n’y adhère pas du tout.
Et l’iPad pour moi, c’est un pas de travers. C’est beau, mais c’est complètement inutile

Je fais très attention à ce qui peut prendre le pas sur l’imagination. Autant il y a eu des artistes qui ont pris leur envol grâce à l’outil informatique, autant l’informatique, et l’internet ont pris le pas sur l’imagination de beaucoup.

Les gens confondent ce qu’ils ont vu et ce qu’ils créent. Cela se ressent chez beaucoup de jeunes artistes qui arrivent, qui sont un peu maladroits, et qui ne sonnent pas vraiment mais qui rappellent toujours quelque chose.

Cette interview a été réalisée par Lara Beswick et Valentin Squirelo

Crédits photos : Droits réservés David Frasson (live) / Hugues Anhes (portrait)

L’album live Minutes Magiques enregistré à la Cigale est disponible depuis aujourd’hui.

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