Valeurs républicaines: petit inventaire avant liquidation

Le 28 janvier 2011

Ces derniers temps, l'optimisme n'est pas à l'ordre du jour dans la fonction publique. Bilan des valeurs perdues et esquisse d'un avenir sombre pour les services étatiques...

15 mars 1944. Une bande de punk-à-chiens anarcho-autonomes, élevés dans l’abondance et n’ayant jamais connu de privations réclame et instaure :

La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires.

13 Janvier 2011. Jean-François Mancel, député UMP qui fut aussi administrateur civil de la fonction publique au ministère de l’Équipement, soumet à l’assemblée nationale une proposition de loi « visant à réserver le statut de la fonction publique aux agents exerçant une fonction régalienne ». On peut y lire ceci :

Tout d’abord, cela contribuerait à dynamiser les domaines non régaliens actuellement englobés dans la fonction publique. En effet, la généralisation du contrat de travail de droit commun permettrait une meilleure prise en compte du mérite ainsi qu’une meilleure gestion des ressources humaines (…). Cette nouvelle flexibilité nourrirait une dynamique d’enrichissement réciproque des deux secteurs. (…) À l’heure où le Gouvernement a décidé de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, une telle mesure viendrait renforcer la volonté de rationalisation des dépenses de l’État.

Le 7 Janvier 2011, Christian Jacob, Ministre de la Fonction publique du gouvernement Dominique de Villepin (du 2 juin 2005 au 15 mai 2007), avait déjà réclamé « la fin de l’emploi à vie des fonctionnaires ».

Une fonction publique essentielle mais pas régalienne

Les trois fonctions publiques (d’état, territoriale et hospitalière) ont joué un rôle déterminant dans l’accomplissement du programme du conseil national de la résistance.

Comme universitaire, comme chercheur et comme enseignant, j’appartiens à la fonction publique d’état. L’école, l’enseignement, l’apprentissage, la formation ne font clairement pas partie des missions que l’on qualifie habituellement de régaliennes.

Ainsi donc tout comme les médecins, les infirmières et tant d’autres, les universitaires, les chercheurs, les enseignants, de la maternelle à l’université pourraient donc, demain, ne plus faire partie de la fonction publique.

Pourtant le rôle qu’ils jouent dans « la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents » me semble incontestable tout en restant notablement perfectible.

Le 7 décembre 2007, pour la première fois dans l’histoire de la république, son plus haut représentant indique que :

Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.

Troquer les valeurs de la Résistance contre celle de la Rentabilité

9 Brumaire 1794. Le 9 brumaire an III, la Convention décréta

qu’il serait établi à Paris une École normale, où seraient appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner.

Ainsi fut créée l’Ecole Normale Supérieure.

18 Janvier 2011. Stephane Hessel, membre de la sus-mentionnée bande de punk-à-chiens anarcho-autonome ne pourra pas s’exprimer à l’école normale supérieure. La ministre de l’enseignement supérieur est personnellement intervenue pour l’en empêcher.

Jamais. Jamais gouvernement n’aura mené aussi loin la destruction minitieuse, méticuleuse, idéologique, affairiste du socle républicain. L’ensemble des services de la fonction publique (école, hôpitaux, accès aux soins, etc.) sont depuis déjà bien des années laminés au nom de principes d’économie, d’efficience, de rentabilité dont chacun observera aisément qu’ils n’ont réglé aucun des problèmes auxquels ils étaient supposé répondre. Peut-être serait-il temps d’en tirer toutes les conclusions.

Echos. Deux écoles. Deux logiques. Deux ambitions. Mais depuis plus de 50 ans, les mêmes « banques », « compagnies d’assurance », « crise(s) financière(s) ».

1. « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » ; (programme du CNR, 15 Mars 1944)

2. « cette proposition de loi s’inscrit dans une logique d’égalité et de réconciliation au sein de la société française à l’heure où les différences entre le secteur public et le secteur privé apparaissent plus que jamais injustes aux yeux de nombre de nos concitoyens, particulièrement suite à la grave crise financière que nous venons de traverser. » Proposition de loi de J.-F. Mancel, 13 Janvier 2011.

Les lignes de fracture n’ont jamais été aussi nettes.

2012. J’ignore combien s’en indigneront. La république comme bien commun. La fonction publique comme une assurance, une garantie collective. Comme un lien. J’espère que beaucoup s’en souviendront.

Illustration CC Flickr Alexandre Moreau et Cmoiln
Billet publié initialement sur Affordance sous le titre S’indigner peut-être. Se souvenir, sûrement

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