Sociologie du sexe: enlarge votre point de vue sur l’Europe
Après presque 55 ans d'UE, existe-t-il une sexualité européenne ? Capucine Goyet fait un état des lieux des pratiques, des différences et des similitudes dans les comportements sexuels des quelques 450 millions d'habitants de l'Union.
Depuis plusieurs années, l’Union Européenne s’intéresse de près à la question sexuelle. Déjà en 2002, dans le cadre d’un rapport du Parlement, Van Lancker proposait d’utiliser la technique des bonnes pratiques (« peer review ») en matière de droits sexuels et génésiques. Depuis 2008, cette technique a été reprise par Gisèle Halimi, avocate et défenseur des droits de la femme, afin de dégager une « clause de l’Européenne la plus favorisée » à partir des meilleures lois existantes.
En fait, grâce aux nouvelles données statistiques, à la libéralisation de la société et aux progrès scientifiques, ce sujet peut désormais être mieux analysé. En décembre dernier, il fut d’ailleurs l’objet d’une conférence organisée par les Jeunes Européens-Universités de Paris à la Maison de l’Europe sur la thématique « La sexualité des jeunes en Europe. Pratiques, genres et minorités »
De nombreux ouvrages et articles s’interrogent sur l’idée d’un modèle social européen, d’une politique étrangère européenne… Mais qu’en est-il du modèle européen de sexualité ?
Grâce aux enquêtes nationales, Nathalie Bajos, sociologue à l’INSERM, a pu synthétiser l’évolution des pratiques sexuelles. Il convient d’emblée de souligner qu’un idéal égalitaire s’est dessiné non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace européen. Par exemple, l’entrée dans la sexualité a suivi une évolution spectaculaire entre la période précédant la Seconde Guerre mondiale et la période contemporaine : d’un écart de quatre ans, on est aujourd’hui passé à quatre mois. Ainsi, l’âge moyen d’entrée dans la sexualité est d’environ dix-sept ans pour les hommes, et dix-sept ans et demi pour les femmes.
Une dualité des normes persistante
Géographiquement parlant, des distinctions peuvent être faites au sein de l’Europe. Une dualité des normes continue d’exister au Sud à travers un contrôle des relations préconjugales des femmes. Alors qu’au Nord et dans d’autres pays, l’égalitarisme prime. Dans les pays nordiques, l’initiation sexuelle des femmes est même légèrement plus précoce que celle des hommes. En fait, cette tendance à l’abaissement de l’âge au premier rapport sexuel est partie du Nord dans les années 60, avant de gagner l’Europe occidentale et centrale dans les années 70, puis l’Europe du Sud et de l’Est à partir des années 80-90.
Dans la même perspective, l’âge moyen au mariage des femmes est plus court en Europe orientale (22-24 ans) qu’en Europe occidentale (27-30 ans). Enfin, les campagnes de prévention du VIH, la sécularisation de la sexualité et la libéralisation des attitudes ont permis un mouvement à la baisse des grossesses d’adolescentes et des infections sexuellement transmissibles (IST) en Europe occidentale.
Ce mouvement demeure plus faible en Europe orientale en raison de la réduction des ressources de santé publique et du manque de contraceptifs. En ce qui concerne les IST, on peut également déplorer l’absence d’un système européen de surveillance. Ainsi, malgré quelques disparités géographiques, une convergence des pratiques sexuelles, existe bel et bien en Europe. Elle s’affirme d’année en année, et ne peut qu’être encouragée par la libre circulation des jeunes, des étudiants et de leurs modes de vie.
Droits des femmes
Parmi les thèmes relatifs aux droits de la femme, deux touchent directement à la sexualité : d’un côté, le choix de donner la vie à travers les questions de la contraception et de l’avortement, et de l’autre, la lutte contre les violences sexuelles.
Le droit à l’avortement reste une question délicate en Europe. Il est vrai que sa pratique est dépénalisée dans la majorité des pays, et soutenue par la position pro-avortement des institutions européennes. Toutefois, certains pays majoritairement catholiques, comme l’Irlande, la Pologne et Malte, restent attachés à la protection de l’embryon.
C’est pourquoi ils bénéficient de protocoles additionnels, annexés à leur traité d’adhésion ou à celui de Maastricht, qui leur garantissent une indépendance nationale en matière de législation sur l’IVG. Les ressortissantes de ces pays ont néanmoins la possibilité d’aller avorter dans un pays où une telle pratique est légale, sans risque de pénalisation.
En permettant une meilleure connaissance des moyens de contraception et des droits, elle peut faciliter l’épanouissement sexuel et assurer une meilleure adéquation entre le corps et l’esprit. Ainsi, les différentes enquêtes nationales ont montré que les femmes les plus diplômées avaient une sexualité plus diversifiée, pratiquant volontiers la masturbation et l’oralité, tout en demeurant réticentes à la pornographie et à l’analité.
La tendance inverse touche les femmes les moins socialement dotées. De plus, l’éducation à l’école et les campagnes d’information permettent de lutter contre un phénomène présent dans l’ensemble des pays européens et des classes sociales : c’est celui des violences domestiques. En 1999, l’eurobaromètre indiquait que « dans l’UE, une femme sur cinq, a été, au moins une fois dans sa vie, victime de la violence de son compagnon ».
Depuis, la Commission européenne a décidé d’enrayer ce phénomène. Le programme d’action communautaire pluriannuel Daphne a alors vu le jour en 2000. Il a pour tâches d’organiser des grandes campagnes de sensibilisation à travers la diffusion de messages de tolérance zéro (« La violence domestique est un crime »…), d’assurer l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre les pays et d’élaborer des programmes d’assistance aux victimes.
Le programme Daphne III, mis en place par décision du Parlement européen et du Conseil en juin 2007, couvre actuellement la période 2007-2013. Un rapport intermédiaire d’évaluation des projets et de leurs résultats doit être remis par le Parlement au plus tard le 31 mars 2011. Des résultats qui approchent à grands pas…
Défendre la cause LGBT
On a précédemment observé une convergence des pratiques sexuelles entre les pays et entre les sexes. Toutefois, cette convergence ne signifie pas unité des pratiques sexuelles. La diversité continue d’exister. Parler de la sexualité en Europe, c’est donc parler de toutes les sexualités qui existent, y compris celle des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels), souvent victimes de discriminations.
Lors de la Conférence sur « la sexualité des jeunes en Europe », Pierre Serné, membre du bureau exécutif d’Ilga-Europe (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association), est venu commenter l’action de son association. En tant que lobby présent dans 45 pays européens et financé par la Commission européenne, Ilga-Europe fournit de l’expertise auprès des institutions européennes et dans le cadre de l’élaboration des stratégies européennes, comme l’actuelle « Europe 2020 ». Elle surveille également l’application concrète de certaines directives. Avec la présence de partis homophobes au Parlement européen, il n’est pas toujours facile de faire avancer la loi.
Toutefois, des progrès sont à souligner. Par exemple, des pays, telle que la République tchèque, ont inscrit les droits des LGBT au sein de leur Constitution. Et en 2004, Ilga-Europe a empêché que Rocco Buttiglione, homme politique italien ouvertement homophobe, ne devienne commissaire européen.
Régulièrement, l’association rappelle que discriminer des personnes pour des motifs sexuels, c’est aussi limiter le potentiel économique non négligeable qu’elles constituent. A l’arc-en-ciel de poursuivre son chemin dans le bleu étoilé.
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Article initialement publié le 16 mars sur Le Taurillon sous le titre “Europe, sexe and fun”
Crédits Photo FlickR CC : kozumel / Alain Bachellier / Pauline K.
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