Convertir les invertis

Le 30 avril 2011

Profitant d'un flou sur les origines de l'homosexualité et d'un mal-être vis à vis de la religion, de nombreuses associations proposent de soigner les homosexuels. Une conversion risquée et inutile.

Il a fallu attendre 1993 pour que l’OMS retire officiellement l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Auparavant, en 1973, l’Association Américaine des Psychiatres aux États-Unis et le Ministère de la Santé en France en 1981 avaient fait cette modification.

À la recherche d’une origine, certains groupes religieux ancrent l’homosexualité dans la psychologie, allant chercher des explications dans le comportement ou l’histoire des personnes “touchées”. C’est ce que tente d’illustrer Alfie’s Home, un livre de Richard Cohen, “convertisseur” états-unien. Il raconte, sous la forme d’un album pour enfant, l’histoire d’un jeune garçon qui ressent une attirance pour les garçons. Un assistant social trouve avec lui les causes de ces sentiments : trop de temps passé avec sa mère, mésentente entre ses parents qui détruisent son image du couple hétérosexuel, manque d’affection de la part de son père et surtout attouchements de la part de son oncle. Le spécialiste lui explique ensuite qu’il ne fait que croire qu’il est gay alors qu’il n’en est rien. D’ailleurs, cette analyse “guérit” Alfie qui est “finalement heureux chez lui“.

Guérir l’homosexualité ?

Car si l’homosexualité s’explique par une modification psychologique de l’individu, il existe sûrement des moyens de la traiter et de permettre à ces gens de vivre en paix avec eux-mêmes et avec Dieu. Si, selon ces groupes, il faut se sortir de l’homosexualité c’est que ce comportement rend les gens tristes et surtout qu’il est interdit par la Bible.

Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. (Lévitique 18:22)

Ainsi, Hubert Lelièvre, aumônier auprès de malades du SIDA, rapporte dans son livre “Je veux mourir vivant” la réponse qu’il fait aux homosexuels :

Je ne peux pas te dire que vivre dans l’homosexualité soit bien, soit une route à prendre pour sa vie. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu l’un de vous me dire qu’il en avait été heureux.

Pour résumer, un homosexuel est triste et l’aider à oublier son homosexualité c’est avant tout l’aider à être heureux dans sa vie. Ironiquement, la solitude est également une des conséquences de leurs thérapies de conversion. La seule chose que promettent ces mouvements, c’est d’oublier ses tendances et de vivre à jamais célibataire ou abstinent. Le site Truth Wins Out qui a pour but de démystifier ces thérapies aux États-Unis relève d’ailleurs toutes leurs déclarations à ce sujet dans une rubriqueEx-gay ne veut pas forcément dire hétéro“. Un autre danger de ces mouvements, selon Mary L. Gray, chercheur en anthropologie à l’Université d’Indiana, est qu’ils prodiguent des thérapies sans aucune habilitation et sans suivi psychologique pour des personnes rendues fragiles par leurs traitements.

L’histoire de ces thérapies de conversion est assez vieille et les méthodes sont variées. Des violentes, comme la lobotomie ou les décharges électriques à chaque pensée érotique impliquant des personnes du même sexe au siècle précédent. D’autres comme la “thérapie de genre“, une rééducation permettant de vivre conformément à son genre. Les hommes aiment le sport et les voitures, les filles font le ménage et la couture. Dans un film de 1999, “But I’m a Cheerleader” ces différentes thérapies sont visibles. Notamment les cours de ménage pour les filles et les cours de virilité pour les hommes, voire les leçons de sexe.

Ce que montre cette bande-annonce est également ce qu’a dit Mary L. Gray : l’inscription à ces thérapies vient souvent des parents. Ils trouvent leur fils trop efféminé ou que leur fille n’a pas assez de petits copains, ils le font aller à ces camps. En France, Christian Vanneste, député de l’UMP, avait espéré qu’il soit possible également pour ses administrés de faire de même. Il déclarait dans le documentaire, diffusé sur Arte, “Je suis homo, et alors ?” de Ted Anspach :

[Il devrait être possible], lorsque l’on perçoit ce genre d’évolution [vers l'homosexualité] de proposer aux parents une “thérapeutique”, tout au moins un traitement, un accompagnement pour faire en sorte que la personne évolue. À mon sens ce serait une bonne solution.

Le principal argument selon lui pour soigner les homosexuels est qu’une société composée à “parité d’hétérosexuels et d’homosexuels” serait une “menace pour notre avenir et on ne semble ne pas le comprendre“. Pour l’aider à contrer cette menace, il peut compter sur les mouvements “réparateurs” présents en France et notamment sur Internet. Le site OserEnParler, sous une apparence pédagogique et compréhensive de l’homosexualité propose une suite de rubriques sur l’homosexualité irréversible. De la même manière, le mouvement Exodus International propose sur son site des témoignages et un soutien, mais également une application pour iPhone.

Exodus International est une association dont un des fondateurs avait fait la une de Newsweek en 1998 avec pour gros titre “Gay for Life ?”. Sur son site et dans son application iPhone, on peut lire des conseils quotidiens pour vivre au mieux dans l’abstinence laissant transparaître une stigmatisation de l’homosexualité. Ce qui fait dire à John Avarosis, blogueur pour AMERICAblog, qu’en s’adressant aux enfants et en les stigmatisant ainsi, Exodus représente un danger mortel. D’ailleurs, une pétition lancée par Truth Wins Out largement partagée a permis le retrait cette application de l’App Store, arguant que celle-ci diffusait un discours de haine envers un groupe de personnes en particulier, une des conditions de retrait selon les conditions générales de vente d’Apple.

Du côté de la médecine

Les partisans de ces traitements ne sont pas seulement des associations religieuses. En Espagne par exemple existe une clinique proposant de convertir les gays. Un des spécialistes de cet établissement déclare :

Personne ne veut être homosexuel, cela vous tombe dessus. S’ils pouvaient changer leur orientation sexuelle grâce à une pilule, 99% d’entre eux le feraient.

De la même manière, en Grande-Bretagne, de nombreux psychiatres prétendent pouvoir effectuer de tels traitements. 1 sur 5 selon une étude en 2009. C’est notamment le cas de Lesley Pickington. Piégée par le journaliste Patrick Strudwick, elle déclarait que l’homosexualité était “une maladie mentale, une addiction et un phénomène anti-religieux“. Suite à ces déclarations, la psychiatre risque de perdre son habilitation. Un jugement un peu fort selon certains élus conservateurs, puisque l’un deux, Roger Helmer, député européen, s’est énervé sur Twitter.

Pourquoi est-il normal pour un chirurgien de pratiquer une opération de changement de sexe, mais qu’il n’est pas normal pour un psychiatre de tenter de convertir un homosexuel consentant ?

Il fut aussitôt corrigé par le porte-parole du Parti Conservateur.

Ce dont ont besoin les lesbiennes et les gays est d’un traitement équitable par la société et non pas d’un traitement mal intentionné par une minorité de professionnels de la santé.

Surtout que le parallèle entre la chirurgie de changement de sexe et les conversions d’homosexuels n’ont rien à voir souligne Mary L. Gray. Alors que l’un tente de raccorder le corps avec le genre d’une personne, l’autre est un déni d’une partie importante de l’identité par des voies non médicales.

En finir avec ces croyances

Mary L. Gray pense que ce qui est grave avec tous ces traitements , c’est qu’ils charrient avec eux toutes les croyances autour de l’homosexualité. Notamment l’obsession selon laquelle, en parlant trop d’homosexualité aux jeunes et en leur expliquant que ça n’est rien de grave, on risquerait de les convertir. Peur de la conversion qui s’associe régulièrement d’un amalgame entre homosexualité et pédophilie.

Un des moyens d’en finir avec ces idées serait de parler un peu plus ouvertement d’homosexualité, notamment à l’école. Ce qui ne risque pas d’arriver en France, après l’interdiction de diffusion du film “Le Baiser de la Lune“, qui racontait l’histoire d’amour de Félix et Léon, deux poissons. En Californie, en revanche, on parle d’inscrire dans le cursus un cours sur les combats LGBT. Peut-être un début de solution.


Illustrations CC Flickr My Little Pony Pride by Austin & Zack

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