La Révolution, et après ?

Le 26 janvier 2011

Les "révolutions" populaires changent-elles quelque chose? Retour sur les expériences de l'Ukraine, de la Géorgie et du Kirghizstan, 5 ans après leurs révolutions.

En 2003, la révolution des Roses secouait la Géorgie. Fin 2004, le monde s’enthousiasmait pour la révolution Orange en Ukraine. Un peu plus tard, c’était la révolution des Tulipes au Kirghizistan. Puis la révolution Twitter en Moldavie, en 2009.

Aujourd’hui, ces pays d’Europe et d’Asie Centrale sont-ils des démocraties libérales bénéficiant, comme nous en France, de la liberté d’expression et d’un Etat de droit à peu près fonctionnel ? Réponse en 4 points pour l’Ukraine, la Géorgie et le Kirghizstan.

Perceptions de la corruption

Transparency International compile un indice de perception de la corruption (CPI) depuis une dizaine d’années. L’ONG basée à Berlin demande aux hommes et aux femmes d’affaires leur opinion sur la corruption dans les pays où ils interviennent. Plus rarement, l’ONG fait des sondages auprès de la population afin de voir si les perceptions des hommes et femmes d’affaires et le vécu de la population concordent. Le plus souvent, c’est le cas.

Dans l’indice CPI, plus la note est élevée, moins il y a de corruption. Pour donner un ordre de grandeur, le Danemark est à 9, la France à 7 et l’Afghanistan à 1.

Depuis les révolutions, on voit que la Géorgie a largement amélioré sa position, en doublant son score depuis sa révolution des Roses. Pour les deux autres, c’est moins brillant : +4% en Ukraine depuis 2004 et même -9% au Kirghizstan depuis 2005.

Par ailleurs, les autres pays de la région ont vu leur note dégradée. Deux dictatures sans “révolution de couleur”, l’Arménie et le Turkménistan, ont subi des baisses de 13% et de 20% depuis 2003, respectivement.

Liberté de la presse

Le baromètre de Reporters Sans Frontières fonctionne en sens inverse de l’indice CPI. Un score élevé montre un pays où la liberté de la presse n’est pas respectée.

Seul les journalistes ukrainiens sont plus libres après la révolution qu’avant, selon RSF. La situation a largement empiré au Kirghizstan et n’a pas changé en Géorgie.

Stabilité politique

La Banque Mondiale agrège plusieurs indicateurs pour établir ses classements de gouvernance mondiale. Les indices vont de -2.5 à +2.5, une note haute indiquant une ‘meilleure’ gouvernance (comprendre : plus proche des idéaux occidentaux).

Les indicateurs progressent dans le bon sens pour tous les pays concernés, de +13% pour l’Ukraine à +55% pour le Kirghizstan. C’est d’autant plus significatif que les autres présipautés de la région, comme l’Arménie ou l’Azerbaïdjan, n’ont pas connu d’évolutions similaires.

Etat de droit

Cet agrégat statistique fourni par la Banque Mondiale montre que seuls les Géorgiens ont vu leur situation s’améliorer, avec des tribunaux qui fonctionnent mieux et un droit à la propriété mieux respecté après la révolution qu’avant.

Bilan bon, mais pas top

Cette démonstration par les données montre que les situations nationales n’ont pas été extrêmement impactées par les “révolutions” annoncées en fanfare dans les années 2000. En Ukraine d’ailleurs, le candidat du dictateur Leonid Kutchma en 2004, Victor Yanoukovitch, est revenu au pouvoir légalement après 5 ans de conflits personnels entre les différents acteurs de la révolution.

En Géorgie, Mikhail Saakachvili, arrivé au pouvoir en 2003 après avoir mis dehors le dictateur en place, a perdu son aura de superstar de la démocratie en devenant de plus en plus autoritaire  au fil des ans, jusqu’à emmener son pays dans une guerre dramatique en 2008.

Au Kirghizstan, la révolution n’a jamais mené de démocrate au pouvoir. Durant les mois qui ont suivi, des émeutes et des meurtres ont entaché la vie politique du pays. Les massacres de 2010 ont fini de mettre à bas les rêves de stabilisation et de démocratisation du pays.

Tout n’est pas noir pour autant. Des mesures symboliques, prises au lendemain des révolutions, n’ont pas été abrogées. Les citoyens de l’Union peuvent désormais voyager en Ukraine et en Géorgie sans visa, par exemple. Le parlement ukrainien a également passé une loi reconnaissant la famine de 1932-33 (entre 4 et 5 millions de morts) comme un acte politique instrumentalisé par les bolchéviques, marquant son indépendance vis-à-vis de Moscou.

Révolutions silencieuses

Malgré ces aspects positifs, force est de constater que seules les révolutions des pays du bloc soviétique, en 1990-91, ont permis des transitions démocratiques en une dizaine d’années. Partout ailleurs, les institutions démocratiques se sont construites dans la durée, s’autonomisant progressivement du pouvoir dictatorial.

En Corée du Sud ou au Mexique, les évènements violents, comme le soulèvement de Gwangju en Corée en 1980, n’ont pas déclenché de changements politiques majeurs, même s’ils ont été des marqueurs fédérateurs de courants démocratiques plus profonds.

A la lumière de ces exemples, on peut imaginer que les évènements en Tunisie et en Egypte ne vont pas directement mener à des démocraties parlementaires. Mais nous ne pouvons que nous réjouir de la chute de dictatures abjectes et espérer que ces étapes marquent des jalons vers des sociétés réellement libres.

Photo CC alex_e14

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