Webjournalisme: tentative de typologie

Le 23 septembre 2010

Si le webjournalisme est aujourd'hui une forme de journalisme à part entière, la production de l'information sur Internet peut revêtir plusieurs aspects, que l'auteur s'attache ici à détailler.

L’information sur Internet est désormais solidement installée dans nos sociétés. Son influence va grandissante. Un récent sondage Fleishman-Hillard / Harris Interactive réalisé dans sept pays montre ainsi que le web et les conseils de son entourage sont les deux sources d’informations les plus importantes pour les consommateurs, loin devant les mails, la télévision, la presse, la radio…

Le public plébiscite donc cette nouvelle manière de consommer l’information. Les journalistes en prennent acte, et cherchent par conséquent à rendre toujours plus innovante leur production de contenus en ligne.  Le temps des tâtonnements, celui qui voyait la presse imiter sur le web ce qu’elle faisait sur papier (en commettant au passage l’erreur de la gratuité), est révolu. Chacun sait maintenant que le webjournalisme est une forme de journalisme à part entière, avec ses outils, ses codes et ses supports propres.

Les différentes formes de webjournalisme

Mieux: grâce au potentiel multimédia inouï que permet l’Internet, le webjournalisme se décline sous plusieurs formes très variées qui ont progressivement émergé et se trouvent aujourd’hui à des stades de développement différents. Nous distinguerons ici six catégories, dont les dénominations et les caractéristiques ne demandent qu’à être discutées et complétées :

  • Le “flash journalism” reste la forme la plus classique. Il s’agit de l’information brute, à la limite du copié-collé de dépêche AFP, dont les sites d’information traditionnels sont champions. Il prend la forme de courts articles publiés à chaud, rarement accompagnés de contenu multimédia, et illustre le mimétisme de l’information qui fait rage sur Internet. Un exemple pioché au hasard dans Google News : l’annonce de la libération de Dany Leprince a donné lieu à des dizaines d’articles qui se démarquent rarement les uns des autres.
  • Le “live journalism” a été inventé par la radio et la télévision mais trouve un prolongement sur le web. Comme son nom l’indique, il consiste à faire vivre les évènements au public en direct. L’exemple du suivi en live des procès illustre de mieux en mieux le développement de cette forme de journalisme.
  • Le “narrative journalism” est ce qu’on appellerait en français le journalisme de terrain ou d’enquête. C’est le mythe du journaliste infiltré faisant éclater au grand jour des scandales politico-financiers ou du grand reporter parti à la rencontre des habitants des townships d’Afrique du Sud. C’est le type de journalisme dans lequel la forme impersonnelle de la troisième personne laisse parfois la place au “je” et à la subjectivité revendiquée. Si l’on regroupe ici sous la même appellation le journalisme d’enquête et le reportage au long cours, c’est (au-delà d’une certaine ressemblance dans la forme) parce que ces catégories de journalisme sont en crise, car elles n’ont pas trouvé le moyen de s’adapter à la transition numérique. Pourtant, le web pourrait offrir de multiples possibilités de rebond aux nostalgiques d’Albert Londres…
  • Le “blog journalism” est la pratique du blog appliquée au journalisme : de courts billets assez subjectifs, mêlant de préférence texte et contenus multimédias, permettant d’apporter rapidement un éclairage ou un commentaire personnel sur l’évènement, mais aussi de dialoguer avec les internautes qui ont la possibilité de laisser leurs commentaires. Les blogs de journalistes sont aujourd’hui très nombreux, notamment dans le cas des journalistes spécialisés (politique, médias, automobile, religion…). On peut aussi retenir l’exemple de Christophe Barbier, qui présente l’originalité de pratiquer le blogging à la fois en texte et en vidéo.
  • Le “talk journalism”, enfin, est le journalisme d’interaction. Il rassemble le traitement des réactions et témoignages des internautes, les interviews en t’chat, les sondages et débats entre journalistes, experts et grand public… Le Web 2.0 a progressivement consacré ces nouvelles manières d’associer M. et Mme Tout-le-monde au traitement de l’information.

Précisons que ces formes de journalisme ne constituent que des modèles purs, des “idéaux-types”, qui ne sauraient être des catégories rigides dans lesquelles classer les différents contenus d’information. Par exemple, les publications de pure players type Rue89 sont souvent au croisement du narrative journalism, du talk journalism et – parfois – du data journalism.

Une question de support

Il n’en reste pas moins que le webjournalisme s’est démultiplié en plusieurs types de journalisme. Voilà pour le fond. En ce qui concerne la forme, on a également assisté à une démultiplicatio : celle des supports. Il est loin le temps où Internet était seulement disponible depuis un ordinateur de bureau. Aujourd’hui, l’information est accessible depuis différents supports numériques, chacun permettant de privilégier tel ou tel usage :

  • L’ordinateur classique, fixe ou portable, reste un outil central. Polyvalent, il présente toutefois des handicaps en terme de mobilité et parfois de confort.
  • Le téléphone mobile, qui est de plus en plus en souvent un smartphone, ne permet qu’une consommation limitée et souvent rapide de contenus, mais présente l’avantage évident de la mobilité. C’est l’avènement de l’information partout et tout le temps. Il convient de souligner le rôle croissant des applications, essentielles au développement de l’information sur mobile.
  • Les tablettes, qui devraient progressivement trouver leur public sous l’impulsion du lancement de l‘iPad, permettent également une certaine mobilité mais surtout un meilleur confort et une forte plasticité multimédia (liée en grande partie à l’écran tactile). Cependant, elles valorisent surtout la consommation de contenus, et non la production : il est par exemple bien moins confortable de rédiger un billet de blog avec un iPad qu’avec un ordinateur…
  • Enfin, les outils du web social (Facebook, Twitter…) sont également à classer parmi les supports. Non pas au sens physique, mais au sens où ils permettent de publier et de valoriser du contenu d’information ailleurs que sur les sites et applications créés par les médias. A la différence de ceux-ci, les réseaux sociaux permettent d’aller chercher l’internaute là où il est et de valoriser l’aspect participatif de l’information. Notons enfin qu’ils sont accessibles depuis l’ensemble des supports  physiques évoqués ci-dessus.

Des modèles économiques variés

Faisons enfin un bref tour d’horizon des modèles économiques utilisés pour tenter de monétiser l’information sur le web, en se plaçant du point de vue de l’internaute, donc en reprenant l’opposition basique gratuit-payant :

  • Le modèle gratuit, ultra-répandu dans le monde de l’information sur Internet, se finance (ou plutôt essaie de se financer) principalement par la publicité (bannières display, liens sponsorisés…). Dans cette optique, certains modèles publicitaires spécifiques peuvent être utilisés, comme le sponsoring professionnel (exemple : Slate.fr a fait sponsoriser son site dédié à la Coupe du monde par un unique partenaire, Geodis, qui bénéficie ainsi de tout l’espace publicitaire de ces pages) ou grand public (exemple : le “Mur” de Rue89). Pour compléter ces (trop faibles) revenus, une piste supplémentaire consiste en le développement d’activités parallèles, comme la formation ou la conception de sites (Rue89) ou encore l’organisation de conférences (Les Echos). Nous écartons ici les solutions plus taboues mais (hélas) bien réelles que sont les subventions publiques et le mécénat.
  • Le modèle payant, d’abord écarté par les éditeurs, a été remis au goût du jour par la non rentabilité du modèle publicitaire. Certains sites privilégient désormais une approche “freemium” : une partie gratuite accessible à tous et une partie payante réservée aux abonnés. Pour les internautes refusant de payer un abonnement, il est également souvent possible de payer à l’acte certains contenus (par exemple les archives du Monde). Unique en son genre, Mediapart a choisi le modèle du tout payant (sauf pour sa partie participative), en proposant toutefois un contenu d’exclusivité et de qualité. S’il n’est pas en vogue dans l’Internet traditionnel, le payant a cependant un peu plus la cote sur les smartphones (applications payantes) et surtout sur les tablettes : les journaux ont ainsi juré de ne pas réitérer l’erreur de la gratuité totale sur l’iPad.

Types de webjournalisme, supports de l’information, modèles économiques : nous avons passé en revue chacun des éléments de cette triplette. Il est maintenant possible de bâtir une typologie associant à chaque forme de journalisme les supports et modèle(s) économique(s) qui seraient les plus appropriés :

Quelques explications :

  • Le flash journalism est l’info brute, prête à être consommée rapidement et partout (pardon de parler en des termes aussi alimentaires mais c’est ainsi, il s’agit bel et bien de l’info fast food). Le smartphone est donc son support de prédilection. Elle ne présente aucune originalité puisqu’on la trouve partout, d’où son accès gratuit et son financement par la publicité.
  • Le développement du live journalism est inextricablement lié à celui des outils de microblogging type Twitter. Il doit investir ces plate-formes pour aller recruter sur place l’internaute cherchant l’information en direct. Là aussi, le smartphone permet de faire vivre l’information partout, mais les tablettes et sites web offrent plus de possibilités en termes de contenu live et d’interaction à chaud. Les journalistes n’étant pas les seuls à “liver” les évènements, un modèle gratuit sera là aussi privilégié.
  • Avec le narrative journalism, on change complètement d’optique. Ce journalisme qui prend son temps est aussi un journalisme qui coûte cher, d’où un modèle payant (abonnement), justifié par l’exclusivité et la qualité du contenu. (On peut aussi penser à un modèle original qui émerge aux USA :  le crowdfunding (mécénat populaire), qui consiste à faire financer à l’avance par le public les sujets qu’il veut découvrir.) Côté supports, les tablettes sont sûrement le plus indiqué car leur confort favorise la lecture longue et leur possibilités techniques permettent de valoriser les contenus multimédias, par exemple dans le cas des webdocumentaires.
  • Le data journalism reste globalement dans les mêmes problématiques : un travail d’ampleur et une nécessité de valoriser le contenu de façon intuitive (animations flash, tableurs, graphiques…), d’où une préférence pour les tablettes et un modèle payant. Cependant, concernant ce dernier, le paiement à l’acte serait peut-être plus indiqué que l’abonnement pour une raison simple : la différenciation des attentes quant au fond. En effet, l’internaute qui veut consulter le classement complet des hôpitaux français aujourd’hui ne voudra pas peut-être découvrir la carte interactive de la chasse à la baleine dans le monde demain…
  • Le blog journalism doit s’épanouir en utilisant les outils innovants de blogging et microblogging type Tumblr, qui permettent de varier les types de contenus (images, vidéos, liens…) et de partager les billets de blogs pour créer l’interaction avec les internautes. Le modèle est évidemment gratuit (on voit mal faire payer la consultation d’un blog…) mais on peut éventuellement privilégier le sponsoring, en associant un blog ou un groupe de blogs à une marque (en faisant toutefois attention aux conflits d’intérêts).
  • Le talk journalism doit jouer à fond la carte des réseaux sociaux, et notamment s’installer sur Facebook (400 millions d’utilisateurs actifs, ça fait réfléchir). Son modèle est gratuit mais son apport “en nature” n’est pas négligeable en termes de visiteurs redirigés, de notoriété, d’informations signalées par les internautes… Par ailleurs, on peut imaginer un accès réservé aux abonnés pour certains éléments, comme par exemple l’interview en t’chat d’une personnalité ou la possibilité de poser des questions aux journalistes spécialisés (comme le fait lefigaro.fr).

Il n’existe donc pas une recette miracle, les solutions sont multiples. Ces pistes ne demandent qu’à être discutées mais elles montrent bien que le webjournalisme est un journalisme qui se décline, à la fois en termes de supports et de modes de monétisation. Il n’est pas voué à n’être qu’une forme précaire et dévalorisée du journalisme, mais est au contraire promis à un grand avenir, pour peu que journalistes et éditeurs sachent comprendre les attentes du public et agencer fond, forme et modèle économique de façon à trouver les combinaisons gagnantes. C’est à cette condition qu’est soumise la pérennité du journalisme sur Internet.

Article initialement publié sur FuturJournalisme

Illustrations CC FlickR par Thomas Hawk et MoMoNWI

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