“Singularity University n’est pas une secte”

Le 21 novembre 2010

Singularity University ? Ni secte, ni temple transhumaniste ! Eugénie Rives revient pour OWNI sur dix semaines de formation dans la Silicon Valley, au sein d'une institution qui croit aux nouvelles technologies et en leur capacité à sauver le monde.

Si elle n’a pas commencé à programmer dès l’âge de quatre ans, Eugénie Rives n’a rien à envier aux exploits de ses camarades de la Singularity University, dont elle a suivi le dernier programme d’été.

Chez Google France depuis cinq ans, la jeune femme a commencé à monter des projets dès l’âge de 19 ans, qui marque son départ vers la Californie. S’ensuivent le Mexique et l’Argentine, où elle met en place un festival de courts-métrages, dont elle assure la promotion à travers le monde grâce aux nouvelles technologies. L’année dernière, elle décide de compléter son savoir-faire en participant aux deux mois et demi de formation intensive proposée par la Singularity University dans le domaine des nouvelles technologies. Direction la Silicon Valley et le campus de la Nasa, dont la demoiselle ressort émerveillée.

Eugénie Rives revient avec nous sur cette expérience et en profite pour dissiper les confusions entretenues autour de “SU”. Si l’institution compte parmi ses fondateurs l’un des papes controversés du courant transhumaniste Ray Kurzweil, il faut, selon la jeune femme, opérer la distinction entre ces idées et la visée pragmatique de Singularity University, qui interroge l’impact des nouvelles technologies sur la planète.

Singularity University, temple du transhumanisme ?

Pas du tout. Il faut décoreller Singularity University et transhumanisme. L’université donne des billes pour réfléchir à l’impact pratique des technologies sur des grandes problématiques : énergie, eau… C’est vraiment pour cet aspect concret, le lancement de projets, que j’y suis allée. En comparaison, l’université n’a vraiment rien à voir avec le Singularity Institute qui comporte une unité spécialisée sur les questions transhumanistes.
Certes, le discours de SU, notamment d’ouverture, est très emphatique, très américain, mais il ne diffère en rien de ce qu’on pourrait entendre à Harvard ou à Stanford.

Singularity University n’a rien d’une secte ! C’est juste une université très avancée sur les questions relatives aux nouvelles technologies.

Après, il est vrai que Kurzweil fait partie des fondateurs et des intervenants. Mais ses cours abordent la Singularité, ce moment qui marquera une explosion de la technologie telle qu’elle dépassera l’intelligence humaine (ndlr : aussi appelé “small-bang”). Ray Kurzweil aborde de façon très succincte les questions transhumanistes.

C’est Peter Diamandis, un entrepreneur à l’origine de tout un tas de projets, qui est allé à sa rencontre suite à la lecture de Singularity Is Near, pour fonder l’université. Mais l’institution n’est vraiment pas à relier au transhumanisme pour autant. Ils ont même songé à en changer le nom, pour bien marquer la distinction, c’est dire !

Donc le chef de SU, issu des cuisines de Google, ne sert pas une centaine de pilules pendant les repas ?

Non ! Et Ray Kurzweil ne nous a pas dit d’en prendre !
Il est vrai que le programme faisait attention à notre alimentation et à notre santé. Nos repas étaient bio et surtout à base de tofu, et nous faisions deux heures de yoga par semaine.

Et en dehors des repas, quelle était l’ambiance à SU ?

C’était extraordinaire. J’ai rencontré des Prix Nobel, des gens à l’origine de projets incroyables. Larry Brilliant de Google.org ; Robert Metcalfe, l’inventeur d’Ethernet… En tout, 160 interventions différentes ! Mais au-delà des professeurs, j’étais aussi au milieu d’étudiants complètement passionnés par les technologies. Un véritable patchwork de plein de pays différents.

Un cours à Singularity University

Vous étiez en permanence ensemble pendant les deux mois et demi du programme ?

Oui, du lever au coucher. On dormait sur place, sur le campus de la Nasa, situé en plein milieu du désert, dans la Silicon Valley. Presque en dortoirs !

On se levait tous les jours très tôt, parce qu’il était vraiment difficile de louper des cours aussi intéressants. On était donc ensemble de 9 heures du matin à 8 heures du soir. Les fondateurs de l’université passaient régulièrement nous voir… C’était vraiment intense : des conférences venaient s’ajouter au programme et quand on sortait des cours, on poursuivait souvent les discussions jusque tard dans la nuit.
J’ai gardé le contact avec tout le monde. Certains viennent d’ailleurs à Paris cette semaine.

Lors du dernier entretien vidéo avec Jean-Michel Billaut, vous étiez sur le point de présenter votre projet sur l’eau. Comment ça s’est passé et sur quoi cela a débouché ?

Encore une fois, c’était assez américain : je m’attendais presque à me voir remettre un chapeau de diplômée ! C’était aussi solennel : il y avait 200 à 300 personnes présentes, dont une partie des intervenants, pour la présentation des 14 projets.
La nôtre s’est très bien passée, une ONG s’est depuis montée au Chili. L’une des filles de notre groupe de travail, chilienne et juriste, y investit désormais 100% de son temps. Depuis que je suis rentrée en France, je m’y consacre pour ma part surtout pendant mon temps libre, le week-end.
On a aussi monté une ONG qui fait du monitoring de jeunes femmes à travers le monde.

Comment fait-on pour entrer à Singularity University ?

Ça va assez vite. J’ai rempli un dossier en ligne. Il faut fournir un CV, des lettres de recommandation, et montrer une certaine passion pour les technologies. Je pense qu’il est également bon d’indiquer qu’on a déjà été entrepreneur une fois dans sa vie.
Le coût de la formation est assez élevé, mais l’université donne des bourses, qui couvrent parfois intégralement le cursus. Ainsi, pas mal d’étudiants en provenance de pays en développement ont pu participer au programme. Singularity University est d’abord une fondation, son but est non lucratif.

Il y a eu 1.800 candidatures pour le programme que vous avez suivi l’an dernier. Pensez-vous que votre appartenance à Google France a joué un rôle dans votre sélection ?

Je ne sais pas. Peut-être. À l’époque, les gens de Google France ignorait l’existence de Singularity.
Les personnes sélectionnées venaient toutes d’horizons très divers : étudiants, entrepreneurs… Même si finalement, nous n’étions pas beaucoup à venir du business et de grands groupes comme Google.

Pensez-vous retourner à Singularity University dans un avenir proche, pour vous remettre à jour sur les dernières avancées technologiques ?

Il faut avoir à l’esprit que Singularity se veut être une formation sur la durée. C’est assez particulier : en France, on va à l’université et c’est terminé. Dans le domaine particulier des technologies, il y a bien sûr les cours en ligne du TED, mais rien de comparable à Singularity University. Là-bas, on reste en contact et les étudiants de l’année précédente sont souvent les intervenants du programme de l’été qui suit.
Personnellement, je pense retourner sur le campus l’été prochain, pendant une semaine. Je ne vais pas refaire la formation, je vais simplement aller à la rencontre des étudiants, des intervenants.

Les bannières de Singularity University

À quand la création d’une version française de SU ?

Je ne pense pas qu’il y aura une Singularity University en France, en tout cas pas sous la forme du programme d’été. Déjà parce que cette organisation est assez lourde en termes logistiques : il n’est pas évident de mobiliser un endroit pendant plus de deux mois. Par contre, je pense qu’il y a de forte chance que les Executive Programs soient lancés ici. Les membres de Singularity diffusent leurs idées en Europe : ainsi, le directeur de SU, Salim Ismail, intervient cette année à LeWeb.
Diffuser les informations, réfléchir aux questions posées par les technologies permettront certainement de réduire la peur qu’elles suscitent, c’est une bonne chose. Les choses évoluent en France, dans la santé par exemple.

Il est important que les gens se confrontent aux questions soulevées par les technologies. Il faut se préparer à vivre avec, en gérant au mieux les risques qu’elles comportent.

Que penser justement des réticences suscitées par les projets transhumanistes ?

Je ne suis pas une spécialiste, mais je pense que les gens ont peur du changement… de se voir remplacés par des robots. Mais ce n’est pas nouveau, chaque technologie a d’abord suscité une crainte. Là, c’est d’autant plus fort que cela touche l’humain.
Singularity University aborde ces problématiques : nous avons suivi des cours d’éthique. À chaque fois qu’une nouvelle technologie était évoquée, nous nous interrogions sur les impacts et les risques qu’elle soulevait.

Je comprends tout à fait cette peur, je ne suis pas du tout adepte moi-même du transhumanisme, mais il faut penser aux apports positifs des avancées technologiques, comme les nanobots qui seront capables de guérir des cellules cancéreuses. On ne peut pas dire non à ces choses là.

Retrouvez le blog d’Eugénie Rives, qui retrace son expérience à Singularity University.

Son témoignage également à retrouver sur Place de la Toile, l’émission de Xavier de la Porte sur France Culture.

À lire aussi sur le sujet : “Humain, trans-humain” ; “L’Homme “augmenté” selon Google…vers une transhumanité diminuée ?” ;

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Images CC Flickr david.orban

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